Sur le "Qui vive"
Le 19 mars 1962 arrive avec son "cessez-le-feu" mais les activités ne diminuent pas pour autant. Nous sommes sur le "qui-vive" car nous n'accordons aucune confiance à nos adversaires. L'avenir nous donnera raison !…
Je profite d'une permission de courte durée. Cela me donnera l'occasion d'assister à des scènes navrantes d'exode des pieds-noirs à l'aéroport d'ORAN. Compte tenu de l'ambiance en ville, il m'est fortement déconseillé de passer la nuit à l'hôtel et je serais hébergé par le détachement ALAT sur la base de LA SENIA. La répression semble s'exercer davantage contre l'OAS ou ses supporters que contre les membres du FLN qui multiplie les exactions. On découvrira dans un terrain vague des cadavres d'européens littéralement vidés de leur sang pour alimenter la banque du sang fell. Des heurts ont lieu entre des CRS et des appelés, les premiers voulant empêcher les seconds de protéger des européens menacés par des fells. Un CRS sera même rafalé par un appelé révolté de l'inaction forcée à laquelle voulait le contraindre le représentant de "l'ordre" (mais quel "ordre" ?). On dit aussi que la voiture de l'Amiral commandant la base de MERS EL KEBIR, dans laquelle se trouvait son épouse, aurait été interceptée par des CRS. Devant le refus de l'épouse de l'Amiral de laisser ouvrir le coffre du véhicule, les CRS auraient mitraillé le dit coffre. Suite à cette action d'éclat interrompue par l'arrivée salvatrice d'une patrouille de fusilier-marins, ils se seraient vu interdire l'accès à la base où ils étaient accueillis pour leurs repas et la voiture transférée immédiatement en France sur un bâtiment de la "royale". Exemples de ce qui se passe et qui trouvera son apogée dans le massacre de plus de mille civils européens en juillet (certains avancent le chiffre de 2000 victimes!).
Reprise des vols le 16 avril 1962. L'ambiance est morose mais on continue de chercher les fells pour éviter les surprises.
Le 26, entraînement de nuit avec le capitaine TOUSTOU Commandant le peloton. On commence à penser aux RAV de nuit. Mai arrive et verra deux accrochages avec les fells qui, ne respectant pas le cessez-le-feu, ont tiré sur nos troupes ou l'un de nos appareils. Les ripostes ont été rapides, immédiates et violentes. J'ai guidé une patrouille de Skyraiders sur une de ces bandes avec un bon résultat. Les prisonniers survivants affirmeront devant la commission de surveillance du cessez-le-feu que c'était bien un des leurs qui avait ouvert le feu le premier.
Sur la route goudronnée qui relie MECHERIA au KREIDER, un EBR de la Légion, qui rentrait seul de MECHERIA, est arrêté par un barrage de fells qui lui interdisent le passage. Le barrage, constitué de quelques pierres, est très symbolique car la plaine d'alpha s'étend de part et d'autre de la route, sans fossé ni bas-côtés. L'EBR aurait pu facilement contourner l'obstacle en sortant de la route mais l'adjudant, chef de bord de l'engin, ne l' entendait pas de cette oreille. Descendant dans sa tourelle, il en ressortit avec un obus de 75 encartouché et, le montrant au fell chef du barrage, il lui dit "moi je vais pas passer, mais lui il va passer, " Les fells s'enfuirent à toutes jambes, l'EBR passa sur les pierres et il n'y eut plus jamais de barrage sur cette route.
Le 14, compte tenu de l'insécurité grandissante sur les routes et dans les trains, je suis autorisé à me rendre à Alger en avion avec un pilote pour y passer nos visites médicales de contrôle du personnel navigant. En ville l'ambiance est morose et les fells se montrent au grand jour. La population européenne se prépare à l'exode. Finalement, je suis heureux de retrouver MECHERIA et son ambiance opérationnelle même si nous sommes désabusés et traumatisés par la fin de cette période algérienne de nos vies de militaires. Impression de gâchis, de trahison, tous ces morts pour rien, parce que des politiques n'ont pas su, comme toujours, prendre les décisions nécessaires au bon moment. Et surtout écœurement de la "trahison" de celui en qui nous avions placé nos espoirs pour une solution correcte de l'affaire algérienne. Le "Je vous ai compris !..." d'Alger était machiavélique et ne pouvait que renforcer le sentiment de révolte qui nous animait. Certains partirent à l'OAS, les autres restèrent, à contrecœur, dans la "légalité" mais en perdirent le sommeil. La Sécurité Militaire poursuivait son œuvre de recherche des "rebelles" et une certaine forme de résistance s'organisait face aux moyens extrêmes que ses sbires employaient. On a beaucoup parlé des exactions de l'OAS, mais celles de la SM et des "barbouzes" n'étaient pas meilleures. Juin arrive, les missions continuent. Le 14, entraînement local au vol de nuit.
Le 15, première mission opérationnelle de nuit. 1 h 55 de RAV vers le KREIDER. Nous voyons les feux qui signalent la présence de khaïmas ou de rassemblements de populations. Ce type de mission nocturne aurait pu être payant si nous l'avions utilisé plus tôt. Mais les autorités étaient réticentes et lorsque, enfin, l'autorisation nous fut donnée, il était précisé que ces missions ne pouvaient s'effectuer que par nuit claire et avec l'horizon visible, ce qui en limitait singulièrement la portée. En 2 mois j'ai effectué 113 h 55 de vol.
Juillet 1962 est là et l'on commence à rapatrier des unités vers la métropole. Les pelotons qui ont des alouettes seront de celles-là, les pelotons avec djinns resteront en Algérie et seront déplacés. Pour nous, il est prévu que nous rejoindrons la 20° Division dont le PC est à BOUFARIK, au sud d'ALGER et notre terrain sera situé à CHERAGAS, à quelques kilomètres à l'ouest d'ALGER.
Le 5 juillet, des émeutiers massacrent 1500 à 2000 européens à ORAN. Le général KATZ refuse de faire intervenir les troupes terrestres et refuse l'aide que l'Amiral de MERS EL KEBIR lui propose (Il prétendra par la suite avoir obéi à des ordres supérieurs) Les Autorités Françaises ont été alertées par les espagnols qui ont capté un SOS radio venant de la poste d'ORAN. Elles ne réagiront pas. La gendarmerie sortira le lendemain pour constater que tout est fini. Encore une belle page de l'histoire de France !…
En attendant, les missions continuent avec d'avantage de surveillance de route et du barrage. Le 15, entraînement vol de nuit, je repère un convoi sur la route qui vient du sud, Je fais un passage en descente moteur réduit jusqu'à 50 m pour identifier les véhicules en allumant mes phares d'atterrissage et je découvre des camions fells qui escortent une voiture découverte. Pour ne pas risquer d'incident, j'éteins tout et reprends de la hauteur m'éloignant. Le lendemain, le bruit court que BEN BELLA aurait fait son entrée cette nuit-là à MECHERIA. Était-ce lui que j'avais survolé ? Je l'ignore encore...
La préparation au départ s'intensifie et je propose au capitaine de prendre le commandement de l'élément routier car ce ne sera pas une partie de plaisir pour ceux qui en feront partie. Mon chef, qui connaît mes réactions prévisibles en cas d'incident avec les fells, refuse fermement, donne ce commandement à un observateur en me confiant celui de l'élément "avions", assurant lui même le déplacement des djinns qui, du fait de leur lenteur, partiront un jour plus tôt avec l'élément routier.
Je commence donc à préparer le détachement " avions" et comme nous sommes habitués à voler en appareils isolés, je lance des séances d'entraînement au vol en formation. Juillet 1962 se termine avec 62 h 45 de plus au compteur.
Août commence. Quelques RAV.
Le déménagement aura lieu le 10 août pour les djinns et le convoi routier, le 11 pour les avions.
Les T28 de l'Armée de l'Air nous ont quittés. Une compagnie de Légion s'est installée sur la base.
Le 10, j'effectue une Pro Convoi sur notre élément routier jusqu'à SAIDA. C'est une autre unité ALAT qui prendra la suite. Les 7 djinns sont partis après avoir fait un passage en chevrons de 3 sur le P.C. de MECHERIA.