Les héros oubliés

Les héros oubliés

'' Le docteur Franck m'annonce la bonne nouvelle : Brault et ses environs sont libérés. Les Américains poursuivent l'armée allemande en débandade mais néanmoins demeure dangereuse. Dans les communes règne l'effervescence, je suis cloué au lit et n'y participe pas, je n'aurai même pas une visite ; les ingrats ! ...''

Le lendemain, dans sa voiture personnelle, le médecin assure le déplacement de Foury jusqu'au bac de Warcq (le pont reliant Warcq à Mézières est détruit). Il avait préalablement commandé une ambulance pour le prendre en charge de l'autre côté de la Meuse. '' je fis mes adieux au dévoué médecin et demandai à l'ambulancier de me déposer avant l'hôpital, je me sentais valide, je pris donc la décision d'entretenir ma mère sur mon état de santé afin de la rassurer. Auparavant, je résolus de paraître plus présentable en passant chez Fatou le coiffeur, installé auprès du familistère. Lui contant ma dernière aventure, il me fit la barbe gracieusement.

Chez moi la surprise fut totale, ma mère alerta les voisins pour partager sa joie. Une voisine, la plus prude et réservée, se jeta à mon cou et m'embrassa en me lançant sans ambages que" c'était la première fois qu'elle embrassait un héros" ; j'en étais troublé et bafouillais quelques bredouillis qui firent rire l'assemblée. Les blessures me rappelèrent à l'ordre, rompant ainsi le charme d'un instant mirifique. C'était dans un piteux état que je gagnai l'hôpital de Manchester car j'avais présumé de mes forces.''

Entre-temps, le département des Ardennes se libére tout à fait, ses camarades de combat participent amplement à la liesse générale, accueillis par la population comme des héros. Peu à peu, certains d'entre-deux se font démobiliser et reprennent leurs activités professionnelles , alors que d'autres continuent la lutte en s'engageant dans la 1ère Armée française pour poursuivre l'ennemi jusqu' à la signature de l'armistice.

''J'avais un goût amer. Pendant mes trois mois d'hospitalisation, je ne reçus aucune visite de la part de mes amis combattants. L'esprit de corps s'était émoussé probablement à cause des difficultés inhérentes à la conjoncture d'une reprise économique aléatoire et au manque de ravitaillement ; un autre combat pour la vie avait remplacé celui de la survie.''

Néanmoins, l'Union des Femmes Françaises de Charleville organisait des visites à l'attention des blessés F.F.I. Outre, le réconfort, elle apportait aussi du tabac, des cigarettes et des vivres offerts par de généreuses donatrices qui s'étaient davantage privées en puisant dans leurs maigres portions encore rationnées.

Pour sa part, Gabriel Foury, se fait aussi démobiliser définitivement avec le grade de sergent-chef. Il obtint une maigre pension de retraite proportionnelle et une pension militaire d'invalidité. De santé précaire dû à ses blessures, il bénéficia, néanmoins, d'un emploi réservé à l'hôpital de Manchester comme aide-soignant.

Légion d'honneur

En 1952, au cours d'une belle cérémonie, en présence de sa jeune épousée, il est fait chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur, il reçoit la croix des mains d'Henry-Georges Lallemand, Président de l'Union Ardennaise des Forces Françaises de l'Intérieure, sur la place de l'Hôtel de ville de Mézières.

Cet impénitent voyageur retournera fréquemment au Vercors retrouver ses amis qui l'ont aidé et sauvé, se recueillir aussi sur la tombe de ses camarades, en particulier, auprès de Titi et Mathieu, les deux frères Lahaye frappés en pleine jeunesse parce qu'ils ne se sont pas soumis au joug de l'occupant.

Nos trois Ardennais, au passé extraordinaire, sont devenus des héros oubliés.

Foury est retourné régulièrement dans le Vercors pour saluer ses camarades disparus.

Foury retrouve enfin sa véritable identité

Cette évocation n'aurait pu se réaliser sans le concours de Monsieur et Madame Mazzolini qui ont fait connaître à l'auteur la mort au Vercors des frères Lahaye, de Monsieur Serge Masclet qui a participé à la recherche de Gaby, seul témoin encore vivant de cette tragédie dont il a usé de patience pour remémorer ces faits si lointains et douloureux. Roger LOUIS.

Fin

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