Le Huayna Potosi nous a accepté

Acte 1

Tout a commencé, comme souvent, par une boutade lors d'une petite bouffe. Marie revenait de Bolivie et j'avais reçu pour Noël le

superbe livre Glénat sur les Andes dont les illustrations m'avaient fortement impression

né. Je lui lançais donc : « Tu nous emmèneras en Bolivie? » Deux ou trois petites bouffes

plus tard, Marie revenait me voir et me dit : « Toujours d'accord pour la Bolivie » Et comment que nous étions d'accord!!! La petite équipe fut vite constituée et nous passâmes un an à rêver en peaufinant le projet. Il devint vite évident que quitte à aller en

Bolivie, autant s'offrir une petite gâterie : un 6000. Le Huayna Potosi fut vite retenu. Il collectionnait tous les avantages : accès facile, difficultés raisonnables et surtout, il était beau.


Le 23 juillet, tant attendu, arriva. Nous remontâmes de Lima vers la Bolivie en suivant les traces des Incas. Le 1 août nous vit arriver à La Paz.

Il était temps de nous préoccuper de notre équipement. En effet, afin de voyager léger, nous avions décidé de laisser notre matériel de montagne en France et de louer sur place. Nous pensions négocier avec l'agence qui prenait en charge notre voyage dans le Sud Lipez. Mais nous déchantâmes assez vite. Outre des tarifs un chouillas prohibitifs ils ne pouvaient pas nous fournir un élément quand même important : la corde. A l'agence du Huayna Potosi, où nous passâmes pour réserver nos places au refuge éponyme, Marie tenta une approche pour voir s'il n'y avait pas une solution de ce coté : le résultat se révéla négatif. La soirée fut fertile en cogitations. Nous commencions à regretter d'être parti si léger. Que faire : acheter une corde? De plus partir de 4800m pour aller directement au sommet ne semblait pas la solution la plus judicieuse. Généralement, les candidats au sommet partent d'un camp supérieur à 5200m. Donc matériel de camping. Donc porteur. La nuit portant conseil, nous décidâmes de nous coucher rapidement. Le lendemain, accompagnés de notre manager/traductrice préférée, nous repassâmes à l'agence du Huayna pour régler nos réservations. Marie reposa timidement la question du matériel et le miracle bolivien eut lieu. Mais bien sur qu'ils pouvaient nous louer du matériel! Le camp d'altitude....il y avait un refuge en dur, mais oui, équipé avec réchaud et vaisselle....et c'était possible de réserver....mais bien sur. Nos visages s'éclairaient de plus en plus mais se renfrognèrent bien vite quand fut abordé la question du retour du matériel. Il est vrai que nous cumulions les handicaps : nous repartions directement du refuge pour un trek sans repasser par la case La Paz. Enfin après une heure de négociations où la patience de Marie fut mise à rude épreuve, nous ressortîmes avec nos réservation pour le refuge, le campo alto et l'adresse d'une boutique qui était d'accord pour nous louer le matériel que nous laisserions au refuge. Jean-Pierre, lyrique, déclara à notre sauveuse : « Tu es notre Marie Huayna »

Nous partîmes donc nous échauffer l'esprit léger dans le merveilleux Sud Lipez.


Le passage des 5000m eut lieu, sans encombre, sur les magnifiques pentes soufrées du Tunupa. En prime, nous eûmes droit à un splendide coucher de soleil sur le salar et.... un retour à la frontale. Il est vrai que suite à différentes péripéties nous n'avions entamer l'ascension que vers 13H!!! Deuxième galop d'essai sur le Licancabur (5960m) et sa prodigieuse lagune vert émeraude. Départ à 2H (du matin, ce coup çi) par -20 degrés. A l'approche du sommet, Laurence volait, Jean-Pierre suivait et je rampais (JP redescendit même pour m'encourager et me proposer de porter mon sac mais on a sa fierté!) Début d'hypo pronostica Marie qui assurait également le suivi médical.

Nous repassâmes donc par La Paz, la tête encombrée de lagunes multicolores, de vols de flamants roses, de courses de vigognes et d'une nostalgie naissante pour Tupiza! Après avoir essayé d'embarquer Laurence dans notre aventure – mais elle préféra nous laisser entre « mecs » -, nous passâmes au magasin quérir notre matériel. Jean-Pierre hérita d'une paire de coques plastiques violettes – pointures 47 (à mettre avec trois paires de chaussettes) – du plus bel effet. Ce seront les vedettes de l'ascension : sur la photo, on ne voit qu'elles. Coté piolet, outre un « classico », nous nous offrons le luxe d'un « technico ». Nous ne le regretterons pas. Il ne restait plus qu'à régler nos crampons Mais la jolie brune du magasin nous fit comprendre avec son plus beau sourire qu'elle n'avait pas d'outils mais que nous en trouverions au refuge. Nous n'osâmes pas insister!!!

Acte 2

Nous embarquons pour le refuge sous un ciel maussade. Une fois arrivés, nous partons à la chasse au tournevis et à la clef plate. Mais ça se passe mal. Des vis sont grippées et nous n'arrivons que très approximativement à régler ces foutus crampons malgré l'aide de Jean-Marc. Le moral en prend un coup. Coté positif, ce contretemps nous permet d'éviter une averse de grêle aussi brusque que soudaine. Laurence et Françoise décident de nous accompagner au « campo alto » et nous démarrons sous les conseils de prudence de notre manager/traductrice/infirmière. Nous montons dans la caillasse et bientôt nous buttons sur une belle construction en pierre. Nous entrons. Le gardien nous informe que nous pouvons nous installer pour la modique somme de 10$. Je lui présente mon reçu, il semble étonné. Après une brève consultation avec un collègue, il nous explique que nous ne sommes pas au bon refuge. Le notre se trouve 100m plus haut. Extraordinaire, il y a maintenant deux « campo alto ». Nous repartons et sommes un peu déçu. Notre campo ressemble plus à une cabane de chantier qu'à un refuge. Rien à voir avec celui du dessous. Nous entrons. Deux guides sont déjà la avec quatre clients espagnols. Il semblent surpris de nous voir débarquer seuls. Apparemment, le « sans guide » ne fait pas trop parti des traditions locales. Les premiers instants sont un peu tendu. Notre maigre espagnol ne nous aide pas. Nous aggravons notre cas en leur annonçant que nous ne partirons pas à 2H comme eux, mais vers 4H30. Finalement tout rentre dans l'ordre. L'ambiance se détend et ils nous proposent de cuire notre repas. Au menu: soupe et un somptueux mélange pâtes/fromage/sardines! Il est temps de passer au dodo. Les huit matelas tiennent tout juste dans notre cabane : au moins nous n'aurons pas froid! Minuit, les guide s'agitent et préparent leur départ. Nous buvons un bol de thé avec eux et malgré leur muette désapprobation, nous nous recouchons Je me paye même le luxe de me rendormir. La sonnerie du réveil nous tire d'une douce torpeur. Nous nous préparons et essayons d'ajuster au mieux ces foutus crampons. Je bourre mes poches de tablettes de cacahuètes au miel : c'est un peu écœurant mais souverain contre l'hypo. Les étoiles brillent, il ne fait pas très froid et la lune nous invite à la suivre vers le sommet. La course commence par une petite traversée en mixte pour rejoindre le glacier. Et ce que je craignais se produit : mes crampons font chasse-neige. Pas bon. Pour une fois je ne m'énerve pas. Je m'assois tranquillement et essais de trouver une manière plus judicieuse de passer les sangles de ces satanés crabes. Et nous repartons sur une pente modérée. Le petit jour nous surprend (quel timing!) au pied de la difficulté de la course : un mur de 30m au dessus d'une splendide rimaye qui permet de rejoindre une arête. C'est court mais c'est raide! Mais avec l'aide du « technico » et la pratique de la cascade de glace ( merci Jacques et Sandrine ), ça passe sans problème. Nous sommes maintenant sur un plateau, au dessus d'une mer de nuages. A l'horizon l'Illimani s'embrase. Instants magiques. En dehors de la trace, la neige est sculptée de cette manière si particulière que l'on ne voit que dans les Andes. Sur les côtés, les « ice flute » nous saluent. Nous savourons le spectacle. Bientôt le ressaut sommital apparait : 250m à 40/50 degrés. Mais aujourd'hui, la machine fonctionne au quart de poil et c'est à mon tour d'encourager Jean-Pierre. Nous croisons les premières caravane de guides qui redescendent sur leurs cordes fixes. Et c'est le sommet : moments fabuleux d'un rêve réalisé. Nous tombons une fois de plus dans les bras l'un de l'autre (ça devient une manie!). Juste avant qu'il ne redescende, nous demandons à un guide de prendre la photo « historique ». Maintenant, nous sommes seuls avec notre bonheur. Hasard du calendrier, nous sommes le 15 août et comme chaque année, Jean-Pierre ajoute une unité à son compteur. Les 50 à la Dibonna, les 51 au Huayna Potosi, il va falloir avoir de l'imagination pour les 52!!! Le temps commence à s'abernaudir et il est temps de redescendre sur terre. Nous parlons peu, chacun est un peu perdu dans ses rêves. Sur le chemin du retour, nous croisons nos amis venus à notre rencontre. A nos sourires béats, ils comprennent vite que nous avons réussi. Ce sont de nouveau des rires, des embrassades, de la joie partagée.


Ce soir, nous sommes seuls au refuge avec le couple de gardien. Dans la cheminée, le feu crépite. Dehors le vent hurle dans les tôles et la neige tourbillonne. Jean-Pierre fête son anniversaire en dansant avec l'accorte gardienne. Je sirote une p'tite bière. Finalement, Dieu existe peut-être!!!

Dominique