E.S.A.L.A.T. DAX
STAGE 1-OP-61
PROMOTION S-Lt RICHERMOZ
Le 10 mai 1961, arrivée à DAX. Avec 2 camarades observateurs de retour d'Algérie, je rejoins le stage l-OP-61 qui fait suite au l-O-61 où de jeunes observateurs ont été formés. Avec notre expérience du djebel nous faisons figure de "chibanis" (vieux), L'ambiance est bonne. La brigade est dirigée par le Capitaine xxx qui ne brillera pas par l'esprit d'initiative. Il ne comprend pas que, rentrant d'un long séjour en AFN, nous avons besoin de nous "aérer" un peu pendant les temps morts, d'où des parties de cache-cache que nous remportons facilement. C'est le Maréchal-des-logis-Chef PICCHI qui va être mon moniteur de début. Nous sommes 3 sous sa coupe : les Sous-lieutenants SOK-SAP et VON-LUNN-CHIK de l'armée Cambodgienne, déjà formés initialement sur T6 et moi-même. Les appareils utilisés pour l'écolage sont les piper L18 déjà connus au stage observateur et en Algérie comme appareils de liaison. Ils sont peints en jaune et sont rustiques. Nous faisons très vite le tour des terrains "satellites" sur lesquels nous allons transpirer. Les débuts sont moyens mais PICCHI est un très bon moniteur qui sait mettre les gens en confiance et les encourager. Malheureusement, après 11 heures de vol, il part en permission et est remplacé par l' adjudant SAVOLDELLI qui n'est pas du même genre. Il était connu pour ne s'exprimer qu'en hurlant et on reconnaissait son appareil à l'entoilage qui se gonflait quant il "parlait" à son élève. Il hésite à me "lâcher" en solo, tergiverse, me dit qu'il ne veut pas me faire passer en test (ce qui me rassure, car cela prouve son indécision) puis un jour, alors que je viens d'atterrir sur un terrain satellite, il me dit, avec un air lugubre, "quand un élève pilote comme vous, on l'envoie se tuer tout seul". Je compris qu'il me lâchait enfin et je fis mes trois tours de piste avec une certaine allégresse. La progression avançait normalement avec ses cours théoriques, ses interrogations et ses tests dont je ne me sortais pas trop mal. En août, retour de PICCHI qui me reprend sous son aile et me surnomme "the first fighter in the world !". Ca ne me donne pas la grosse tête. PICCHI m'avouera que si mes débuts ont été malaisés, je n'ai cessé de progresser alors que mes deux comparses, après un départ en fanfare, commençaient à stagner. Le 30 août, premier vol sur Nord 3400. Comme je retournerais dans un peloton L21, j'ai "droit" à cet appareil. Ceux qui vont aller dans des pelotons autres sont transformés sur Cessna L19. Ce n'est plus la même machine. Plus volumineux, plus puissant (260 CV), avec hélice à pas variable et volets, mieux instrumenté et plus rapide (200 km) c'est un appareil plus performant qui peut décoller et atterrir "court". Il demande plus d'attention car plus complexe mais la transition se fait facilement.
Un jour pendant le stage, tous les cadres de l'École, affectés ou élèves, sont rassemblés dans un hangar et on leur annonce qu'une commission d'enquête, venue de Paris, est là pour recueillir des renseignements sur ceux qui appartiendraient à l'OAS. Il est ajouté que les "dénonciations" resteront anonymes. Je ne peux m'empêcher de râler à haute voix contre cette incitation à la délation. Mon voisin me donne des coups de coude en me recommandant de me taire sous peine de me faire repérer. Je n'en continue pas moins à protester sans être inquiété. Il y avait dans le stage 2 camarades OAS qui m'avaient invité à les rejoindre, ce que j'avais refusé en leur précisant que lorsqu'ils feraient quelque chose de plus sérieux que de tenter de détruire des transformateurs EDF, je pourrais peut-être les rejoindre. Un peu plus tard, l'un des deux fut interpellé par la police alors qu'il distribuait du plastic à deux autres comparses (par malchance il faisait sa distribution près d'une ferme où l'on avait volé des lapins quelques jours auparavant. Le fermier, alerté par le bruit et croyant au retour de ses voleurs, avait alerté la gendarmerie…). Il fut transféré à Paris, ce qui calma les ardeurs activistes du second.
Le dimanche 9 septembre, je pars comme observateur sur un exercice de parachutistes en N.3400 dans la région de Bayonne. On n'a pas pu trouver d'observateur affecté à l'école pour cette mission (le dimanche, on va à la plage…) d'où appel à un stagiaire. Cela ramène de bons souvenirs...
Le 11, premier vol sur Nord 3202. Avion école à ailes basses, il a le même moteur que le N.3400. Apte au VSV (Vol Sans Visibilité) et à la voltige, il va nous servir à nous familiariser à ces deux disciplines, au vol de nuit, à la radio-navigation et aux mises en garde vrilles. Le 13, début de transformation sur L21 B. Le même que celui des pelotons d'Algérie mais avec un moteur de "seulement" 135 CV.
Avec les L18, L21 et N.3400 nous attaquons les côtés "opérationnels" du pilotage. vol en pré montagne à ITXASSOU (20 km S-E de BIARRITZ), vol en basse altitude (au ras des pins pour PICCHI, à 50 m pour le Capitaine !) et enfin vol en montagne (sur L18) à SAILLAGOUSE dans les Pyrénées Orientales à côté de FONT-ROMEU. Au cours d'un vol en pré montagne où nous faisions du "vol de pente", nous devions utiliser, moteur réduit à 1600 tours, les ascendances dues au relief, pas loin d'un radar américain installé en ESPAGNE. Pour profiter pleinement de ces ascendances il faut "gratter la pente" c'est à dire rester près du relief à une faible hauteur. Sans le vouloir nous passâmes la frontière et j'entendis le bruit bien connu d'une balle passant près de l'avion. J'annonçais au moniteur que l'on venait de se faire tirer mais il ne me crut pas. En rentrant à DAX, il fut convoqué chez les chefs qui lui annoncèrent qu'un garde frontière espagnol avait tiré sur un avion français franchissant la frontière et dont il avait relevé l'immatriculation qui correspondait à la nôtre (Nous n'étions pas haut, cela lui avait été facile...) et l'incident revenait par la voie diplomatique. Il n'y eut pas de suites mais le moniteur reconnut que j'avais une bonne oreille. Pas loin de SAILLAGOUSE se trouve l'enclave Espagnole de LLIVIA où le pastis est moins cher, d'où de nombreuses "patrouilles" dans ces lieux pour ravitaillement. Au cours du stage de vol en montagne, je retrouve les sensations du djebel (turbulences, coups de pied aux fesses des ascendances ou descentes dans les rabattants) et montre une certaine aisance, ce qui incite mon moniteur à me faire faire plus de solos que prévus pour consacrer un peu plus de temps aux "boujadis" (jeunes). Le Capitaine s'en apercevra à la fin du séjour et manifestera sa réprobation très sèchement. Il faut dire qu'il n'appréciait pas certaines initiatives que les moniteurs prenaient quand un élève leur semblait capables d'aller un peu plus loin. Ainsi, lors d'un vol en pré montagne en L21B, PICCHI m'avait entraîné et lâché sur une piste particulière d'ITXASSOU. Ce terrain situé sur une colline, servait essentiellement au vol à voile; en terre battue, il comportait une piste "normale" E-W et une petite, face au nord, perpendiculaire à la première, très courte (moins de 100 m) et très pentue. C'est sur cette 2ème piste que j'avais été lâché et faisait des solos. L'atterrissage y était un peu particulier : Il fallait arriver avec du moteur en vol horizontal au niveau de l'entrée de piste puis cabrer l'appareil pour le coller sur la piste comme une mouche se colle au mur et, dès le toucher des roues, remettre les gaz "plein pot" pour pouvoir arriver en haut de la piste, le décollage s'effectuant en travers de la piste normale, C'était un peu pointu mais je m'en sortais pas mal. A mon 3ème atterrissage je vis PICCHI me faire signe de stopper et monter dans l'appareil l'air mauvais en me disant "je prends les commandes". Je me demandais en quoi j'étais responsable de cette saute d'humeur et je lui posais la question. La réponse arriva illico : "C'est le Capitaine qui râle parce que je vous ai lâché sur la petite piste et il prétend qu'elle est même interdite aux moniteurs !…" Rassuré en ce qui concernait ma responsabilité, je regardais le paysage en attendant que ça se tasse. Il rejoignit une prairie en courbe au bord d'une rivière, la Nive je crois, et s'y posa. On amena le L 21 sous les arbres en camouflant les cocardes pour ne pas être repéré. Quelques minutes après, un autre L 21 se posait comme nous et les 2 moniteurs taillaient des croupières à ce pauvre Capitaine qui craignait les initiatives. Un paysan arriva avec une bouteille de vin du pays qu'il partagea avec nous et l'heure de fin de séance étant arrivée, nous reprîmes l'air pour rentrer à DAX. PICCHI était de nouveau calme.
Après ma transformation sur N 3400 j'avais demandé à PICCHI de me faire voler sur un NC 856, avion de fabrication française, antérieur au N 3400, destiné à remplacer les appareils américains (et qui avait hérité du surnom de "fouille-m…"). Dans le rôle d'avion d'observation ça n'avait pas été une réussite, de même au plan de la conception générale : Monomoteur bi-dérive comme le broussard, il avait une flèche inverse (extrémité des ailes plus en avant que leur emplanture) pour rattraper le centrage... A DAX il servait aux vols météo et a quelques liaisons. La réponse de PICCHI avait été négative et définitive, ajoutant que ce n'était pas un appareil pour un pilote opérationnel ... Par contre il m'emmena avec lui pour l'un de ses vols d'entraînement personnel à la voltige sur N 3202. Je pus ainsi me "retourner les pinceaux" (vol dos), au dessus de plages, pendant de longues minutes, pendu dans les bretelles qui paraissaient s'allonger malgré qu'elles fussent bien serrées. Toute la poussière descendait dans la verrière accompagnée de quelques crayons à bille perdus en vol par nos prédécesseurs. Il aurait fallu beaucoup plus de séances pour que je commence à me sentir à l'aise dans cette position.
Fin septembre, PICCHI est muté en Algérie. Il est remplacé par le Sergent chef COUTANT, tout aussi sympathique et efficace.
Pour le séjour à SAILLAGOUSE, le Capitaine nous avait interdit les voitures. Nous devions, ceux qui ne feraient pas le voyage avec les avions, prendre le train. Considérant que cela ressemblait à de l'abus de pouvoir, nous décidâmes de prendre la voie routière et en arrivant au but nous avions camouflé les voitures pour ne pas exciter la ire de notre chef. Tous les soirs, après le repas pris en commun, nous quittions la table pour aller "nous coucher". Le Capitaine était ravi de voir ses élèves si "rangés". En fait nous allions nous changer et prenant nos voitures, nous montions à FONT-ROMEU pour nous "encanailler" dans les quelques bars ouverts. Un soir, au retour, nous tombâmes sur un barrage de gendarmes fortement armés (je comptais au moins 2 FM,...) qui avaient disposé des herses sur la route. Nous sûmes qu'ils recherchaient des suspects de l'OAS. Le patron ne sut ce qui s'était passé qu'après notre retour à DAX et il nous en voulut de ne pas l'avoir fait partager nos "escapades". Il n'avait eu que ce qu'il avait cherché!
La fin de stage arrive et, le 24, test de navigation dit des 300 km en solo avec 3 posés intermédiaires sur des terrains inconnus et retour à DAX. Ca se passe bien.
Le 26/10, veille du test final, en solo sur un terrain satellite, après un freinage un peu dur au point d'attente du fait de l'approche d'un L19, avec du vent arrière, avant de pénétrer sur la bande pour décoller, je réussis à mettre mon L21 en pylône. Il était un peu "centré avant" en solo au sol et ceci explique cela en partie. Le moniteur, qui était au sol, se tordait de rire et lui ayant fait remarquer qu'il n'y avait rien de drôle dans cet incident il me précisait que c'étaient les expressions de mon visage pendant que l'avion levait la queue qui avaient provoquées son hilarité. Il parait que ça valait le coup… Retour peu glorieux à DAX en 3ème place sur un N 3400 piloté par le Capitaine commandant l'escadron avion venu aux nouvelles. Il n'y eut pas de suite et pas de dégâts à l'appareil, sinon un contrôle plus approfondi. Le test ne s'en ressentit pas et je fus breveté "Observateur-Pilote Avion" avec le n° 536
N° 536