Par où commencer la voix se trouble le vent monte à la croisée
des sens et des vipères J’apprends le mouvement
J’ai des bras j’ai des jambes à mon cou qui m’étranglent J’ai
déserté ces nuits noires où des fantômes passaient
entre nous comme la mort sans nous voir
Partout nulle part les miradors les radars nous embrassent
les lèvres des égouts montent à la surface
On a perdu la trace de l’air
L’harmonie des couleurs
Tout s’écroule
Tout se barre
par où passer des cordes égorgent le trottoir
des corps entrelacés ont rempli les mangeoires
La vie c’est court la vie s’écourte
j’ai
le souffle qui court
j’entends les sirènes qui m’appellent
j’entends
hisser la grande échelle
Le mot répond au mot et se morcelle
la parole se répand
en dehors de la page
Tout va trop vite
la lune court à travers bois
La lune enrage
J’ai jeté les étoiles de part et d’autre dans les fossés
Comme on jette des cadavres à la sortie des villes lumière
derrière les murs de ciment frais
J’ai versé par-dessus l’essence
Et le feu a rompu la digue
brûlé mes sens
mené ses zigzags en flammèches
là où s’accouplent les silences
loin
je nous voyais moi et mon rêve comme une peur endormie
Enchaînés sur les toits d’une ville d’un autre monde
et contemplant le luxe le calme la volupté
L’effroi s’étale à cent lieues à la ronde
du bout des ongles je m’enfuis
je fugue je détale
au milieu du brouillard
je creuse le passage
vers ces terres inconnues qui font comme des aimants de nos pupilles
là où la terre est blanche à boire l’amour des vies entières
On y entend le vent la mer
et les pluies douces à irriguer nos veines
les nuages passent
Au vol
je voudrais attraper
dans les préaux dénudés d’enfants
tout grelottants
tout rêches
Ces quignons de lumière
qui percent entre les branches
sous des monceaux de soleil et de fleurs
Et la terre chiale
par où passer
quelle image appeler
quelle ombre remonter du puits de la mémoire
La poulie grince et le seau est percé
La nuit s’attarde
la nuit se farde de néons
Le néant cerne l’évasion
des sons et des échardes
J’emporte dans ma gorge un rêve
avalé de travers
Des boas d’amour nous étranglent
Peurs de l’éveil
et peurs du jour
Les corps font des gestes étranges
J’ai dormi en hurlant
J’ai dormi en courant
J’ai menti à ces rues qui portaient
la boue spectrale de mes os
Croyant que je les voyais, non pas comme cette armée de pigeons-salamandres
palpitante de morve et de cendre
Mais comme des rues, ventriloques et sinueuses, toutes pleines de leur caractère de rues mollasses
tout encombrées d’égouts où les corbillards passent
J’ai menti aux étoiles
aux doigts qui se penchaient jadis à mes paupières
Où continuer la voix descend le talon glisse sur le trottoir
Je me prends à ramper
J’ai honte Des yeux me matent des figures estropiées
croupissent entre les vitres
creusées de souterrains où chantent des limaces
pourries et noir-dentées
Vers où partir
Quitter
ce siècle qui sera un siècle de rien
de chuchotements dans des caves insonorisées
de déserts gigantesques
et somptueux
montés sur pilotis
tremblants hypothétiques
Passer l’éternité
noyés dans un ghetto
dont les remparts renvoient
d’épileptiques musiques
À manger nos chaussures
les yeux matant d’autres yeux dans la glace
Lentement je m’efface
je disparais
je deviens invisible
happé par le refrain motorisé des âmes
Ma parole est à peine
plus lourde que moi
Les corps remontent
j’oublie la gravité
La mer charrie la musique et les ombres
Radeaux de cuir
tendus sur le tambour
tendez l’oreille tendez
vos mains comme en prière
que l’on sache à présent si des serpents gravissent
les échafaudages de ma voix
Et les croûtes de la terre jusqu’ici sourdes et lâches s’ébrouent en hennissements pitoyables
Comme des hanches de l’enfer
gelées
Gelées mes veines creusées d’orbites et de tunnels
mes pauvres illusions
Devant mes yeux dorment les horizons
Ils sont couverts de riens couverts d’ombres portées
Ils ne sont pas couverts d’arcs-en-ciel
Pas de voile de bateau
Pas d’azur
Pas de pluie
Rien
Rien que la ronde infiniment dénuée de voix de sens
Le fracas d’ailes des hirondelles
et des limaces
Sous les étoiles