Portrait râpé
La musique frotte ses mains crépues sur la Baltique
Les ombres sont en ballade sur le pont de cent mille et quelque cargos béants
Je vois des cris
appelez-moi épouvante
Je vois des cris
Là-bas des voix immenses s'insurgent contre l'eau des mers gelées
Je vois des cris
Des corps qui remontent et gonflent comme des pages trempées dans du café
Je suis libre
Libre comme l'orgue de l'église de Novomoskovsk
en hiver
elle transpire entre les doigts des saintes qui bâillent sous leurs jupes élimées
Je suis libre comme la mort des suicidés qui flottent sur les eaux du beau danube
Les ragondins emportent entre leurs dents des morceaux de tissu et les gros titres des journaux du soir
Je suis libre comme le pont des noyés au-dessus de la mer
Comme un après-midi qui grince dans les rouages tranchants du métro
Les rails charrient du varech et des prospectus publicitaires pour des médiums qui devinent le présent
Ce sont les plus doués d'entre tous
Les réverbères s'allument et s'éteignent comme des exercices de sauvetage ratés
À l'instar des autoroutes on s'affaisse dans le fossé pour passer la nuit sous les étoiles à fumer des pipes vides
Je suis libre
Mes lacets sont liés entre eux comme des menottes comme des paluches qu'on serre pour se faire offrir un coup dans les salles des fêtes
Je suis libre
Libre et fort comme la scansion des noms sacrés sous les affiches
Comme un combat qu'on gagnera un jour
Le réveil sera dur mais déjà j'entends l'odeur de la machine à faire pleuvoir sur les trottoirs
La journée sera belle pour les chiens
J'en suis
Je suis libre comme une chasse à courre dans les broussailles et les arbres pelés
En automne on dépèce le chasseur à coups de dents dans les feuilles mortes
Libre comme une page qui restera blanche sous la lumière poignardée
La plongée c'est parfois bon pour les viscères, surtout quand l'eau rentre
Je suis libre comme un prochain cargo à prendre le départ
Il ira contre le roc d'un coup tout droit sans allumer ses phares
Adieu mes rues mes toits mes plumards irisés
Je suis libre
Les lits pour malades on les balance bien par-dessus les falaises
La lune se couche il y a des rayons plein la lampe
Adieu les fils d'acier un canif et les buildings s'écroulent comme des joues comme des mamelles
Je suis libre
adieu mes lèvres un canif et vous voilà fendues
Adieu mes lèvres
Adieu mes lèvres
6 octobre 2008
J.A. Whistler