La fin du "Chant du départ"
La fin du "Chant du départ"
Le matin du 29 janvier 1944, le temps est au froid, le givre a blanchi le sol et la végétation, la neige est inexistante. Le détachement des FTP des "Belles" compte neufs maquisards. Le chef Renoir est absent. Restent les huit autres, présents sur les rangs, et vont comme à l'habitude, vaquer à leurs occupations quotidiennes. Dans ce coin sauvage de montagne, on se sent en sécurité, le "Boche" ne s'y aventure pas et n'a jamais tenté de le faire. Et puis en bas, à 1 km à vol d'oiseau, au bourg de Malleval, les 40 hommes de l'Armée secrète sont une force non négligeable.
Une attaque en force
Vers 7 heures du matin, Gaby est chargé de porter le linge sale chez monsieur et madame Aimé Chanas. Il emprunte à pied la route qui mène au bourg, s'arrête comme à son habitude, devant le moulin et bavarde un instant avec la sentinelle du moment. Soudainement, ils entendent un bruit de moteur qui peine venant des gorges du Nan. Les deux hommes concentrent toute leur attention et constatent que le bruit est bien celui d'un camion. Gaby quitte le moulin par la route avant de s'engager sur le sentier parallèle à celle-ci, ce qui raccourcit le trajet. " Je me souviens très bien, raconte Gaby, 100 à 200 mètres plus bas, sur la route, j'aperçois des camions. Sur le marchepied du premier véhicule chargé d'hommes en uniforme, un Allemand se tient debout, mitraillette en bandoulière. Il me fait signe d'approcher. Je fais rapidement demi-tour en tirant un coup de revolver pour avertir les camarades qui gardent le moulin. En courant, je passe d'abord devant la sentinelle pour lui confirmer l'arrivée des "Boches". Du plus vite que je peux, je remonte à travers bois vers les "Belles". J'entends des échanges de coups de feu venant du moulin."
L'ennemi est partout
Aux "Belles", les Allemands sont déjà arrivés et tiraillent sans compter. Ils ont dû monter par le sentier de la Lia, notre ancien gîte. Ça tire de partout, du bas comme du haut. Au dessus de moi, des branches gelées se fracassent sous les impacts. J'entends les Allemands crier des ordres. J'aperçois Roger et Latran qui me font signe d'aller chercher les grenades dans notre camionnette plus proche de moi, ce que je fais avec mille précautions. Le cœur cogne à tout rompre tant l'émotion est intense. Ils me font signe maintenant de me terrer et de faire le mort. Je me glisse alors dans une coulée entourée de buis. Je dégoupille une grenade à main avec la ferme intention de m'en servir si je suis découvert. Après un temps qui me paru long, les armes se taisent, seules des voix donnent l'impression que l'on cherche encore aux alentours."
A Malleval aussi
"Dans le même temps, plus loin, vers Malleval, des bruits de fusillade se font entendre. De violentes explosions ébranlent l'air. Des colonnes de fumée venant du village obscurcissent le ciel. Les Allemands que j'avais vu monter des gorges du Nan en camion devaient sans doute continuer le massacre. J'apprendrai plus tard qu'une force considérable avait encerclé le village empruntant aussi les sentiers par le nord, l'est et le sud. En fait, cet endroit que nous estimions imprenable était une véritable souricière que nous n'avions pas su protéger par des postes de surveillance plus avant. Le silence est revenu du côté des "Belles" vers les 14 heures. Mes deux camarades se rapprochent de moi et m'aident à remettre la goupille de la grenade. Je suis incapable de le faire moi-même tant ma main crispée est engourdie par le froid."
La macabre découverte
Gaby poursuit : " Nous sommes remontés tous les trois vers la ferme, à proximité, nous découvrons les corps éparpillées, dans un large rayon, des frères Lahaye, du Toulonnais et d'Arthur. André alias Titi, avait l'arrière du crâne défoncé, mais pas de traces de Mimile. La posture des deux autres accréditait l'hypothèse qu'ils sont morts en combattant. La maison que nous occupions finissait de brûler."
Choqués et désemparés devant cette catastrophe aussi inattendue, se sentant encore en insécurité dans ce lieu devenu sinistre, ils prennent la décision de descendre au village de Rovon en empruntant le sentier de la Lia. Arrivés dans la prairie, au rocher qui surplombe la laiterie Cerlat, ils s'arrêtent. Roger descend seul chercher du ravitaillement. Ils n'ont rien mangé depuis le matin. De ce rocher, Latran et Gaby voyent la colonne motorisée allemande, en longue file, roulant vers Grenoble. Roger revenu, ils mangent. La nuit tombe, glaciale. Attendre quoi ? Qui ? Ils vont à la première ferme de Rovon. Ils sont accueillis, réconfortés, comme à chaque fois qu'ils s'y étaient arrêtés. Nos trois rescapés y passent deux jours et deux nuits, chez monsieur et madame Laurent.
Un devoir impérieux
Le même souci perturbe les trois survivants. Roger dit à ses compagnons : "Bon les gars, il y a du boulot !" voulant exprimer par là qu'il s'agit d'aller enterrer les corps de leurs camarades abattus. Prompt dans ses décisions comme d'habitude, il monte par le sentier de la Lia, en compagnie de Firmin Guo, un homme de la région, actif dans la Résistance. Au retour, ils diront : "On les a groupés et on a mis une croix"
Des groupes de recherche de disparus, constitués plus tard, retrouveront enfin le corps de Mimile ainsi que ceux de trois civils. Le cultivateur du Fangeat attela ses vaches à la voiture et monta aux Belles. Les corps des maquisards, enterrés sommairement, furent déterrés, chargés dans la voiture ainsi que les autres des " Belles" et du Moulin. Emmenés au bourg et alignés dans la nef de l'église, seul lieu assez vaste et abrité qui subsistait. (1) Dans le cimetière, une seule fosse commune fut creusée pour l'ensemble des morts du massacre de Malleval. Le bilan est lourd : 9 civils et 29 maquisards furent tués, et moururent à la suite de la déportation en Allemagne : 5 civils et 3 maquisards. 2 maquisards furent fusillés postérieurement.
La milice locale
Dans un enquête sur le sujet, le quotidien local "Le peuple libre" précise dans son édition du 27 janvier 1994 : "Les allemands avaient méticuleusement préparé leur coup car ils étaient bien renseignés par la milice locale. Pourtant, un tel déploiement de force prouve qu'ils s'attendaient à une forte résistance. Il y avait donc des lacunes dans les informations. Ils ne savaient sans doute pas que 80 maquisards avaient quitté le site quelques jours avant l'assaut. Dans le cas contraire, auraient-ils mobilisé un tel bataillon contre une poignée d'hommes seulement ?"
Gaby expose la suite de la tragédie : "Nous étions conscients que l'aventure du Vercors était finie pour nous trois. Il fallait se séparer et trouver une solution pour quitter la région sans être inquiétés. Avec Latran, je suis allé à Brion chez Edmond et Rose et chez le cantonnier Brunat. Latran est reparti pour son pays natal. Roger a rejoint Grenoble. J'apprendrai plus tard qu'il a été arrêté et déporté. Quand à moi, la famille Laurent s'était débrouillée pour me procurer des faux papiers établis sous mon vrai nom et un billet de chemin de fer pour rejoindre Charleville. Habillé en ouvrier agricole, pardessus et musette en bandoulière, je m'appliquais à avoir le physique de l'emploi. En gare de Vinay, j'étais en avance et faisais les cent pas. J'affectais un air détaché, car la milice contrôlait les papiers. Dans la poche de mon pantalon, j'avais gardé mon pistolet 9 mm, une balle engagée dans le canon, armé et cran de sûreté enlevé, prêt à en faire usage. J'étais déterminé, je savais que cette arme m'aurait condamné à mort du fait de sa possession et aussi de sa provenance (arme saisie dans l'appartement d'un capitaine de la milice lors d'une action commando à Rivier). L'arrivée du train en gare m'évita le contrôle et la fouille."
(1) D'après l'ouvrage de Joseph Parsus : Dans la Résistance - Malleval. Recueil qui a permis à l'auteur de corroborer les souvenirs du Vercors de Gabriel Foury.
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