Le rêve brisé (2009)

J'ai toujours eu une tendresse certaine pour les beaux sommets chargés d'histoire. De même gravir une voie ouverte par un alpiniste que j'admire me procure une émotion particulière. C'est pourquoi nous avions décidé cet hiver, avec Pascal, d'aller visiter le Cervin. Lionnel qui caressait le même rêve fut bien sur invité et Alain, le Cherbourgeois, avec qui je partageais le début des vacances se joignit à nous. Deux cordées de deux, c'était l'idéal. J'avais choisi le coté italien, l'arête du Lion.

Nous nous retrouvons donc en ce début août à Breuil Cervina. Alain et moi arrivons de l'Oisans ou nous avons déjà bien crapahuté. Pascal et Lionnel débarque directement de Normandie. Pour s'acclimater et inaugurer son tout nouveau « initiateur randonnée alpine », ce dernier nous concocte une jolie rando puis nous allons traîner nos crampons du coté du Breithorn. La météo s'annonce particulièrement favorable et c'est gonflés à bloc que nous décidons de gagner le refuge Carrel

Cette montée est déjà une belle bambée. Tout commence en douceur à la sortie du téléphérique de Plan Maison par une traversée vers le refuge « Duc des Abruzzes ». Ensuite la sente se redresse et s'élève dans les contreforts de la tête du Lion à travers éboulis et névés puis, après une traversée aérienne sous le sommet de celle ci, débouche au col du Lion. Ici commence l'arête du Lion . Pour rejoindre la plate-forme où est perché le refuge Carrel, nous devons en gravir les trois cents premiers mètres coupés par un raide mur où flotte une de ces hideuses grosses cordes blanches.

Jusqu'ici la circulation vers le refuge nous semblait « fluide » mais nous avons la désagréable surprise de tomber sur un « bouchon » au pied du passage difficile. La fin de la montée s'effectue « au cul à cul » et là nous découvrons l'horreur. Le refuge est déjà complètement bondé. Un bordel monstre y règne, impossible de trouver une couchette et les cordées continuent à s'entasser. Pour les quarante places du refuge nous ne devons pas être loin du double. La convivialité ne règne pas franchement et c'est clairement « au plus fort la pouque » Comme l'arête du Lion est la seule course du coin et que l'ascension démarre fort par un autre raide mur à corde blanche, nous ne voyons que trop bien ce qui nous attend le lendemain. Ces foutues cordes sont décidément de très mauvaises augures. Il y a déjà quelques années nous avions eu, avec Serge, les mêmes problèmes de « bouchonnage » à la dent du Géant qui possède le même genre d'équipement Le moral est tombé au plus bas. Nous désirons gravir le Cervin certes, mais pas dans ces conditions Nous n'avons aucune envie d'aller nous mêler à la ruée vers le sommet. Alain propose même de redescendre immédiatement mais il est déjà tard et la descente est longue Pour couronner le tout bien que le refuge ne soit pas gardé, un guide du « Montecervino » viens nous racketer de 15€. Nous lui expliquons que c'est quand même un peu exagéré pour dormir sous une table au risque d'ailleurs de se faire piétiner!!! Après négociations, nous nous en tirons pour 10€

Avec Alain nous regrettons amèrement le paisible refuge des Bans et son gardien et sa gardienne super sympa. Certes « Isabelle aux Bans » ne débouche que sur une anonyme pointe des contreforts des Bans et « Le diable par la queue » ne parcourt que les modestes dents de Coste Counier mais l'ambiance y est très belles et nous y étions absolument seuls!! A choisir...

En observant l'arête nous nous apercevons que des cordées sont encore bien hautes sur celle ci et devrons user de la frontale pour rentrer. Nous entamons la conversations avec quelques alpinistes aussi désabusés que nous (il n'y a quand même pas que des sauvages dans ce refuge!!) et écoutons avec intérêt un guide qui explique à ses clients que le « plus sportif » survient lorsque la chenille des cordées descendantes commencent à croiser celle des cordées montantes. De plus ajoute t-il le rocher n'est pas terrible. Tout bon quoi!!! Nous passons le temps en aidant Pascal à vider son sac de victuailles qu'il a prévu fort généreux. Le seul moment sympa nous sera procuré par un magnifique lever de la pleine lune sur l'arête de Castor. Sublime. Les appareils photos sont à la fête La nuit est maintenant profonde et il faut tenter de dormir. En fouinant Pascal découvre trois couchettes qui étaient réservées mais qui sont vides. Nous décidons de les squatter. Nous serons réveillés par leurs « propriétaires », apparemment slave à l'accent, qui rentrent du sommet à...deux heures et demie du matin. Pas grave, nous trouverons à nous reloger dans les couchettes des premiers partants. Malgré un va et vient incessant nous réussirons quand même à dormir un peu avant de redescendre dans la vallée.

Bien sur je ne pensais pas que nous serions seuls sur le Cervin mais, et certain me trouveront peut être naïf ou aveuglé par mon désir de gravir ce sommet, mais je n'avais jamais imaginé que nous nous retrouverions au milieu d'un tel souk. Je pensais que nous serions plus tranquille sur le versant italien que sur le versant suisse; grave erreur!!!

Et pour une fois je suis en désaccord avec le grand Gaston, le Cervin n'est plus pour moi « une cime exemplaire »