(Chanson)
Je fais de ma vie une grande maison vide
aux murs chargés de cendre aride
où résonnent des milliers de bruits de pas
et le boucan frileux de cent bagnoles qui passent
chaque seconde au-dessus de ma tête
Ici le bruit du monde a un goût de viande froide
il a le goût des corps qu’on frôle
et nous restons assis
dans l’ombre de la geôle
à écouter
sans ne savoir jamais s’il faut rire ou pleurer
les chiens qui rêvent à voix haute
Et les voix disent
les derniers mots de nos histoires
le dernier cri des sirènes qui s’éloignent
et la lumière éteinte des gyrophares
qui lâchent leurs tout derniers soupirs
sous la poitrine nue d’un homme
étendu mort sur le trottoir
On ne se connaît pas de terre
ni de racine
on ne lit plus l'effroi dans ce ciel qui nous broie
Nous n'avons peur que de nous-mêmes
le soir quand la nuit vient
et qu'on ne voit plus rien dans la fosse des miroirs
ou dans les yeux des autres
que le désert immense
informe
sans feu ni sans chaleur
Et le bruit dit
je suis le cri sans fin
je suis le cri lancé
par un enfant qui meurt sans air dans les cyclones
Tu regardes ces rues de ton Paris sans vie les rues de ton Moscou
sans vent sans neige et sans étoile
tu regardes ces rues où les autos balayent de leurs phares les visages
et les vitrines des cafés noirs
où tu traînes
comme une danse
ta dérisoire déréliction
Et à tendre l’oreille
parfois quand la mer monte au fond de la nuit noire
on entend des voix qui racontent
quelques chansons quelques histoires
Désert t'étreindra-t-on toujours
Lueur tarie au fond du corps
Tant que s'éteindront nos amours
Noyés nous traquerons encore
Les traits cachés de ta figure
Longtemps nous suivrons notre exode
Ivres d'attendre un autre hiver
Et nous berçons nos antipodes
Sur les braises d'un univers
Qu’on appelait l'imaginaire
On serait bien restés quelques siècles encore
cachés dans l'ombre
à écouter
les ricochets de nos voix dans le vide
Mais à attendre trop de temps au milieu des silences
le son de nos cœurs sonne faux
comme une montre qui avance
de dix mille ans
à nos tympans
Continuer à parler
avec du sable dans la bouche
avec du feu
continuer à parler
fendre les voiles qui masquent la tempête
Nous suivrons les paroles qui viennent comme des comètes
mettre le feu aux cataractes
et aux poumons morts de la terre
Dans le ramdam des sacrifices
au milieu de la foule
il y a comme un feu d’artifice
qui s’est levé comme une houle
et nous avons des yeux d’enfant
nous avons de ces yeux qui comblent le néant
Il y a plein d'images de la mer
balancée dans les airs entre les ailes molles des oiseaux
On s'en prend pour un tour des lumières qui s'étalent
sur tous les visages de la mort
et sur les langues de fer de nos derniers voyages
Désert
vide ajouré de nos histoires
vide immense vide
entre les barreaux des prisons
Désert
nous t’étreindrons toujours
épiant dans chaque forme
un trait de ton visage
cherchant l’enchantement au fond de l’immobile
À jamais nous ferons d’incroyables voyages
nous poursuivrons notre néant
sous les éclairs bleus des veilleuses
à voir couler les océans
entre les seins des amoureuses
on attendra la fin ouverte
sans ne jamais voir le coupable
dans la chambre sans meuble où pénètre
le vent du soir gonflé de sable
…
on marchera encore entre les réverbères
qui s’éteignent un à un
dans les crevasses éblouissantes de la terre
soufflés par les derniers soupirs qui chantent
des chansons pour les chiens
Les arbres noirs sur les chemins
disent qu’il est déjà trop tard
pour atteindre seulement la ligne de départ
Désert
regarde-nous
nous n’écouterons plus nos bouches se répondre
nos cœurs qui sonnaient faux
s’éteignent dans la nuit
et nos rêves qui s’effondrent
leurs débris s’en vont suivre sans bruit
le vol des oiseaux sur la mer
La bouche se referme
la crevasse du monde
a avalé son tout dernier souvenir
et nos chansons retombent
dans un bruit de métal
qui retentit un temps au milieu de nos tombes
Il s'est éteint
la terre est plate à l’infini
qui roule et roule
avec violence
Alors tu entrevois
Comme à travers l’autre lumière
À travers la dernière
des dernières
tu entrevois
derrière
le verre des minutes qui tanguent dans les airs
l'ombre de ton reflet
aux vitres délavées
et tu ne songes plus qu’à sceller tes paupières
tout est triste à crever.