Dry à Saint Clair

Du Dry-tooling en Normandie… sérieux ? Il n’y a même pas de montagne dans ce coin !Les cadors de la discipline sont partagés entre la perplexité et la curiosité.


Le principe du Dry-tooling est de grimper sur du rocher avec le matériel de glace (crampons + piolets). Dérivé de la cascade de glace, le Dry-tooling est devenu une discipline à part entière avec ses spots, ses compétitions, son matériel spécifique et ses stars… Ce n’est pas une mode mais bien une évolution structurelle de la grimpe qui étend le champ d’action de l’escalade libre et permet la réalisation des courses mixtes difficiles en montagne. Cette vision alpine et moderne de la grimpe a permis les réalisations les plus techniques ces dernières décennies.


C’est en 2014 que je découvre le Dry-tooling à l’occasion de la finale du DTS (Dry-tooling Style) Tour à l’Usine près de Grenoble. Une puissance, une technique et un engagement mental énorme : vraiment impressionnant ! Depuis cette découverte je pratique le Dry-tooling dès que je le peux, évidement à mon petit niveau mais avec beaucoup de motivation.

En 2015-2016, je propose au CAF de Caen de monter une voie d’initiation au mur. Dans le même temps je rencontre Emmanuel Crevon et Jean-Pierre Quin, deux grands glaciéristes rouennais un peu fêlés du bocal qui font du Dry-tooling depuis plusieurs années à Connelles…en secret. Le courant

passe vite entre nous et je suis content de rencontrer enfin des camarades de pioches. Des voies d’initiation sont ouvertes au mur de Dévé de Rouen et Connelles devient un vrai site de Dry-tooling avec une petite dizaine de voies équipées… Nous commençons joyeusement à nous péter les bras surtout avec Clément Serrat (équipe jeunes alpinisme Normandie) et Raphaël Devin.


En 2017, j’intègre le Comité régional Normandie FFCAM en tant que Délégué Technique régional (DTR) Dry-tooling. Mon rôle est de développer le Dry-tooling dans la région. Je commence donc par créer le DTN (Dry-tooling Normandie), un groupe de grimpeurs passionnés de dry ainsi qu’une page Facebook. A l’automne, le DTN participe au DTSTour (championnat de France de Dry-tooling), nous sommes accueillis chaleureusement par l’élite nationale.

Je propose aux CAF normands d’ouvrir des voies d’initiation dans leur SAE. Ainsi, nous ouvrons à Evreux, Flers en plus de Rouen et Caen. L’idée est de faire découvrir cette nouvelle activité dans notre région à nos adhérents et aussi de les entraîner aux sorties cascade de glace. A chaque déplacement, je demande aux locaux s’il n’y a pas un bout de rocher ou nous pourrions ouvrir…on a faim !



Au CAF de Flers, je parle avec Franck Gauquelin et Paul Chatelais, ils m’indiquent Saint Clair de Halouze (que je connaissais pour le bloc) et me parle d’un toit abandonné depuis des années. Je fonce voir in situ avec Manu…nos yeux brillent et nous traçons de lignes imaginaires. Je me renseigne sur ce site Toit du Barnabé et j’apprends son histoire…J’hésite. Je ne veux pas froisser les anciens alors je veux en parler aux locaux et à une référence normande. Je demande à Seb Gras. Il m’envoie prospecter plusieurs sites potentiels dans la région (anciennes carrières, spots secrets…). Merci Seb ! Certain sont intéressants et je les garde en tête. Je reste quand même fixé sur ce toit. Je discute avec Seb ainsi que les locaux et j’obtiens leur aval moral. Je demande à Raymond Toupin (Pdt du Comité régional) du matériel d’équipement : je récolte suffisamment de broches, colle, perfo pour équiper le pays.

La traversée des Dieux D4

Hiver 2017, je me lance dans l’équipement du toit et d’une autre voie en traversée (dalle). Je passe une journée entière à jardiner le départ du toit et de la dalle. Il me faudra une seconde journée pour sceller les deux relais. Bon Dieu, le rocher est plus que dur : pour faire un trou, je crame une mèche et une batterie ! Une troisième journée pour sceller les dernières broches de la dalle et je peux enfin marquer le nom de la voie : ça sera la Traversée des Dieux D4 en référence au passage délicat de la face nord de l’Eiger qui pour moi marque le début de l’Escalade mixte. La voie commence sur un éperon et suit une faille naturelle (coincement de lame) la suite se passe sur une dalle lisse en ascendance. La voie ressemble à une part de gâteaux. J’ai percé des petits trous pour les piolets lorsque que le « naturel » ne passe plus. La grimpe est globalement naturelle et fine. Un style intéressant et adapté à l’initiation.


Le Toit du Frustré D7 (à confirmer) Départ


Enfin, je m’attaque au toit en scellant le relais (extrémité du toit) et les trois premiers points du bas. Le départ est entièrement naturel (inversées dans dièdre/faille naturel) et très « psycho ». L’équipement est très discret si bien que la voie ne gêne en rien les blocs et autres voies.

Pour équiper le toit a proprement parlé, j’ai tendu une tyrolienne entre le relais et la broche de l’angle. Je me suis vaché aussi sur les vieux pitons rouillés qui traînaient (sueurs froides !!). Ce fut la bataille pour sceller chaque broche (équipement à bout de bras). Une autre journée me fut nécessaire pour créer les prises de piolet dans le toit et essayer les mouvements.


Enfin, je motive Raph pour libérer enfin ce toit. Le départ en coincement naturel attaque le moral et demande une grande précision. Un petit repos à la cassure permet de remonter ses organes descendus bien bas juste avant. A ce stade il ne faut pas trop traîner ni regarder le toit fuir au-dessus car sinon nous nous faisons trop impressionner. La première prise est une inversée, le reste que des bacs très éloignés avec des pieds à trouver. Je lâche souvent les pieds car cela me facilite enchaînement (à mort les Yaniro !). L’équipement est rapproché si bien que la chute est sans conséquence. Le crux est sur la fin. La ligne est quasiment directe dans le toit et je la flash en criant un peu. Quelle joie de libérer enfin ce toit en libre ! Est-ce une première ? Les copains essayent en criant plus fort…les mouv’ sont cool. J’ai enfin un nom : le Toit du Frustré en référence à la Dalle du Frustré et aussi parce qu’on aimerait avoir un plus gros toit… La cotation : D7 à confirmer. Un coin de bois et des pitons de toutes les formes nous donnent une impression de montagne et nous témoignent des « années artif ». Nous grimpons à travers le passé. Je dédie cette voie à Jacques Lebégue en espérant qu’il aurait cautionné la chose.

Plusieurs sorties avec les grimpeurs normands me font redécouvrir Saint Clair. Quel potentiel ! Du Dry-tooling, du bloc, de la diff et une belle forêt (Trail, VTT et rando), combien de sites normands proposent autant d’activités ? J’essaye de motiver les CAF de Flers et Caen pour rééquiper les voies du secteur Barnabé (au moins faire des relais propres) et faire du jardinage sur le site de bloc. Avec Quentin Chouanneau, nous découvrons d’autres blocs à ouvrir ainsi qu’une nouvelle traversée de Dry-tooling !

Mi-avril 2018, j’accueille Coralie Jary à Saint Clair. C’est une grimpeuse de niveau mondial de la Sélection Nationale escalade sur glace FFCAM. Elle vient grimper avec le DTN et voir notre travail en Normandie. C’est une reconnaissance pour nous et on se prend à rêver à faire des étapes normandes au circuit national…

Depuis deux ans, je travaille avec la FFCAM, le Comité régional Normandie et la SNCF sur un projet d’équipement d’un ancien viaduc ferroviaire pour ouvrir un gros site de Dry-tooling. Projet très compliqué concernant les responsabilités et les démarches administratives…

L’histoire du Dry-tooling en Normandie est récente et comme toutes activités nouvelles, elle reste précaire. Il y a un fossé qui se creuse de plus en plus entre la montagne et les grimpeurs surtout chez les jeunes, si bien que les jeunes grimpeurs ne pratiquent plus que de la résine. Dans ce contexte le Dry-tooling n’a que peu de prise. C’est tout l’enjeu et le travail du DTN. Je suis confiant car la Normandie prouve encore une fois qu’elle est capable d’être à l’avant-garde et qu’il existe un vivier de futurs grands montagnards normands.

Je remercie tous les copains du DTN, tous les Dryeurs et tous les responsables du Club alpin de nous suivre dans cette aventure. Merci à Seb de m’avoir partagé ses connaissances.

Maintenant reste plus qu’à bouriner ensemble avec les pioches !