Retour à Oujda

Retour à Oujda

Enfin le jour arriva où nous reprîmes la direction d'OUJDA atteint le 8 février 1957, selon le même scénario qu'à l'aller. Nous eûmes aussi l'explication d'une aventure qui avait bien failli se terminer très mal : Un caïd nommé ADHI-OU-BIHI était parti en dissidence contre son Roi et s'était réfugié dans le djebel au nord de l'axe KSAR-ES-SOUK - GOULMINA avec environ 2000 "guerriers". Des officiers français (assez haut placés selon la rumeur publique) avaient pensé refaire la conquête du Maroc en appuyant cette dissidence, d'où notre arrivée sur les lieux. Il paraissait même que des armes avaient été livrées au caïd. Bref, une affaire des plus tordues qui aurait entraîné pas mal de mutations dans l'État-major des Troupes Françaises au Maroc. La dissidence du caïd me fût confirmée par un autochtone de GOULMINA en 1982. Il se souvenait l'avoir rejoint dans le djebel mais n'y être pas resté longtemps, ayant obéi aux injonctions des émissaires du Roi qui conseillaient aux jeunes, embringués dans cette affaire, de rendre leurs armes et de rejoindre des points de rendez-vous où des camions les ramèneraient chez eux sans problème. Le Roi avait joué finement car une grande partie des "rebelles" profita de l'occasion pour regagner ses pénates. Le caïd serait resté dans le djebel, abandonné à son sort, avec 200 fidèles; mon interlocuteur me précisait même qu'il attendait encore son heure pour déposer le Roi et prendre sa place !...

Après cet intermède trajico-comico-touristico-militaire, nous reprîmes nos activités frontalières depuis la Base des HANGADS. Nous eûmes un jour une mission très particulière à remplir : Le général, Chef des Forces Aériennes Françaises du Maroc, était venu inspecter la Base. Pendant le repas au mess, un plaisantin avait subtilisé sa casquette brodée, d'où un très grand remue-ménage et l'ordre nous fut donné de "ratisser" les lieux pour retrouver l'objet du délit, ce que nous fîmes sans empressement particulier et sans résultat. Nous pensions tous que c'était l'un des libérables de l'Armée de l'Air qui avait commis ce forfait mais nous n'avions pas l'ordre de les fouiller.

Un jour nous quittâmes la base des HANGADS pour rejoindre le quartier ROSE en ville où nous prenions la relève de tirailleurs sénégalais. Nous héritions, entre autre, du B.M.C. (Bordel Militaire de Campagne) que le capitaine, après l'avoir visité, s'empressa de faire fermer, le "cheptel" et les locaux ne convenant pas, selon lui, au standing de nos braves "petits chasseurs".

En Algérie

De là nous allâmes prendre position au sud, en bivouac près de la frontière, en Algérie, sur la piste de SIDI-AlSSA à MAGOURA (Algérie), à 8 km au nord de ce point d'eau. Nous avions organisé le bivouac en point d'appui fermé, trous sous les tentes, murettes de protection, emplacements de combat protégés communicants par des boyaux avec les emplacements des tentes. Une compagnie d'un régiment de "ligne", qui n'avait pas pris ces précautions, eut de nombreux blessés lors d'un tir nocturne de grenades à fusil par les "fells". Nous passions le temps en embuscades de nuit et en ouvertures et fermetures de piste jusqu'au point d'eau. L'ouverture consistait à rechercher les traces éventuelles de passages ou de mines sur la piste au petit matin; pour cela on s'asseyait sur les ailes avant d'un dodge 6x6 qui avançait au pas et on scrutait la couche de poussière bien régulière laissée la veille au soir par la fermeture; celle-ci consistait à rentrer du point d'eau, toujours

avec le 6x6, à grande vitesse pour faire le plus de poussière possible, celle-ci se déposait en couche régulière sur la piste plus facile à observer le lendemain matin.

C'est en rentrant d'embuscade un matin à l'aube que, marchant sur la piste, mon attention fut attirée par un son différent provenant de mes pieds touchant le sol. Je m'aperçus que je venais de marcher sur un morceau de planche qui apparaissait sous la poussière de la piste. Intrigué par cette présence insolite, je cherchais à en préciser la provenance; je pensais à une petite caisse de munitions tombée d'un véhicule. En dégageant ce qui semblait être une caissette, je compris très vite qu'il s'agissait d'une mine, de fabrication locale, que j'entrepris de désamorcer en la démontant. Mon passage au T.A.M. de St MAIXENT avait laissé des traces dans mon esprit et j'étais toujours aussi entreprenant. Je dégageais tout d'abord une première caissette sans fond qui s'emboîtait sur une autre, plus petite, en la coiffant. Je compris que la partie supérieure, servant de couvercle, était en fait le système de mise à feu. A toute pression s'exerçant sur lui, le couvercle entraînait, dans son mouvement vers le bas, une goupille qui libérait le percuteur. La chance avait voulu qu'il ait plu après la pose de la mine; cette pluie salvatrice avait entraîné la terre fraîchement remuée, bloquant ainsi le couvercle vers le bas et, du même, coup, me sauvant la vie. La caissette inférieure, formant récipient, contenait le système d'amorçage et l'explosif. Je récupérais les 2 demi-caissettes, la cartouche de 12.7 servant d'allumeur, le détonateur et environ 2,5 kg d'explosif "civil". En arrivant au bivouac, tout fier de moi, je déposais ma "prise" sur la table du capitaine; lorsqu'il comprit de quoi il s'agissait, j'eus droit à une très belle engueulade de sa part, mais ce qui me vexa le plus c'est qu'il m'interdit de détruire moi-même l'explosif. Je finis par réaliser qu'il n'avait pas tout à fait tort et que j'avais eu beaucoup de chance, la mine n'ayant pas fonctionné sous mon poids et n'étant pas piégée. Par la suite, et en Algérie en particulier, j'eus toujours à l'esprit la crainte, très vive de retrouver un de ces engins sur ma route.

Ayant rejoint OUJDA sans autre fait d'armes à nous reprocher, nous reprîmes des activités d'instruction opérationnelle et de garde de points sensibles, en particulier les installations ferroviaires. Lors du ramadan, et sur la demande des autorités religieuses locales, ma section fut chargée de tirer tous les soirs un coup de canon pour indiquer la fin officielle du jeûne. Il fallut donc percevoir un canon de 75 mm Mle 1897 modifié 33/35 et les munitions à blanc correspondantes. Vu la vétusté du matériel, et de son frein de recul en particulier, une deuxième pièce était prête à l'E.R.M. pour relever la première. Ensuite j'eus la charge de constituer une équipe de pièce et de la former aux opérations de mise en batterie et de sortie de batterie, opérations qui devaient se dérouler sous les yeux intéressés de nombreux badauds marocains et qui, de ce fait, se devaient d'être parfaitement exécutées. Mes chasseurs devinrent très fiers de leurs nouvelles fonctions d'artilleurs et mirent un point d'honneur à les exécuter d'une manière parfaite. Ce fut aussi pour le commandement l'occasion d'exercer un chantage auprès des autorités marocaines locales qui, sans doute pour nous montrer leur puissance, avaient bloqué un wagon de munitions en gare d'OUJDA et menaçaient, en cas d'intervention de notre part, de s'en prendre à nos postes en médina. Le chantage consistait à prétendre que les munitions à blanc du 75 se trouvaient dans le wagon en question, en réalité elles étaient en ma possession, et que les tirs ne pourraient avoir lieu que lorsque nous aurions récupéré la totalité du chargement. De plus des photos aériennes du palais du gouverneur leur fut montrées en précisant que tous les pilotes de la base des HANGADS les avaient sur eux et étaient prêts à intervenir sur cet objectif au cas où ! ... Les marocains cédèrent, nous eûmes nos munitions et le canon pût être tiré, pour la plus grande joie de mes "artilleurs" et des badauds chaque jour plus nombreux.

L'Allemagne

Je fus désigné, toujours le plus jeune dans le grade le moins élevé, pour aller chercher au 24ème BCP à BERGZABERN (Allemagne) un contingent de 120 bleus affectés au bataillon à la fin de leurs classes. J'étais accompagné de l'adjudant RIBEYRE et de 2 sergents. Après une traversée maritime ORAN-MARSEILLE, le train via LYON et STRASBOURG. Prise de contact avec les jeunes, présentation du bataillon et du Maroc. Le surlendemain, embarquement par voie ferrée en compagnie d'un détachement destiné au 16ème BCP de FEZ. Voyage sur les nerfs car on craint des manifestations anti-militaristes dans les gares, à LYON en particulier, d'où des consignes très strictes sur l'interdiction formelle de descendre des wagons. Nous serons aidés par les patrouilles en gare qui n'en mènent pas large… Arrivés à MARSEILLE, direction le camp Sainte Marthe où les hommes seront hébergés en attendant l'embarquement sur le DJENIEN qui nous emmènera à ORAN. Traversée sans histoire. Étonnement manifeste des jeunes découvrant la ville d' ORAN. Ils ne s'attendaient pas à la vue de cette ville européenne avec ses immeubles étagés au dessus du port (Certains m'avoueront qu'ils s'attendaient à trouver des huttes… À quoi avait servi leur période de formation ?). Au moment où nous débarquions, les haut parleurs du bord annonçaient un bal le soir après l'appareillage pour le Maroc… Nous aurions bien aimé poursuivre jusqu'à CASABLANCA.

Transfert en camions jusqu'à la gare en fin d'après midi. Avant l'embarquement perception de 5 fusils modèle 07/15 et 3 pistolets mitrailleurs US M2, genre de Sten au calibre de 11,43 m/m (45 ACP) avec une dotation de munitions en boite. Les armes étaient démontées et nous allions en découvrir le remontage car personne ne les connaissait. Je confiai les PM aux sous officiers et les fusils à quelques hommes choisis et proches de nous. Poussé par je ne sais quelle méfiance je ne distribuai pas les munitions. L'avenir me prouvera que c'était une sage décision car mon camarade du 16 qui n'avait pas eu le même réflexe eut un blessé dans la nuit, un homme ayant appuyé par jeu sur la détente d'un fusil chargé et posé sur une banquette.. d'où un certain affolement vite calmé par le contrôleur qui, ayant examiné le blessé, décidait que ses jours n'étaient pas en danger et qu'on le déposerait à la prochaine gare d'où il serait évacué après premiers soins. Arrivée à OUJDA à 6 heures du matin. Surprise, la fanfare du bataillon nous attendait avec le Chef de Corps en personne. Les bleus, un peu abrutis par ce long voyage, furent étonnés par cet accueil auquel ils ne s'attendaient pas.

Le reste du temps se passait en patrouilles et exercices divers pour maintenir à un bon niveau les capacités opérationnelles de l'unité. Le capitaine, sans doute pour me former, me confiait souvent le commandement de la compagnie sur le terrain et je m'en sortais pas trop mal, surtout au niveau des procédures opérationnelles : Bulletin de Renseignement Quotidien, demandes d'appui aérien de tous genres de jour et de nuit, demandes de tirs d'artillerie, camouflage des messages ("SLIDEX"), etc… J'apprenais à articuler les 4 sections en fonction des situations qui évoluaient selon le bon plaisir du capitaine. Le métier rentrait et j'ai toujours su gré à mon chef, capitaine ancien, d'avoir pris le temps de me former. Cela m'a été très utile lors de mon passage en Algérie.

Le RIF

Le 17 juillet 1957, le Bataillon faisait mouvement vers TAZA. Trois jours avant, j'étais parti seul (encore le privilège du plus jeune...), en détachement précurseur, pour reconnaître les casernements, les affecter aux unités, préparer l'installation, prendre contact avec les subsistances pour commander les vivres et tout ce qui touchait à la vie matérielle du Corps. Appliquant le principe "pour vivre heureux, vivons cachés", j'avais affecté à ma compagnie le bâtiment le plus éloigné du P.C. et j'eus la surprise d'apprendre, plus tard, par mon père, que c'était dans ce même bâtiment que sa compagnie de tirailleurs était logée dans les années 30. Après quelques jours de mise en place, nous recommencions nos patrouilles et exercices divers pour faire connaître notre présence. Les marocains nous mettaient des bâtons dans les roues lorsque nous voulions monter vers le nord et une de nos compagnie se fit bloquer en allant vers AKNOUL. Il fallut patienter puis envoyer des renforts accompagnés d'automitrailleuses pour que la compagnie puisse rentrer à TAZA. Il s'agissait d'une zone sensible où les fells d'Algérie se reposaient. Les marocains ne voulaient pas d'incidents entre eux et nous.

Nous fumes "invités" à aller défiler à FEZ pour je ne sais plus quelle occasion. Le capitaine commandait le détachement et je me retrouvais à la tête de la compagnie.

En août je prenais une permission de longue durée au cours de laquelle je devais me marier avec Anne-Marie CHABERT à ANNECY. Mon Chef de Corps, le Colonel MONNIER, avait accepté d'être mon témoin. A l'issue de ma permission je rejoignais TAZA avec ma jeune épouse en utilisant la voie maritime, embarquement à MARSEILLE, débarquement à ORAN, le lendemain voie ferrée ORAN-OUJDA, nuit dans ce patelin et re voie ferrée OUJDA-TAZA. Nous nous installâmes au mess et la vie reprit son cours sans incident notable.

Ma section était éclatée avec un groupe au terrain d'aviation pour garder les installations (Il y avait dans le hangar un "Tiger moth", biplan léger, accidenté par nos prédécesseurs; l'un d'entre eux avait réussi à démarrer le moteur sans personne dans l'appareil. Sans frein, ce dernier, après une course folle, s'était arrêté contre un pilier qui avait laissé des traces sur la cellule). Un autre groupe se trouvait au col du TOUAHAR pour garder une station de radio-météo et le troisième se trouvait à la gare. Je passais mon temps en déplacement d'un élément à l'autre pour contrôler la bonne marche du service et régler les problèmes éventuels.

Je fus désigné pour effectuer le stage "Instruction Choc" qui devait se dérouler à RABAT au Centre d' Entraînement Physique Militaire des Troupes du Maroc à partir du 13 janvier 58. Je pris une permission de fin d'année avant de rejoindre RABAT. Entre-temps le Bataillon avait fait mouvement sur MARRAKECH. Le Général COGNY, sans doute pour éviter la routine, faisait "tourner" dans tout le Maroc les unités stationnées dans ce pays.

Le 1er mai 1957, j'avais reçu le Diplôme de la Médaille Commémorative des Opérations de Sécurité et de Maintien de l'Ordre en Afrique du Nord. Il suffisait d'avoir un certain temps de présence pour se voir attribuer ce document, un peu méprisé sur le moment mais qui par la suite permettrait d'obtenir le Titre de Reconnaissance de la Nation "pour avoir participé aux opérations de maintien de l'ordre et de sécurité en Afrique du Nord".