Le plus jeune de la Résistance ardennaise
Ce fut en ces termes que Guy Moreau avait été présenté au général de Gaulle, alors Président de la République, à l’occasion d’une visite à Charleville à la famille Vendroux. Une haie d’honneur formée de résistants s’échelonnait le long du chemin de la propriété des Vendroux, route de Nouzonville. Guy Moreau fortement intimidé devant ce général qui l’écrasait par sa stature, reçut une poignée de main énergique et des félicitations d’usage. Il en tirait une certaine fierté vis-à-vis des plus anciens résistants étonnés de le voir là, si jeune, parmi eux.
La résistance : une affaire de famille
Le jeune Guy, était l’associé bénévole aux travaux de son père Paul Moreau, négociant en combustibles. Ce père qui avait une revanche à prendre sur les Allemands en souvenir de sa déportation en 1916, œuvrait, sans état d’âme, au profit d’un réseau de résistance à Charleville : le réseau « Darius ». Guy suppléait alors sa mère au poste d’agent de liaison. En outre, il était chargé, en tant qu’aîné des trois enfants, de s’introduire dans la cache organisée par ses parents sous le plancher de la cuisine. Dans ce vide sanitaire, des armes y étaient emmagasinées, ainsi que des munitions et un tas de documents. Lui seul pouvait évoluer dans ce réduit d’une hauteur d’ à peine 25 cm. Une trappe, un lino et la table de la cuisine par-dessus donnaient à la pièce une apparente innocence. Qui aurait suspecté qu’au n°19 de la rue Voltaire à Mézières la résistance était une affaire de famille ? Guy se souvient d’y avoir séjourné plus de 2 heures dans ce lieu secret et obscur. En besogne pour retirer quelques documents nécessaires à la demande de son père, l’on frappe à la porte. Les parents avant d’aller ouvrir, remettent rapidement de l'ordre dans la pièce. Un Allemand apparaît alors, quémandant poliment un broc d’eau pour refaire le plein du radiateur de son camion. L’alerte à été chaude et les Moreau oublièrent leur garçon, empreint à une grande inquiétude, ignorant tout de la situation burlesque.
Agent de liaison à douze ans
Le père avait testé son fils à plusieurs reprises au cours de missions de liaison; un enfant de cet âge, malgré sa grande taille, passait inaperçu d’autant qu’il exagérait à dessein sa puérilité aux vues des collaborateurs, de la gestapo ou des patrouilles allemandes. Le jeune Guy se rendait fréquemment à la boucherie-charcuterie « Michel », rue du théâtre dont la « patronne » lui confiait discrètement une enveloppe contenant des fausses cartes de travail dont il prenait soin de stocker dans la cache du domicile. En été 1943, son père l'invita à se rendre dans le petit hôtel (nom oublié), avenue Corneau, coincé entre l'hôtel du Nord et le café Clément, pour prendre en compte un pistolet « 6,35 » auprès d'un patriote en transit qui logeait au 2° étage. « J'étais en culotte courte, sous le poids de l'arme la poche pendait hors des limites de la manche, j'y ai engagé ma main afin de soulager la charge la rendant de ce fait moins visible. Ce n'était pas une attitude naturelle et je craignais les regards des passants », dit-il avec sérieux, car Guy connaissait les risques encourus. Chargé également de relever les numéros d'identification des unités apposés sur les véhicules des militaires allemands qui se déplaçaient en convoi, ces renseignements étaient aussitôt communiqués à une postière en fonction dans la rue du Petit-bois qui leur servait de boîte aux lettres.
La filière pour des prisonniers évadés
En juillet 1944, Paul Moreau loua un camion à la Régie départementale des transports des Ardennes, véhicule nécessaire à l'approvisionnement en bois de chauffage stérés non loin de la frontière belge. Au retour il récupérait quatre militaires anglais évadés d'Allemagne qui se trouvaient fortuitement dans la coupe de bois, complètement désemparés, abandonnés par un passeur indélicat. Les évadés ont logé pendant deux jours chez les Moreau. Le 15 juillet, Guy reçut la mission de les accompagner au carrefour des rues Auriol et Carnot à Mohon, d'où, à minuit, un homme réceptionna le « colis ». Le jeune héros raconte son aventure : « Cela commençait mal, à peine sorti de la maison qu'une patrouille allemande se fit entendre, nous eûmes tout juste le temps de nous dissimuler dans un renfoncement de portail à proximité de l'actuelle librairie '' Bouche'' et après ce dénouement imprévu nous avions pu rejoindre, en file indienne, séparés les uns des autres par une longue distance, le point de rendez-vous, sans autre incident notable. J'avais conscience que la fin de la guerre était imminente, les événements se précipitaient et les risques augmentaient » précise Guy avec gravité. En effet son père venait d'être dénoncé par l'un de ses ouvriers, témoin de la récupération des Anglais. Guy poursuit: « La gestapo a investi le domicile, mon père accueille ces hommes en vert avec calme dans son bureau, au fond de l'appartement, il s'efforce de gagner du temps afin de permettre à ma mère de descendre du grenier les deux matelas qui ont servi aux anglais pour les déposer, en doublure, sur deux lits de la chambre. Bien lui en a pris, les policiers commencent à fouiller partout. Puis en l'absence d'indices ils confisquent néanmoins le poste T.S.F et embarquent mon père au siège de la gestapo. Il s'en est sorti aisément grâce à l'intention délibérée de l'interprète qui prenait un temps infini à la traduction. Mon père, déporté en Allemagne en 1916, avait acquis une connaissance suffisante de la langue pour comprendre le sens des questions posées par l'enquêteur ce qui lui laissait le temps de réfléchir car la réponse devait être spontanée».
Le coup d'éclat
Dans les premiers jours d'août 44, le frère Bonaventure, enseignant à l'école des frères, route Nationale (l’actuelle avenue Charles de Gaulle), que Guy fréquentait, le convoqua avec trois de ses camarades afin d’organiser un anodin jeu de ballon. Sous le prétexte d'aller récupérer le ballon, Pierre et Guy, aidés par l’abbé qui leur assurait la courte échelle, franchissaient le mur mitoyen derrière lequel quatre camions de la gestapo d’Orléans, en retraite, stationnaient dans cet enclos. Cette cour, fermée par un portail, était toutefois visible d'un immeuble occupé par le siège d'un tribunal allemand et un plus haut sur la voie, par la gestapo locale. S'armant de courage, les audacieux garçons inspectèrent avec minutie le contenu des véhicules et rendirent compte de leur importante découverte. Sans plus attendre, le butin était transféré dans un dépôt de l'école des frères. Plusieurs jours ont étaient nécessaires aux deux jeunes héros, parfois ensemble ou par alternance, pour effectuer la navette de l'école au domicile des Moreau. À l'aide d'une remorque à vélo, ils ont charrié en plein jour : 800 kg de documents, un code secret, un poste émetteur, des cartes d'identités de patriotes fusillés, 12 fusils et des munitions. Guy Moreau précise avec malice : « Ce sont les fusils qui ont posés le plus de problèmes, ils dépassaient considérablement de la petite remorque, nous avions eu l'idée de les loger dans un matelas roulé». Quelques semaines après cet exploit Charleville et Mézières ont été libérées par les américains mettant ainsi une fin à la dangereuse entreprise patriotique de la famille Moreau. Un déferlement d'enthousiasmes s’en est suivi. La vie reprenait son cours après quatre ans de contraintes matérielle, morale et de risques encourus. Eté 1999, propos recueillis par Roger Louis.
Septembre 1944 : Place Ducale, devant la mairie de Charleville - Défilé de la Ste Cécile à l'occasion de la Libération.
Paul Moreau en béret et clairon et son fils Guy portant fièrement la bannière étoilée.
Paul Moreau reçoit la Médaille militaire sous les plis du drapeau du 3e Régiment du génie à Mézières.
Guy Moreau, son fils, carte de membre du réseau Darius.