Je pense souvent à me casser d'ici
pour rester à ma place
car ma place est nomade
elle dérive
mes pieds cloutés ne peuvent la suivre
Et je suis là
assis
au bord pourri de ma fenêtre
à mater ce ciel jaune au fond duquel un putain d'oiseau passe
Je crève de jalousie envers tout ce qui est loin
et je n'ai pour conquête
qu'un pauvre vieux moustique écrasé dans mon poing
Est-ce que j'ai une gueule à avoir confiance
en mon corps chaque jour trop tendre
Est-ce que j'ai l'air d'avoir mené la danse
d'être guéri de mon enfance
J'ai tout gaspillé à attendre
à jouer au mikado avec les heures
nuit après nuit en quête de la tangente
assez patiente
pour crever mon coeur
Le soleil est tombé derrière le mur
je me suis conformé aux sommations du diable
j'ai lu des chiffres noirs sur l'écran de mon portable
et les horaires de fermeture des guichets
j'ai laissé choir pêle-mêle tous mes trésors cachés
et me voici, patient parmi les chiures
il y a une queue immense et la sueur m'ensorcelle
comme une malédication médiocre
pas assez bonne pour être magique et ténébreuse
moi je trouve ça tragique
marre d'écouter l'enfant qui chiale
la tronche enfoncée au fond d'un landeau en plastique
dans la file d'attente de la poste
et les parents honteux
comme des vaches à l'abattoir
désolées de ne pas avoir assez de chair sur les os
pour rassasier le couteau du boucher
marre de me prendre des coups de rateau en plein dans l'espoir
par des filles qui ne chercheront jamais à comprendre
ce qui est beau dans le mouvement d'un homme qui chancelle
Mon enthousiasme
voilà tout ce qu'elles pourront jamais niquer en moi
marre de croiser mille fois par jour pendant trois microsecondes
le regard effrayé des spectres dans la rue
Loin du soleil je sème des naines rouges sous mes pas
celle qui m'a dit je t'aime ne le redira pas
je ne sais plus où aller
mais je sais ce que je vois
même si ça n'est pas là
ma vie qui se reflète sur son corps dévoilé
sa gorge offerte comme un immense coup de vent
sa main posée quelque part sur la table
plus de cette foutue tempête de sable
qui vient et qui m'avale
mon vieux, suis mon regard
ne suis pas mes pieds
ils se perdent