On ouvre British and Irish Climbing Guidebooks 1894–2011 comme on ouvrirait une malle oubliée dans le grenier d’un vieux club alpin : des centaines de petits volumes surgissent, couvertures usées par les intempéries, reliures fragiles, odeurs de papier ancien. Alan Moss, tel un bibliophile passionné, a réuni dans ce gros ouvrage l’histoire discrète mais précieuse de plus d’un siècle de topos britanniques et irlandais. Ce n’est pas un guide d’escalade au sens où l’entendent les grimpeurs pressés d’aller en falaise : c’est le guide des guides, une cartographie de la mémoire éditoriale.
Page après page, le lecteur se promène parmi les pionniers de 1894, les éditions multiples, les réimpressions à peine modifiées, les couvertures naïves ou flamboyantes. On devine derrière chaque notice la silhouette d’une génération de grimpeurs, leur manière de transmettre l’expérience, de donner forme à des parois encore neuves. Le livre se feuillette comme une exposition : visuel, précis, méticuleux. Chaque fiche bibliographique est un petit caillou blanc posé dans le sentier de la mémoire.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’ouvrage s’adresse avant tout aux collectionneurs, aux bibliothécaires, aux curieux de l’histoire matérielle de l’alpinisme. Celui qui cherche des voies, des cotations ou l’inspiration d’une course n’y trouvera que des échos. La rigueur l’emporte sur l’élan narratif, et l’accumulation de références peut sembler aride à qui n’a pas l’œil exercé du chasseur de livres. De plus, l’histoire s’arrête en 2011 : la rivière des publications continue de couler au-delà, et le supplément sobrement intitulé "British and Irish climbing guidebooks, The 2013 supplement publié en 2014 complète la mise à jour.
Reste que ce travail colossal, qui rassemble plus d’un millier de titres, a la beauté d’une collection de timbres rares : on y contemple le passage du temps, l’évolution des styles et des éditeurs, la manière dont un pays a documenté ses parois. C’est une œuvre de patience, de minutie, presque de dévotion. Pour l’amateur de guidebooks, c’est un trésor. Pour le lecteur profane, un curieux cabinet de curiosités, peut-être un peu austère, mais porteur d’une évidence : l’escalade, avant d’être vécue, s’est longtemps transmise par le livre.