Lt Runfola Roland
LE LIEUTENANT ROLAND RUNFOLA, ANCIEN DU 4ème REGIMENT DE TIRAILLEURS TUNISIENS
Témoigne de sa Campagne de France 1939-1940.
"Sousse (Tunisie).
2 septembre 1939, la guerre est déclarée entre la France et l’Allemagne. Au 1er Bataillon de marche du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens ou depuis quelques mois j’ai fait mes « classes » et mon peloton d’élèves caporal, l’ambiance est fiévreuse.
Rassemblés dans la cour du quartier, nous écoutons avec gravité une déclaration de Monsieur le président du Conseil, à la radio. Dans la nuit du 2 au 3 septembre, nous descendons avec armes et bagages dans le sud pour un séjour que nous espérons de courte durée, mais qui en fait va se prolonger jusqu’au mois de février 1940.
Confins Saharien.
Le 4ème RTT établit ses positions sur une ligne : ZARATH-MARETH, alors baptisée « Ligne Daladier ». Nous trépignons d’impatience d’en découdre, d’autant que nous vivons dans des conditions précaires à tous points de vue : équipements, intendance, désœuvrement et hygiène, (2 litres d’eau par jour pour la soif et la toilette). Des Bordjs Sahariens nous séparent de l’armée Italienne qui occupe la Libye. Elle n’est pas mieux lotie que nous et ne sait pas encore quel sort lui réservera Mussolini, non officiellement allié d’Hitler à cette époque. Pour toute distractions : Quelques patrouilles de jour et de nuit. Comme trophées : Le sable et le redoutable paludisme que nous essayons de combattre à coup de comprimés de quinine que nous avons du mal à faire ingurgiter à nos tirailleurs. Après quatre mois de ce régime nous nous installons plus à l’ouest à EL-GUETTAR, palmeraie à 20 km de GAFSA, pour deux mois. La vie y est un peu stressante, sans plus.
Retour aux sources.
De retour en caserne à SOUSSE, la préparation intense à laquelle nous sommes soumis laisse présager de notre propre intervention en Métropole : Peloton accéléré d’élèves sous-officiers, accueil de réservistes, Officiers, Sous-officiers et soldats, (nous fourbissons nos armes).La troisième compagnie est commandée par le capitaine de réserve INGRAND. J’y retrouve de nombreux amis : le chef Jean ISNARD, Robert LE GUAY, LAFFITE, NEGROBOFF, les jeunes aspirants CHEVRIER et BERGERES et de nombreux braves Tirailleurs Tunisiens dont je n’ai pas retenu les noms. Nous quittons SOUSSE pour BIZERTE vers la fin mai.
La traversée :
Après quelques jours passés au NADOR, notre régiment embarque le 29 mai 1940 à bord du paquebot « De Grasse » qui doit effectuer plusieurs allés et retours pour transporter toute la 84ème D.I.A. dont nous faisons partie. Alors que la traversé se faisait à l’époque en 36 heures, la notre est particulièrement difficile. Pris dans une tempête épouvantable, notre bateau chargé à bloc des fonds de cales aux ponts, presque à la dérive, nous débarquons à MARSEILLES le 1er juin en évitant de justesse un 1er bombardement de la « Luftwaffe ». Il faut dire que pour nous remonter le moral, Radio STUTTGART nous assénait de gentils messages tels que : « Bonne traversée à la 84ème D.I.A. et condoléance aux familles ». (Sans commentaires !)
Paris et la Normandie :
Emmenés par chemin de fer dans la banlieue parisienne nous établissons des barrages anti-chars à tous les carrefours des localités que nous occupons. La 3ème compagnie est à ECOUEN. Quelques jours après, l’ordre de mouvement arrive, les vieux bus parisiens nous transportent en 1ère ligne. Nous apprenons la mort du général ARDENT du PIC. (1er tué de la division.)Dans la nuit du 10 au 11 juin 1940 nous traversons à pieds MANTES LA JOLIE, ville complètement désertée et dans une totale obscurité. L’œuvre de démoralisation continue (appels par hauts parleurs nous incitant à ne pas poursuivre, soldats allemands en uniformes français s’infiltrant dans nos rangs pour exhorter nos troupes à la reddition, etc..), mais c’est sous-estimer le moral d’acier qui malgré tout nous anime tous, du plus haut gradé jusqu’au simple soldat. Au petit jour les premiers avions ennemis font leur apparition alors que nous croisons de-ci de là quelques braves gens fuyant leurs foyers, « servez-vous » disaient-ils, « prenez tout ce que vous voulez et surtout ne laissez rien aux boches ! ». Nous n’en n’avons ni le cœur ni le temps, c’est surtout le cidre qui nous tente, ceux qui le peuvent remplissent leurs bidons, sage précaution, ils en auront besoin plus tard ! J’en ai fait moi-même la triste expérience.
Le baptême du feu :
Alors qu’éclatent les premiers obus et que sifflent les premières balles, nous entrons dans le village de CHAUFFOUR (Eure). Les ragots les plus farfelus courent. On nous rapporte sans y croire que l’Armée française a pénétré en Allemagne, on nous parle de « replis stratégiques, de situation normale sur l’ensemble du front, » bref, tout est bon pour stimuler notre courage, à quoi bon nous n’en manquons pas ! Et il n’est pas question pour nous de capituler sans combat. Le commandant GALAUP, chef de bataillon semble ennuyé, le capitaine INGRAND, Cdt la 3ème compagnie est en proie à une violente crise de paludisme et dit à notre camarade ISNARD « Je sens que c’est mon dernier jour ». Je reçois, comme les autres chefs de groupe l’ordre de mettre mon F.M. en batterie à un carrefour. Chenillette et ambulances de chez nous circulent, j’aperçois le colonel ABBLARD, Cdt le 4ème Zouaves, c’est alors seulement que nous apprenons à notre petit échelon que les Zouaves qui avaient déjà livré combat, occupaient la position et que notre bataillon arrive en soutien. Mauvaise nouvelle, le capitaine INGRAND a été tué ! Il en avait eu le pressentiment peu de temps avant. C’est la consternation. Le lieutenant ZANOTTI prend le commandement de la Compagnie. L’ordre de contre attaquer est donné par l’état-major. La 2ème D.L.M. devant nettoyer la forêt de BIZY, la mission du 1/4ème R.T.T. et des éléments disponibles du bataillon de CRAVENT qui s’étaient joints à nous, est de porter, de la forêt de BIZY, sur la ligne : Château de BIZY, Le Petit Val; le but final étant de rejeter l’ennemi sur la Seine. Pour ce faire, il convient d’attaquer sur l’axe CHAUFFOUR-BLARU-GANILLY. Notre compagnie se trouvant à la lisière de la forêt a en face d’elle à environ 400m, une grosse ferme : « Ferme de la SAUSSAYE », tenue par une unité allemande et qui constitue un obstacle majeur pour notre progression. La 3ème section est volontaire pour en dégager les occupants ; l’adjudant-chef PINQUET du 4ème Zouaves, revendique l’honneur de la commander. Le sergent-chef FLAMENT en est l’adjoint, moi-même à la tête du 1er groupe, le sergent AHMED et un autre sergent tunisien dont j’ai oublié le nom à la tête des deux autres groupes. Nous n’avons pas fait 200 m, que l’adjudant-chef s’écroule tout près de moi la poitrine criblée par une rafale d’arme automatique. Avec le soldat CANTON, nous essayons de lui porter secours mais en vain, il expire sous nos yeux. Le chef FLAMENT prend le commandement de la section. Sous des tirs de plus en plus nourris nous continuons la progression. Je reçois mon premier éclat d’obus à l’épaule gauche, ça pique mais cela ne m’empêche pas de poursuivre. Avec mon groupe nous atteignons les premiers d’où les allemands s’étaient retirés. Mission accomplie ! Mais, satisfaction éphémère, j’ai juste le temps d’installer mon F.M. dans l’œil de bœuf sous le toit de la ferme et de redescendre qu’un obus de mortier gros calibre s’abat sur nous faisant un énorme trou. Deux corps tombent à mes côtés, à ma droite celui du tireur, le ventre ouvert, à ma gauche à deux mètres celui du chargeur, sa jambe droite sectionnée. Je suis moi-même plaqué au sol un éclat m’ayant arraché une partie de mon deltoïde gauche, un autre dans ma jambe gauche au dessus du genou. Malgré une douleur à peine supportable, j’essaye de réagir mais il m’est impossible de me relever, je saigne abondement. J’entends les cris de mes camarades eux aussi atteints sans doute moins grièvement et qui ont pu continuer avec le reste de la section. J’appris hélas (beaucoup plus tard) que plusieurs ont été tués dont le chef FLAMENT. (Je ne me souviens pas du nom des autres). Oubliant un instant ma douleur, du haut de mes 20 ans, je mesure l’ampleur du désastre et ses répercutions au plan militaire et au plan national. Je me rend compte qu’en raison de la disproportion des forces en présence, face à un adversaire plus mobile, mieux équipé et mieux armé, les nôtres sont obligés de se replier plus au sud. J’appris beaucoup plus tard qu’elle fut l’héroïque comportement de notre glorieux régiment jusqu’aux derniers combats de 16 juin à HOUVILLE avant de capituler avec d’énormes pertes en tués, blessés et prisonniers.
La captivité :
Quant à moi, cloué sur place, j’ai le triste privilège d’être l’hôte contraint et forcé de la maudite ferme durant 2 jours et demi et 2 nuits sans manger, sans boire, si ce n’est qu’un fond de bidon de cidre que je réussi, en me trainant, à retirer sur un cadavre, mais surtout sans soins. Je commence à désespérer quand le 13, deux allemands s’avancent vers moi l’arme au poing et je réalise que je suis prisonnier et soulagé d’être encore en vie bien que un peu sceptique quant au sort qui me sera réservé. Après avoir récupérer nos armes, ils me tendent des cigarettes et un peu de café, (infecte-ersatz) mais ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. Une ambulance vient me chercher, je reçois les premiers pansements d’urgence et après un court séjour au château de VERNON transformé en infirmerie, balloté de poste en poste et encore sans soins pendant 3 jours, je me retrouve le 18 juin à ROUEN ou, nous dit-on, des milliers de blessés de toutes nationalités sont soignés. Le médecin-chef de l’hospice général nous fait part de l’appel du général de GAULLE. Là, ainsi que plus tard à l’hôpital d’ERNEMONT, les soins et les traitements sont correctement administrés par des médecins et du personnel français et anglais sous contrôle allemand. Vers le 20 juin, j’envoie mon unique carte inter zone à mes parents en Tunisie qui la reçoivent trois mois après. Jusque là ils étaient sans nouvelles, ils savaient seulement que j’étais portés « disparu ».
La liberté :
Je finis par quitter cet univers en septembre 1940 et, clopin-clopant, passe en zone libre à CHALON SUR SAÔNE, rejoins MARSEILLE puis la Tunisie où je retrouve ma famille et ce qui reste du 4ème R.T.T. déjà en cours de reconstitution avec les premiers évadés, de nouvelles recrues et à la barbe des commissions d’armistice allemande et italienne.
Reçu par le colonel FAIVET et le capitaine MARCAJOUS, je suis affecté à GABES après mes deux mois de convalescence, (j’en avais bien besoin !).
Pendant mon congé de convalescence un ami de mon père que je ne connaissais pas encore, Monsieur ISTRIA vient me voir. Il tient absolument à ce que je lui donne des nouvelles de son neveu, probablement tué lors des derniers combats d’HOUVILLE, mais il se refuse à y croire. J’essais maladroitement de le rassurer tant il est désemparé mais en vain et pour cause ; Jean-Antoine n’était pas à mes côtés pendant les événements du 10 au 13 juin 1940 et j’étais coupé du régiment jusqu’en septembre 1940. Je n’ai jamais eu de précision sur sa disparition."
FIN
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