Plus j'avance dans ce désert brûlant et plus je deviens glace
A vingt ans je ne sais plus mettre un pied devant l'autre
Je recule à vue d'oeil
Sur le tapis roulant d'un immense magasin
Plein de gadgets et de musiques qui fondent comme des clous dans mes yeux
Le rythme que j'appelais ma peau
la voix que j'appelais ma voix
pas même un écho
Le bruit de la mer qui était rage et vie
ou tam-tam de mes rêves
s'est fait pierre
musique enrouée de grincement de porte qu'on referme
ou divine chasse d'eau
Et les nuages
les merveilleux nuages m'apportent de charmantes pensées
dont la plus touchante est la crainte de bientôt mouiller le fond de mes pompes
Plus j'avance dans ce désert brûlant et plus je deviens froid
A vingt ans je ne sais plus faire jaillir les monstres
Mon chapeau magicien retourné sur la route
devient écuelle à charité
Les singes y jettent quelques accessoires électriques
des verres cassés de lunettes noires
des syllabes écrasées
Et dans la nuit nouvelle qui m'entoure je rassemble
autour de moi des monceaux de silence
Le futur se construit comme un appartement sous la neige
au cinquantième étage d'un arbre millénaire
vidé de meubles mais que des êtres emplissent
assis dans la cuisine
où l'on entrouvre à tour de rôle
une bouche pour accrocher de nouvelles lumières
Pas d'incendie ce soir mais un feu de bois et tout autour
la mélodie de deux mains amies battant les cartes
sous une lampe de quinze watts qui ressemble à ma vie,
quand de l'orage qui s'abat au-dehors
je n'entends plus rien.
Jouvente, 13 août