4e RTT - Italie

Documents du sergent-chef Panteix de la 2e compagnie de combat du 4e RT, scannés et transmis par Hervé Gauci.

Imprimé par Ets BONICI 53, rue de Corse à TUNIS.

La campagne d'Italie de janvier à juillet 1944

La Campagne de Tunisie finissait. Les Tirailleurs quittaient leur pays où ils s'étaient battus. La lutte avait été dure : avec des souliers trouées, des capotes en loque, dans la neige de la montagne ou le boue des vallées, il avait fallu faire avec les mitrailleuses usées, attendre en vain des ravitaillements perdus avec les mulets mitraillés par les Messerschmitt et tenir encore contre les assauts allemands, défendre les cols de la Tébessa. Maintenant ils marchaient vers l'Ouest, usés, fatigués, s'aidant d'un bâton et courbant le dos sous l'attirail hétéroclite qui avait été leurs armes, leurs outils de lutte. Les camions menant les Américains au combat à leur place noyaient dans une poussière dorée les hommes qui s'en allaient, insensible à la Victoire qui se préparait derrière eux.

Deux mois plus tard - Une cour de ferme arabe, des buissons verts, sur de grands arbres des cigognes coquettent au soleil, des troupeaux de moutons, et, au milieu de cette nature en fleur, des Tirailleurs rassemblés. Ils ont l'air gauche avec leurs chaussures trop neuves, leurs treillis vert où, parfois sont encore collées les petites étiquettes de la fabrique américaine. L'Adjudant lit les ordres : Ce soir, démontage des nouvelles mitrailleuses pour les uns, tir au fusil, lancement de grenades pour les autres, conduite auto, ajustage des tenues, exercice de combat, tir au mortier... Une section rentre : Les armes sont déposées en cadence, sous le grand soleil, la Section est immobile, figée au "Garde-à-vous", le Gradé n'est pas content, on recommence, on recommence encore... Dans l'herbe déjà desséchée par le soleil, en voilà qui tirent avec peine, maladroitement une mitrailleuse vers un piton : "Plus vite, courbe- toi, fissa, targuet", le corps et en sueur, les mains saignent, les treillis trop neufs ligotent les mouvements, on leur envoie des grenades fumigènes : ils n'y comprennent rien. Le soir, assis dans leur grange, tandis que le soleil déclinera vers les Monts de l'Aurès, ils essaieront de comprendre et concluront qu'il n'y a qu'à courber leurs dos d'Hommes séculairement placides.

Déjà sur les collines enserrées entre la mer et la montagne de Ténès, le raisin est en grains. Le Colonel ROUX fait exécuter des concours de tirs entre ses Bataillons. Une équipe de mitrailleurs est prête au départ. Un Capitaine explique l'épreuve : bondir jusque là-bas, tirer, puis ramper, utiliser les accidents du terrain, se mettre en batterie homme par homme, tirer... Les Hommes, le regard droit, brillant, l'écoutent; oui, tout est compris. Un geste du Sergent Tunisien, ils sont en place pour le départ; un autre geste, comme une mécanique complexe et bien au point, le mouvement s'exécute : c'est une unité souple, insaisissable qui se confond au terrain, qui lèvent les yeux pour démolir les cibles : sans cris, rien que des gestes presque furtifs pour commander, les dix hommes manœuvrent, tirent, semblent faire corps avec le terrain et leurs armes.

Le lendemain c'est un exercice avec les tirs réels. On s'est jeté à la mer, on a fait sauter les réseaux de la plage, on est descendu de la jeep encore en marche, puis on s'est avancé d'un pas calme dans la poussière des éclatements, sous la voûte bruissante des balles de mitrailleuses, au milieu des explosions, on s'est arrêté pour tirer sur une cible entrevue dans la fumée..., on est fier, car les Américains sont ébahis de voir comme on utilise leur matériel.

Lorsque le Colonel ROUX voit passer son Régiment, il doit se demander si ces gaillards énergiques, aux yeux droits, sont ceux qui naguère, traînaient leurs chaussures sans semelle sur la route du Ténesso, si ce sont les mêmes qui courbaient le dos sans réagir sous l'avalanche de nouveaux matériels.

Et pourtant la cause de cette transformation est simple, il fallait à ce corps affaibli, fatiguée, qu'était le Régiment, un stimulant, il fallait entre ses Bataillons qui ne se connaissaient pas, un lien. Ce fut le Colonel ROUX. Il sut communiquer, jusqu'au dernier de ses hommes sa foi dans la FRANCE, sa volonté d'aller jusqu'à la victoire ou à la mort rencontrée dans la marche en avant, son désir ardant de racheter toutes les pages sombres de 1940, les bassesses et les trahisons.

Il s'était entouré de Chefs jeunes, ardents, venus de partout. Il y avait ceux qui, depuis 1940, préparaient l'heure de la revanche en conservant intacte l'esprit guerrier de leurs Hommes; ils venaient de contenir, malgré toutes les misères matérielles, l'avalanche des Panzer en TUNISIE. Il y avait des colons, des Chefs civils d'ALGERIE et de TUNISIE qui venaient de laisser leurs familles et leurs biens pour délivrer la Métropole envahie. Il y avait enfin ceux qui avaient fui la France pour venir combattre, après avoir été traqués par la police d'Hitler et de Vichy, ils étaient restés de long mois dans les camps et les prisons d'Espagne.

Tous Officiers et Sous-officiers, animés d'un même idéal, après avoir communiqué à leurs Hommes cet idéal, n'avaient plus qu'un désir : retrouver maintenant à arme égale, sur le champ de bataille, l'ennemi détesté, et avancer, foncer jusque au bout de la France meurtrie, jusqu'au cœur de l'Allemagne qui devait être abattue : il fallait partir et vaincre.

L'automne est passé. Les quais d'ORAN dont gris de fumée et de brume, les sirènes des bateaux, le ronflement incessant des moteurs, le grincement des grues et des palans : tout forme une symphonie grise. Les hommes sont assis sur leurs sacs, le fusil entre leurs jambes, ils fument en silence. Un commandement : Ils se lèvent dans un bruit d'outils, d'armes, de gamelles qui s'entrechoquent, sans un mot ils gravissent avec peine l'échelle de coupée du Liberty Ship. Les machines halètent doucement, la sirène mugit, dans le clapotis de l'eau grise brassée par l'hélice, ORAN en gris glisse devant leurs yeux. Les cœurs lourds éclatent dans un chant joyeux qui va se perdre dans le bruine ou disparaît la terre d'Afrique, les mains claquent en cadence au rythme des chants qui préludent à l'Hymne de mort et de Victoire qu'ils composeront des montagnes d'Italie aux vallées du Wurtemberg.

CAMPAGNE D'ITALIE

CAMPAGNE D'HIVER

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Mes Premiers Combats

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Entre le 11 et le 29 Décembre 1943, par fractions successives, le Régiment a pris place à bord des "Liberty Ships" dans les grands convois américains composées d'une centaine de navires de toute nature.

Nos Bataillons sont fractionnés en une série de détachements mélangés à des éléments de toutes armes et de tous services. C'est un véritable jeu de puzzle auquel se sont livrés les Officiers "TQM" américains.

Nous sommes un peu inquiets à l'idée des difficultés que nous éprouverons pour recoller tous ces morceaux d'Unité, mais nous avons confiance dans l'esprit d'organisation et l'expérience des Américains dans les questions de transport.

La traversée d'ORAN à NAPLES s'effectue sans histoire. La mer est calme. Nous pouvons contempler à notre aise le beau spectacle de ces innombrables navires surmontés de ballons argentés, protégés par des torpilleurs et des avions, défilant lentement le long des côtes Algériennes.

A la tombée de la nuit, heure propice aux attaques sous-marines et aériennes, le convoi s'enveloppe de fumée et disparaît un peu à peu dans l'ombre.

NAPLES... Après une dizaine de jours en pleine mer, nous voici ancrés dans la célèbre rade en attendant une place à quai. Nous sommes un peu déçus. Le ciel est gris. Un vent glacé souffle en tempête. Le Vésuve est recouvert d'une calotte de neige.

Première vision de l'Italie peu conforme à nos rêves : Nous débarquons devant des édifices en ruines, un bateau à moitié coulé sert de ponton. Traversée rapide de nuit dans la ville sans lumière. Arrivée dans un gros village aux rues étroites et tortueuses, aux maisons lépreuses, peuplées d'une nuée d'enfants crasseux et en haillons : Toute la misère physique et morale des faubourgs de NAPLES.

Le Colonel ROUX, la C.H.R. et la C.C.I. sont déjà là lorsque débarquent les trois Compagnies de voltigeurs du 1er Bataillon (Commandant BACQUE). Sans attendre l'arrivée de la Compagnie d'Accompagnement qui a pris place dans le convoi suivant, le Bataillon est brusquement embarqué en camions à destination de VENAFRO où la 3ème D.I.A. vient de relever une Division Américaines.

Le C.E.F., à qui le Commandement Américain a confié un créneau à l'aile droite du dispositif de la 5ème Armée (CLARK) a pour mission de rejeter l'ennemi vers SAN ELIA tandis que les Américains attaqueront en direction de CASSINO.

Le premier objectif de la 2ème Division Marocaine est la costa SAN PIETRO, celui de la 3ème D.I.A., le MONNA CASALE.

Entre ses zones d'attaque Américaine et Française, s'étend la région du MONT MAJO (1259 mètres d'altitude), aux pentes escarpées, couvertes de neige, presque inaccessibles en cette saison, mais, dont la possession est essentielle pour le déroulement de la manœuvre.

C'est là que le commandement va jeter un Groupement, commandé par le Colonel BONJOUR, comprenant les éléments à pied du 3ème Régiment de Spahis Algériens et le Bataillon BACQUE à 3 Compagnies de voltigeurs.

Transportés en camions à POZZILI, dans la nuit du 8 au 9 janvier, nos Tirailleurs, très fiers de la motorisation de leur Régiment, sont déçus d'être obligés de s'enfoncer dans la montagne par une piste rocailleuse, ne disposant pour transporter vivres, munitions et bagages, que d'un détachement d'une vingtaine de mulets. A quoi bon jeeps, dodges, G.M.C., s'ils faut, dès les premiers jours de campagne, tout laisser dans la plaine, avoir recours, une fois de plus, à nos bons vieux "brèles" et remettre encore sac au dos !

La marche de nuit est longue, monotone, pénible, les pentes sont raides, la piste incertaine, disparaissant souvent dans un uniforme champ de neige. Dans l'obscurité totale, les guides hésitent.

Les Compagnies parviennent enfin, vers minuit, au village de CONCACASALE : quelques tâches noires dans la blancheur de la neige. Nous y trouvons les Spahis qui ont, eux aussi, abandonné leurs engins motorisés pour se transformer en chasseurs alpins.

Nous repartons ensemble vers le MONT MAJO, où nous devons relever d'extrême urgence un Régiment Américain de Rangers. La marche continue, de plus en plus dure à mesure que l'altitude augmente. Au passage d'un col, les mulets glissant sur les verglas roulent à tour de rôle au fond du ravin. Il faut descendre pour les débâter, charger munitions et vivres à dos d'hommes, aider les mulets à grimper de nouveau.

Nous parvenons enfin au MONT MAJO. Nous y trouvons des Américains transis de froid malgré leurs équipements confortables, hirsutes, sales, très fatigués par les quelques jours passés dans ce secteur déshérité d'où ils ont chassé les Allemands au prix de durs sacrifices. Spécialisée dans les coups de main, cette troupe de choc est retirée pour participer à l'attaque vers CASSINO.

Nous restons seuls sur cette crête sinistre où l'on ne peut s'abriter que dans une anfractuosité de rocher; nous dormons dans des trous creusés dans la neige durcie et recouverts d'une toile de tente. C'est pénible pour les Africains habitués au soleil.

Sur ces hauteurs glacées, règne un silence presque absolu, il n'est troublé que par les arrivées brutales des minen dont les Allemands font un usage abondant. Le 11 janvier, deux Tirailleurs de la 1ère Compagnie tombent, mortellement frappés : Les deux premiers tués de la campagne.

La grande attaque du C.E.F. est prévue pour le 12 janvier. A notre droite, le 3ème R.T.A. doit s'emparer d'AQUAFONDATA et le 7ème R.T.A. de MONNA CASALE.

Notre rôle est d'assurer la liaison entre l'attaque Française et l'attaque Américaine en tenant fortement le pivot de MONT MAJO. La C.C.I. du 4ème R.T.T. participera à l'appui de l'attaque du 3ème R.T.A.

Des reconnaissances sont ordonnées avant le déclenchement de l'attaque en direction des hauteurs de SAN ANTONINA. Une patrouille de la 3ème Compagnie trouve la côte 1146 inoccupée. Avec sa fougue habituelle, le Capitaine MONGE prend l'initiative d'y pousser toute sa Compagnie.

Profitant du trou découvert dans le dispositif ennemi, à la faveur de l'obscurité, ses patrouilles se glissent jusqu'à la route d'AQUAFONDATA, en arrière du front que va attaquer tout à l'heure le 3ème R.T.A., elles s'accrochent durement avec des éléments allemands et font quelques prisonniers.

Soudain, vers six heures, aux premières lueurs du jour, l'artillerie déclenche ses tirs massifs de préparation sur le front d'attaque du C.E.E.. Du sommet du MONT MAJO, point culminant, un spectacle magnifique nous est offert. Les crêtes blanches des Apennins se découpent sous un ciel illuminé par les explosions. Les obus fumigènes éclatent en une gracieuse gerbe d'étincelles.

Malheureusement, l'Artillerie Française ou Américaine tire également dans la zone occupée maintenant par la 3ème Compagnie. Malgré des appels pressants, il est impossible de reconnaitre les batteries responsables et d'arrêter le tir qui gène considérablement la Compagnie, prise entre les feux amis et ennemis. Le Sous-lieutenant Tunisien HASSEN est tué, le Lieutenant BARBIER grièvement blessé.

Il faut cependant exploiter à fond la situation créée par l'audacieuse initiative de la Compagnie MONGE.

Le Colonel BONJOUR, donne l'ordre au 1/4ème R.T.T. de se porter en avant tout en conservant un élément important sur le MONT MAJO. La 2ème Compagnie (Lieutenant BILLARD) part à l'attaque et réussit à s'emparer du MONT PILE, malgré une violente réaction ennemie par minen. Le P.C. du Bataillon l'y rejoint peu de temps après.

Le lendemain, 13 janvier, la progression continue et le MONT PAGANO, dominant la route ACQUAFONDATA - SAN ELIA et tous les arrières ennemis tombe entre nos mains. Dans l'après-midi, le 3ème R.T.A., progressant de l'est vers l'ouest rencontre sur la route de SAN ELIA, les éléments avancés du 4ème R.T.T. venus du Sud. La ligne de résistance ennemie s'est effondrée.

Le 14, le Colonel ROUX prend le Commandement du Groupement, et relève au MONT MAJO le Colonel BONJOUR qui va actionner les éléments motorisés du 3ème R.S.A.R.. L'ordre d'exploitation est donné par le Général CHEVILLON, Commandant l'I.D.. C'est aussitôt la marche rapide, ardente, à travers un terrain montagneux et boisé, s'abaissant progressivement vers l'objectif lointain qui nous a été fixé. Les Chefs sont en tête, avec des patrouilles de pointe. Il s'agit d'aller vite pour empêcher l'ennemi de se rétablir.

L'ambiance est joyeuse, car c'est notre premier succès. En fin d'après-midi, nous bordons le profond ravin de l'Inferno. Les habitants du hameau de CAMPO PAGLIOLO nous accueillent amicalement et nous offrent du vin qui est le bienvenu car depuis quatre jours, nous ne buvons que de la neige fondue.

Les Tirailleurs sont très fatigués et lourdement chargés, le convoi muletier qui avait été prêté au Bataillon pour se porter au MONT MAJO étant retourné vers l'arrière. Il faut, malgré tout, avant la tombée de la nuit, mettre la main sur les hauteurs de la SERRA DEL OBAC, dernier obstacle avant la large plaine de SAN ELIA.

Les première et troisième Compagnies descendent par une piste en lacets les pentes abruptes du ravin sans provoquer la moindre réaction ennemie; elles remontent ensuite vers le piton rocheux de la côte 554 et le mamelon plus au nord. En tête de la première Compagnie se trouve la Section commandée par le Lieutenant SEMICHI. La nuit tombe, les Tirailleurs fatigués montent lentement et en silence.

Au moment où la patrouille de pointe aborde le sommet, la Section est brusquement entourée par de nombreux Allemands sortis de leurs trous comme des diables. Confiants dans l'effet de surprise obtenu par leur remarquable discipline, ils somment nos Tirailleurs de se rendre.

Un Officier Allemand s'approche du Lieutenant SEMICHI, revolver au point. Le Lieutenant bondit sur lui, lui arrache son arme, tandis qu'un Tirailleur, d'un coup de fusil à bout portant, blesse son adversaire mortellement.

Deux fusils-mitrailleurs français fauchent le cercle des Allemands avant qu'ils puissent réagir. Les Tirailleurs bondissent après un violent combat corps-à-corps, ils restent maîtres du terrain. Un Sous-officier Allemand est fait prisonnier; une douzaine de cadavres jonchent le sol.

A gauche, le Capitaine MONGE, qui grimpait seul avec un Sous-officier en avant de sa Compagnie, a également réussi à faire dévoiler la présence de l'ennemi malgré sa stricte discipline de feu.

Des fusées s'élèvent nombreuses de tous côtés. Nous sommes en présence d'une ligne de résistance continue et solidement occupée. Le Chef de Bataillon décide de reporter ses Compagnies trop aventurées sur les hauteurs Est du ravin de l'Inferno et de reprendre l'attaque le lendemain, avec l'appui de l'artillerie.

La nuit se passe dans le calme. Le Bataillon est en flèche et complètement isolé. Aucune liaison à droite avec le 3ème R.T.A. à gauche, aucune liaison avec les Américains n'a pu être prise par les Spahis. Aucune nouvelle du P.C. du Régiment.

Le lendemain 15 janvier, le contact est repris avec le Colonel ROUX, puis, plus difficilement, avec l'artillerie. Le Commandant BACQUE décide alors de reprendre l'attaque à 13 heures. Après un tir d'artillerie, la 3ème Compagnie attaquera la côte 470 (SERRA DEL OBAC), puis la 2ème Compagnie abordera par le Sud la côte 554. Malheureusement, par une pure coïncidence, le 3ème R.T.A. attaque à la même heure le MONT FAULLO avec l'appui massif de toute l'artillerie divisionnaire. Le Bataillon ne sera appuyé que par la C.C.I.. La préparation d'artillerie sera faible, d'autre part la Compagnie d'Accompagnement n'a pas encore rejoint le Bataillon qui est ainsi privé de ses mortiers de 81 et de ses mitrailleuses lourdes.

La 3ème Compagnie aborde cependant dans un magnifique élan la côte 470, s'en empare, poursuit son mouvement le long de la SERRA DEL OBAC.

Une contre-attaque à la grenade l'oblige à reculer légèrement, mais elles se cramponne sur la partie Nord de la crête, autour de son Chef, le Capitaine MONGE, qui, bien que blessé, ne veut pas se laisser évacuer.

Sous sa protection, la 2ème Compagnie (BILLARD) donne à son tour l'assaut des escarpements de 554. L'une après l'autre, les sections abordent la crête, baïonnette au canon, sans grenades car notre convoi muletier n'est pas arrivé, avec le simple appui des mitrailleuses légères et des mortiers de 60 très faiblement approvisionnés, installés sur les hauteurs Est du ravin de l'Inferno.

Chaque fois, l'ennemi, abrité derrière la crête, contre-attaque à la grenade, rejette nos Tirailleurs. Trois fois la crête est conquise, trois fois elle est reprise. Elle reste enfin entre nos mains mais la situation est instable. Le Capitaine BILLOT, Adjudant-Major, va lui-même encourager les combattants à bout de souffle.

Les deux Compagnies rendent compte que leurs munitions sont épuisées, qu'elles sont à la merci de la moindre contre-attaque.

Le Chef de Bataillon fait appel au Colonel ROUX qui envoie à la tombée de la nuit deux Sections de la 7ème Compagnie amenée rapidement de Naples dès son débarquement, ainsi que quelques munitions. La 3ème Compagnie, épuisée, est relevée par la première.

L'artillerie Divisionnaire agit enfin au profit du Bataillon. Des tirs d'arrêt sont déclenchés en avant de la position conquise, provoquant des incendies dans la lande. La nuit est clame. L'ennemi, impressionné par la vigueur de notre attaque, a renoncé à défendre la dernière barrière avant la plaine de SAN ELIA.

Le 1er Bataillon a rempli sa mission aux prix d'importants sacrifices : 8 tués, 21 blessés, 3 disparus; 17 prisonniers, appartenant au 100ème Régiment de chasseurs de montagne, dont l'insigne est un edelweiss, restent entre nos mains. Une trentaines de cadavres allemands et un important matériel marquent sur le terrain l'acharnement de ce combat de voltigeurs où nos Unités ont fait la preuve de leur courage et de leur sens de la manœuvre, malgré l'absence des armes lourdes du Bataillon.

Le lendemain, nos patrouilles pénètrent dans SAN ELIA et viennent border le Rapido.

Nous sommes au contact de la ligne "Gustave".

LE BELVÉDÈRE

(25 janvier - 3 février 1944)

"VAINCRE OU MOURIR"

Du haut de la SERRA DEL OBAC conquise de haute lutte par le 1er Bataillon, un vaste panorama se découvre à nos yeux. Au-delà de la plaine de Rapido, parsemée d'arbres, s'élève un majestueux massif montagneux.

Dans cette forteresse naturelle, le sommet enneigé du MONT CAIRO qui culmine à près de 1.700 mètres d'altitude fait office de donjon. En avant de lui, une crête rocheuse assure la liaison entre les deux tours d'angle : c'est le CASTELLONE : à gauche, le MONT CASSIN, à droite, le BELVEDERE. Ce massif détaché de la chaîne principale des Apennins, pivot inaccessible de la manœuvre allemande, domine à l'Est la vallée du LIR et la route de ROME.

A peu de distance de la ville éternelle, dans la baie d'ANZIO, les Américains viennent de débarquer par surprise et, on établi une tête de pont. Il s'agit pour la 5ème Armée Américaine du Général CLARK, dont fait partie le C.E.F., de donner rapidement la main à ces éléments et de marcher sur ROME.

L'attaque directe de CASSINO, malgré une formidable préparation d'artillerie ayant échoué, le Commandement décide de faire tomber ce bastion en le débordant par le Nord. La 3ème D.I.A. en enlevant le BELVEDERE, permettra à une Division Américaine de se rabattre sur le CASTELLONE et de là, sur les arrières de l'Abbaye du MONT CASSIN.

Quand on étudie de sang-froid les conditions dans lesquelles va se dérouler l'attaque, on doit conclure que c'est une véritable gageure pour la Division; celle-ci doit en 24 heures transporter le centre de gravité de ses forces de l'extrême-droite de son secteur à l'extrême-gauche, amener à pied d'œuvre son Artillerie, ses munitions, ses chars, et tout cela par une seule route de montagne descendant en lacets, face à l'ennemi.

Quant au Régiment d'assaut, le 4ème R.T.T., après avoir traversé sous le feu la vaste vallée de SAN ELIA, il doit franchir un ruisseau profond, rompre une ligne de solides blockhaus protégée par des champs de mines, grimper à 700 mètres d'altitude sur des pentes rocailleuses, entrecoupées d'à-pics, de ravins profonds, redescendre puis remonter à 915 mètres et, une fois l'objectif atteint, il se trouvera accroché à une crête dénudée et rocailleuse où il sera impossible de creuser un trou individuel, dominé par des crêtes plus élevées encore avec, derrière lui, de l'autre côté de la vallée d'ATINA, le sinistre massif u CIFALCO tenu par l'ennemi, auquel aucun mouvement, même individuel, ne saurait échapper.

Ce tour de force, le 4ème R.T.T. est prêt à l'accomplir. Depuis le Colonel jusqu'au dernier Tirailleur Français, chacun de nous sait qu'après notre déroute de 1940 il n'a plus le droit de sa refuser au sacrifice, même si celui-ci doit être total. Nous avons le Devoir de rendre à la FRANCE son Honneur et son Prestige.

Quant aux Tirailleurs Tunisiens, ayant une confiance entière dans leurs Chefs, ils suivront ceux-ci jusqu'à la mort.

L'ASSAUT

Le 25 janvier, aux premières lueurs de l'aube, l'artillerie amie se déchaîne. Le BELVEDERE disparaît à moitié derrière un voile de fumée et de brume.

Au P.C. du Colonel, peu de renseignements. L'observation est impossible. On ne peut distinguer que les formes générales du terrain.

Bientôt, cependant, les premiers télégrammes sont captés.

Sur la droite, le Bataillon GANDOET (3ème Bataillon), chargé dans une opération préliminaire, d'enlever la côte 470, éperon rocheux détaché du Cifalco qui domine l'entrée de la vallée d'Atina et tout le terrain de l'attaque, rend compte de ses difficultés. La 9ème Compagnie, dans un magnifique élan, enlevée par le Capitaine DENEE, est bien parvenue très près de la crête mais elle a été écrasée par les tirs ennemis et les contre-attaques. Son chef est tombé grièvement blessé. Le Sous-lieutenant Tunisien EL HADI, dont l'avant-bras a été arraché par un éclat d'obus, a continué à entraîner ses Tirailleurs et est mort en criant : "VIVE LA FRANCE". A côté de lui, l'Aumônier catholique du Régiment, le Père BERENGUER, qui, dans se soucier du danger, soignait les blessés en première ligne, sous l'unique protection de son brassard de croix-rouge, est tombé à son tour, grièvement atteint, la poitrine traversée par une balle. Tous les Chefs de Section ont été mis hors de combat et l'Unité décimée est rejetée. Le Chef de Bataillon rassemblant une poignée d'Hommes les a entraînés à la contre-attaque et a réussi à reprendre une partie du terrain perdu.

Malgré cet échec, la 11ème Compagnie (Lieutenant JORDY) se glisse vers la plaine, perce les défenses ennemies et parvient à gagner un ravin profond taillé dans le massif du Belvédère conduisant à son objectif, ou il grimpe au prix d'efforts surhumains après avoir réduit une série de blockhaus.

A gauche, le Bataillon BERNE (2ème Bataillon), attaque lui aussi avec fougue, traverse les champs de mines, malgré les pertes, se glisse au milieu des blockhaus ennemis et escalade les pentes abruptes du Belvédère sous les éclatements des obus et des minen. Le Chef de Bataillon qui dirigeait les opérations de son observatoire est mis provisoirement hors de combat par l'éclatement d'un obus. Plusieurs Officiers sont atteints, dont le Capitaine CHATILLON, Commandant la 5ème Compagnie, tué par un minen. Le Capitaine LEONI prend le Commandement provisoire du Bataillon.

Dans l'après-midi, le premier objectif, la côte 721 du Belvédère, est conquise, mais le 3ème Bataillon est étiré en profondeur et une de ses Compagnies a été pratiquement anéantie sur l'objectif intermédiaire qui reste toujours entre les mains de l'ennemi. Le Colonel met à sa disposition 2 Compagnies du Bataillon BACQUE (1er Bataillon).

Ce Bataillon qui était engagé sans arrêt depuis le 8 janvier, est en réserve. Il reçoit l'ordre, avec ses deux Compagnies disponibles de se porter à son tours vers l'Olivella, pour nettoyer, avec des chars américains et des T.D. du 7ème R.C.A., les îlots de résistance ennemis qui sont encore signalés au pied du Belvédère.

La nuit arrive rapidement, nuit tragique et hostile où l'obscurité totale rend toute liaison impossible, où la pluie tombe sans arrêt, où l'artillerie ennemie harcèle furieusement les points de passage obligés, en particulier l'Olivella où le P.C. du 1er Bataillon subit de fortes pertes et perd son poste de T.S.F. écrasé avec ses deux radios par un obus.

Ce que furent les mouvements des Unités au cours de cette nuit; les extraits suivants du carnet de route du Capitaine CARRE (3ème Compagnie) (1), nous permettent de le deviner :

"Nous arrivons par nuit noire à hauteur de l'Olivella. L'artillerie ennemie harcèle le ravin que nous devons prendre. Je décide, après consultation de mes Chefs de Section, de piquer à travers l'Olivella droit sur l'Ouest (684 apparaît comme la deuxième dent après la plus haute croupe 718).

- Il pleut - Nuit noire - aucune visibilité.

Boue... chûtes... tranchées... fossés... fils de fer barbelés, peut-être des mines ?

La Compagnie en colonne par un - Pagaie - arrêt - Les Hommes ne collent pas assez.

- Arrivons à route - Dispositif : Deux colonnes par un : à gauche Capitaine, à droite BARTOLI.

- Franchissons le Rio Secco - Les deux colonnes sont à dix pas d'intervalle.

(1) Carnet trouvé sur le corps du Capitaine CARRE tué à l'ennemi le 30 janvier 1944.

Le lendemain matin, les Bataillons se regroupent sur le Belvédère malgré les violents bombardements ennemis.

Voici comment le Commandant GANDOET décrit dans son journal de marche, les mouvements des Unités du 3ème Bataillon que la 2ème Compagnie (BILLARD) est venue renforcer.

"Par petits groupes de 4 ou 5, en avant ! Les minens n'arrêtent pas. Les hommes bondissent, se couchent, filent, rampent, courent. Ca passe. Les postes 284 et 610 de l'artillerie sont sur mulets. Un bourricot trouvé dans un djebel porte le matériel de deuxième urgence du Bataillon. Pris dans une gerbe de minen les animaux sont tués, le 610 abîmé, des Hommes tués et blessés. On cache tout dans une maison, sauf les appareils radios et l'ascension continue.

C'est surhumain. Les parois sont à pic. Pas question de se battre. La 11ème est là-haut. Il faut arriver auprès d'elle. La terre est la seule protection. Baisser la tête sous les coups, chercher le trou, arriver là-haut avec les munitions telle est la mission. Mitrailleuses lourdes, mortiers, radios, tout monte lentement mais sûrement. Les derniers vivres sont laissés sur place afin de s'alléger".

La C.A. 1 rejoint à son tour le 1er Bataillon sur 382; certains de ses éléments sont obligés d'engager le combat contre des Groupes ennemis restés dans les casemates de l'Olivella.

A 16 heures 30 les deuxièmes et troisième Bataillons reprennent l'attaque, malgré les difficultés paraissant insurmontables. Les Tirailleurs, qui ont donné la veille un effort maximum, sont fatigués et transis de froid. Ils n'ont pas été ravitaillés. les munitions commencent à être rares. Mais l'ordre est formel. Il faut s'emparer aujourd'hui du deuxième objectif : 856 et 915.

Une Compagnie du troisième Bataillon parvient au sommet de 856 et s'y accroche. Le Lieutenant Tunisien BOUAKKAZ tombe mortellement frappé. Le deuxième Bataillon commandé provisoirement par le Capitaine LEONI progresse difficilement vers le Colle Abate (915) objectif final qui ne sera atteint que pendant le nuit, vers une heure du matin. Le Capitaine IZAAC, Commandant le C.A.2. a été tué avant le déclenchement de l'attaque, en mettant en place la base de feu.

Le 27 au matin, le massif entier du Belvédère est donc occupé par le Régiment. Le deuxième objectif fixé par la Division est atteint partout. La position ennemie "Gustave" et enfoncée. Avec un Régiment frais à pied d'œuvre, l'exploitation pourrait commencer et le Mole de Cassino, clef de la route de Rome, être débordé par le nord.

Mais il n'y a pas de réserves françaises et la situation du Régiment, complètement en flèche, sans protection à gauche, avec, à droite le Cifalco et la cote 470, qui n'a pu être enlevée, peut devenir critique.

La situation de l'ennemi est, heureusement, beaucoup plus grave. Ayant une confiance aveugle dans les avantages de la position du Belvédère, jugée imprenable, il avait concentré presque toutes ses forces sur la ligne principale et ne disposait que de faibles réserves locales. Or, le 131ème R.I. qui tenait la position avait été pratiquement anéanti dès le premier jour et son Colonel tué.

CONTRE-ATTAQUE ALLEMANDES

Devant cette situation imprévue, le Commandement allemand ramène toutes les troupes disponibles et les débris du 131ème R.I. pour colmater la brèche ouverte dans la ligne "Gustave" et déclenche dans la matinée du 27 de violentes contre-attaques.

C'est le 2ème Bataillon qui reçoit le choc. Les éléments qui ne sont pas encore solidement installés sur 915 sont attaqués de tous côtés. Même situation sur 771. L'ennemi s'infiltre partout dans ce terrain chaotique. Nos Tirailleurs exténués par l'effort déjà fourni, le ventre creux depuis plus de 24 heures, non ravitaillés en munitions depuis le départ de l'attaque, se défendent désespérément. Près du P.C. du Bataillon, l'Adjudant BIDAULT se bat comme un forcené. Certains Hommes de son point d'appui, dont le Caporal TRINQUET n'ayant plus de munitions, ripostent à coup de pierres aux grenades qu'ils reçoivent.

Successivement les petits groupes sont mis hors de combat. Le Commandant BERNE qui rejoignait son Bataillon, malgré sa première blessure, est cerné dans une petite maison avec quelques Hommes. Un Tirailleur bondit, portant son dernier appel : Commandant BERNE à 3/4 ou 1/4 R.T.T. - Les boches sont en train de s'infiltrer sur la croupe face à 771 (entre 771 et 915)), m'envoyer d'urgence une Compagnie - Je ne sais pas ou en sont les affaires sur 915 - 11 heures 30".

Le Commandant tombe quelques instants après, terrassé par plusieurs blessures à la poitrine.

A son tour, le Capitaine LEONI, grièvement blessé, est fait prisonnier avec les rares survivants de son P.C..

Le Lieutenant THOUVENIN, Commandant la 6ème Compagnie a été tué, ainsi que le Lieutenant MOHAMED de la 5ème Compagnie.

Il ne reste plus du 2ème Bataillon que la 7ème Compagnie qui a perdu plus de la moitié de son effectif et est obligée d'abandonner la cote 700 et de se replier à hauteur du 1er Bataillon.

Quel destin tragique que celui de ce 2ème Bataillon qui attendait avec une impatience fébrile le moment où il pourrait se mesurer avec le boche, et qui disparaît presque en entier après deux jours de bataille !

S'il ne pourra jouir du succès final, il aura cependant eu la joie de percer le premier jour, d'un seul élan la ligne "Gustave".

Pendant que se déroule ce drame, le 3ème Bataillon vit à son tour des heures pénibles. Les éléments accrochés sur les rochers de 862 sont serrés de prés, menacés d'encerclement. L'anéantissement du 2ème Bataillon les laisse complètement en flèche. Le Commandant donne l'ordre de repli sur le premier objectif qu'il faut tenir à tout prix.

Il envoie ce billet au Commandant du 1er Bataillon :

"Situation très grave - Contre-attaques massives partout - Il faudrait un Bataillon en renfort - Il n'y a plus de deuxième Bataillon - Midi".

Mais il n'y a pas de Bataillon disponible.

En effet, le 1er Bataillon, réduit à 2 Compagnies de Voltigeurs, tient avec l'une d'elle, le sommet du Belvédère dont les rochers dénudés sont continuellement balayés par les tirs ennemis, guidés à coup sûrs par les observatoires du Cifalco.

Le P.C. du Bataillon et l'autre Compagnie forment un point d'appui face à la vallée d'Atina et gardent l'unique ligne de communications vers l'arrière. Or, cette direction est devenue brusquement dangereuse. Déjà la veille une Section a été obligée de descendre pour réduire des casemates qui tenaient encore la plaine.

Ce matin, des brancardiers qui transportaient leurs blessés vers le poste de secours du Régiment sont tombés sur l'ennemi qui coupe l'unique piste reliant les Bataillons au P.C. du Colonel et à l'arrière.

L'un deux, réussissant à s'échapper, a alerté le 1er Bataillon qui installe aussitôt des éléments face à l'arrière.

LA MORT HÉROÏQUE DU COLONEL ROUX

C'est à ce moment que se déroule au pied du Belvédère un tragique épisode de cette lutte sans merci.

Le Colonel ROUX, dont le P.C., (lié aux communications avec l'artillerie et avec l'arrière), était resté aux abords de San Elia, s'est rendu compte de la situation aventurée de ses Bataillons et veut les réconforter par sa présence.

Il part en jeep jusqu'aux abords de l'Olivella, puis continue en marche à pied vers le Belvédère avec son Officier de renseignements, le Capitaine GALTIER, et un Tirailleur.

Brusquement, il est entouré par une Section ennemie cachée dans une maison et fait prisonnier. Le petit Groupe, bientôt renforcé par quelques brancardiers et ravitailleurs surpris, eux aussi, en descendant du Belvédère, est obligé de s'abriter pendant plusieurs heures dans un fossé, en butte aux tirs amis et ennemis.

Le Colonel ne désespère pas, car il sait que le Général de MONSABERT n'abandonnera pas le 4ème R.T.T.. Une contre-attaque, en effet, se déclenche, menée par les chars légers du 3ème Spahis. Profitant de l'approche de ceux-ci, le Colonel ROUX bondit sur l'un de ses gardiens, s'empare de son arme et, avec le concours de ses compagnons d'infortune, capture son escorte. Quelques instants après, le Colonel tombe, mortellement blessé par un éclat de minen en plein cœur.

Telle fut la fin glorieuse de ce Chef aimé et respecté, Symbole de l'Honneur Militaire. Il eut au moins, avant de mourir, la satisfaction de voir que le Régiment qu'il avait préparé de toute son âme pour la bataille, avait su se montrer à la hauteur de la mission de Sacrifice qui lui avait été confiée.

LE RÉGIMENT ENCERCLÉ

Ainsi, les Bataillons du 4ème R.T.T. sont désormais complètement isolés. Déjà, depuis le début de l'attaque les liaisons avec l'arrière avaient été très précaires, l'artillerie ennemie harcelant sans arrêt le point de passage obligé de l'Olivella. Seuls, une dizaine de mulets avaient pu monter au Belvédère, et quelques isolés franchir la zone dangereuse.

Maintenant le Régiment est effectivement encerclé et son Colonel est mort.

La situation des troupes engagées devient extrêmement pénible. Sans vivres depuis le 25, ne disposant que d'un seul puits vu de l'ennemi, leurs munitions presque totalement épuisées, à bout de forces, elles ne tiennent que grâce à l'énergie des Chefs et à l'esprit de discipline et de fidélité des Tirailleurs Tunisiens.

Personne ne songe à quitter l'objectif si chèrement acquis. Chacun résistera jusqu'à la mort à son poste de combat.

Ordre est donné de fouiller morts et blessés pour leur enlever toutes les munitions. Ne tirer qu'au tir à tuer, cartouche par cartouche et, en tout état de cause, de se dégager à la baïonnette. Toutes les munitions et armes allemandes sont récupérées et distribuées.

L'artillerie ennemie, les mortiers, les nebelwerfer, tirent sans arrêt sur la position française. Chaque mouvement, même individuel, est salué par une salve. Aucun repli de terrain n'échappe aux vues de l'ennemi. Le Régiment se débat dans un cercle de feu.

Les effectifs fondent d'heure en heure. Les postes de secours des 1er et 3ème Bataillons sont encombrés de blessés dont l'évacuation est désormais impossible.

Avec un dévouement et un courage magnifiques, nos médecins de Bataillon, RAVELONANOSY, PIETRI et de SAINT JULIEN donnent leurs soins sans arrêt, la nuit, à la lumière d'une bougie vacillante, sous les éclatements d'obus.

La liaison radio est désormais la seule possible. Le Commandant du 1er Bataillon lance un appel pour obtenir le ravitaillement en vivres et en munitions par avion. La réponse est négative. Les Américains présentent de nombreuses objections. Leur aviation est, en effet, totalement absorbée par la protection de la tête de pont d'Anzio. Aucun avion ne nous survole. Les chars, qui viennent de contre-attaquer en plaine, se retirent vers l'arrière à la tombée de la nuit. Sommes-nous abandonnés ?

LE SUPRÊME ASSAUT DE L'ENNEMI

La nuit du 27 au 28 s'annonce particulièrement dangereuse. Le P.C. du Régiment signale par Radio aux Bataillons encerclés, des indices de contre-attaques ennemies venant de la vallée d'Atina. Le 1er et le 3ème Bataillons, malgré leur fatigue, ne dormiront guère.

La danse commence par la 7ème Compagnie. Au cours de la nuit, l'ennemi l'attaque à la grenade et elle ne peut se dégager qu'après de violents corps à corps. Le Capitaine TIXIER, blessé légèrement, galvanise ses Tirailleurs et maintient sa position, soutenu par les mortiers du 1er Bataillon et les tirs d'artillerie.

C'est ensuite le tour de la 1ère Compagnie (LARTIGAU) qui rejette à la baïonnette l'ennemi qui avait, au petit jour, réussi à escalader le sommet du Belvédère. L'Aspirant DORGANS est tué à bout portant par un officier allemand qui est à son tour abattu.

Le 3ème Bataillon, assailli de toutes parts, résiste magnifiquement sous l'impulsion de son Chef ardent et énergique, le Commandant GANDOET. Son Adjudant-Major, le Capitaine GOIFFON, est tué. Le Capitaine JEAN, qui le remplace, tombe, lui aussi, mortellement frappé. Grâce à l'exemple des Chefs qui n'hésitent pas à se sacrifier, l'assaut est repoussé.

Dans la matinée, c'est enfin la dernière attaque ennemie, dirigée cette fois par l'arrière, sur le P.C. même du 1er Bataillon. Deux compagnies s'infiltrant par la vallée d'Atina essayent de prendre à revers la position française. Elles sont arrêtées par notre feu à quelques dizaines de mètres du P.C., mitrailleuses, artillerie, se déchaînent contre les assaillants. La section de mortier de 81 du Lieutenant FLORENTIN tire ses derniers vingt obus. Brusquement, derrière un des rochers, où s'abritent les allemands, un petit drapeau Français est agité, un soldat felgrau s'élance vers nos positions. C'est un Alsacien de Mulhouse, incorporé de force dans l'Armée Allemande, qui avait conservé l'emblème de la patrie perdue, cousu dans la doublure de sa vareuse. Il précise la situation aventurée de l'ennemi.

Deux sections de Tirailleurs, entraînées par le Sous-lieutenant BARTOLI et par le Sergent-chef LAURO du 3ème R.T.A. partent à la contre-attaque et ramènent 70 prisonniers, dont deux Officier.

A midi, l'attaque allemande a donc partout été repoussée. Mais la situation n'en demeure pas moins tragique, pas de vivres depuis trois jours, les munitions épuisées, plus de grenades, plus d'obus de mortiers, à peine quelques rares bandes de mitrailleuses et les cartouches que l'on va récupérer sus le feu de l'ennemi en fouillant les morts.

Heureusement, nos fidèles artilleurs du 67ème R.A.A. veillent sur nous. Grâce à leurs admirables Officiers de liaison, les Lieutenants de VILLELE, STEPHANI, GIRARD, qui partagent nos périls et nos angoisses, ils sont tenus à tout instant au courant des évènements par radio. Ils savent que seuls leurs tirs, peuvent désormais sauver les Tirailleurs épuisés. Sans arrêt, jour et nuit, depuis le début de l'attaque, ils ont effectué avec leur extraordinaire précision tous les tirs demandés. Cette parfaite camaraderie de combat entre Artilleurs et Fantassins sera une des caractéristiques de cette bataille.

Les unités continuent à être soumises toute la journée à des bombardements incessants réglés à coup sûr par les observatoires du Cifalco. Le Capitaine BILLOT, Adjudant-Major du 1er Bataillon est grièvement blessé en allant visiter avec son courage habituel, la compagnie la plus exposée.

Les regards des défenseurs du Belvédère qui se tournaient souvent vers l'arrière, vers cette plaine de San Elia désespérément vide, sont enfin frappés dans l'après-midi du 28 par la progression de nombreux chars, suivis par des petites colonnes d'Infanterie.

L'espoir renaît, les chars pénètrent dans la vallée d'Atina. des Tirailleurs du 7ème R.T.A. gravissent les pentes du Belvédère sur notre gauche et parviennent avec leurs éléments de tête à la hauteur de la 7ème Compagnie.

Le 3ème R.T.A. lui aussi progresse sur notre droite. Une de ses unités vient renforcer le Bataillon GANDOET.

Enfin délivrés ! Au début de la nuit quelques mulets arrivent jusqu'à nous, portant un premier lot de vivres et munitions. Un grand convoi de prisonniers allemands transportant nos nombreux blessés, bloqués jusqu'alors dans les postes de secours des Bataillons, se dirige vers l'arrière par la piste de l'Olivella libérée.

Epuisés de fatigue et de sommeil, de faim et de soif, nous pensons être relevés demain et dormir enfin une nuit.

REPRISE DE L'ATTAQUE

Mais avec le ravitaillement, les ordres sont également arrivés. Ils sont formels : le 4ème R.T.T. continuera son attaque le 29 - Objectif : 915 et 862.

En liaison avec le 7ème R.T.A. à gauche, l'attaque repart le 29 au jour. A droite, le 3ème Bataillon dégage ses arrières par une série de coups de main où se distingue le Sergent-chef LE GREVES qui enlève successivement trois blockhaus; puis la 11ème Compagnie part à l'assaut et parvient à prendre pied sur l'objectif fixé : la côte 862. Le Capitaine AYGADOUX (dit BALUZE) monté à l'observatoire est tué dans un corps à corps. L'ennemi réagit violemment.

"La situation du bataillon devient à nouveau angoissante. A partir de midi l'ennemi contre-attaque sans arrêt notre position. Il est accroché sur 862 dont nous n'avons que les pentes Est.

Il faut à tout prix des munitions. Le Commandant lance des appels impératifs, pressants, suppliants. Il tiendra. Manger n'est rien - Mais il faut des munitions et quelques renforts.

Les renforts sont annoncés - Les munitions aussi - Les minens nous écrasent. Les pertes sont sévères. Lorsque les minens s'arrêtent, des groupes de 20 à 40 allemands lancent une contre-attaque - La 11ème Compagnie se dégage à la baïonnette.

Il faut boire. Un groupe est envoyé sur le flanc de 862 au puits et ramène de l'eau. Des corvées s'organisent, le puits est pris sous le feu, il y a des morts et des blessés.

Au cours des contre-attaques des prisonniers sont faits. Les armes et les munitions sont de suite récupérées et retournées contre l'ennemi.

A 19 heures, enfin, un convoi arrive : 26 mulets munitions et vivres. On va pouvoir tenir. Tout homme qui ne sert pas une arme automatique est transformé en porteur. Bandes de mitrailleuse autour du cou, grenades et cartouches dans la toile de tente, tubes d'obus de mortiers sur l'épaule, ils sont à quatre pattes sous les mien gravir 721 et 862 pour porter les munitions à leurs camarades. Plus d'un est tué et roule dans le ravin - Les munitions ainsi abandonnées seront récupérées tout à l'heure".

Au 1er Bataillon, la 3ème Compagnie (CARRE) est partie elle aussi à l'attaque de la côte 771, mais elle est vite bloquée par des tirs de flanc d'armes automatiques et se trouve dans une situation critique. A sa gauche le 7ème R.T.A. qui avait atteint la côte 700 en est rejeté par une contre-attaque.

La compagnie MADELINE, du 7ème R.T.A., mise à la disposition du 1er Bataillon pour renforcer dans la soirée l'attaque sur 771, arrive péniblement à hauteur de la 3ème compagnie et est ensuite obligée de regagner sa base de départ.

Pendant la nuit les essais de progression sont encore bloqués par un ennemi vigilant.

Nos Tirailleurs sont à bout de forces. Les Chefs épuisés. Les effectifs réduits de moitié.

Et cependant il faut encore et toujours contre-attaquer, sortir de l'abri précaire des rochers où l'on se protège tant bien que mal des éclats d'obus et de minen, escalader de nouvelles crêtes d'où l'on est rejeté à coups de grenade.

Le Lieutenant-colonel GUILLEBAUD que l'on est allé chercher en pleine nuit à Naples pour succéder au Colonel ROUX, a pris le Commandement du Régiment. C'est un ancien du 4ème dont il a toute la confiance. Il transmet les ordres supérieurs : Il faut à tout prix s'emparer de 771 pour permettre à l'attaque de se développer plus au Sud.

C'est le bataillon BACQUE qui est chargé de cette mission le 30 janvier. Mission de sacrifice, car l'ennemi s'accroche à cette crête et trois assauts ont déjà échoué la veille.

Le Chef de bataillon disposera de trois compagnies réduites chacune à une soixantaine de tirailleurs exténués : La 3ème Compagnie (CARRE), la 7ème Compagnie (TIXIER) et la Compagnie MADELINE du 7ème R.T.A.

L'attention du commandement est attirée d'une façon pressante sur l'état d'épuisement de ces unités, dont certaines sont engagées sans arrêt depuis vingt jours, et sur les courts délais accordés - (Une heure) - Un dialogue émouvant s'engage par radio entre le P.C. du bataillon et celui du régiment.

Mais des considérations supérieures ne permettent pas d'ajourner l'opération dont le succès conditionne le déroulement de l'attaque Américaine vers le Catellone.

Avant le départ de l'attaque, le Général de MONSABERT qui anima la bataille avec une ardeur et un dynamisme qui deviendront bientôt légendaires, adresse par radio un appel personnel au bataillon BACQUE sur lequel il compte "Pour ouvrir la porte à nos alliés".

Cet appel est entendu - A 10 heures, ayant à peine eu le temps de gagner leur position de départ, les Compagnies s'élancent à l'assaut derrière leurs Chefs, à travers la fumée et le brouillard qui gênent les tirs d'appui.

La réaction ennemie est violente, les pertes sévères. La Compagnie CARRE perd deux de ses chefs de section, le Sous-lieutenant BARTOLI et l'Adjudant-chef HUMBLOT, deux magnifiques entraîneurs d'hommes, tués en gravissant les pentes de 771.

Le Commandant BACQUE intervient alors avec sa compagnie réservée, la 7ème (TIXIER), et la crête 771 est enfin enlevée.

Mais l'ennemi se cramponne à contre-pente et harcèle nos tirailleurs à coups de grenades.

Au moment où une action de nettoyage allait se déclencher, le 7ème R.T.A. est brusquement rejeté de la côte 700 par une contre-attaque. Le flanc du 4ème R.T.T. est alors découvert et les communications du 1er Bataillon menacées.

Quelques instants plus tard un orage d'acier se déchaîne brutalement sur la côte 771 - Nos tirailleurs sont hachés par les obus et les minens qui tombent à une cadence extraordinaire. La dureté du sol n'a pas permis aux hommes de s'enterrer, chacun essaie de se protéger en s'incrustant entre les rochers.

Le tir cesse brusquement mais aussitôt les mitrailleuses allemandes crépitent, les grenades explosent. La contre-attaque se déclenche. Elle ne trouve plus rien devant elle.

Quelques rares survivants, presque tous blessés, se replient au pied de 771 où ils sont regroupés par le Capitaine POTARD et le Lieutenant LAVOIX - Le Commandant BACQUE, resté seul avec son adjudant de bataillon et un sous-officier blessé, tire lui-même es dix derniers obus d'un mortier de 60 dont le personnel a été mis hors de combat et se replie à son tour pour ne pas être capturé.

Les pertes ont été sévères. Les trois commandants de compagnie, le Capitaine CARRE et le Capitaine TIXIER du 4ème R.T.T. et le Lieutenant MADELINE du 7ème R.T.A., ont été mortellement blessé, - Le Capitaine TIXIER, dont les yeux ont été arrachés, subira avec stoïcisme les douleurs d'une longue agonie. Au poste de secours il aura encore l'extraordinaire pensée d'enlever ses galons pour qu'on ne le soigne pas avant ses tirailleurs.

A la troisième compagnie, il ne reste plus qu'un sergent et 15 tirailleurs.

Le lendemain, 31 janvier, l'attaque est reprise par le 7ème R.T.A. qui enlève 771, en liaison avec le 1er bataillon du 4ème R.T.T., puis 915. Sur la crête de 771, nous retrouvons les nombreux cadavres de nos camarades, certains affreusement déchiquetés. Sur le rocher le plus élevé un sous-officier tunisien est tombé, la fourragère rouge à l'épaule - nous découvrons aussi quelques blessés du 2ème bataillon tombés le 26 janvier et restés sans soins pendant 5 jours entre les lignes.

Le bataillon GANDOET, installé sur 862, est encore l'objet de violents bombardements et de contre-attaques.

"L'adjudant GAUTERON a eu de grosses pertes. De sa section il reste 1 F.M. et quelques hommes, il refuse de quitter son poste. La cuisse très abîmée, il tiendra toute la nuit. Un sous-officier, un F.M. et 8 hommes lui sont envoyés en renfort".

Il faut tenir cette nuit encore; partout, la limite des forces est largement dépassée pour tous.

"Cette nuit sera terrible - Le commandant a peur que ses hommes ne tombent de fatigue - Toute la nuit il parlera aux uns et aux autres. L'Artillerie heureusement est là. Il faut monter encore les munitions à quatre pattes en s'accrochant aux rochers. L'artillerie allemande pilonne sans arrêt la position. Le moindre arrêt signifie contre-attaque ou patrouille... Miracle... Ca tient".

Pendant deux jours encore, le Régiment maintiendra ses positions contre les contre-attaques et les bombardements. Pendant que les Américains, protégés sur leur flanc droit, pourront enlever le Mont Castellone et tenter le débordement de Cassino, notre nouveau chef, le Lieutenant-colonel GUILLEBAUD vient visiter les unités en première ligne.

Enfin, le 4 février, c'est la relève. A la tombée de la nuit, des files de tirailleurs exténués, hirsutes, sales, aux vêtements déchirés et boueux, traversent le plaine de San Elia. Le Lieutenant JORDY, magnifique héros, qui avait échappé à de multiples dangers, tombe encore, mortellement frappé par un obus qui blesse également le Commandant GANDOET.

Sous une pluie torrentielle, les Compagnies gagnent le ravin de l'Inferno, lieu de repos bien précaire où les Tirailleurs harassés de fatigue, se laissent tomber dans la boue et oublient dans un sommeil profond les épreuves de ces dures journées.

Le lendemain, les survivants de cette extraordinaire aventure, reprenant peu à peu conscience de la vie, font le bilan de l'opération.

Le Régiment a perdu :

207 tués, dont 14 officiers

426 disparus, dont 5 officiers

739 blessés, dont 19 officiers

Un total de 1.372, c'est-à-dire les deux tiers de l'effectifs ayant réellement combattu sur le Belvédère.

Mais ces sacrifices n'ont pas été vains. Pour la première fois depuis 1918, le Français combattant l'Allemand à arme égales l'a vaincu. La célèbre ligne "Gustave" a été enfoncée sur le front d'attaque du Régiment, et un officier allemand prisonnier a laissé échapper cet aveu : "Je viens de m'apercevoir que l'armée française n'est pas mort".

De ce jour également datent la considération et l'estime que nos Alliés américains et anglais témoignèrent désormais au corps expéditionnaire français en Italie.

Il fallait voir avec quel enthousiasme le Général ROOSEVELT, venu féliciter les survivants du Belvédère, s'écriait dans un français pittoresque : "Bravo les Français, vous avez "vinfiqué" le Boche !".

"Belvédère, dira plus tard le Général de MONSABERT, au cours d'une cérémonie à la mémoire du Colonel ROUX, terre aride ? Objectif sans intérêt tactique ? Monceaux de dalles funéraires sur les traces d'un combat inutile ?

Non ! Belvédère ? Balcon d'Italie où a brillé aux yeux du monde la Flamme Éternelle de l'Armée Française et d'où nos yeux, grands ouverts par le sacrifice du Colonel ROUX, voyaient déjà la France".

MONT CASTELLONE

(29 Février - 1er Avril 1944)

Après la dure épreuve du Belvédère, le Régiment, épuisé et décimé, est retiré du front et cantonne dans la région de Monteroduni. Les unités se réorganisent. Des renforts permettent le recomplètement partiel des 1er et 3ème et la reconstitution du 2ème, sous le commandement du Chef de bataillon POUPELIN. Le 3ème Bataillon voit partir avec regret son chef, le Commandant GANDOET, qui l'avait instruit passionnément en Algérie et qui avait su lui communiquer son ardeur et son dynamisme. Il est remplacé par le Capitaine CAMUS.

Le repos est de courte durée, car il faut instruire et amalgamer les renforts, donner aux jeunes la foi et l'entrain des anciens. Cette action est à peine commencée lorsque le 1er et le 3ème Bataillons reçoivent l'ordre de remonter en ligne; le 2ème Bataillon restera provisoirement sur place pour achever l'instruction des recrues.

Le Régiment relève sur le Mont Castellone, un Bataillon du 8ème Régiment de Tirailleurs Marocains et le 3-351 R..I. Américain, dans les nuits du 28 au 29 février et du 1er au 2 mars. Relève difficile et périlleuse, rendue pénible par l'obscurité totale et une pluie continue.

Le 4ème R.T.T. a pour mission de tenir solidement la crête du Castellone, de maintenir une menace offensive en direction du Mont Carno et d'assurer la liaison à gauche avec une division hindoue chargée d'enlever Cassino.

La vie de secteur, rude, monotone, sans confort et sans repos, se poursuit pendant un mois. Cette période de stagnation n'est pas propice à l'exaltation des sentiments et exige de tous un effort patient et une attention sans cesse en éveil. Le moral reste cependant bon et l'amalgame des jeunes et des anciens se réalise sans heurts.

La nouvelle de la relève par un Régiment Irlandais est cependant accueillie avec joie. C'est le 2ème Bataillon qui est relevé le premier, le 30 mars. Le 31 mars, c'est le tour du 1er Bataillon. Pendant la nuit, une reconnaissance allemande pénètre dans nos lignes, attaque à coups de grenades l'observatoire d'artillerie où deux anglais sont blessé, et est finalement rejetée par une contre-attaque de la 1ère Compagnie. La relève est retardée et le Bataillon qui doit traverser de jour la plaine de San Elia doit être protégé par un tir d'obus fumigènes.

Bien que cette période n'ait été marquée par aucune action importante, les pertes du Régiment se sont élevées à 29 tués et 184 blessés. Il y a eu également de nombreuses évacuations pour pieds gelés.

Après un court séjour dans le ravin de l'Inferno, les Bataillons sont transportés à Casale et Carbonaro, au Nord de Teano, où ils apprécient un repos bien gagné.

C'est là que le Commandant BACQUE, affecté à l'Etat-Major du C.E.F., quitte avec regret le 1er Bataillon qu'il commande depuis 14 mois et en particulier ses compagnons du Belvédère avec les quels il avait vécu des heures émouvantes. Il est remplacé par le Chef de bataillon CERUTTI.

CAMPAGNE DE PRINTEMPS

L'OFFENSIVE POUR ROME

Après la bataille du Belvédère où le 4ème R.T.T. avait été décimé et après le déprimant séjour d'un mois sur le Castellone, en position défensive, sous les regards du Cifalco et sous le pluie systématique des minen allemands, un repos prolongé est nécessaire.

Il s'agit de reformer les unités, de leur fournir les renforts indispensables pour reconstituer leurs effectifs, puis d'entraîner physiquement hommes et cadres, d'amalgamer les nouveaux venus parfois inquiets et les anciens déjà aguerris, en vue de la percée des lignes allemandes et de la poursuite sur Rome. L'enlèvement de la Ville Eternelle semble devoir marquer la chute d'Hitler, la fin de la barbarie, la libération de la Patrie Savamment agencée, la progression de l'entraînement remettra chacun en confiance.

Que d'entrain, chaque jour au tir, au parcours en tous terrains a travers la montagne, dans les sous-bois printaniers des châtaigneraies à la sève montante, pendant les exercices. Chacun rivalise d'ingéniosité pour truquer le terrain, le semer de mines et de pièges qu'il faudra savoir éviter ou désamorcer. Que de soins pour la mise au point des Bazookas ou des mitrailleuses lourdes qui, bientôt, aveugleront, perceront, culbuteront les créneaux des bunkers boches. Le Régiment est une ruche. Les travaux de chaque jour produisent bien vite des résultats apparents. Les derniers arrivés brûlent du désir d'égaler les anciens. Les muscles assouplis permettent des efforts violents, soutenus, renouvelés. Le cœur se trempe. La cohésion des unités se forge, se cimente par une vie en commun pour un but commun.

Les distractions ne sont pas omises dans ce concert démesuré, préparatoire à la bataille, que tous espèrent devoir être la dernière avant l'effondrement de l'ennemi. Naples est à dix lieues à peine. Dans cette armée nouvelle et motorisée, les G.M.C., les dodges, mènent chaque jour à tour de rôle Tirailleurs et gradés jusqu'à la ville célèbre et les ramènent chaque soir.

Naples, ses sites, sa baie, son ciel, le Vésuve en éruption, ses promenades, ses rues grouillantes, ses restaurants, ses coiffeurs chics, ses bas quartiers, ses musiciens et son hospitalité intéressée, mais si commode, et ses filles à l'accent traînant, nonchalantes et piquantes aussi.

Capoue ! Certes Capoue, ses délices et leurs dangers, mais le vie de l'Unité ne cesse de battre au cœur de chacun, de retenir tout son amour. Nous n'aurons pas le loisir de nous corrompre, et les volontés restent tendues vers la Victoire. Le jour de l'offensive également sonnera bientôt.

Le 22 avril, c'est la 3ème D.I.A. tout entière qui vibre dans la célébration de sa jeune gloire. Au pied du Vésuve, dans le cadre grandiose des ruines de Pompéi, les détachements de toute la Division en uniforme de parade, sont présentés par le Général de MONSABERT, au Général JUIN, Commandant du C.E.F.. Les drapeaux sont décorés e la Croix de Guerre. Celui du 4ème R.T.T. reçoit se huitième palme pour son action héroïque du Belvédère. L'après-midi le cirque s'anime. Sur les gradins usés par les siècles, les hommes de la 3ème D.I.A. remplaçant les belles Romaines d'autrefois, applaudissent chaleureusement les acteurs de bonne volonté et clôturent la fête par une vibrante Marseillaise.

L'OFFENSIVE DU GARIGLIANO

L'heure de l'attaque attendue approche, préparée en grand secret par l'Etat-major du Général JUIN dans le cadre des Forces Alliées, les Corps sont prêts, les esprits ont pris des résolutions héroïques. Les dernières lettres aux siens "A n'ouvrir qu'en cas d'accident" ont été rédigées à la faveur de quelques veillées solitaires.

Le 5 mai, le Général réunit en deux tractions tous les officiers de la Division dans une oliveraie proche du P.C. de la D.I. près de Casale-Teano, et leur annonce ce que le Commandement, ce que le Général de GAULLE, ce que la France attend d'eux, attend de nous.

Les Alliés ont essuyé un grave échec à Cassino et à Anzio, le corps de débarquement lancé pour tourner Cassino à distance n'a nullement produit cet effet. La réussite de nos armées fera éclater aux jeux du monde, aux yeux des Alliés comme au regard de l'ennemi la renaissance de la France, toujours présente au combat. La libération du sort de la Patrie est au bout de l'effort. Par sa simplicité, par la profondeur de sa conviction, par l'énergie de ses traits et par sa détermination, par le sens humain et par l'élévation patriotique de son langage, le Général a conquis d'un coup la confiance de tous. Toute la campagne fera de chaque soldat, de chaque gradé, un fervent admirateur de ce grand Général.

Le soir du même jour, le Colonel GUILLEBAUD, commandant le 4ème R.T.T., réunit les chefs de bataillon (1) et leur donne les premières directives sur l'offensive prochaine. Partant d'une étroite tête de pont au Nord du Garigliano, il s'agir de ROMPRE la ligne "Gustave", d'exploiter en direction de Aussonia et Pica et de poursuivre ensuite l'ennemi vers les Monts Albins afin de donner la main aux Alliés débarqués à Anzio au Sud des Marais Pontins et toujours en situation difficile.

(1) I/4 R.T.T. Cdt CERUTTI - 2/4 Cdt POUPELIN - 3/4 Capitaine CAMUS - C.C.I. Capitaine d'Artillerie THOMAS - C.A.C. Capitaine TIERI.

La prise ultérieure de Rome semble devoir marquer le signal de l'effondrement de l'ennemi.

L'attaque initiale, en force par les hauts, doit revenir aux deux division marocaines, la 2ème D.I.M. - au Nord contre le Mont Majo, la 4 D..M.M. - au Sud par le Furlito. Notre division, la 3ème D.I.A. initialement en réserve, s'engouffrera par la Porte de Castelforte après la chute des positions ennemies en arrière de cette position chef, et exploitera en direction de Coreno et de Pica.

Toutefois, le I/4 R.T.T. (Bataillon CERUTTI) sera prêté pour l'attaque à la 4 D.M.M. dont il formera l'unité la plus au Sud attaquant du Nord-est au Sud-ouest le Mont Ciala, pilier Sud de la ligne "Gustave" et charnière essentielle de cette position hérissée de défenses au point où, descendue le long des Monts du Nord au Sud, cette position rencontre le Garigliano et se redresse vers l'Ouest pour suivre le cours du fleuve jusqu'à la mer.

Le 2/4 R.T.T. spécialement préparé depuis plusieurs semaines à l'attaque et à la progression avec les chars agira en liaison à gauche avec mes Américains et se teindra prêt à nettoyer Castelforte, tandis que le 3/4 R.T.T., épaulera à la fois le I/4 et le 2/4, se tenant prêt surtout à suivre ce dernier.

A partir du 6 mai :

- Reconnaissance, relève de nuit des Marocains du 1/2 R.T.M.

- Contacts renoués avec de vieux camarades de ce Régiment, mise en place des armes lourdes, montée des munitions.

DÉCLENCHEMENT DE L'OFFENSIVE B - PRISE DE CASTELFORTE

Dans la nuit du 11 au 12 mai, à 23h30, l'artillerie amie, considérablement renforcée par de nombreux groupes américains et anglais de tous calibres, déclenche brutalement une préparation d'une intensité extraordinaire.

Le ciel est illuminé sur tout l'horizon Une voûte de feu nous recouvre, et le tonnerre des éclatements se répercute dans les vallées en grondements assourdissants.

C'est trop et c'est trop peu.

Préparé par l'étude minutieuse des photos aériennes, réglée a priori, d'après les plus récents progrès de la technique, cette préparation de nuit n'en est pas moins aveugle. Elle porte surtout sur les arrières, car on pourrait difficilement l'appliquer aux abords mêmes de la ligne de contact sans faire courir des risques graves à nos propres éléments avancés. Enfin, commencée tôt dans la nuit, elle se poursuit jusqu'au matin à une cadence fortement ralentie. Et les plus grands chiffres de canons alignés, et les plus gros tonnages de munitions accordées ne font jamais, rapportés à l'étendue des positions ennemies, qu'une densité de feux finalement bien faible rapportée au mètre de terrain. Le combattant de première ligne, la première surprise passée, en éprouve le sentiment très net.

L'ennemi réagit par quelques volées d'obus assez denses, bien ajustées, aux abords du P.C. du I/4 et nous avons dès le 11 nos premiers morts et nos premiers blessés.

L'heure "H" a sonné plus tôt au Nord pour la 2ème D.I.M. qui attaque en pleine nuit le Mont Faito et le Mont Majo. Le Mont Feuci et le Mont Furlito sont attaqués ensuite par la 4ème D.M.M. dont le I/4 R.T.T. fait partie. A lui revient l'honneur le 12 mai à 4h45 d'attaquer le premier de toute la Division maintenue provisoirement en réserve.

Dans le jour naissant, les Compagnies qui s'étaient glissées sur leur base de départ depuis 1 heure du matin s'élancent derrière une série de tirs d'artillerie déplacés selon un horaire convenu.

- A droite, la 1ère (Capitaine LORTIGAU) séparée par un ravin miné de la gauche du Bataillon DIEBOLD (1/2 R.T.M.).

- A gauche, la 2ème (Capitaine BILLARD).

- La 3ème (Lieutenant MERCADAL) en réserve, constitue une base de feu en arrière et à gauche sur un éperon rocheux avec une partie de la C.A.

Heure émouvante. Le Capitaine LAVOIX fait dérouler une ligne téléphonique derrière chaque P.C. de Compagnie. Le Commandant de Bataillon suit ainsi chaque mouvement des siens lancés dans la bataille.

Les premières centaines de mètres franchies, l'échelon avancé est bloqué par les feux croisés des mitrailleuses sous casemates, placées à contre-pente. La préparation d'artillerie, est tombée loin dans la vallée sans inquiéter en rien les défenseurs camouflés et abrités. Des concentrations denses de mortiers boches s'abattent sur les nôtres. Des brancardiers déjà sont à l'œuvre, un travail pénible, harassant, le long des pentes.

Sur le Della Torre, à gauche, sorte de pain de sucre dénudé de notre côté, boisé et broussailleux du côté ennemi, la Compagnie BILLARD est contre-attaquée à cinq ou six reprises. Les Officiers, les Cadres, les Tirailleurs rivalisent d'héroïsme. Chacun se lance à la baïonnette, à la grenade, pour dégager et conserver le terrain conquis. Le Lieutenant CHEDDEVILLE, déjà grièvement blessé, se lève de son brancard, se précipite, une grenade à la main, en hurlant "Nous les aurons" et tombe transpercé par une rafale de mitraillette, l'Aspirant BERTRAND, l'Aspirant FERRIERE sont frappés au même moment, l'Adjudant GAUTHERON, héros du Belvédère, tombe à son tour. La matinée est tragique. Sur tout le front, l'échec est complet. Nos voisins marocains se sont heurtés à des champs de mines et n'ont pu progresser. La plupart de leurs Officiers dont tués.

La journée se passe en vains essais de patrouilles, en évacuations, réapprovisionnement en munitions, réorganisation.

- 3 Officiers, 5 Sous-officiers, 150 Hommes de troupes sont déjà tombés, tués pu blessés au I/4ème R.T.T..

Pendant ce temps le reste du Régiment a été lui aussi engagé sous les ordres directs du Colonel. Le Groupement GUILLEBAUD comprend le sous-Groupement blindé DODELIER avec le 3ème Bataillon du 4ème R.T.T. renforcé d'éléments du 4ème R.S.M. et du 7ème R.C.A. et le sous-Groupement de LAMBILLY avec le 2ème Bataillon, des chars et des T.D. du 3ème R.S.M., du 7ème R.C.A. et d'une Unité U.S..

Les Tirailleurs et les blindés progressent lentement à travers un terrain encombré de destruction et de mines. Le village de San Sébastiano est enlevé par une action combinée d'infanterie et de chars. Nos troupes marquent ensuite un temps d'arrêt pour permettre à l'action de débordement de Castelforte de sa développer. Mais puisque la Siola résiste toujours, le Général de MONSABERT donne l'ordre à 16 heures de reprendre l'attaque deb front.

En avant de San Damanio, le 2ème Bataillon est pris sous de violents tirs de mortiers, le Sous-lieutenant BEAUVAIS et l'Aspirant DUFOULON sont tués. Les chars sont bloqués par des champs de mines et l'infanterie par les tirs d'armes automatiques. Le Bataillon tourne l'obstacle en manœuvrant par les hauts du terrain et prend pied vers 18h30 dans le village qui n'est plus qu'un amoncellement de ruines.

En fin de journée nous avons débordés les lisières de Castelforte, mais la position ennemie n'est encore qu'ébranlée.

La nuit se passe en réflexion, en calculs. Il faut tirer l'enseignement de cette journée tragique et adopter sa tactique au terrain, à l'ennemi maintenant dévoilé.

13 Mai - autant le 12 Mai avait été amèrement décevant, autant le 13 Mai devait voir notre récompense au prix des efforts nouveaux, tenaces, conduits comme à la main, en souplesse, en nuances.

Puisque l'attaque avec appui massif d'artillerie avait échoué (1), il faudra manœuvrer, finasser, et prendre une à une les casemates ennemies, par une série d'actions successives, combinées pour tirer un parti maximum de nos feux et du terrain.

(1) Tout comme avaient échoué jusque là les attaques alliées sur Cassino pourtant écrasée par un déluge d'artillerie et de bombes d'aviation.

Le Capitaine du LATAY envoyé par le Colonel GUILLEBAUD rejoint le Commandant CERUTTI, le matin vers 9 heures, au P.C. du Capitaine LARTIGAU (Compagnie de droite). L'ordre est de reprendre l'attaque. De son côté le Groupement blindé GUILLEBAUD, en liaison à gauche avec les Américains, attaquera Castelforte de front.

L'action du Groupement GUILLEBAUD, lente et difficile au début, fini par se dérouler sans trop de peine et presque sans pertes. L'ennemi est tout entier tourné vers l'Est où tous nos préparatifs l'avaient alerté depuis des semaines et où il faisait front depuis la veille. Ses arrières sont écrasés par l'artillerie amie, il ne peut pas se redresser pour faire face à cette nouvelle menace.

Par l'action conjuguée de ses tirs d'artillerie (3/67ème R.A. du Commandant AZAMBRE, tué trois semaines plus tard), ajustés au plus près par son admirable Officier de liaison d'Artillerie (Aspirant STEPHANI) et de ses concentrations de tirs de mortiers (Aspirant DUPUY) par les tirs au but de ses mitrailleuses lourdes et de ses bazookas appliqués de tout près sur les créneaux des casemates ennemies, se glissant pas à pas à travers les mines et les pièges, le 4ème R.T.T. finit par aborder, vers 18 heures, le Mont Siola. Il occupe à la nuit toute la face Nord de cette position pendant que le 2/4 R.T.T. aidé par la 10ème Cie nettoie Castelforte et que le 3/4 R.T.T. s'empare de la face Sud du Siola, en liaison avec les deux autres Bataillons.

Des fanions blancs s'agitent aux créneaux ennemis, les prisonniers affluent vers l'arrière.

A la nuit tombante, sur la droite du I/4 R.T.T. des casemates tiennent toujours malgré les efforts du Capitaine LARTIGAU. Des Tirailleurs succombent encore en hurlant sur des mines, en tentant d'aborder à la grenade les derniers créneaux.

La nuit arrive sur une victoire totale du Régiment qui a enfoncé la porte de Castelforte et ouvert la route d'Ausonio, la seule qui existe dans le secteur du C.E.F.. L'exploitation par la 3ème D.I.A. commence le soir même.

Le 4ème R.T.T. dépassé par d'autres Unités, se regroupe 271 prisonniers dont 8 Officiers sont dénombrés. Nos pertes s'élèvent à 49 tués et 258 blessés parme lesquels le Capitaine GALTIER, grièvement atteint par l'explosion d'une mine.

Plus à droite le I/2 R.T.M. n'a toujours pas pu s'emparer de ses objectifs.

Mais la 2ème D.I.M. et le reste de la 4ème D.M.M. ont vu leurs efforts enfin couronnés de succès. Les positions tenues par l'ennemi sont enlevées de haute lutte.

C'est l'effondrement de la ligne "Gustave", c'est la victoire attendue des Armées Françaises, victoire magnifique qui entraîne la ruine du front allemand et la poursuite en deux mois jusqu'à la ligne de Florence.

L'EXPLOITATION

La ligne "Gustave" enfin forcée, pour le Régiment comme pour la Division, la poursuite jusqu'à Sienne peut se décomposer en trois grandes phases :

1°) La manœuvre sur les positions successives, doublant la ligne "Gustave" en profondeur.

2°) La course au Tibre et la Bataille pour Rome.

3°) La bataille de Toscane et la prise de Sienne.

DE CASTELFORTE AU HAUT-LIRI

Tandis que les Marocains défilent des hauts monts vers les vallées, la Division avec ses blibdés s'engouffre dans la vallée sur la route de Coreno, Aussonia, Saint-Oliva.

Le I/4 R.T.T. a relevé ses Morts et reçu un premier renfort au cours d'un repos de trois jours à Castelforte tandis que le reste du Régiment suit le 3ème R.T.A. et le 7ème R.T.A..

Déjà sur la transversale Pontecorvo-Pico, l'ennemi s'est rétabli.

A gauche, le Bataillon POUPELIN progresse le long du Mont Pata, en liaison avec le 7ème R.T.A. et les blindés du Colonel VAN HECKE, mais il n peut déboucher en direction de Pico où les Panther manifestent une présence dangereuse pour nos chars.

A droite, le long du Liri, la 1ère D.F.L. peine vers Pontecorvo.

A mi-chemin entre ces deux localités, au Nord de la route qui les relie et commandant la bassin du Moyen-Liri, s'élève le Mont Leucio, isolé, raide. Il domine alentour. Sa possession permettra le débouché sur Pico et assurera la conservation de Pontecorvo.

Il fut donné au Bataillon CAMUS (3/4 R.T.T.) (1) d'enlever magnifiquement le Mont Leucio le 20 Mai au soir après une lutte sévère et un dernier assaut contre la Côte 227, éperon Sud-ouest du Leucio, défendue avec âpreté par un ennemi organisé dans des maisons fortes.

(1) Aux ordres du Colonel BONJOUR.

Pour la Division, il s'agit d'atteindre les sources du Liri (réservoirs) vers Favalterra, avant d'être relevée par dépassement par une Division Anglaise qui venant de l'Ouest, aura déjà relevé au passage sur notre droite la 1ère D.F.L..

Dans le Campo del Monti, au nom tragiquement évocateur (appelé par erreur Camp del Mara), les boches, renforcés par des blindés (9ème Panzer Division), lutteront pendant plusieurs jours avec acharnement. Un déluge de fer et de feu s'abat sur nous. Les chars boches viennent à l'abordage. Contre-attaque à gauche contre le 7ème R.T.A., contre-attaque à l'Est du Leucio contre les Légionnaires de la 1ère D.F.L., contre-attaque au centre contre le Leucio, tenu en partie par le Bataillon. Rendu du 3ème R.T.A. (2) et en partie par le I/4ème R.T.T. qui a relevé sur cette position le 21 Mai, le Bataillon CAMUS. Contre-attaque et coups d'arrêt le 21 et 22 Mai sur les Bataillons du Régiment du Leucio aux abords de Pico qui vient d'être atteint par le 7ème R.T.A., appuyés par des chars américains, les 3 Bataillons rivalisent d'ardeur, d'astuce, de courage.

C'est le 21 Mai que le Capitaine LARTIGAU, Commandant la 1ère Compagnie, monté sur une tourelle de char, dirige le feu des tanks Destroyers et des Shermans, en montrant à quelques mètres aux Américains ébahis, les défenseurs boches nichés dans leurs casemates (3). C'est ce même jour que le Capitaine CAMUS, commandant le 3/4 R.T.T. tombe mortellement frappé, ainsi que l'Aspirant DEPUY de la C.A.1, tué d'un éclat d'obus à son observatoire pendant qu'il réglait ses tris de mortiers pour appuyer une progression devenue problématique.

(3) Le I/4ème R.T.T. appartient au Groupement BONJOUR.

Le Commandant JARROT succède en pleine bagarre au Capitaine CAMUS au Commandement du 3/4 R.T.T.

Le 24 Mai l'ennemi commence à céder et l'avance est générale sur tout le front de la Division, malgré de violentes contre-attaques.

Devant le 3ème Bataillon deux colonnes de chars Mark IV, appuyés par des autos-canons et de l'infanterie essaient d'enfoncer nos lignes. Notre artillerie et nos chars réagissent énergiquement, de nombreux engins blindés ennemis brûlent devant nous. Mais nos pertes sont sensibles. Le Capitaine CATTEAU a été tué par un minen, le Capitaine LOUISOT grièvement blessé. Nos cadres commencent à manquer.

Pendant ce temps, le 2ème Bataillon vit des heures tragiques. Il a reçu l'ordre de s'emparer des hauteurs boisées de la Côte 271, ce qui a provoqué le concert habituel des "explosions". Ils sont fous, nos Hommes n'en peuvent plus, se traînent lamentablement, ils souhaitent donc que nous crevions tous... Mais on fonce quand même. A 17h30, entraîné par des chefs au moral splendide, le Bataillon POUPELIN part à l'attaque. Dans certaines Unités les Tirailleurs chantent des mélopées arabes.

Dans l'esprit du Commandement il s'agissait d'une simple action de nettoyage d'une position déjà dépassée et dominées sur la gauche par le 7ème R.T.A.. Mais la réalité est toute autre. L'ennemi occupe solidement l'objectif et sur les pentes boisées qui nous séparent du 7ème R.T.A. des mitrailleuses se dévoilent prenant d'enfilade, nos Unités.

D'autre part la préparation d'artillerie s'est abattue au-delà des résistances réelles ennemies.

La 6ème Compagnie est clouée au sol, son Chef, le Lieutenant ROCHET est grièvement blessé. Le Capitaine LARROQUE réussit à entraîner la 7ème Compagnie à l'assaut, mais il est tué en atteignant l'objectif et son Unité est décimée. La 5ème Compagnie est rendue à la lisière du bois, mais un tir d'artillerie de 150 s'abat sur elle avec une violence extraordinaire. Le Lieutenant BARTHELEMY est tué et de nombreux Tirailleurs sont mis hors de combat.

Le Commandant POUPELIN décide à la tombée de la nuit de replier ses Unités hors d'état de combattre. Une fois de plus, la malchance s'est acharnée sur ce 2ème Bataillon qui avait déjà été presque anéanti au Belvédère. Il a perdu 3 Officiers tués, 6 Officiers blessés, 148 Sous-officiers et Tirailleurs tués et blessés, sans pouvoir se maintenir sur l'objectif, mais il a donné un bel exemple de sacrifice et d'endurance.

Il appartiendra au 1/4 R.T.T. (Bataillon CERUTTI), celui qui a ouvert l'offensive de printemps contre le Mont Siola, de fournir le dernier effort de cette offensive jusqu'aux réservoirs du Liti (Secco). Passé aux ordres du Colonel de LINARES, Commandant le 3ème R.T.A., pendant que les deux autres Bataillons sont retirés de la bataille, il attaque et enlève le 26 Mai le Nocella et le Cosa Cairo au bord même du Haut Liri, entre Favalterra et San Giovanni Al Liri, en liaison à gauche avec le 7ème R.T.A., marquant ainsi l'extrême avance du Régiment dans cette phase décisive de la bataille.

Le 1/4 R.T.T. est relevé à son tour après dépassement par une division Anglo-Canadienne et regroupé au repos vers le Sud avec le reste du Régiment dans une ferme de San Oliva, tout près du Leucio, et du Campo del Morti, où les chars éventrés, les canons sautés, les armes et munitions abandonnées témoignent de l'acharnement du combat livré pour la rupture de la ligne "Hitler".

Les pertes totales du 1/4 R.T.T. s'élèvent à ce moment à 250 dont 44 tués, soit 40% des forces réellement engagées.

Au cours de cette offensive victorieuse qui a amené la 3ème D.I.A. du Garigliano jusqu'au Nord de Pico, un effort considérable a été accompli par le Régiment grâce au moral magnifique et à l'énergie de ses Chefs. La forte proportion des pertes en Officiers et Sous-officiers montre comment ceux-ci ont compris leur rôle d'entraineurs d'Hommes.

Il est vrai que le Colonel GUILLEBAUD, le premier, avait donné l'exemple à ses subordonnés et combien de fois n'avait-on pas vu le bonnet de police et le burnous bleu du Général de MONSABERT ou le béret basque du Général JUIN, recouverts d'une épaisse couche de poussière soulevée par leur Jeep, s'aventurer audacieusement jusqu'à notre tout premier échelon.

Tandis que les Américains, après avoir établi la liaison avec la tête de pont d'Anzio partent à l'assaut des Monts Albains, dernier rempart de Rome, et que les Anglais remontent la vallée du Lin, le C.E.F. progresse le long des Monts Ausoni et des Monts Lepini à l'Ouest du Liri.

La 3ème D.I.A. se regroupe avant de repartir et absorbe quelques renforts venant du C.I.A.A.T. Le Régiment reçoit le Lieutenant-colonel BAUNARD, remplaçant le Lieutenant-colonel CAPITAIN, affecté en Algérie.

C'est ensuite l'embarquement en camions pour rattraper l'ennemi car la progression a pris l'allure d'une poursuite. Le Régiment se déplace maintenant dans une plaine riche et fleurie qui semble s'être parée pour accueillir ses vainqueurs. La population est encore craintive mais elle est vite mise en confiance. L'aviation ennemie semble avoir totalement disparu du ciel italien.

Après s'être regroupé à Carpinetto-Romano, le 4ème R.T.T. est engagée sur l'axe Teverone, Montellanico, Colle-Ferro. La résistance ennemie est sporadique et ne cherche qu'à retarder notre avance.

LA COURSE AU TIBRE ET LA BATAILLE POUR ROME

Une réaction blindée ennemie appuyée par des auto-canons se manifeste sur notre droite et provoque des mesures de parade harassantes pour nos Bataillons notamment le 3/4 R.T.T.

Puis, étroitement soudé à la 1ère D.F.L., dont le Régiment blindé de Fusiliers-Marins suit le même itinéraire que nous, et précédé des blindés du Colonel BONJOUR (3ème R.S.A.R.), le Régiment aborde le Teverone le 5 juin au matin à Lunghesa à une quinzaine de kilomètres à l'Est de Rome. Les ponts sont coupés, le Bataillon de ROCQUIGNY du 3èm R.T.A. a pu passer quelques éléments au Nord du fleuve et est accroché. Plus à l'Est les Fusiliers-Marins sont fortement accrochés devant Tivoli, qui ne tombera que le lendemain.

La Victoire de Rome est consommée. Il faudrait pouvoir décrire la fierté, la joir de tous nos combattants à ce moment doublement historique car nous apprenons en même temps le débarquement des Alliés en Normandie. Revenus au repos au Sud de Rome (Frascati), non loin de Castelgondolfo; la visite de Rome est organisée.

Quel honneur pour notre cher Aumônier, le père BERENGUER de dire la Messe pour tout le Régiment le 9 juin au Maître-autel de Saint-Pierre de Rome et avec quelle ferveur, quel recueillement, sont formés nos vœux en ces Lieux Sacrés pour la libération prochaine de la Patrie.

APRES ROME

Marche vers la Toscane - Victoire de Sienne

Après Rome, la poursuite va s'effectuer sur un rythme nouveau.

Le Commandement Allemand, se voit contraint de prendre plus de recul dans sa "défense élastique". Sur des lignes favorables à la défense il place successivement des "bouchons" routiers largement étalés, constitués par des troupes fraîches amenées à la hâte et fortement appuyées par de l'artillerie motorisées (auto-canons) et par des chars lourds. Ces éléments de défense aux moyens de feu brutaux, sont par construction liés à la route, routes souvent secondaires d'ailleurs, ou simples chemins empierrés. L'ennemi ne dispose pas de troupes équipées pour la montagne. De là grosse supériorité du C.E.F. et sa suprématie en Italie, avec les goumiers marocains du Général GUILLAUME, avec sa Division marocaine de montagne du Général SEVEZ, avec ses compagnies muletières prêtés tour à tour à chaque bataillon de tirailleurs appelé à manœuvrer en dehors des routes.

Pour les chefs et pour les Etats-Majors, au cours d'une poursuite rapide dans un pays aux voies de communication très limitées, aux destructions nombreuses, se pose une tâche particulière dont dépend la rapidité du déroulement des actions préparées, leur efficacité et finalement le succès.

"La manœuvre et la combinaison des moyens de transport auto et des moyens de transport muletiers".

Pour le Chef de Corps, pour le Chef de Bataillon, pour l'Officier, pour le Gradé, comme pour le tirailleur, cette même conception de la manœuvre où de l'utilisation des moyens auto ou muletier existe à des degrés différents, mais elle constitue la base même de la manœuvre, du combat, de l'effort, de la nourriture, de la vie, de la mort. Elle est la caractéristique essentielle de cette phase de la campagne d'Italie, la poursuite de Rome à la Toscane et la Victoire de Sienne.

Le rythme de la manœuvre est simple. Il est imposé par l'ennemi, par le terrain. Aux courses rapides sur des axes routiers, munis, de moyens motorisés, succèdent les arrêts brutaux imposés par les "bouchons" ennemis et par leurs feux sévères. Puis la manœuvre par les ailes, par la montagne, sur les arrières ennemis, qui fait tomber les résistances, force leurs défenseurs au repli et la course recommence.

Plus on est pressé, plus on insiste pour forcer les "bouchons" par des attaques directes, plus on essuie de pertes, moins on avance, plus on prend de retard.

Quelle souplesse d'esprit doit-on trouver chez chacun, afin de sa plier chaque jour a un "style" différent de celui employé la veille. Aujourd'hui bataillon motorisé, renforcé de chars, de T.D., de canons, de véhicules divers, lancé sur la route par larges bonds. Demain Unité de fantassins chargée d'armes lourdes, de munitions, de vivres, partie pour une équipée de plusieurs jours à travers les maquis, les bois, les fonds, les hauts escarpés, reliée seulement par la radio au reste du Régiment, livrée à l'initiative entière du Chef immédiat, et à peu près certaine, après quelques combats, quelques coups d'audace, de déclencher le mouvement de repli qui permettra au reste de la Division de reprendre sa course vers le Nord, vers ce que nous croyons toujours devoir être finalement la fin de la résistance de l'adversaire.

Dira-t-on assez le degré de courage, de résistance humaine déployé par tous les combattants, par les cadres, par les tirailleurs, comme par les spécialistes, radio, téléphonistes, chauffeurs, dépanneurs, muletiers, médecins, brancardiers, etc...

Dans ce mois de juin en Italie, le jour point vers 4 heures. La nuit ne tombe qu'entre 21 et 22 heures. Quelles longues, longues journées d'efforts prolongées ! Les repas sont oubliés, la boîte de rations "K" prévue pour l'un d'eux, suffit pour tout le jour puisqu'on n'a pas le temps de penser à son estomac. Est-on parvenu sur une position le soir ? La machine dynamo tourne avec son bruit de ventilateur de forge, mue par quatre bras déjà lassés, et fournit le courant au poste 284 porté jusque-là au prix de durs efforts. Prise de contact radio difficile, pénible, souvent décevante, à grande distance, avec le brouillage involontaire ou systématique. Comptes-rendus, ordres reçus tard dans la nuit. Il faut diffuser les instructions pour le lendemain, orienter chacun, la nuit déjà est presque écoulée. Dès 3 heures du matin, préparation au départ, premières patrouilles de reconnaissance, interprétation des premiers résultats obtenus, et la course recommence, passionnante, mais épuisante aussi. Là se soude la camaraderie de combat et se forge l'âme des unités.

Du 11 au 14 Juin carrefour de la Rotta

Le repos de Rome devait être bien court (du 8 au 11 juin, sauf pour le 2/4 qui demeure au repos 2 jours de plus). Lancés en camions vers le Nord, derrière le 7ème R.T.A. sur la route n°2, magnifique chaussée bordée d'arbres, à travers une campagne riante, nous sommes ahuris de découvrir tout au long le témoignage de l'efficacité de l'aviation Alliée sur les arrières ennemis, chars, cars, camions, etc... gisent, transpercés, grillés, tout au long du chemin.

Le 3/4 R.T.T., bataillon de tête, débarque à Farnèse en fin d'après-midi, tandis que le 1er Bataillon pousse vers le Nord. La nuit trouve le bataillon seul dans la nature, aux portes de la Toscane, écartelé sur le terrain, mais l'ambiance est au succès facile. Partout la population nous accueille avec une joie délirante et les premiers maquisards italiens viennent se présenter à nous.

Le 12 juin, la progression reprise par un matin brumeux, la 1ère Compagnie tombe brusquement sur une ferme transformée en forteresse à 1.000 mètres au Sud du carrefour de la Rotta. Mines, feux croisés, fils de fer barbelés. Les pertes sont nombreuses et instantanées dans les patrouilles de pointe. Manœuvre rapide, infiltration, débordement, appui de mortiers, la ferme est enlevée, là-haut sur son mamelon. Mais impossible de progresser dans les blés murs à plus d'une centaine de pas au-delà. Les feux ennemis nous clouent au sol, 40 gradés et tirailleurs sont déjà tombés à la 1ère Compagnie.

C'est l'incident classique, une ligne de défense ennemie renforcée par une artillerie puissante et par de nombreux chars va arrêter la Division jusqu'au 14.

Un renforcement rapide par des chars et des T.D. amis ne permet de reprendre la marche ni le 12 ni le 13 durant toute la journée. Des chars amis flambent sous les coups des Panther allemands.

Il faudra l'engagement total du 3/4 R.T.T. à gauche, le 12 au soir et le 13 toute la journée, pour aboutir au soir de ce second jour à l'enlèvement de la Rotta.

Du 15 au 20 Juin - L'Amiata - Vivo d'Orcia

Et la course en avant reprend, conduite cette fois par le 2/4 R.T.T. ramené de Rome en camions. Se reposer, souffler un peu, il ne peut en être question car il ne faut pas laisser aux boches le temps de se ressaisir. Le 15 juin un nouveau bond de dix kilomètres est exécuté à la poursuite d'un ennemi qui s'accroche désespérément. Chaque kilomètre conquis est payé de notre sang. L'Aspirant GUILLON-VERNE tombe, mortellement blessé.

Casterl Azzara est occupé au matin du 16 juin, puis les mines de mercure de Sièle, mais, nouvel incident, le 2/4 R.T.T. est arrêté le 16 au soir devant un carrefour sur la transversale Bagnolo-Seradjolo. Le terrain a changé. Plus de collines mollement ondulées, mais des ravins profonds séparant des massifs boisés, d'une altitude moyenne de 800 mètres.

Tous les efforts pour enlever la résistance sont vains. Le Lieutenant-colonel BAUNARD, commandant en second le Régiment, à la tête d'un groupement comprenant le 2/4 et le 3/4 R.T.T., ne parvient pas davantage à débloquer ce bouchon puissant. Les Aspirants GLEVER, FAIVRE, KUHN et de nombreux tirailleurs sont blessés.

La ligne de défense ennemie s'étend loin vers l'Est. Elle s'adosse aux contreforts Sud du Mont Amiata (1.734 mètres) point culminant de l'Italie centrale. Le 3ème R.T.A. est bloqué au Sud de Piancastagnano, village juché en forteresse au sommet d'une longue croupe dénudée.

Une manœuvre vers la gauche (Ouest), menée le 17 juin par le 3/4 R.T.T. (Commandant JARROT),ne permet pas de forcer le passage.

L'Amiata

Le 17 juin à 19h30, ordre est donné au commandement CERUTTI, commandant le 1/4 R.T.T. de "percevoir" des mulets dans la nuit et, faisant un long crochet vers la gauche, d'escalader vers l'Ouest le Mont Amiata, afin de déborder à distance Pian-Castagniano puis Abbadia Salvatore, objectif final du 3ème R.T.A..Les deux bataillons continueront de harceler le boche. Le 1er G.T.M. (Lieutenant-colonel LEBLANC) enverra les goumiers du tabor de COLBERT patrouiller sur notre gauche dans les forêts.

Le 1/4 sera guidé par les partisans italiens qui vivent cachés dans la forêt en attendant l'avance des troupes alliées.

18 juin - Branle-bas de nuit. Les mulets sont en retard. Les guides arrivent.

Départ à 3 heures du matin sous une pluie fine qui se transforme en trombe d'eau toute la journée.

Escalade à la queue leu-leu le long d'un étroit sentier. Vers 14 heures, la colonne tombe nez à nez sur une résistance ennemie au col à 1.500 mètres à l'Ouest de l'Amiata. Manœuvre, combat corps à corps, les boches s'échappent, laissant 13 morts sur le terrain.

L'escalade qui suit, vers le sommet, est épuisante sous la pluie, dans des taillis serrés, les partisans italiens tracent le chemin à la serpe. Vers 16 heures, le sommet est atteint, toute la Division peut avancer à son tour jusqu'au contact de la ligne Amiata - Abbadia Salvatore.

Le soir, par radio péniblement montée et dressée, le Colonel GUILLEBAUD transmet au chef de bataillon commandant le 1/4 les félicitations enthousiastes du Général de Monsabert commandant la division. Il lui donne l'ordre de continuer le lendemain 19 juin en direction de Vivo d'Orcia-Castelle la manœuvre débordante qui a si bien réussi le jour même.

Il s'agit, de la bouche même du Colonel "d'une véritable aventure...".

Vivo d'Orcia

19 juin - Encore un raid de 8 à 10 kilomètres sur les arrières de l'ennemi, à travers bois.

Les guides italiens, transis de froid et enfin libérés, ont disparu pour aller retrouver les leurs.

C'est une nouvelle journée épique pour le 1/4, hommes et bêtes sont épuisés. La colonne s'égrène, s'égare, se reforme, repart. Quelle activité est nécessaire aux chefs pour garder leur troupe en mains, lui inspirer confiance, la mener victorieusement au combat qui l'attend.

Vers 17 heures le château de Vivo est enlevé à la grenade par la 1ère Compagnie (Lieutenant SEMICHI). Le personnel d'un P.C. ennemi de groupement d'artillerie qui fonctionnait là a le temps de sauter en voiture et de s'échapper sans pouvoir faire jouer la destruction du pont voisin.

Une douzaine de prisonniers seulement restent entre nos mains ainsi qu'un important butin. A droite, la 3ème Compagnie a occupé le village de Vivo (Caselle) longue rue étroite enfouie dans les futaies, mais, une contre-attaque menée par des cadres allemands résolus, réussit à nous prendre une vingtaine de prisonniers et à dégager un P.C. de groupement d'infanterie installé dans le village.

C'est l'affolement chez l'ennemi.des autos s'enfuient, un pont saute sur la rivière, à 2 kilomètres au Nord de Vivo, l'artillerie ennemie, nous arrose, trop tard c'est le succès. Le front ennemi s'écroule jusqu'à l'Ombronne où toute la division se portera dès le lendemain. Les cadres et la troupe du 1/4 R.T.T. sont exténués, mais fiers des résultats de leur audacieuse manœuvre habilement dirigée par le Commandant CERUTTI.

Du 24 au 27 juin - Après un repos de trois jours et la réception d'un renfort léger, la poursuite vers le Nord recommence, toujours au même rythme, suivie d'une manœuvre qui redéclenche la course. Mais les bonds maintenant sont plus courts. Aux abords de Sienne, les résistances ennemies se font plus nombreuses, rapprochées, soudées, étayées par une système profond de feux et l'action brutale de chars "Panther" nombreux et actifs.

Manœuvre du Fiume Ombronne

Le 3ème et le 7ème R.T.A. n'ont pas pu franchir la rivière Fiume Norcia dont la rive Sud leur avait été livrée dès le 21 juin par la manœuvre sur l'Amiata et Vivo d'Orcia.

L'ennemi a organisé un môle puissant de résistance sur la rive Nord, autour de Montalcino. Le Général de Monsabert décide de porter son effort vers la gauche (Ouest) en liaison avec le corps de montagne, lancé dans la Montagnola, au Sud-ouest de Sienne.

Le 2/4 R.T.T. (Capitaine TIERI) passe l'Ombronne à gué avec beaucoup de difficultés à Sasso d'Ombronne, derrière le 1er R.T..M. mis à la disposition de la Division et lancé vers le Nord parvient le 24 au soir au village de Casenovole dont le Colonel GUILLEBAUD a déjà pris possession avant les voltigeurs de tête.

Les deux autres bataillons 1er et 3ème, le suivent sur le même chemin.

Le 25 juin - Pendant que le 2/4 poursuivra sa manœuvre vers le Nord, les 1er et 3ème Bataillons, lancés dans le flanc de l'ennemi franchisant à gué le Fiume Ombronne et iront au Nord de la Pointa Della Vigna, déborder à distance Montalcino devant lequel le 3ème R.T.A. est toujours bloqué.

Sous les ordres du Colonel DUVAL, Commandant l'I.D.3 qui vient prendre le commandement du groupement, une opération de deux jours sous une pluie torrentielle, permettra enfin le dégagement du régiment voisin, au prix de quelques nouvelles pertes. Le Capitaine TRIOULET a été blessé. Les Aspirants DUPUY ANDRE et CURTET ont été tué. Mais la ligne "Frieda" s'est effondrée et la 3ème D.I.A. peut reprendre sa marche dur Sienne.

Le 26 nous perdons encore le Lieutenant SPIROUX, Commandant la 9ème Compagnie dont le courage était légendaire au régiment.

Encore un carrefour tragique le 28 juin au Nord de Vallerano enlevé la veille par le 2/4 et une nouvelle manœuvre débordante du 1/4, les 28 et 29 juin et le dernier temps de la bataille commence le 1er juillet.

Sienne - du 1 au 3 Juillet

Avec son dynamisme habituel, le 4ème R.T.T. fonce vers le Nord, toujours en flèche, sans liaison à droite ni à gauche, accrochant durement l'ennemi. Un effort surhumain est demandé à nos cadres et à nos tirailleurs marchant sans arrêt dans la poussière et sous un soleil brûlant.

Le 30 juin, la ligne Gratti - Bagnola est atteinte puis dépassée. Le 30, à la nuit, le 2/4 est à droite sur la route qui mène à Sienne et qu'il n'a pas quitté depuis son passage de l'Ombronne à Sasso. A gauche, le Régiment prend place venant de Bagnola. Le 3/4 est en réserve de régiment.

Le carrefour de Mugnano (encore un) est l'objectif initial.

Dès le débouché, le 1er juillet à 4h30, avant le jour, les mitrailleuses ennemies, installées dans les cours de nombreuses fermes Toscane, croisent leurs feux et clouent les assaillants au sol. L'artillerie ennemie entre en jeu, des concentrations de minen s'abattent sur des unités de troisième échelon, des chars boches, embossés derrière les murs des fermes tiennent en respect les "Sherman" et les T.D. américains. La journée se passe en vaines tentatives, les pertes sont lourdes.

La 7ème Compagnie, fidèle à la tradition d'héroïsme chèrement acquise au Mansour et au Belvédère sous le Commandement du Capitaine TIXIER dont la mémoire vénérée par les anciens, est particulièrement éprouvée. Le Lieutenant CASPAR qui la commande réussit à enflammer les 52 tirailleurs valides qui lui restent et à les porter d'un seul élan sur la ferme de Poggio qui est enlevée. Mais aussitôt l'ennemi s'acharne sur la compagnie qui se cramponne sur son objectif. 24 tirailleurs tomberont tués ou blessés, mais la ferme restera entre nos mains.

Un obus malheureux explosant dans le P.C. de la 7ème Compagnie le lendemain, blessera mortellement le Lieutenant CASPAR, le Lieutenant MOHAMED et tous les Chefs de section, privant ces braves de la joie d'entrer dans Sienne.

Le 1er juillet au soir, le 3/4 R.T.T. est porté sur la ligne de combat, à gauche (Ouest du 1/4); son Chef, le Commandant JARROT, grièvement blessé par obus perforant dans son P.C. de Stine Alte, est remplacé le soir même par le Commandant TOCHON.

Mais la bataille est virtuellement gagnée. Le 2 juillet, la progression reprend plus facile dès le matin, menacés sur leur droite (Ouest) par la progression du corps de montagne et du 3ème R.T.A., les boches se sont repliés jusqu'aux abords de Sienne.

Le 3 juillet à 6 heures du matin, le 3/4 R.T.T. rentre le premier de la Division dans Sienne, évacuée par les Allemands qui ont fait sauter tous les ponts, et pousse en avant-garde dans les faubourgs Nord de la ville. Le Général DUVAL et le Colonel GULLEBAUD prennent possession de célèbre Hôtel de Ville à la porte duquel est planté le fanion du Régiment.

Une foule immense se presse sur le passage de nos tirailleurs exténués mais dont les yeux brillent de joie. Nous sommes applaudis avec frénésie par les Italiens qui jettent des fleurs sur notre chemin et pavoisent en quelques instants toutes les façades de leurs vieilles maisons. Des affiches sont placardées : "Justice et Liberté" "El Alamein-Berlin". Le Chianti est généreusement distribué.

Le lendemain, 4 juillet, après un Te Deum solennel à la cathédrale, la foule enthousiaste des Siennois, se presse autour de la célèbre Piazza Del Campo dont le charme médiéval a défié les siècles et qui vient encore une fois d'échapper à la destruction. Le Général JUIN y passe en revue les détachements des Troupes combattantes de la 3ème D.I.A. présentées par le Général de MONSABERT. Quelle fierté se devine sur le visage des Officiers et des Tirailleurs du 4ème R.T.T. dont les efforts prodigués au cours d'une marche victorieuse de 450 kilomètres marquée par des combats meurtriers et des manœuvres audacieuses, viennent enfin de recevoir la plus belle des récompenses.

C'est dans cette atmosphère de triomphe joyeux que se termine pour nous la Campagne d'Italie. Campagne d'hiver dont le moindre souvenir restera gravé dans la mémoire des survivants par l'intensité de leur souffrance dans une nature hostile et par le sacrifice de tant de leurs camarades qui donnèrent leur vie dans cette bataille du Belvédère dont le nom restera dans l'histoire le symbole de la renaissance des Vertus Françaises. Campagne de printemps où l'ivresse de la Victoire aide nos tirailleurs à supporter vaillamment sur les routes de Rome et de Sienne les fatigues et les périls de cinquante jours d'offensive ininterrompue.

Maintenant, après avoir combattu pour l'Honneur et après avoir prouvé à nos Alliés et à nos ennemis étonnés que l'Armée Française n'était pas morte, une nouvelle tâche va nous être confiée : La Libération du sol National.

Dès le 5 juillet, le 4ème R.T.T. quitte la ligne de feu pour se regrouper au Sud de Sienne. Transporté en camions jusqu'au port de Civita Vecchia il s'embarque pour Naples où il arrive le 10 juillet après une traversée sans histoire. C'est dans la région de Casanova que nos unités se reposent, se recomplètent en effectif et s'entraînent pour la prochaine Campagne de FRANCE.

Libération de la France (1944-1945)