30e Chasseurs au Maroc Lt Bard

En novembre 1942, les forces américaines débarquaient en Afrique du Nord. J’avais onze ans. J’assistais à l’arrivée du matériel venant des États-Unis et destiné à réarmer l’armée d’Afrique. J’avoue que j’ai passé presque une année scolaire à regarder le montage de ce matériel. C’était pour moi une sensation grisante de voir les jeeps ou GMC sortir des caisses en pièces détachées et, peu de temps après, les voir quitter la chaîne de montage, installée en plein air dans un terrain vague, en conditions opérationnelles. C’était aussi merveilleux de voir les avions débarqués au port (P 38 " Lightning ", P 39 " Airacobra ", P 47 " Thunderbolt "…) gagner le terrain d’aviation en traversant la ville, remorqués par une armada de véhicules divers. L’activité aérienne soutenue sur ce même terrain excitait mon imagination et l’arrivée d’une forteresse volante en difficulté, lançant des fusées de détresse, m’avait marqué. Simultanément, les unités ré-équipées s’entraînaient avec leurs nouveaux matériels sur les terrains vagues ou les plages près de CASABLANCA. Tirs à toutes les armes, exercices de montage de pont et de franchissement et exercices de débarquements se succédaient pour mon plus grand bonheur. Un ami des parents, le commandant GRANIER de la Légion Étrangère m’avait emmené un jour dans son unité où il m’avait fait visiter un char léger M5. J’avais pu m’installer à tous les postes de l’équipage, " cornaqué " par des légionnaires. Ce fut un moment inoubliable et j’étais loin de me douter que c’était sur ce type de char que mon frère aîné Paul irait au combat !…

Dans la même période, papa et Paul avaient rejoint les rangs des unités combattantes. Le premier, du cadre des chanceliers, ayant demandé à resservir en corps de troupe, aurait l’honneur de commander un bataillon de tirailleurs marocains dans le GARIGLIANO face à TERELLE, le second s’étant engagé pour la durée de la guerre au 1° Régiment de Chasseurs d’Afrique trouverait la mort en Alsace à KAYSERSBERG. A l’époque j’ai regretté de ne pas avoir l’âge voulu pour les suivre. Je rêvais de combats glorieux, de chevauchées victorieuses au grand soleil, de débarquements dans l’odeur des mimosas en fleurs et de l’accueil enthousiaste des populations locales pour leurs libérateurs !… Leur exemple m’a toujours servi de référence dans ma vie professionnelle et j’ai voulu être digne d’eux.

C’est dans cet état d’esprit qu’en 1951, après avoir loupé mon bac math-élém, j’émis le désir de m’engager à la Légion Étrangère. L’armée française se battait en Indochine et j’envisageais de la rejoindre. N’étant pas majeur, il me fallait l’autorisation paternelle. Mon père, avec sagesse, n’accepta qu’un engagement à l’École des Sous-officiers de SAINT-MAIXENT en me précisant que mon but devait être d’accéder à " l’épaulette ". Je débutais ainsi une carrière militaire qui m’amena à opérer en Afrique du Nord pour ce que l’on a appelé pudiquement des "Opérations de maintien de l’ordre ". Mes rêves de libération ou de défense de la Patrie se transformèrent en mission dites " de pacification ", longues, fastidieuses, peu glorieuses et qui se révélèrent être des actions de basse police qui n’attirèrent pas sur nous la sympathie des populations métropolitaines ou d’outre-méditerranée. Même ceux que nous étions censés protéger nous témoignèrent fréquemment un certain mépris. J’ai rempli au mieux les missions qui m’étaient confiées, dans l’honneur, au service de mon Pays (mes trois citations sont là pour en témoigner). Elles n’avaient pas la noblesse de celles de mes deux aînés et je l’ai toujours regretté. Je n’ai pas à rougir de ce que j’ai été amené à faire. Malgré tout j’ai fait un beau métier que j’ai aimé et auquel j’ai sacrifié bien des choses. J’ai pu exercer des commandements très prenants, d’un niveau parfois au dessus de mon grade, et auxquels je me suis donné à fond, prenant toujours en compte le côté humain des choses et en ne servant qu’en corps de troupe, vivant près des hommes qui m’étaient confiés. Mon penchant naturel pour la technique m’amena à acquérir des connaissances importantes, en particulier dans le domaine aéronautique où le pilotage d’avions et d’hélicoptères légers en conditions opérationnelles m’apporta de grandes satisfactions.

Je n’y ai pas fait fortune, mais ce n’était pas le but que je m’étais fixé en choisissant la carrière des armes !…

Je crois avoir été fidèle à la vieille devise de SAINT-MAIXENT : "Le Travail pour Loi, l’Honneur comme guide".

ECOLE D’APPLICATION DE L’INFANTERIE

SAINT-MAIXENT

Élève Sous-officier d’Active

Après un échec au bac en 1951, je manifestais l’intention de m’engager dans l’Armée. Au cours de ma scolarité à REIMS, j’avais suivi les cours de préparation militaire et m’en étais pas mal sorti. Marqué par l’exemple de mon frère aîné, Paul, avec lequel j’aurais voulu partir si j’en avais eu l’âge, j’étais impatient de quitter le milieu lycéen pour faire quelque chose de plus concret. La campagne d’Indochine marquait la suite des combats de 39-45. Avec l’accord de mon père (je n’avais pas encore 21 ans) je signais un engagement de 3 ans pour l’École d’Application de l’Infanterie de SAINT-MAIXENT à compter du 26-11-51 comme élève sous-officier d’active (E.S.O.A.) de la 10° promotion. L’école était commandée par le colonel GANDOET, fameux commandant d’un bataillon de tirailleurs tunisiens qui s’était illustré en Italie dans la conquête du " BELVEDERE". La compagnie d’E.S.O.A. était commandée par le capitaine DHERS, qui avait participé à la campagne de 40 et se souvenait d’avoir tiré au pistolet sur les avions allemands. Il nous avait reçu assez durement, nous faisant sentir que nous étions là pour travailler, sinon c’était le départ rapide pour l’Indochine. Mon chef de section, le lieutenant RIENDONNANT, avait fait la campagne de 44-45 dans une unité de tirailleurs, pas très grand, il nous en imposait par sa personnalité exigeante mais très humaine. C’est lui qui nous avait dit, au cours de son premier laïus, "endurcissez votre esprit mais jamais votre cœur !".

Nous étions logés au quartier MARCHAND où se trouvait également le logement du Commandant de l’école. Nous étions ses " enfants chéris " et il appliquait fermement la formule "qui aime bien châtie bien" mais sans exagération. Sur notre tenue, nous portions des passants bleus à nos épaulettes, ce qui parfois prêtait à confusion de la part de militaires non avertis qui, dans le doute, nous saluaient, nous prenant pour une race de gradés inconnue. L’instruction était stricte comme la discipline mais je n’eus pas beaucoup de peine à m’y soumettre. Quelques souvenirs "marquants" : Les vaccinations et rappels TABDT le samedi matin, la fièvre et la douleur jusqu'au dimanche puis la séance de maniement d'armes le lundi matin pour "dérouiller ” nos épaules engourdies… Un phlegmon à la main droite, dû à une piqûre de brosse métallique, qui entraînera une hospitalisation à NIORT avec opération sous anesthésie totale et les bons soins des infirmières dont une élève très gentille et très attentionnée à mon égard. Des manœuvres dans le marais poitevin, avec les Sous-lieutenants de la Division d'Application, où nous eûmes à utiliser les bateaux M2 US pour nous déplacer, à force de pagaies, sur les canaux qui remplacent les chemins dans ce territoire particulier. Cela avait des relents d'Indochine pour laquelle les sous-lieutenants se préparaient. La conduite automobile sur des jeeps montées sur home trainer pour la familiarisation avant d'attaquer la route. Compte tenu de mon expérience j'eus droit à peu de séances avant le permis que j'obtins facilement. J’étais nommé caporal-chef le 16-05-52 et sergent le 01-07-52 avec une moyenne de 14,92 pour le certificat interarmes et de 16,51 à l’examen de fin de stage.

Affectation à St Maixent

Ayant choisi de rester à St. MAIX j’étais affecté au service de "Tir, armement, munitions" (T.A.M) où je rejoignais le bureau d'études et chargé de la conduite et de l'entretien du dodge 4x4, qui sera remplacé par la suite par une V.L.R. (Voiture Légère de Reconnaissance prévue pour remplacer la jeep US)) DELAHAYE. Spécialisé en étude de munitions dans un but didactique, je n’en participais pas moins aux séjours de tir aux camps : à BIARD près de POITIERS pour la D.C.B. (Défense Contre Blindés) où nous faisions tirer des 75 PAK (Panzer Abwher Kanone) et des 75 sans recul d’origine U.S. ,à BISCAROSSE pour la D.C.A. (Défense Contre Avions) où nous faisions tirer 8 half-track M.16 (Véhicule semi-chenillé équipé d’une tourelle de 4 mitrailleuses de 12,7 mm) et 8 canons de 20 FLAK (Flug Abwher Kanone : canon antiaérien de 20 mm de l’ex Wermacht) simultanément (soit 32 mitrailleuses de 12,7 et 8 canons de 20). Mes oreilles gardent encore le souvenir de ces séances. Après les tirs il fallait contrôler le nettoyage des pièces, effectué par les élèves tireurs, et en assurer le remontage. A l’issue de ce séjour la 12,7 n’avait plus de secret pour moi !… Les tireurs, E.O.R. ayant choisi la spécialité, n'étaient pas tous très motivés, aussi sur chaque affût ou tourelle il y avait un spécialiste du TAM pour intervenir au cas où… Cela ne posait pas de problème pour les 20 mm mais pour les M16 c'était différent. Certains tireurs, paniqués par le bruit, amenaient les armes à la verticale et se crispaient sur les détentes électriques, vidant les boites chargeurs qui contenaient 200 cartouches chacune; ou bien ils avaient des visées aberrantes. Gênés par la barre portant le collimateur, le contrôleur ne pouvait atteindre l'interrupteur situé devant le tireur qui ne réagissait pas aux coups portés sur son casque. Il fallut pas mal de temps pour trouver la parade : une poire montée en série sur l'interrupteur d'origine qui permettait au contrôleur d'autoriser le tir ou non sans avoir à plonger dans la tourelle.

De plus je participais activement à l’expérimentation des préséries d’AA 52 (Arme Automatique modèle 52, mitrailleuses et fusils-mitrailleurs) ainsi qu’à celle des grenades à fusil modèle 32 et 34 D.E.F.A.(Direction des Études et Fabrications d’Armement). Là encore mes oreilles furent mises à rude épreuve puisque j’avais été chargé de faire 5 tirs de groupement, de 10 grenades chacun, à des distances comprises entre 100 et 400 mètres. Je ne pus en tirer que 48, mes tympans ayant dépassé le seuil supportable de la douleur ; à l’époque l’usage du casque antibruit était inconnu et il était de bon ton de ne pas réagir au vacarme des tirs. J’étais allé chercher les armes à la section technique de VERSAILLES où elles nous furent présentées avant que nous les ramenions dans les corps choisis pour les expérimenter. Je pus aussi visiter le musée de cette section où je découvrais de nombreux prototypes d’armes. Je fis le voyage avec un dodge 6x6 et un seul et unique conducteur. Je rapportais 8 armes sans aucune escorte ni armement individuel… De nos jours cela ne serait plus pensable.

Avec les AA 52 nous devions effectuer des tirs comparatifs entre ces armes et des FM 24-29 pour la version FM et des mitrailleuses "Reibel" (armes dérivées du 24-29 avec des chargeurs circulaires de 150 cartouches) pour la version mitrailleuse. Nous constations pour les AA 52 FM une plus grande dispersion que celle des 24-29 et l'impossibilité de faire des rafales de moins de 5 cartouches, ceci étant du à la conception des poignées pistolet directement issues des celles des mitrailleuses MG 42 allemandes de la dernière guerre qui tiraient à une cadence dépassant les 1000 coups/minute et que je retrouverais en Algérie aux mains des fells. Les résultats étaient meilleurs avec les mitrailleuses montées sur le même affût que la mitrailleuse US mais disposant d'un lien élastique entre l'arme et l'affût ce qui diminuait énormément les vibrations pendant le tir. Nous dûmes aussi faire des tirs en marchant dans le stand couvert de BECHEREAU avec la version FM. L'alimentation se faisait par bandes de 50 cartouches placées dans une boite en carton agrafée sur le côté de l'arme. C'est au cours de l'un de ces tirs que le canon de l'arme que j'utilisais se déverrouilla et décrivit un arc de cercle au bout de sa bretelle. Ceci nous permit de constater les faiblesses du système de verrouillage du canon sur la boite de culasse. Tout ceci fut corrigé sur les armes de série.

Nous eûmes aussi à faire les premiers tirs au lance roquettes français de 73 m/m et les grenades antichars à fusil du même calibre. Nous découvrîmes la poussée exercée par les gaz de la roquette sur le bouclier au départ du coup qui entraîna quelques hématomes sur des arcades sourcilières mal protégées par le casque 14-18. En attendant l'arrivée du nouveau casque nous dûmes utiliser celui des blindés français d'avant-guerre. Alors que nous tirions les grenades à fusil antichars à l'épaulé avec les fusils Garand américains, cela nous fut impossible avec les 73 françaises tirées avec le fusil MAS 36. Nous devions soit caler la crosse au sol, soit, en position debout, faire porter la bretelle du fusil sur la poitrine tant le recul était grand. Il en résulta quelques doigts entaillés par le pontet ou l'anneau grenadière du fusil. Mais ces projectiles, roquettes ou grenades, avaient une efficacité redoutable puisque nous percions 30 cm de blindage.

Canon de 75 m/m sans recul sur trépied.

Ensuite je fus chargé de la mise au point d'un bricolage permettant d'installer le canon de 75 sans recul sur jeep (sur son trépied, identique à celui de la mitrailleuse de 7,62 à refroidissement par eau) sans y percer le moindre trou (exigence du Service du Matériel !..) J'utilisais une plate-forme de bois fixée par des brides boulonnées sur les repose-pieds arrière de la jeep. Pour vérifier la solidité de l'ensemble, on dirait maintenant "valider le concept"... je réalisais quelques rodéos de jeep au Panier fleuri, terrain de manœuvre jouxtant le quartier COIFFE. J’eus la joie de constater que la liaison jeep-canon résistait très bien au traitement que je lui infligeais. Parallèlement à ces activités je suivais des cours par correspondance pour préparer mon entrée au Peloton Préparatoire à l'E.S.M.l.A. (École Spéciale Militaire Interarmes) de STRASBOURG (P.P.E.S.M.I.A.) ainsi que le Brevet "Infanterie" du 1er degré qui, avec le C.I.A., donnait le brevet de chef de section obligatoire pour l'admission au P.P.E.S.M.I.A.

Au bureau d'études du T.A.M., j'étais chargé de découper des munitions pour les besoins de l’instruction. Il n'y avait pas eu de problème avec les petits calibres, encore que les fusées d'obus de 20 Flak m'aient joué quelque tour bruyant lorsque leur détonateur explosait prématurément sous la pression de la pince chargée de les dévisser. Il s'ensuivait quelques projections de très petits débris d'aluminium qui se fichaient dans l'épiderme comme de minuscules échardes. Sous la direction de l'aspirant, j'avais appris à limer en traits croisés pour faire de belles surfaces sur les balles coupées en long. Les problèmes importants arrivèrent avec les obus de gros calibre type 75 Pak ou 75 sans recul. Pour découper ces projectiles à l'étau-limeur et à des fins didactiques, il fallait d'abord les débarrasser de l'explosif coulé qu'ils contenaient. La méthode employée consistait, à l'aide d'un long tournevis et d'un marteau, à casser le dit explosif en morceaux que l’on faisait sortir par le logement de la fusée. Le chargement des obus, allemands en particulier, n'était pas connu avec une grande précision, ce qui a bien failli un jour déclencher une catastrophe dont j'aurais été la première victime. En effet, j'étais en train de " vider " un pélot de 75 pak lorsque j’aperçus au fond de la charge ce qui semblait être une rondelle de carton rouge. Alerté par je ne sais quel pressentiment je redoublais de précaution pour dégager tout doucement cette rondelle. Bien m'en prit car elle se révéla être la partie supérieure d'un petit cylindre renfermant une charge dite d'amorçage donc très sensible aux chocs et à la chaleur. J'en eu quelques sueurs froides...

Un autre jour, je découpais une fusée d'obus de 75 sans recul débarrassée de son détonateur, théoriquement sans danger. C'était ignorer la sensibilité et la puissance de l'amorce inflammatoire encore présente et qui ne résista pas au coup de scie qui devait terminer le travail. Au contact des dents de l'outil, l'amorce s'enflamma avec brutalité projetant la limaille et les copeaux vers mon visage et en particulier mes yeux qui, mécontents du traitement subi, refusèrent tout service normal pendant 3 jours. Lorsque l'irritation des conjonctives commença à disparaître je m'aperçus qu'un minuscule éclat était fiché dans le blanc de mon œil droit mais il ne me gênait pas (Il y est resté jusqu'en 1960 où il s'éjecta de lui-même au cours d'une toilette. Lors de ma première visite d'aptitude au personnel navigant, l'ophtalmo m'avait enjoint de me faire opérer au plus tôt pour débarrasser mon œil de ce corps étranger, injonction que j'avais très vite oublié). Je dus m'opposer un jour fermement à mon chef direct, un aspirant, qui voulait me faire découper une roquette chargée au phosphore blanc. Je lui expliquai que ce produit, mis à l'air libre, s'enflamme spontanément et que je n'avais pas envie de finir comme Jeanne d'Arc. Il finit par entendre raison mais la bataille avait été rude !

Lors des tirs en camp, j'avais très souvent la charge de détruire les projectiles non explosés. Les roquettes et grenades à fusil d'origine U.S. datant de la dernière guerre, avaient très mal vieilli et il n'était pas rare d'avoir 70 à 80 % de ratés à l'impact. Comme les quantités d'explosif de destruction étaient très limitées, il fallait regrouper les projectiles à détruire, donc les transporter sur des distances de plusieurs dizaines de mètres avec beaucoup de précautions car, ayant été tirés, leurs fusées étaient amorcées et très sensibles. C’était assez dangereux et l'adjudant-chef avec lequel je pratiquais cet exercice à LA COURTINE en a gardé un souvenir cuisant: Il venait de "récolter" quelques grenades à fusil antichars à détruire lorsqu'il glissa sur un talus humide; le chargement qu'il portait lui échappa et l'une des grenades eut la malencontreuse idée d ‘exploser; l'adjudant-chef qui se trouvait au-dessus de l'explosion ne fut pas gravement blessé mais une multitude de petits éclats de tôle avaient atteint son visage qui se couvrit rapidement de sang. Le résultat eut été tout autre s'il s'était agi de grenades antipersonnel. Après un court séjour à l'hôpital de TULLE il revint parmi nous et j'eus le "plaisir" en sa compagnie de procéder à la destruction de 2400 roquettes antichar arrivées à date limite d'emploi et que nous ne pouvions pas rapporter à St-MAIX. Alors que dans la matinée nous avions fait des fourneaux de 150 à 200 engins nous décidions l'après-midi de détruire en une seule fois ce qui restait soit environ 1200 roquettes (ce qui représentait 240 kg d'explosif brisant). Nous avions pris la précaution d'utiliser un double amorçage, chacune des deux branches comprenant 5 m de mèche lente, et de laisser le moteur de la V.L.R. DELAHAYE (Véhicule léger de Reconnaissance de fabrication française destiné à remplacer la jeep U.S.) tourner en régime accéléré pour ne pas qu'il cale; dans la matinée, cela nous était arrivé une fois et nous avions dû plonger sous la voiture pour tenter de trouver un abri. Ces longueurs de mèche lente nous donnaient une marge d'environ 7 minutes avant l'explosion, temps utilisé pour nous éloigner au maximum à l'aide du véhicule. Nous nous étions arrêtés à 2 km du fourneau pour assister à l'explosion qui nous surprit par sa puissance. Comme ces roquettes n'avaient pas été tirées, leurs propulseurs étaient intacts et furent mis à feu par l'explosion. Projetés à grande hauteur ils partirent dans toutes les directions en brûlant leur poudre et nous en entendîmes passer au-dessus de nos têtes et s'abattre à proximité. Nous ne l'avions pas prévu mais heureusement il n'y avait pas eu de casse.

Épave de Sherman tirée au lance-roquette de 73 m/m

Lors du retour du corps d'un sous-officier mort en Indochine, et alors que le cortège mortuaire traversait la ville, nous entendîmes un commerçant dire : "il vaut mieux qu'il rentre comme ça que bourré de fric..." Il n'y eut pas de réaction sur le champ mais la nuit suivante sa vitrine descendait sous l’effet d'une charge de plastic dont je connais très bien l'origine.

Près de ST MAIX., l'École avait un petit terrain d'exercice nommé La ROCHE PICHE avec un dépôt de munitions. Mon commandant, qui avait eu l'idée de faire confectionner une rampe multiple (5 cornières) pour roquettes, montée sur un affût lourd de mitrailleuse US, voulut l’expérimenter sur ce terrain et "m'invita", en tant que membre du bureau d’études, à l'accompagner. Je fus chargé d'installer les roquettes (des 60 mm antichar US) sur la rampe et les fils qui devaient leur transmettre l'impulsion électrique de départ. Après un calcul très simple et très empirique de l'angle de hausse, lorsque tout fut prêt, après vérification par le Chef et sur son ordre, je mis les fils en contact sur une batterie. Seules trois roquettes daignèrent partir, les deux autres chutant de la rampe sans exploser. Nous suivîmes du regard les partantes et nous en vîmes une sortir du terrain militaire pour exploser derrière une haie au bout de laquelle nous ne tardâmes pas à voir sortir un individu qui, manifestement, n'était pas content. Mon Chef, un peu inquiet, m’emmena avec lui en jeep pour se rendre compte de ce qui était arrivé. Il s'avéra que la roquette perdue avait éclaté à proximité du cheval de l'individu en colère qui labourait son champ hors de nos vues. L'animal n'était pas blessé et le Chef expliqua qu‘il s'agissait d'un projectile d'exercice bruyant mais inoffensif. L'individu enfin calmé nous rentrâmes au T.A.M. non sans avoir détruit les deux roquettes récalcitrantes, et le Chef décida d'abandonner ces essais, les roquettes en question n'étant pas assez fiables au niveau du départ et leurs trajectoires défiant toutes les lois connues de la balistique officielle.

En mai 1953, je retournais à LA COURTINE pour passer l'examen du Brevet d'Infanterie du 1er degré. Les membres de la commission ne comprenaient pas pourquoi de si jeunes sergents se présentaient à cet examen réservé, selon eux, à des sous-officiers "moustachus" ayant fait campagne. Il fallut les convaincre de se renseigner à St MAIX. pour que les choses rentrent dans l'ordre. L'obtention de ce brevet était nécessaire pour notre admission au PPESMIA de STRASBOURG. Je réussissais avec une note de 14,43, ce qui n était pas trop mal. La détention de ce brevet, ajoutée à celle du certificat interarmes, donnait le brevet de chef de section par équivalence. Ceci me vaudra, par la suite, des réactions d'hostilité de la part de sous-officiers plus anciens qui n'avaient pas réussi ces examens, au 28ème B.C.A. en particulier.

Au champ de tir anti-aérien de BISCAROSSE, que nous partagions avec des "Pisse-en-l'air" (artilleurs antiaériens), nos pièces étaient alignées sur une bande bétonnée, vestige du mur de l'atlantique, parallèle à l'océan vers lequel nous tirions. A notre droite nous avions 4 Bofors de 40 mm et 4 canons de 90 mm qui servaient aux différentes batteries du régiment d'artillerie. Ces grosses pièces tiraient sur une manche à air remorquée par un appareil de l'aéronavale. L'une de ces batteries nous avait étonnés par son efficacité au 90 : la première salve, marquée par les éclatements bien groupés près de la manche, coupait régulièrement le câble, obligeant l'équipage remorqueur à sortir une autre manche. Nous utilisions comme objectifs pour les pièces des "Target-roquet", sortes de cylindres de 10 cm de diamètre et d'environ 2 m de long munis à leur extrémité arrière de 4 grandes ailettes en contreplaqué. Ces engins propulsés comme des roquettes normales étaient lancés sur une rampe rudimentaire. A la fin d'une école à feu il en restait quelques uns. Le patron du T.A.M., présent sur les lieux (un chef de bataillon!) décidait d'expérimenter la propulsion d'un wagonnet Decauville par fusées à poudre. Je fus donc appelé à fixer sur le dit véhicule 4 target-roquets et à assurer leur mise à feu. Le résultat fut spectaculaire mais non probant: En effet le wagonnet, au lieu de se lancer sur ses rails, préféra faire un saut d'à peu près 1 m de haut et 2 m de longueur. Cela était dû, sans doute, à des vitesses d’allumage différentes de chacun des projectiles. Devant l'ampleur de la tâche qui nous attendait pour faire rouler sur des rails un wagonnet autopropulsé le patron décidait de mettre fin à ces essais; par contre, son génie inventif dépassant le mien, il décidait d'attaquer un blockhaus par des roquettes "libres" (initiative faisant suite à l'essai malheureux de LA ROCHE PICHE), autrement dit des roquettes antichar tirées en dehors de leur lanceur habituel, le lance-roquettes, en direction d’un ancien blockhaus du mur de l’Atlantique. Le jeu consistait donc à placer la roquette sur une planche, ou dans un container, ou sur le sable, ou pendue à 2 fils, et de la mettre à feu à l’aide d’une simple pile de lampe de poche. J’eus la joie de constater que dans cet exercice je faisais jeu égal avec mon chef, réussissant tous deux le même nombre de coups au but. Pour pallier le manque éventuel de Target rockets, il avait été essayé de tirer des obus de mortier d'exercice de 81 m/m. Ces obus étaient munis d'un bâton, d'environ 1 m de long, piqué dans le logement de la fusée et entouré de chiffons. Après la sortie du tube l'ensemble partait en tournoyant en direction de l'océan mais n'offrait pas un objectif suffisant pour les 12,7. L'essai fut abandonné d'autant plus facilement que le nombre de Target rockets était finalement largement suffisant. Le matin, avant le début des tirs, les radars exploraient la zone maritime du champ de tir et découvraient chaque fois un ou deux bateaux de pécheurs qui ne respectaient pas les interdictions d'accès, d'où intervention d'un bâtiment de la "Royale" pour évacuer "manu militari" les contrevenants. Les artilleurs auraient bien voulu tirer quelques coups de semonce mais les marins, responsables de la sécurité, refusaient cette manière un peu forte de faire respecter la règle.

Préparation des bandes de 12,7 - Les sergents Bard et Pomponi - Half-track M16 sans ses mitrailleuses.

28e Bataillon de Chasseurs Alpins