Voyage dans le Sud

"Voyage" dans le Sud

Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 janvier, vers 23 heures, nous fûmes mis en alerte pour un départ très rapide vers une destination inconnue. Les ordres précisaient : "pas d'armement lourd". A une heure, nous embarquions dans des véhicules du train amenés en renfort et nous partions pour le "sud..." où nous devions nous opposer à l'Armée de Libération Marocaine. La vitesse moyenne du convoi devait se situer aux alentours des 30 km par heure.

Nous roulions "plein sud" en direction de BERGUENT, TENDRARA, MENGOUB, BOUDENIB; la route, goudronnée au début, se transforma en piste caillouteuse et poussiéreuse et nous apprîmes très vite le sens de l'expression "rouler à distance de poussière". Le paysage verdoyant de la région d'OUJDA fit vite place à une zone d'alpha puis, plus vers le sud, à des terrains vraiment désertiques et assez pierreux. La piste nous fit connaître la "tôle ondulée" revue dans le film "le salaire de la peur". Il nous fallut presque 4 jours pour arriver à notre point de destination qui était finalement KSAR-ES-SOUK (aujourd'hui ER RACHIDIA) où nous arrivâmes le 18 janvier.

Lors des bivouacs, le bataillon se formait au carré, une compagnie de combat sur chaque face et la Cie de commandement et des services au centre. Les véhicules étaient alignés à l'extérieur, les tentes individuelles suivaient (alignées au cordeau à l'aide d'un fil téléphonique, tradition chasseur oblige!...) et le reste un peu en pagaille. Nous étions censés être en zone d'insécurité, aussi la garde était sérieuse et les consignes de défenses bien connues de tous. En passant de bonne heure à MENGOUB, nous eûmes la surprise de nous voir offrir le café par nos camarades du 5ème R.I. en poste dans le coin. A l'arrivée à KSAR-ES-SOUK, réunion des commandants d'unité. Je vis mon capitaine en revenir avec la "gueule de travers". L'ayant interrogé sur ce qui le troublait, il me répondit : "Bard, comment allons-nous arrêter des chars sans lance-roquettes ?". Puis il m'apprit que notre mission était de nous opposer non plus à l'Armée de Libération, mais à l'Armée Royale elle-même. Une compagnie devait monter vers MIDELT avec de la Légion et un peloton d'E.B.R., le reste du Bataillon poursuivant vers l'ouest en direction de GOULMINA où il devait s'installer en point d'appui, une compagnie continuant de là jusqu'à TINJEDAD. Nous prîmes position au nord de la route, avant que celle-ci n'entame sa descente vers l'oued RHERIS où se trouvait le ksar et l'agglomération de GOULMINA entourés de jardins verdoyants.

Goulmina vu du bivouac

L'endroit était sec et pierreux. Ma compagnie fut occupée à monter des murettes, préparer des emplacements de combat et dégager de ses cailloux une bande de 300m sur 50, au sud de la route, pour permettre l'atterrissage éventuel de "piper". (Lors de mon voyage au Maroc en 1982, j'ai pu constater que cette bande existait toujours...). Les renseignements, qui nous parvenaient, annonçaient l'arrivée d'une compagnie de l'Armée Royale, sans cadres de coopération. Un jour, ma section fut désignée pour escorter le Chef de Corps qui partait inspecter la compagnie de TINJEDAD. Je disposais de 3 G.M.C. et d'un Dodge 6x6. Je suivais la V.L. toutes armes dehors. A 3 km de l'arrivée, l'un de mes G.M.C. refusa d'avancer après blocage d'un frein du pont arrière. Je rendis compte au Chef qui commençait à s'impatienter. Je décidais de reprendre la route avec les camions valides en laissant au troisième les consignes suivantes : Démonter les roues du pont arrière défectueux, enlever le demi-arbre concerné, amarrer le pont arrière au châssis à l'aide d'une corde et me rejoindre ensuite. (Le conducteur de l'arme du Train était très sceptique quant à la validité de cette solution !… Pourtant il réussit à parvenir au but.).

Lorsque nous arrivâmes sur l'emplacement de la compagnie, celle-ci était aux postes de combat et l'on voyait de la poussière sur la piste à l'ouest, signe tangible de l'arrivée d'un convoi. Je faisais prendre les dispositions de combat à ma section et l'insérais dans le dispositif de la compagnie. Nous étions tous conscients que l'affaire allait être très sérieuse, les unités de l'Armée Royale étant composées en grande majorité d'anciens cadres et soldats de nos ex-régiments de Tirailleurs. Nous commencions à distinguer les premiers véhicules lorsque le radio de la compagnie s'élança vers le Chef de Corps, un message à la main. A peine l'eut-il lu qu'il lançait un "halte au feu" retentissant. Il était temps, le convoi arrivait à portée de tir. Le message prescrivait : "Observer neutralité absolue vis à vis Armée Royale…". Nous eûmes ensuite le temps de compter les véhicules qui nous impressionnèrent par leur nombre avoisinant les 70. En fait, la compagnie annoncée se révélait être un bataillon complet et, nous le sûmes plus tard, accompagné de ses cadres français de coopération. Nous avions eu très chaud car après ce premier convoi, il en arrivait un autre, celui d'une batterie de 105 à 4 pièces. En fin de journée nous retournâmes à GOULMINA sans autre problème, le camion défectueux ayant été dépanné. Nous restâmes environ 2 semaines dans cette zone, ce qui commençait à poser des problèmes de ravitaillement car les marocains avaient bouclé le secteur et nous avions rapidement épuisé les maigres ressources de KSAR-ES-SOUK et bleds environnants. Nous eûmes au menu du dromadaire "de course" (et sûrement très gaulliste car très résistant !…)

Retour à Oujda