Roger Louis
Les chapîtres : Algérie, Le quotidien, Le quotidien singulier, Les événements s'enchaînent, Hôpitaux et convalescences, Epilogue
Chroniques d’un séjour en Algérie
(1959-1962)
Au 4e Régiment de Tirailleurs à Djelfa, Berrouhaghia, Boghar, Médéa,
puis à sa dissolution au 117e Régiment d'Infanterie à Hussein-Dey, Alma, Alma Marine, Bellefontaine.
Le 31 décembre 1958, le 4° Bataillon d'Infanterie, stationné à MEKNES, est dissout ; à cette date, je totalise 42 mois de présence au MAROC. Après l’indépendance du pays, en mars 1956, j’ai souhaité une affectation plus appropriée à mon état de militaire mais j’ai dû me plier à l'exigence du commandement qui rejetait mes demandes successives de mutation pour l'ALGÉRIE. On m'a fait comprendre qu'il fallait, dans l'intérêt général du service et avant toutes considérations personnelles, terminer notre mission au MAROC ; le reste viendrait en son temps...
Quelques appréciations
Nous étions les maîtres de la sécurité au temps du Protectorat, relégués ensuite à des tâches plus ou moins bien définies après l’indépendance, qui nous ont laissé un goût amer et une impression d’inutilité. Nous n’avions plus la liberté de manœuvre pour nous protéger de l’émergence d’une insécurité nouvelle, ni même celle de circuler. Et enfin, nos relations avec la population, qui étaient bonnes sous le Protectorat, se sont cruellement dégradées à dessein pour les Marocains qui ne voulaient pas être considérés comme des collaborateurs.
À l’indépendance, l’armée marocaine a hérité des éléments formés par les armées française et espagnole. Elle manquait de cadres, les volontaires français étaient insuffisants pour combler les vides. Il nous fallait sans cesse jongler avec notre commandement pour ne pas être désigné d’office. Heureusement, le nouvel État n’avait pas les moyens de son ambition et les forces Armées Royales se limitaient à moins de 25.000 hommes ; sans compter l’armée de libération assez disparate et très peu militarisée qui a été, pour le roi Mohamed V, une véritable épine dans le pied. Nos anciens militaires marocains ont gardé une sincère nostalgie du temps de l’armée française ; ils nous le faisaient savoir par des témoignages douloureux sur leurs nouvelles conditions. Comme eux, nous étions terriblement frustrés de cet état de fait et nous ne maîtrisions pas les subtilités politiques qui, à mon humble avis, avaient totalement échappé à nos politiciens. Ces derniers empêtrés dans des négociations de partis avaient probablement sous-estimé le sultan ben Youssef qui a profité intelligemment de sa nouvelle situation de chef de gouvernement (très plébiscité) pour octroyer l’indépendance de son pays et s’arroger le titre de roi. À la décharge des gouvernements français successifs sortant de la guerre d’Indochine, ils ont essuyé l’échec de l’expédition franco-britannique et israélienne de Suez. Ils ont ensuite supporté les complications relationnelles des deux Protectorats, Tunisien et Marocain, puis pour finir, l’insurrection algérienne. Il eût été plus convenant de permettre après 1945, l’indépendance générale à tous les pays colonisés qui le souhaitaient avec une clause d’assistance technique pour les aider à se développer. On ne refait pas l’histoire !…
En janvier 1959, les tribus, du Rif et du Moyen-atlas, refusaient l’autorité de Rabat et ne reconnaissaient pas les caïds nommés par le Gouvernement marocain. Ils ne payaient plus l’impôt et ne se soumettaient pas à la justice moderne, obéissant aux seules règles du vieux droit coutumier. Ces tribus en dissidence, obligeaient le roi à dépêcher les Forces Armées Royales pour obtenir le ralliement. Sans être concernés par ce nouveau problème, nous subissions une épreuve de plus dans l’insécurité, cloîtrés dans les limites de nos casernes ou garnisons, réduits également à ne plus nous déplacer à travers le pays sans y être autorisés par le Gouvernement marocain. Nous n’étions plus que les gardiens des quelques terrains de l’aviation militaire dont des accords ont été consentis après d’âpres discussions entre les deux pays.
Mes dernières missions ont été la surveillance de convois ferroviaires, voire même de leur accompagnement, chargés de matériels militaires vers des destinations tenues secrètes. Mon errance se bornait aux va et vient entre Meknès et le kilomètre 10, (base d’un important régiment du matériel) de jour comme de nuit et par tous les temps. J’assistais, impuissant, à la destruction de l’armement d’infanterie qui aurait, sans doute, coûté plus cher de les transporter en métropole. Quand je songe que nous prenions 8 jours de prison pour la perte d’une vis d’anneau grenadière, il y a de quoi vous laisser perplexe devant ce grand gâchis organisé.
Rien de bien réjouissant ni de glorieux. Je piaffais d’impatience quotidiennement dans l’attente de la mutation pour l’Algérie qu’on me refusait encore.
Enfin la mutation !
Cette fois, je profite de la dissolution du 4e bataillon d'Infanterie pour réitérer ma demande de mutation. Elle est acceptée après de pénibles démêlés auprès d’un Capitaine-Adjudant-Major qui m'a tenu un discours défaitiste en vantant la revendication légitime des rebelles algériens souhaitant libérer leur pays du joug colonial. Cela ne sonnait pas faux. Je lui tins tête en rejetant toutes polémiques politiciennes et en arguant des devoirs que le métier de soldat m’imposait. Un camarade, ancien de la Résistance, me précisa la position de cet officier qui avait gagné ses galons dans les rangs des F.T.P. Sa situation d’officier de la Résistance, en voie d’homologation, nécessitait un contrat dans l'armée d'active. Communiste de formation il était donc en opposition contre toute action de la France ayant recours par la force au maintenir de l'ordre dans ces départements français d’Afrique du Nord. Si sa conviction politique lui commandait une telle réaction, il bénéficiait tout de même d'une mansuétude de la part de la hiérarchie pour parfaire une carrière somme toute profitable sans pour autant s’offusquer de son emploi qu’il reprochait aux autres. En somme, était-ce un parfait hypocrite ou un pion infiltré à la solde d’un parti nuisible à la nation sous couvert d’une démagogie honteuse ? C'était aussi prendre bien peu de risques pour lui-même et lui laisser tout loisir de polluer insidieusement les esprits faibles ou les incrédules dont j’étais alors.
En poursuivant notre échange de vues avec mon collègue, nous constations que cet officier avait bien peaufiné sa carrière en évitant de se risquer par un acte volontaire pour servir en Indochine après ses actions au cours de la Résistance qui remontait à plus 14 ans en arrière. Qu'imposait-on à l'époque ? 6 ans de séjour en Outremer dans la totalité d'une carrière. Outre la Campagne du RIF au MAROC en 1955 et 1956 qu’il a sans aucun doute su éviter, il s'était donc assuré l'obligation sine qua non d’achever sa carrière en Métropole confortablement, en bon bourgeois, état pourtant si détestable selon leur doctrine. À n’y rien comprendre !…
Dernière cérémonie
La journée du 17 janvier 1959 se résume ainsi : La dissolution du 4° Bataillon d’Infanterie est effective, elle se traduit par une cérémonie aux couleurs et une prises d’Armes sur le terrain d'aviation de Meknès. Ensuite c'est le départ du drapeau aux Invalides avec son escorte et probablement avec le chef de Corps, le commandant de CHAVANNE. Cette manifestation présidée par le Général ARNOULD de la CHENNELLERE, commandant les Forces Françaises au Maroc, a été de courte durée. Un petit crachin qui mouillait la piste rendait l'atmosphère cafardeuse. Nous n'avons pas eu de quartier libre ce qui a accentué la morosité ambiante.
Le mercredi 21 janvier, c'est la semaine des pots et des adieux des cadres en mutation. À 12 heures 30, le dernier repas de Corps est servi, il est agrémenté heureusement par un premier prix d'accordéon qui nous a offert un festival de morceaux classiques, un régal en ces temps de rares distractions.
Le sergent Louis est à l’extrême droite de face.
Le 2 février, le lieutenant Gros, mon dernier commandant de compagnie, reçoit sa mutation pour les Territoires du Sud en Algérie. Il me réitère sa volonté de le suivre une dernière fois et je lui rappelle que les Méharistes ne m'intéressent pas, souhaitant plutôt servir dans ma spécialité de commando. Par ailleurs, je lui fais part respectueusement de mon mécontentement au sujet de sa promesse qu'à l'issue de la formation de la deuxième session des commandos, dont j'avais la charge, de rejoindre l'Algérie avec mes hommes formés."Soyez patient, Louis, vous l'aurez votre mutation à la tête d'un groupe de commandos". Je le savais de parole et je le remerciai de son appui.
Dans l'attente, nous sommes affectés en surnombre au 1 er Régiment de Zouaves à MEKNES. Nous occupions les mêmes bâtiments du quartier "Clair". Dans la même rue, le quartier " Roland", anciennement quartier du 4 ème Régiment Etranger d'Infanterie qui a été remplacé par un corps complet des Forces Armées Royales composées, après l'Indépendance, par nos anciens Tabors, Goumiers et Tirailleurs musulmans. En passant devant les clôtures, il n'était pas rare de retrouver des anciens cadres que nous avions côtoyés au cours d'une précédente affectation. Beaucoup d'entre eux regrettaient le temps de l'Armée française. Ils mourraient de faim et subsistaient de vagues promesses. Les salaires souvent troqués contre de la volaille sur pied. Ces unités-là avaient poursuivi notre œuvre inachevée contre la rébellion qui perdurait dans le RIF. C'était, maintenant sous la responsabilité entière du roi Mohamed V de régler les affaires intérieures de son pays, mais sans nous.
Me voilà donc à nouveau en calot rouge. J'ai servi ce régiment pendant la campagne du RIF à la dissolution du 6 ème Régiment de Tirailleurs Marocains, ma première affectation. Nous étions alors à AKNOUL au nord de TAZA et rayonnions dans le secteur près de la frontière maroco-espagnole. Les nouvelles formations dites "Compagnies de protection des camps d'aviation" viennent de se créer. Je n'aurai pas eu l'insigne honneur d'en être puisque je venais d'apprendre qu'une permission de 56 jours m'attendait au bureau des Effectifs. Je pouvais prétendre à un congé de fin de campagne de 101 jours, j'ai préféré l'écourter et partir le 16 février dans les Ardennes.
Ce sont les préparatifs du grand départ qu'il faut régler en très peu de temps. Je mets ma cantine au garde-meuble, chez Monsieur Rivière au 42, rue Mermoz, téléphone 209.00. J'offre une cantine pleine de bouquins à la bibliothèque du cercle-Mess, ne voulant m'encombrer d'un tel fardeau, trop onéreux à expédier en France. C'est l'euphorie d'un grand départ et l'adieu aux copains des bons et mauvais jours.
Le 17 février, je prends le train en gare de MEKNES en direction de RABAT. Voilà un train qui a pris son temps... un vrai escargot ! J'ai un pincement au cœur à quitter ce magnifique pays, c'est le lot de tous les vadrouilleurs. Je me présente à l'agence d'Air Maroc pour retirer mon billet pour l'embarquement du lendemain prévu vers 12 heures 05 dans un D.C. 4. Arrivé à MARSEILLE à 19 heures 30, je fais vite pour rattraper le train de 21 heures. Les formalités du Centre de Transit ont été trop longues et m’ont fait rater le départ prévu à 21 heures, je me rabats sur le tacot de 00 heure 05 qui de plus s'immobilise à DIJON pendant plus de 7 heures. C'est la poisse, il fait froid et je tue le temps au cinéma, heureusement, en savourant l’excellent film sur les volcans d'Haroun Tarzief. J'arrive enfin le 20 février, jour de mes 22 ans à 1 heure du matin à SEDAN. Il fait un froid de canard, je n'ai pas de liaison pour MOUZON avant 07 heures. Si près du but, je me résigne à dormir dans la salle d'attente surchauffée.
Le quotidien « L’Ardennais » est abandonné sur un banc, un rapide coup d’œil sur un article qui attire mon attention me fait bondir ; il est élogieux et concerne la visite de roi du Maroc en Corse : « Les Corses ont fait un accueil triomphal au roi qui ramenait à ses côtés l’adjudant Cacciaguerra, disparu dans le Sud marocain depuis le 14 février 1957. » Une sorte de coup de pub abject, un faire valoir pour s’attirer la sympathie des foules. Personne en Corse, n'a oublié que l'île doit sa libération à l'Armée d'Afrique.
Cette permission a été morne, tous les copains sont incorporés, la plupart en Algérie. J'en suis frustré, surtout après avoir essuyé un reproche de la part d'une voisine qui désirait connaître ma provenance et me traitait de planqué. Inutile de lui expliquer que j'avais eu ma dose de guerre dans le RIF. Cela n'a donc pas fait la une des journaux ? J'ai le sentiment d'avoir perdu mon temps pendant cette permission, les filles de mon âge sont toutes mariées. Je m'acharne à retourner la terre des jardins pour calmer la sollicitude de mes muscles trop souvent au repos. J'ai enfin ma nouvelle affectation en poche, je n'y croyais plus. Un peu déçu tout de même de son arrivée si tardive.
Un rapide passage à la gendarmerie pour leur signifier ma nouvelle position. Et hop ! Je rejoins MARSEILLE par le premier train. Le 18 avril, j'embarque sur le Ville de Marseille de la compagnie transatlantique Paquet. Le lendemain ce sont encore les formalités administratives au centre de transit d'ALGER, point de passage obligé pour obtenir l'ordre de mission m'autorisant à rejoindre mon unité perdue dans le Sud, dans le Territoire de GHARDAÏA. J'ai une pensée pour le lieutenant Gros qui souhaitait me voir affecté au SAHARA, il m'a porté la scoumoune. Je constate avec satisfaction que je suis désigné pour le 4 ème Régiment de Tirailleurs et non pas aux Sahariens. Alors adieux mon lieutenant ! Cet ordre de mission me rassure et je pars le cœur léger vers une nouvelle aventure.
Hébergé pour la nuit au centre de transit touchant le Port, je suis surpris d'entendre des grondements sourds plus ou moins lointains, grondements qui me rappellent les premières nuits passées à CASABLANCA en juin 1955. Une nuit explosive, ça pétait sans cesse. J'avais alors le sentiment que rien n'était maîtrisé et que nous allions vers une situation endémique engendrant l'échec certain comme en INDOCHINE, en TUNISIE et au MAROC.
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