117e RI- BOUCARD Alexandre embuscade du TERCHAT (Chréa) 1956

Des nombreux militaires français ayant participé aux combats d’Afrique du Nord, chacun conserve en mémoire des images fortes des trop longs mois passés de l’autre côté de la Méditerranée. Mais certaines histoires rappellent plus que d’autres encore à quel point ce conflit a été cruel. Alexandre BOUCARD, rescapé de l’embuscade de Chréa, revient sur un épisode demeuré à jamais gravé au plus profond de lui-même. 

18 mai 1956 à Palestro. Une section de rappelés du 9e RIC tombe dans une embuscade faisant 19 morts  et  un seul  rescapé,   le soldat Pierre Dumas.  Consciente de la vague d’indignation soulevée par ce massacre, l’armée française décidera alors de rester la plus discrète possible sur ce type d’événements tragiques. Qui entendra parler de l’embuscade de Chréa, le 19 octobre  de la même année ?   Bien peu de gens en fait, alors que cette attaque  volera 12 vies  humaines.  Alexandre  Boucard, lui,  n’oubliera jamais ce jour de 1956,car il était présent sur les lieux et a vécu l’horreur.Laissé pour mort par les fellaghas après avoir subi le coup de grâce, il en restera marqué à vie.

Boucard, passionné d’histoire géographie, il est le 6e d’une lignée de 10 enfants d’une famille de paysans. Il décide donc de devancer l’appel et de partir au Maroc découvrir cette terre dont il rêve tant.On est alors en 1952, et si les premiers frémissements de la révolte à venir se font ressentir, la guerre d’indépendance qui va suivre est encore lointaine. «  J’ai conservé un souvenir agréable de mon service au Maroc. N’ayant jamais quitté ma Bretagne natale, je ressentais parfois le mal du pays mais j’étais heureux de voyager. » Après deux années passées dans l’empire chérifien, son temps d’engagement volontaire en devancement d’appel se termine et il rentre en France un certain…. 1er novembre 1954.  « En arrivant en Bretagne j’ai appris ce qu’il se passait en Algérie et je me suis dit que j’avais eu le nez creux de devancer mon service. » De retour sur sa terre natale, il s’investit dans la ferme familiale et s’engage aux Jeunesses Agricoles Chrétiennes (JAC).  « Parmi mes frères et sœurs, j’étais celui qui se destinait à reprendre l’exploitation. J’avais des projets de développement et mes parents comptaient réellement sur moi. » explique Alexandre.

Rappelé le 19 avril 1956

 « En août 1955, six gars de Monterfil ont été rappelés et je me suis dit que mon tour ne tarderait pas. Effectivement peu de temps après j’ai reçu ma feuille de route. Mais le lendemain un gendarme est venu me voir pour m’expliquer que c’était une erreur. ».Joie de courte durée, Alexandre est concerné. Le 19 avril, dix-huit mois après mon retour du Maroc, il quitte à nouveau la Bretagne, destination l’Algérie. « Ma convocation me stipulait de rejoindre la caserne Chanzy au Mans, 1er bataillon du 117e RI. L’ambiance y était détestable. Il n’y avait pas intérêt à se promener sous les fenêtres des chambrées : tout objet mobile devenait volant et atterrissait dans la cour ! Il régnait un fort sentiment de révolte. » 

Cela n’empêche pas le départ pour Marseille, au terme d’un trajet en train marqué par de multiples incidents. Un passage au camp de Sainte-Marthe, où il fallait constamment surveiller ses affaires sous peine de se les faire voler par des gens qui squattaient clandestinement les lieux et Alexandre embarque sur le « Ville de Marseille ». Il y croise d’ailleurs un ami d’enfance de Monterfil, rappelé au 3e bataillon du 117e RI.

Des surveillances de fermes 

Arrivé à Alger le 6 mai 1956, puis départ vers le camp de transit d’Hussein-Dey. «  Je me souviens que le ministre de la guerre, Max Lejeune, accompagné du Gouverneur de l’Algérie, Robert Lacoste, était venu en visite dans le camp. Immédiatement les rappelés lui firent comprendre en parole qu’ils n’étaient pas là de gaieté de cœur mais contraints et forcés, donc sa visite semblait bien inopportune.En acte, sa voiture fut vite entourée et fortement secouée, la visite tourna court et le cortège quitta prestement les lieux ! ceci reflétait l’ambiance du camp… » Alexandre  est ensuite dirigé vers la Mitidja, près de Boufarik, avec pour mission de surveiller les fermes des colons.Il restera plusieurs mois dans ce coin de l’Algérois, ses lieux de cantonnements successifs étant les Quatre-Chemins, Fondouk, les Gorges de Kédara, Alma et Saint-Pierre-Saint-Paul.

« A ce moment-là je n’avais pas encore eu de vrai rapport avec l’horreur de la guerre. Nous avions été informés sur l’embuscade de Palestro, parfois nous apercevions des gens qui se sauvaient à notre passage, ou nous voyons des prisonniers du FLN sortir des salles d’interrogatoires dans un sale état. Nous savions que c’était un coin dangereux et nous étions sur nos gardes mais je n’avais pas eu de contact direct avec la mort.

Ma première prise de conscience fut quand nous avons trouvé un cadavre mutilé le long dune route, puis en allant fouiller une ferme dans les gorges de Kédara, dont les propriétaires avaient été massacrés et une jeune fille découpée en morceaux. Il y avait également cette crainte à chaque fois que nous faisions le tour des meules de foin par équipes de deux, car nous pouvions être attaqués à tout moment. »

Terrible 18 octobre 1956 

Lieu de l'embuscade, photo prise le lendemain par Joseph Eco...

En septembre, son unité est dirigé dans la région de Zéralda, à l’ouest d’Alger sur la côte, un coin relativement calme. Des informations circulent concernant le rapatriement des rappelés et l’ambiance est plutôt bonne.

 De retour dans la Mitidja à 1500 m d’altitude, l’hiver s’annonce rude et c’est aussi une source d’inquiétude car c’est un véritable repaire de membres du FLN. L’unité s’installe au Tarchaty de la Ghellaie, une maison forestière abandonnée, à 8 km de Chréa. Tous les jours, des hommes parcourent le trajet jusqu’à Chréa pour chercher le courrier et faire des approvisionnements en boisson et nourriture.

 Exceptionnellement, le 18 octobre deux convois sont organisés. Alexandre ne fait pas partie de celui du matin. L’après-midi, en revanche, il monte à bord d’un GMC, direction Chréa. « J’ai encore en souvenir un paysan avec son âne le long de la route sur le trajet aller. Sur le moment cela ne m’avait pas alerté mais avec le recul je suis persuadé qu’il était là en reconnaissance. »

A Chréa, tout se passe bien et les hommes remontent dans les camions pour le retour. Alexandre est à bord du véhicule de tête.

 Les engins circulent sur la piste et les hommes scrutent à  droite et à gauche quand un premier coup de feu retentit.« Il y eut un moment de stupeur dans le camion et je me suis tout de suite dit que cette fois c’était pour nous. »

Le déluge de feu s’abat alors sur le camion d’Alexandre. Mitraillettes, fusils de chasse, armes de guerre, les fellaghas sont puissamment et les balles fusent de toutes parts.« On nous tirait comme du gibier et nous n’avions aucune possibilité de nous mettre à l’abri, donc aucune chance de s’en sortir. »Un projectile traverse la main droite  d’Alexandre l’empêchant d’utiliser son arme.« C’était horrible, je me disais que l’allais mourir, que je ne verrai plus ma famille, mes amis . »

Sautant du camion, Il se réfugie d’instinct derrière un rocher. «  C’était un petit bout de roche, mais dans ces moments-là tout semble bon pour se protéger, pour empêcher une balle de nous atteindre à la tête. »

 «  Du sang coulait du camion. »

Il est déjà blessé à plusieurs membres et ne peut plus marcher. Il parvient tout de même à ramper vers un camion et découvre avec horreur que du sang s‘en écoule. Le sang de ses camarades mortellement touchés.

Abrité derrière un pneu, Hubert Lacroix s’accroche à la vie et à son fusil avec rage. Ce soldat n’aurait pas dû être là puisqu’il avait pris la place  d’un autre militaire mais il était bien au cœur de cette embuscade qui allait lui coûter la vie.

Alexandre, lui, est alors criblé de balles et de divers projectiles et il ne peut rien faire pour sauver son camarade quand un fellagha surgit et l’abat.

Rien faire d’autre que de souffrir et trembler derrière ce bout de rocher et entendre ces pas qui s’approchent.Des pas ennemis, en fait, puis un premier coup de feu. Il est encore conscient quand le deuxième coup de feu claque. Ce coup de feu tiré à bout portant pour le tuer et qui lui brûle le visage. La balle lui traverse la gorge et il sombre alors dans un état second.Quelques instants s’écoulent puis il y a ces nouveaux pas. Des pas amis cette fois et cette phrase qui résonne à l’oreille comme aucune autre ne résonnera certainement jamais : « C’est fini ! »

L’embuscade n’a duré que quelques minutes mais elles resteront gravées dans la tête d’Alexandre à tout jamais.

10 êtres humains ont perdus la vie, 8 autres sont dans un état critique dont deux ne survivront pas à leurs blessures. Les blessés sont alors chargés dans les deux camions restés en retrait.

« Il y avait bien sûr la souffrance physique car je suis demeuré conscient durant tout le trajet, mais il y avait surtout cette certitude que j’allais mourir. Je me disais que j’étais en vie mais pour combien de temps encore ? » confie Alexandre, les yeux quelques part en Algérie.

Il est alors transféré dans une ambulance et un infirmier lui injecte une morphine. « Je ne veux pas mourir » supplie Alexandre .  « Tu ne mourra pas, c’est pour la douleur » lui confie l’infirmier.

Puis un hélicoptère l’évacue. Il se réveille que trois jours plus tard. « Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai compris que j’étais vraiment tiré d’affaire. C’était un moment formidable. »

Il restera 15 jours à l’hôpital Maillot à Alger, puis sera transféré à Toulouse par avion sanitaire. « A l’hôpital, on me surnomma la passoire à cause de mes nombreux impacts. »

Il y demeurera deux nouvelles semaines à Toulouse et rentrera finalement à la ferme familiale.

Alexandre conserve un souvenir amer de l’attitude de l’armée à son égard : « M’ayant déclaré sortant au bout de quinze jours, l’Armée me gratifia d’un billet SNCF Toulouse-Rennes. Tellement content de renter à la maison, je ne me rendis pas compte que ceux qui avaient su trouver argent et moyens pour nous envoyer en Algérie, ne pouvaient pas nous rapatrier dans de bonnes conditions : je n’étais  même pas accompagné !

Et mes parents, qui avaient été avertis par télégramme que j’avais disparu, puis gravement blessé, n’ont pas été informé de l’évolution de mon état. Ils n’ont eu de mes nouvelles qu’au bout d’une semaine par un abbé, ami de la famille, qui a réussi à avoir des renseignements par un aumônier militaire.»

Rendre hommage à tous nos morts

Alexandre Boucard sera finalement rayé des contrôles de l’armée le 28 janvier 1957. mais il lui faudra plus longtemps pour surmonter ce terrible souvenir.

« Durant l’année qui suit l’embuscade, je ne parvenais pas à oublier ces images d’horreur. Je faisais des cauchemars quotidiennement et j’ai eu de la chance d’avoir le soutien psychologique de ma famille et de mes amis pour me reconstruire . »

Aujourd’hui encore Alexandre évoque difficilement cet épisode si douloureux de sa vie mais il tient à rendre hommage aux soldats André Lucas et Raymond Bironneau qui effectuaient ce jour-là leur dernière sortie avant la quille mais qui ne sont jamais rentrés au pays rejoindre leur famille. Et en même temps à ces quelques 30.000 français ayant laissé leur vie sur l’autre rive de la Méditerranée.

Article paru en octobre 2006 dans le magazine « L’ancien d’Algérie » n°450 signé  Maxime Dupin.

Voir plus de photos de la maison forestière de Tarchat occupée par la 1ère compagnie du 1/117e RI.

autre vue du lieu de l'embuscade, photo prise le lendemain 

Le sous-lieutenant Legraverand tué lors de l'embuscade.

Le caporal-chef Guillemette

Le lieutenant Jeanroy du 65e RA

De gauche à droite les artilleurs du 65e RA : Louis Fourcade  en 1955 à Blida, tué lors de l'embuscade; Castille blessé

doc : Pierre BLANC extrait de l'album de son père compagnon de Fourcade. 

1- Le caporal/chef Guillemette tué lors de l'embuscade. 2 - Le soldat Boucard avec le sergent Bétou. 3- Maison forestière de Tarchat.


cliquez sur la :  liste des victimes de l'embuscade

D'autres photos des victimes ou rescapés seront les bienvenues.

Un grand remerciement à Marcel Bénichou , à Boucard et Ecomard qui ont bien voulu témoigner et confier ces documents.

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