57e Génie en Egypte 1956 par Dutto

Campagne d'Egypte 1956

"Opération Mousquetaire"

Par Michel Dutto appelé au 57e Génie en Algérie

Le caporal-chef Michel Dutto est arrivé en Algérie en avril 1956 affecté au 57e Bataillon du génie qui faisait partie de la 7e Division Mécanique Rapide : " L'État-major de la division siégeait à Fort de L'Eau, ainsi que celui du génie.

Opération dans le djebel Bou Taleb avec les artilleurs.

Ampère au sud de Sétif, le 30 avril 1956, nous avons effectué une opération dans le djebel Bou Taleb (1890 m) avec les artilleurs, sans résultat apparent pour les novices. À l'issue, les 8 et 9 mai 1956, nous avons rejoint Sétif où nous étionscantonnés sous les arbres près de la citadelle de la Légion. Notre travail consistait à charger sur un train le matériel de notre compagnie en particulier le Bulldozer ce qui nous avait demandé par mal de réflexion et de temps pour l'arrimer sur le plateau. Au cours du déplacement nous arrivons "aux Portes de fer" et nous constatons stupéfaits que la gare brûlait, des paras en nombre occupaient les lieux et nous obligeaient à descendre sans doute pour sécuriser la zone. Après un temps relativement long, on nous accorda l'autorisation de reprendre le train. À peine installés sur les plateaux en mouvement qu'un fellagha en burnous muni d'un fusil de chasse donna le coup de feu en notre direction sans toucher personne, aucun de nous n'eut le réflexe de rendre la pareille. Nous avons déchargé le matériel à Bouira et les désignés pour le peloton de caporal se rendirent par la route à Aumale.

Gare de Sétif : chargement d'un bulldozer sur un plateau du Train.

Aumale : peloton de caporal mai-juin 1956

Le 57e Bataillon du Génie sélectionna parmi ses compagnies 55 candidats au peloton qui se déroulait à Aumale. Notre cantonnement se situait à la sortie sud, au Parc à fourrage, près des remparts. Les casernes étaient occupées par d'autres unités, Spahis et Tirailleurs, le peloton se contentait donc cet emplacement précaire sous tentes à même la Place. Les exercices et opérations se réalisaient dans les alentours de la ville parfois à Mamora de l'autre côté du djebel Dirah.

Au retour d'une opération, le capitaine commandant le poste de Mamora nous conseilla de quitter les GMC à un certain endroit réputé dangereux, de masquer sa marche par les véhicules d'un côté et de serpenter dans la montagne pour une autre partie de la troupe servant ainsi mutuellement de couverture ou d'appui. Bien nous en a pris, les fells occupaient le haut du site sans réagir. Une belle frayeur en perspective !

Le 3 juin 1956, une cérémonie eut lieu sur l'esplanade afin d'honorer par un présentez armes les fellaghas ralliés. Nos armes, des carabines US m 2 n'étaient pas approvisionnées, par mesures de sécurité nous avions glissé sous notre bras un chargeur retenu par un élastique et masqué par la manche de la chemise.

Une autre cérémonie, empruntée aux rituels peu usités pour des militaires, s'organisa, sacralisant la pose d'une première pierre de la "Maison de l'amitié algérienne". En grande pompe les Spahis et leur musique, les Tirailleurs, les anciens combattants et le public convié participèrent au dépôt de gerbe au monument aux morts par le caïd en grande tenue de cérémonie locale.

Berrouaghia- Damiette près de Médéa 23 juin 1956

Damiette, construction d'une piste d'aviation (photos : Dutto)

À Damiette, nous avons construit une piste d'aviation en 20 jours. Ma compagnie a rejoint les territoires du Sud pour réaliser une piste à Aïn Sefra.

Rentrant de permission avec le Sidi Mabrouck nous arrivons à Alger le 22 juillet 1956 à 12 heures, je rejoins la base arrière de la 1er Compagnie du 57° Bataillon du Génie auquel j'appartiens, à 1 km de Fort de l'Eau, route de cap Matifou où se trouvent quelques soldats à cette base arrière, plus des rappelés et des bleus.

Dès le 26 juillet après avoir reçu une tenue saharienne nous voici un petit groupe partant en train pour rejoindre notre section à Ain Séfra dans le sud Oranais où nous arrivons le 27. Notre installation est dans la citadelle du 2° Régiment Infanterie de la Légion étrangère où nous logeons sur les terrasses car il n'y a plus assez de place dans les chambres. Notre travail débute dès le 30, la réalisation-construction d'une piste vers la frontière Marocaine.

Vent de sable à Ain Sefra:

La citadelle de la Légion et vent de sable (photos du net)

Chaque soir, à l'horizon, apparaissait un panache gris sale qui tourbillonnait en masse épaisse et, disait-on, ne passait jamais sur la citadelle des légionnaires du 2e REI. Effectivement l'événement se réalisait ainsi en ne bénéficiant que du pourtour du phénomène qui nous gênait peu. Jusqu'au jour où nous avons eu juste le temps de nous mettre à l'abri à l'intérieur des bâtiments tant la violence abrasive du sable nous avait surpris. Résultat, 5 cm de sable sur nos lits et sur nos affaires. Nous pensions faire le ménage immédiatement, hélas non ! Il faut commencer par nettoyer les étages supérieurs comme cela nous amassions encore un peu plus de sable au passage, lorsque vous êtes au premier étage vous finissez tard dans la soirée. Rompus et assoiffés, nous nous retrouvions au foyer pour sabler une bière BGA bien méritée.

À cause la chaleur, jusqu'à 55 degrés, nous sommes sur la piste à partir de 5 heures du matin jusqu'à 11 heures. Pour nous aider, on nous a attribué une quarantaine de musulmans comme emploi de terrassiers.

Lors de la première salve de coup de mine que nous avons effectuée, les musulmans s'étaient repliés vers les camions, n'ayant sans doute jamais entendu une explosion, ils sont partis comme des fous derrière les camions, à cet instant une seconde explosion et c'est un nouveau départ dans le sens inverse et ainsi de suite jusqu'à la dernière explosion.

La distribution d'eau est à 5 heures du matin pour tous, aux nombreux robinets à la queue leu-leu, nous remplissons nos 2 bidons et surprise en bout du circuit il faut vider 1 bidon pour la cuisine? Cette disposition renforce l'esprit d'équipe et donne une certaine valeur d'acte de fraternité …

Autre fait marquant, avant de quitter le chantier, régulièrement, nous avions à faire sauter les charges de TNT logées sous les roches, le Lieutenant Pelette et moi-même commençons nos allumages. Je m'aperçois soudain que les légionnaires avaient laissé les armes en faisceaux au dessus d'une de nos charges que nous allumions, je le signale à mon Lieutenant qui me dit: "Je continue les allumages, vous avez le temps de récupérer les armes, et d'aller vous mettre à l'abri." Chose dite chose faite, en 2 brassées je les ai amenées derrière une imposante roche et où je me suis blotti jusqu'à la fin des explosions. La soirée au foyer fut très arrosée, sur le compte des légionnaires.

Détonateurs américains très sensibles:

Les détonateurs US nous étaient livrés dans des boîtes métalliques. Après retrait de quelques-uns, le restant se promenait librement dans la boîte. Sur les pistes, au moindre petit choc, cela faisait boom. (Sage précaution d'un règlement : Jamais les détonateurs étaient transportés dans le même véhicule que les explosifs). Voilà qu'un légionnaire me dit qu'en Indo, il mettait les détonateurs dans des trous percés dans un morceau de bois d'une épaisseur égale aux 2/3 de la longueur du détonateur, la partie sensible logée au fond du trou. Explication : on perce un premier trou du diamètre du détonateur moins 2 millimètres puis un deuxième du même diamètre mais moins profond. Belle aubaine, j'ai réalisé cela à la menuiserie du 2e REI où un Italien, ancien légionnaire à la retraite, était demeuré et réalisait des travaux à la demande. Merci l'ancien, en rentrant sur l'Algérois où siégeaient nos compagnies, la consigne fut passée par notre Lieutenant, chef de section, d'utiliser uniquement cette méthode éprouvée. Cependant nous avons connu des incidents regrettables lors de la manipulation pour assujettir la mèche lente au détonateur, à l'occasion du délicat sertissage à l'aide du couteau spécial génie, quelques morceaux de cuisse furent arrachés.

La dysenterie fait que sur l'effectif de 47 hommes de la section il nous reste seulement 27 aptes au boulot. Puis le mercredi 8 août, coup de tonnerre! Il faut rejoindre notre base arrière sur Alger, car dit-on ! " pour des préparatifs de guerre en Egypte…"

Un embarquement de tous nos véhicules est réalisé dans le train de la voie étroite jusqu'à Perrégaux, où il fallait ensuite transborder sur les wagons de la ligne normale pour rejoindre Maison-Carrée le 12 août. La Compagnie s'installe sans confort à l'usine Altérac.

L'usine Altérac où l'on fabrique des tuiles et des briques

Le 14 Août, une modification de notre paquetage est réalisée : supplément d'un imperméable vert, d'un chapeau dit gourka, d'un foulard, de pataugas, d'une chemise à manches courtes, d'une toile de tente individuelle, et en final la piqûre contre le typhus. Ordre est donné de supprimer les effets civils, les valises ou caisses ainsi que la mienne qui avait servi à mon frère et avait noté intérieurement tous les lieux de ses passages lors de son service militaire. Cela a fait un joli feu et beaucoup de regrets!

Les jours suivants, les 20, 21, 22, et 23, nous sommes sur le port d'Alger pour apprendre sur les cargos réquisitionnés (Liberty-ship américains de la guerre 39/45) à faire marcher les grues afin de permettre le chargement et le déchargement de véhicules, de chars et de divers matériels. Cette fonction est le métier d'aconier. Nous chargeons des cargos, tel que le Gange et autres jusqu'à la fin du mois d'août. (Le personnel des cargos réquisitionnés ne participe à aucune manœuvre de chargement ou déchargement). Le 18 septembre, visite éclair du général d'Elissagaray commandant la 7e Division Mécanique Rapide (DMR) alors que nous étions à l'instruction sur les explosifs… proche de notre cantonnement.

Certains après-midi, c'est un entraînement à la pose de mines, (Une démonstration est faite le 22 septembre devant les officiers de la 7e DMR).

Au cours d'un après midi, au Cap Matifou, c'est au camp "sirocco" de la Marine que nous réalisons des tirs au bazooka. Nous n'arrêtons pas ! Une manœuvre de débarquement est organisée à l'oued Mazafran à 30 km d'Alger avec le LCT Cheliff, un montage de Pont Bailey à l'oued Martz (près de Maison Carrée) avec la 21° compagnie de notre bataillon les 3, 5 et 8 octobre, etc.

Ces préparatifs n'empêchent pas le 11 octobre le chargement du matériel d'une unité de bérets rouges stationnée à Blida sur le bateau Robert d'Espagne au port d'Alger en partance pour… Et notre participation à l'opération "Sahel", bouclage du grand Alger du 14 au 18 Octobre 1956.

Notre matériel a été remplacé, on nous affecte des half-tracks avec tourelle à 4 mitrailleuses de 50, des Bull- tanks, etc. Nous peignons en jaune nos véhicules avec un grand H.

Pour ma part, je participe à la fabrication, à l'atelier de l'usine où nous étions cantonnés, de plusieurs caisses pour le complément de munitions, du jeudi 25 au 29 octobre.

Sur le port d'Alger en instance de départ

Notre départ se précipite, le 31 octobre nous partons pour le port d'Alger, un détachement de l'artillerie se joint à nous, 7 GMC nous transportent au quai Fécamp. 3 groupes se forment, le 1er embarque sur le cargo Sidi-Ferruch, le 2° sur La Hague le 3°, dont je suis, sur le Point Carré sur lequel est stocké le gros du matériel. S'y calent également les hommes restant du 1er REP, ainsi que des militaires, des bérets rouges des paras et des bérets bleus des commandos.

À 9 heures du soir le bateau quitte le port précédé du Jean Bart de la Marine Nationale qui a aussi embarqué pas mal de militaires. Au réveil du jeudi 1er novembre nous sommes en pleine mer, en convoi de plusieurs bateaux, protégés par des unités de la marine. Lors du passage du Cap Bon, nous avons subi un violent orage. Nous arrivons le soir du 2, à l'Île de Malte, le convoi stoppe en face du port.

Malte en approche

Le 3 novembre au matin, nous reprenons la route vers 11 h 30. Le F 717 L'Arabe de la marine Nationale se positionne à côté de nous, un filin est envoyé sur notre bateau et tout en continuant notre route, des échanges de paquets-colis se font. Pour tous, il est obligatoire d'effectuer des exercices d'abandon de navire, de pratiquer de la gym, des démontages et remontages de l'armement. En plus de ces obligations, nous les sapeurs, avions, en outre, à faire la visite et l'entretien des grues et opérer à leur bon fonctionnement.

Dimanche 4 novembre, après une mer assez mauvaise, nous sommes sur le pont, un général (2 étoiles), accompagné d'un colonel et du commandant du bateau, nous passent en revue. On nous communique l'ordre n° 5 du général Beaufre. Puis à l'issue, pour ceux qui le désirent, assister à une messe sur l'arrière du bateau. Dans l'après midi un échange analogue à la veille a lieu avec L'Arabe avant que le général nous adresse, à l'aide du haut parleur de bord, les félicitations pour notre bonne tenue. Nous passons le Méridien et avançons notre montre d'une heure.

Ordre général n°5

Lundi 5 novembre, après une bonne nuit on nous annonce que nous sommes en face de l'Egypte, vers 11H30, 2 porte-avions et plusieurs escorteurs Anglais et Français nous croisent tandis que dans le ciel une multitude d'avions couvrent le ciel. Nous assistons à plusieurs atterrissages, aux passages de gros porteurs, un hélicoptère survole l'ensemble du convoi, ceci prouve que nous approchons du théâtre d'opération et que le danger n'est pas loin, en soirée nous avançons tous feux éteints.

Port SaÏd en feu

Bateaux coulés dans le canal

Un légionnaire encadré par le génie

Mardi 6 novembre, réveil à 5 heures (heure zoulou), nous passons devant de nombreux bateaux de la Marine, pour arriver avec un parcours jalonné par des bouées en face du port de Port Saïd en feu suite aux bombardements de la veille et du jour.

Déchargement d'un 6X6 (photo du net)

Nous pénétrons plus avant avec un pilote anglais qui est monté à bord pour la manœuvre. A peine accosté, notre équipe est aussitôt au travail et commence le déchargement sur le LCT Chéliff des véhicules du 1er REP. Les légionnaires sont surpris de la rapidité pour saisir leur véhicule, le sortir de la cale et le déposer en moins d'une minute sur le LCT, alors qu'ils sont encore en descente par les filets à grosses mailles pendouillant le long de la coque. C'est le début d'une pagaille, on les presse pour éviter que cela prenne des proportions. Les conducteurs s'empressent d'évacuer la zone de déchargement. Une nouvelle tactique est employée, l'officier ordonne alors aux soldats de descendre dans les cales et de se positionner aux postes de combats sur les engins, de ce fait nous avons une plus grande responsabilité en déchargeant des vies humaines, heureusement que grâce à notre bonne connaissance, ce travail s'est passé sans encombre. Le déchargement du Point Carré terminé, l'on nous descend à terre, sans notre paquetage ! Au pied de la statue de Ferdinand de Lesseps nous mangeons notre boite de ration sur les 2 emportées. C'est notre premier repas en Egypte, sur les marches de celui qui, 100 ans avant, eut l'idée de réaliser le canal de Suez. Avec deux audacieux qui m'accompagnent, nous osons nous aventurer sur le bord du canal où nous découvrîmes de nombreuses pièces d'artilleries détruites par l'aviation. Les servants ne sont pas beaux à voir. Le secteur à 1 km de l'avant du port est en feu, véhicules calcinés. Un silence impressionnant, c'est sinistre ! Mais voici un camion Russe qui attire notre regard : sur chaque côté de l'arrière de longues tiges, telles des bras, supportent des caissons de munitions pour être déchargées directement sans l'intervention des soldats ! Quel progrès! Je ne pense pas que l'armée française en a de semblable.

Devant la mosquée

Dutto, sergent Bertrand et Avril

Statue de lesseps

Maison réquisitionnée

Retour à la statue et l'on comprend pourquoi on avait choisi ce lieu pour nous récupérer plus facilement, puisque sans tarder l'on vient nous chercher et nous conduire sur le bateau l'Aulne. Nous le déchargeons seulement en partie. Nous passons la nuit sur la Hague pour y dormir. Nous terminons de le décharger, puis, dans l'après midi nous retournons sur l'Aulne pour achever le travail de la veille, nous n'arrêtons pas une minute. Cela durera jour après jour du matin jusqu'à la nuit. Enfin le 12 on descend à terre. Sur la plage de Port-Fouad des GMC nous acheminent à travers la ville jusqu'à une villa à étages à la limite de la doping-zone, où sont installés les copains de la 1er compagnie du Génie. Ils étaient là, peu nombreux, depuis le début, ils n'étaient pas employés. En entrant dans une pièce un gradé et un radio, nous disent qu'ils attendaient du ravitaillement n'ayant presque plus de ration. Sur le trottoir une seule sentinelle devant la porte d'entrée, une rafale de PM avait assuré son ouverture. Nous retrouvons nos sergents du groupe d'aconiers et nos paquetages. Voilà enfin un cantonnement pour dormir, soit sur un sommier ou sur le matelas qui avait été mis à terre, un luxe ! Mais sans eau !

Première préoccupation pour nous, trouver de la nourriture. À plusieurs nous partons à l'aventure, nous rencontrons sur un boulevard un légionnaire qui était avec nous sur le Point Carré, il a son sac à dos plein de pommes de terre, il nous en déverse sur le macadam une partie, grand merci.

De retour au cantonnement il faut faire cuire les patates, mais en Égypte il n'y a pas de cheminée dans les maisons, c'est dans la cour intérieure que nous ferons le feu, mais pour le bois seule solution casser des meubles, sièges, tables lits, ceux qui sont resté jusqu'au dernier jour nous ont dit que n'ayant plus de bois ils ont même cassé les cadres des miroirs et la table de la machine à coudre. Quel désastre !….

Mais déjà dans l'après-midi du mardi 13 nous repartons sur le Tofevo pour le déchargement du 21° RIC, puis contre-ordre, arrêt du déchargement, nous dormons à bord, retour à terre le lendemain, pas pour longtemps car dans la matinée du 14, il faut recharger le Tofevo. La situation étant assez confuse, le 15, réveil en fanfare à 5 heures du matin, retour au port, nous sommes acheminés par une unité de la marine sur un LCT où sont déjà embarqués hommes et matériel du 23° RIC, direction le large on accoste le cargo Malgache. Montés à bord, nous rechargeons cette unité jusqu'au 17 au soir.

Retour à terre avec un LCM à 8 heures du soir, la nuit tombante, depuis la plage où l'on nous a largué, nous partons à pied vers la villa à Port Fouad en chantant la Marseillaise car nous ignorons où se trouvent les sentinelles des unités et surtout s'il y a un mot de passe.

Nous resterons au repos les 18,19,20 et 21 à la villa. Nous organisons une sortie pour trouver de quoi manger, nous tombons sur une épicerie. Les habitants des couloirs de droite et de gauche sont regroupés par nos soins. L'épicière ayant compris ce que nous voulions, elle nous ouvre le magasin de l'intérieur avec ses deux filles. Nous rassemblons diverses marchandises, je lui tends de l'argent égyptien pour régler le tout, de peur, elles ne veulent pas, j'ai donc laissé une somme sans savoir ce que cela représentait. À ce propos, on m'avait confié de l'argent pour notre groupe, et en particulier les billets de banque à l'intitulé Force Française Méditerranée Orientale qui n'ont jamais servi, donc j'ai gardé un billet de 50 et un de 100 francs lorsque j'ai rendu cela à notre retour en Algérie. Bonne nouvelle, des conserves viennent d'être apportées et non loin de notre cantonnement, des matafs et autres ont ouvert une boulangerie. Ils ont fait du pain puis les ont distribué, en premier pour la troupe et ensuite pour les civils.

A la recherche d'une épicerie

Port Fouad : En vadrouille à la recherche de nourriture.

À ce propos, prenons le Ferry-boat qui est manœuvré par le groupe du sergent Aluminana, pour passer de l'autre côté du canal c'est-à-dire à Port-Saïd. Certains magasins sont ouverts, pour ma part j'achète en particulier une boite porte cigarettes musicale en marqueterie ainsi qu'un plat. Je règle avec de l'argent Français mais on rend la monnaie en argent égyptien, j'ai gardé un billet de 10 et de 5 piastres Egyptian currency note. Jeudi 22 nous allons sur L'Abbeville pour un déchargement. Il n'y plus rien à comprendre, le 24 nous sommes à bord d'un LCM que nous avons rempli de munitions de gros calibre et nous voici allant accoster le bateau Amiral le Georges Leygues pour compléter son armement. Je rencontre 2 Brignolais à bord, Claude Larose et Serre. Celui-ci me dit “ Si tu as besoin de quelques chose adresse-toi au pacha de Chélif, de ma part tu auras son aide, en indo nous nous sommes sauvés la vie.” Cela n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Une période calme s'en suit, nous sommes au repos du 25 au 30, et nous nous portons volontaires le 29 novembre pour aller au bureau postal militaire pour faire du tri et avoir, après plus d'un mois, du courrier. Sur le parcours je suis interpellé par un copain de chez moi Jean Dezzani (voisin de rue) qui monte la garde au portail d'une villa où l'État Major de son unité, le 21° RIC, est cantonnée.

Le lendemain nous allons à 1 km du cantonnement, au port de plaisance, avec Lazzarin (un de ceux de la villa, son père est patron pêcheur à Sète), il nous dit connaître la navigation. Avec Marcel Sautel de notre groupe, ils finissent par trouver une embarcation avec les clés dessus, nous sommes à bord, moteur en marche. Marcel, pilote sans doute expérimenté puisque avec son père ils vivent sur une embarcation –péniche transportant l'essence de Marseille à Lyon. Manœuvre à 2 pilotes avec certains chocs, nous sortons et partons faire une virée. Nous découvrirons des dépôts de vivres gardé par des soldats Anglais que nous saluons et qui nous laissent passer. Nous ouvrons un hangar, des caisses, des cartons, des étagères avec des bidons et autres, Pierre Acciari trouve rien de mieux que de tirer une rafale de PM pour voir le contenu, qu'elle peur pour moi car il était derrière, je me suis jeté à terre, voici des bidons devenus fontaines qui coulent, mais sans savoir quoi. Dans des cartons de whisky, ouzo-anisette, vêtements, chemises, chaussettes, blousons de cuir, mais surtout des cartons de paquets de cigarettes et bien d'autres choses encore. Devant nous des grosses portes de frigos, nous les ouvrons et découvrons des fromages, du beurre, des jambons, des poulets, etc... Nous chargeons le tout sur le bateau. En passant devant les Anglais qui ne disent rien, sauf de rire, car je faisais rouler une forme de fromage telle une roue. Retour en cherchant à être au plus près du cantonnement, vu la quantité saisie. Un premier acheminement au profit du cantonnement, puis avec du renfort nous retournons charger à plusieurs reprises un bon butin. Fini la mendicité auprès des marins pour obtenir de maigres repas car notre intendance nous avait quelque peu oubliés. Pour faciliter le transport au cantonnement nous avions besoin d'un véhicule, l'idée d'aller voir le Pacha du Chélif, me vient à l'esprit. Nous accostons presque au large, par l'échelle je monte et demande à voir le Pacha de la part de Serre, il nous dit avoir seulement une Ambulance à bord et qu'il ne peut prendre le risque, mais qu'il voudrait bien participer à la manne si cela est possible. Pas de véhicule, pas de ravitaillement pour lui. Par contre, bien des soldats et nos copains du génie en ont profité abondamment car ils étaient sur un bateau au large et ils n'avaient pas débarqué. Petite anecdote: Nous avions mal ficelé une grosse forme de fromage qui se décrocha et chuta sur le côté de notre embarcation, miracle... si l'un de nous l'avait pris sur la tête ! Conscients que sans électricité ni frigo nous ne pouvions conserver le beurre et les poulets, cela a fait le bonheur des Égyptiens qui logeaient en face de chez nous. De même, les familles Italiennes, occupant une rue voisine, employées dans une société de Gênes pour draguer le canal, avaient aussi notre faveur. L'approche fut difficile, elles craignaient les civils égyptiens. De connivence, en venant de nuit, elles laissaient la porte entrebâillée et nous leur déposions discrètement la marchandise.

Pour les travailleurs Italiens des Compagnies qui draguaient le canal, l'Italie a envoyé un bateau L'Argentine en vue d'embarquer toutes ces familles. Notre groupe était chargé de les aider et de les canaliser, quand une question nous surprit émanant d'un Italien qui nous demandait : "S'il était possible d'embarquer un soldat de la guerre 1939/1945 qui était toujours là ?" Après avoir interrogé notre officier, celui-ci nous répond : "Bande de cons, on ne vous a pas demandé de compter les gens... allez embarquez-le !... "

Anecdote: Nous vendons et faisons du troc dans une rue derrière le cantonnement lorsqu'un officier passe par là. Panique ! Il donne l'ordre au seul gradé parmi nous, un caporal, de nous faire faire une demi-heure de maniement d'armes comme punition, et ce... devant tous les civils …

Le 30 novembre, nous reprenons le rechargement de 100 tonnes de munitions sur Le Verdon, puis Le Lorient. A 4 heures du matin, une violente tempête se déchaîne, il faut faire appel à 3 remorqueurs pour rattraper des barges qui ont rompu les amarres, l'une d'elles a heurté l'hélice du bateau, sans gravité. C'est seulement l'après-midi que nous pouvons reprendre le chargement après une accalmie. Les troupes embarquent, elles partiront pour Alger le lendemain.

Le lundi 3 décembre nous sommes à bord de L'Abbeville. Nous remontons le canal de Suez en passant au travers des épaves de bateaux coulés par Nasser, jusqu'au km 13 afin de recharger le matériel du 13° Génie.

L'encombrement du canal et des quais

Fait assez exceptionnel, une petite valise abandonnée dans la hâte, à demi ouverte, laisse apparaître un drapeau égyptien que je retire avec le canon de ma carabine US 2 et que je mets dans ma poche du treillis. Les copains railleurs : " Tu veux en faire un tapis pour jouer aux cartes ou en faire une serpillière ?" Quelques minutes après un caporal-chef (para) me demande le drapeau que je lui remets sans savoir la bêtise que je viens de faire, car lorsque nous sommes arrivés à Alger bien des soldats arboraient les drapeaux depuis les véhicules.

Le mardi 4 décembre (Ste Barbe, la fête du Génie) nous arrosons cela avec l' Ouzo (pastis anisé grec) que nous avions récupéré en grosse quantité. Nous bénéficions de quelques jours de détente à la villa. Le 8 décembre, visite exprès du commandant Marie de l'État Major du Bataillon, venu d'Alger nous féliciter de notre travail avant d'aller à Chypre où se trouve la 3° compagnie.

Le 10 décembre, travail de nuit au chargement du cargo Avranches, qui avait remonté le canal. Le 15 et le 16 décembre nous chargeons sur le cargo St Malo le matériel des unités Paras et Légion. Le 17 avec Le Calais nous allons à nouveau à l'intérieur du canal. Le 18, nous sommes à la villa pour faire notre paquetage et emporter nos prises de guerre, retour en GMC avec notre butin de guerre, transbordement sur le remorqueur, puis à bord du Calais.

Pour notre part nous avons trouvé une bonne astuce pour ramener certaines de nos "prises de guerre" c'est-à-dire vêtements, boissons ouzo, cigarettes etc... Nous avons jeté à la mer le contenu de nos caisses de rations, qu'enfin nous avions reçues, nous les avons remplies de nos affaires et cela passa comme une lettre à la poste.

Le 19 décembre, nous embarquons les véhicules des unités Légions et Paras, en soirée nous recevons des rafales d'armes lourdes qui tambourinent sur le flanc du cargo, ce sont des tirs provenant de radeaux égyptiens depuis la lagune, grâce aux lucioles, nous apercevons des taches sombres, une riposte aux mortiers ramena le silence.

L'Athos II

Croiseur F724

Le Pasteur

Nous embarquons aussi des prises de guerre telles des camions russes "Molotova", des jeeps, des chenillettes, une petite embarcation civile, etc.

Il faut aussi dire que lors d'un déchargement de caisses d'armes, une caisse un peu endommagée est restée dans la cale, vite fait avec un pied de biche pour pratiquer une ouverture plus importante et chacun prenant des armes et accessoires. J'ai pris 2 chargeurs de U S M 2, notre arme individuelle, en guise de réserve, car la perte d'un chargeur en opération représentait un mois de tôle et un mois de plus de service à accomplir. (A la quille j'ai passé les 2 chargeurs à un caporal que je connaissais).

Le chargement est terminé le jeudi 20 décembre. Nous restons à bord pour le retour à Alger, c'est à 4 heures de l'après midi que nous descendons le canal pour prendre la mer, le vendredi la mer est démontée, mais cela n'empêche pas de nous faire faire un exercice de poste d'abandon.

Le navire hôpital " La Marseillaise" encore à quai à Port Saïd.

Durant notre retour, le dimanche avec une mer toujours en furie, à tel point qu'une bouteille d'Ouzo s'est couchée, a roulé pour se casser contre les armatures métalliques.

Le mardi 25 décembre (Noël), la danse du bateau continue, nous passons le cap Bon et longeons les côtes tunisiennes, à midi le Commandant du bateau, nous a offert le champagne et un cigare, nous étions seulement notre petit groupe à bord.

C'est le jeudi 27 décembre que nous touchons Alger. Débarquement à nouveau au quai Fécamp à 9 heures, les GMC de la compagnie sont là, retrouvailles des copains avant de retrouver l'ensemble de la compagnie dans une ambiance du tonnerre à l'usine Altérac où prend fin notre expédition d'Égypte dite Expédition du canal de Suez.

Le sapeur Dutto était chargé des dépenses du groupe en billet des Forces françaises qu'il n'a pas eu l'occasion d'écouler. La somme a été rendue à son trésorier à Alger en substituant ces deux billets des liasses en guise de souvenir.

Pour expédier chez nos parents les diverses marchandises, nous avons recours aux habitants Pieds Noirs de la cité Altérac qui, monnayant quelques vêtements pour eux, nous ont fait les colis. Ils sont bien arrivés à destination en tout cas pour ma part.

Les cartons de cigarettes firent, je le pense, avec les paquets de chaussettes le plus d'heureux. Il y eut une distribution d'un paquet à chaque fumeur et cela dura 2 ou 3 mois. Comment penser que nous avons pu charger en Égypte, puis décharger le tout sans que personne, des gradés ou autres nous interpellent?

De notre départ, le 31 octobre au retour le 27 décembre, cela représente 57 jours, sur cette période nous avons couché 10 jours à terre, le restant sur divers bateaux, la présence de mon groupe en Égypte est du 6 novembre au 20 décembre 1956, soit 44 jours. Il est inutile de nous demander si nous avons eu la possibilité d'avoir des douches ou des effets propres.

Pour la plupart des soldats, c'est une perme qui les attend, mais notre groupe, le 30 décembre, lors de la prise d'armes dans l'allée centrale de l'usine, la compagnie est au garde-à-vous pour recevoir les félicitations du général Huet(*) pour notre bonne conduite lors de cette campagne d'Égypte. Surprise : il demanda au 1er groupe de sortir des rangs et il nous annonce notre départ pour la Tunisie, car Bourguiba faisait des siennes en refusant de rembarquer des unités de gendarmerie mobile à Sousse et à Sfax.

(*) Remplaçant le général d'Elissagaray.

Dédicace de Dutto

Écusson de bras de la campagne d'Egypte

Lettre de la mairie de Brignoles

Pour lire la suite : la Tunisie