le regard des lanternes s’effrite comme du papier froissé
la nuit
lumignon qui s'étiole à l'angle d'une rue
seulement
un souffle
encore la nuit on égrène une à une les chutes des pierres
derrière devant les vitres toujours les mêmes têtes
le froid marche entre nous tu l'entends
en grésillant les places s'éteignent
une à une
comme des punaises
encore la nuit sur les trottoirs pelés
sur les doigts écornés
et sur les mains vacantes
encore la nuit sur nos pieds nos semelles
en caoutchouc
et en déroute
sur les veilleuses des ambulances
comme ces chiens courants
qu'on voit tomber le soir
la gueule pendante
dans le brouillard d'un réverbère
encore la nuit sur le chant des couteaux
entrecoupé, ici et là,
du cliquetis de la pluie sur les pierres
ou bien
parfois
du bruit d'un homme qui tombe
du haut d'un très grand immeuble
la nuit tombe elle aussi
sur les flèches stagnantes des quais
dans la fourrure du ciel on cherche un feu de bois
il reste encore les pierres tout autour du foyer
et au milieu les cendres
la nuit encore la nuit refroidie sur nos voix
sur ce papier toujours rédigé à moitié
encore la nuit sur nos ventres déserts
à l'angle des vieilles rues s'éteignent les lanternes
ce soir encore nos mains
ont jeté quelques pierres
encore la nuit sur les ardoises du toit
sur la lumière des cigarettes
sur les mots seuls sous la lucarne
encore la nuit pour souffler ta présence
silence
voix chaude de la dernière bougie
(Tardi, illustration pour Voyage au bout de la Nuit de LF Céline)