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A BOUT DE SOUFFLE
(ou l'Internationale des Insensés du 21e siècle)
Assez
C'en est assez de voir passer, les jours, les nuits, vos gueules arides de cimetières désherbés
C'en est assez de courir le temps dans les boulevards de vos époques dégurgitantes, assez de scander en dormant vos marches abjectes aux grands échos des murs
Assez d'enrouler dans les barbelés mes mains, mes doigts, d'enfoncer mes pieds dans le tumulte de vos boues altières, c'en est assez, mon frère, de courir le bitume
D'enlever par la force sur les grands trottoirs
les bourses
les cris
les sources de la nuit
C'en est assez de nous barricader dans nos poumons serrés comme des poings de révolte
C'en est assez de donner l'uppercut aux cervelles noueuses et dures des spectres démoulés
Assez de chercher une once de vérité dans ce que vois
ce que j'ai dit
ce que j'entends
ce que je foule aux pieds
ce que j'écrase de mes poings nus sur la surface dure et sèche de la mer enchaînée
c'en est assez de voir courir les chiens entre leurs propres dents
de voir pendre des langues torves sur les allées sur les venues
Je vous hais, vous qui croyez en la raison, vous qui croyez en la raison de ce monde, en la raison de ces goudronneuses, et de ces bovidés, et de ces lumières roses qui flagellent nuit et nuit les 100000 murs de la vieille terre, je vous hais, je vous hais,
et est-ce seulement nécessaire d'ajouter
que mon cri seul existe
parmi les masses informes de vos syllabes désarticulées
de vos visages croulants
de vos crânes lourds de cadavres taris
que mon cri est l'écho de la terre aveugle et sourde qui l'a engendré et qui jamais, entendez-vous, jamais plus n'existera ailleurs que dans ce cri-même
et devrais-je encore dire
que les fleurs sont fanées
que les portes des prisons poussent comme des lanternes dans la grande nuit des jungles nomades
et que la lune est un disque rayé
C'en est assez
assez de vos démarches scrupuleuses entre les bouches lubriques des égouts
assez de vos yeux tombant plus bas encore que les lèvres des priants léchant le sol
Et vous devinez le reste
nous courons je cours il court tu ne cours pas
entre les chemins noirs des potences et des flaques
Et nous sommes debout
tout seuls dans la nuit qui brame
tout seuls dans la nuit en rut
tout seuls sous la lumière déserte des trous noirs
nous sommes seuls
seuls mais debout
et nous sommes grands, mon frère,
grands sous le soleil qui s'éteint et que nos poings seuls tiennent enserré dans leur mâchoire immense,
grands dans notre position même et dans l'ombre que nos yeux gâtés par tant d'années de sueur et de midis brûlants, dans l'ombre que ces yeux ont étalée sur les croûtes avachies du monde,
nous sommes grands, mon frère, dans notre voix, dans notre sang qui sort par toutes les pores de notre chair,
nous sommes grands, mon frère, au-dessus de nous-mêmes, dans le ciel et dans la terre et tout autour de nous,
nous sommes grands
et nous ne fuyons pas
puisque déjà il n'y a plus rien à fuir
et nous sommes là, enfin, et enfin nous sommes pleins de ce néant dont nous rêvions, enfants
et nous sommes seuls dans l'univers immense avec nos voix pour planète et nous sentons déjà que rien
non, rien n'existe plus de ce qui fut jadis
avant l'invention de l'agonie
et du rugissement
Au commencement était le Verbe
et le Verbe était en NOUS
nous, écarteleurs étiques d’espaces et de tropiques
nous, inventeurs perpétuels de l’interminable fuite
nous hommes
et c'est la nuit
la nuit
étincelante comme un bâton de dynamite
alors
dans les boîtes de Rostov à Moscou il y a des femmes qui se lèchent les dents
pas comme des panthères, non,
comme des avions de ligne
qui se collent à l'asphalte
bouche contre bouche
il y a des femmes
des prêtresses aux seins durs et aux fesses d'océan
qu’on retrouve empalées sur des piquets d’or plus froids encore que des fusées
et vous, toujours vous
de haut en bas
dans le jaune pisse de vos fenêtres qui scintillent
comme des zéros dans un annuaire téléphonique
encore vous
vous et vos faces
vos yeux de chapeaux de roues
vos voix de latrines bouchées
vous
et il fait froid
très froid
la vodka gèle dans les bouteilles et les boulevards s’enterrent
dans les lézardes des visages
regarde-la ta zone maintenant Wilhelm
Fureur ô stéthoscope
le troupeau des cœurs cogne au travers du trottoir
les quatre fers en l’air
tu frappes de ton front bleu la pierre sourde des tombes
écoutons la tempête qui bat contre nos tempes
partout et dans tous les pays
tu vois des flammes et des épices qui engouffrent les murs
tu vois des cris
et des oiseaux
et des envolées d’orgue d’un autre monde résonnent dans les tunnels du ciel
et tu joues du tambour sur le cuir de ta tête
tu vois des lunes jaunes
tu sèmes des coups de dents sur toutes les portes sur toutes les serrures
humain
toi qui m'écoutes
qui marches à mes côtés dans les chemins embourbés de lumière
des hurlements de cent milliards de loups affolés
j'ai 18 ans
non je n'en ai pas 2000
et je suis né dans le dernier siècle de votre humanité
déjà je n'y suis plus
je m’évade
je Fugue
à travers l'ouverture béante et brune de ma bouche verticalement renversée vers les étoiles
et je revois
Tout
moi dans l'arbre, enfant, secouant les branches et les écorces tel un grand singe sous la nuit échevelée
moi sur la route, enfant, mâchonnant négligemment un quartier de monde entre les dents du tigre
moi, le poing levé, balançant les planètes au bout d'une chaîne comme un lanceur de rêves
moi sur le sable, enfant toujours, la tête renflée dans ma fureur et des yeux plein l’écume
du regard d’un seul trait renversant les étoiles
moi sur les vagues et sous la peau du vent
sur le chemin des puits de feu
on croit tourner en rond
je vois des cercles de cris sous toutes les paupières
je vois des chauve-souris qui rampent en vagissant dans les boulevards gelés
et des revers de mains à abattre les arbres
Et je voudrais
Sentir
ta peau et tes soupirs
presqu’île
verdeur
ô bunker de mon cœur
Et nous voulons
ouvrir d’un mot la chair de tous les masques de toutes les cataractes
nous voulons
hurler
courir voler s’approprier la terre le feu
renverser les horloges
et ne jamais finir crier encore