Sam Bié sous la lentille
Je reviens de vacances.
D’un endroit fabuleux où la lumière est tellement omniprésente qu’elle semble pénétrer jusqu’aux pores de la peau. Un endroit où le spectre de couleurs élargit sa palette pour nous faire découvrir des tons inconnus et iridescents. Un endroit où les contrastes heurtent nos sens et nous laissent sans voix.
Je reviens de Floride!
Ignares… je vous entends ricaner du fond de vos grottes… La Floride… plus kitch que ça et c’est Hollywood! Et en prime, c’est un banc de sable : pas une seule falaise dans tout l’État. J’avoue que ce n’est pas l’escalade qui m’a attiré en Floride mais le surf. Et que si Mickey, Universal, Miami Vice et CSI sont kitch au possible, il n’en demeure pas moins qu’une grande partie de la région est quasiment vide de kitcheneurs et de kitchenettes. Pour un Cocoa Beach tartiné de corps nus comme vous souhaiteriez qu’il y en ait au pied de votre falaise fétiche, il existe à peu de distance au sud, des milles de plages totalement vides où de petites vagues viennent se briser depuis le début des temps. Pour un Orlando mickeysé, combien des marécages remplis d’alligators qui n’attendent que votre visite?
Un endroit parfait pour la photographie, la Floride…
Vous savez que la photographie est contemporaine de l’escalade? Que l’âge d’or de la photographie se juxtapose à l’âge d’or de la grimpe? Et que la ferveur montagnarde de nos prédécesseurs doit beaucoup aux premières images diffusées dans les salons et les conférences?
La vidéo, nouveau support qui ne s’est démocratisé que depuis quinze ans, n’arrive pas à la cheville de la photographie pour rendre l’atmosphère de l’escalade. Grimper, c’est souvent évoluer avec lenteur, être statique, bouger sur deux plans uniquement. Les détails s’effacent or ce sont ces détails qui font l’escalade et son environnement.
Et pour rendre ces détails, il y a les photographes. Des passionnés doués – car c’est un don – d’une vision personnelle et décidés à mettre les heures nécessaires pour faire le cliché idéal. Moi, je ne peux qu’admirer les photographes qui nous font rêver à tous les jours. Car souvent une jolie photo sera le point de départ d’une aventure!
Outre la technique et les heures passées au bout d’une corde, il y a un côté artistique à la photographie qui m’attire. Il y a cette recherche de la lumière idéale, ce désir de capter l’instant de grâce. Moi, comme un peu tout le monde, je n’ai ni la technique ni le talent : vous devriez voir mes photos de vacances! Ce ne sont que des souvenirs parce que je me souviens de ce que je voulais photographier. Ou parce qu’elles sont le souvenir d’un de mes doigts devant l’objectif…
C’est à la vue de ces désastres que m’est venue l’idée de demander au meilleur photographe de grimpe – Sam Bié – comment il fait pour réussir tous ces clichés hors normes. Je vous laisse juger de nos œuvres respectives :
a) Pourquoi un homme intelligent irait, en pleine connaissance de cause, se suspendre des jours durant au bout d’une corde pour photographier le sport le moins photogénique de la création ?
- Le "sport le moins photogénique de la création" ? Mmmm, je n'irai pas jusque-là, mais dans un sens, tu as raison... Ce n'est pas le sport en lui-même qui est ou n'est pas photogénique, par contre, le support sur lequel ce sport est pratiqué, lui, OUI. Enfin, je parle bien du caillou, pas du plastique. Le rocher, les formes, les lignes, les couleurs, çà, ça me fait tripper ! Ce n'est pas pour rien que mon péché mignon est le grand angle, cadrer un morceau de falaise hallucinant en y intégrant un grimpeur, souvent minuscule, pour donner une échelle à tel ou tel lieu extraordinaire, tout juste là comme un prétexte, histoire de rappeler que c'est de l'escalade, çà, j'adore, c'est beau !
Quant à l'homme intelligent, si un tant soit peu il l'était, je pense qu'au fond de lui, il se dit que ces heures d'effort et de patience pendu au bout de ses cordes, que ça vaut le coup, que ces visions de privilégié valent d'être partagées.
b) Est-ce que la photographie d’escalade et de montagne professionnelle demande de l’inconscience, du matériel spécifique, de la technique ou, plus prosaïquement, une bonne dose de chance ?
- Je ne pourrais pas vraiment te parler de montagne, c'est un milieu que je ne maîtrise absolument pas, même si les points communs sont abondants avec l'escalade.
De l'inconscience pour faire ce métier, c'est certain ! Pour le métier plus que pour le reste, dans le sens où crois-moi, je ne suis pas riche, loin de là. Les risques et paris financiers sont monnaies courantes, l'avenir est plus que précaire. Je travaille en quelque sorte "sans filet".
Le matériel photo n'est guère plus spécifique que d'autres domaines photographique. A quelques accessoires près, c'est le même que pour faire des photos de croquettes pour chien. Deux boîtiers, des objectifs, des flashs, des pochettes pour trimbaler tout çà au baudrier et un gilet de pécheur avec pleins de poches pour les bouchons, les batteries et le tabac (important !).
Le matos d'escalade, lui, se rapproche plus de celui des travaux accros, en essayant d'être le plus léger possible.
De la technique, oui, beaucoup. Un exemple concret, depuis le sol, je vois une voie qui m'inspire. J'essaye de visualiser mentalement ce que je pourrais avoir comme vision depuis tel ou tel endroit et l'idéal, très souvent, est un endroit situé en plein ciel. Ok. De là, j'analyse tout ce qu'il y a autour pour, techniquement, réussir au mieux à aller me placer à cet endroit inaccessible. C'est là que les compétences de bidouilles de cordes en tout genre entrent en jeux et bien sûr, le plus en sécurité possible. Le tout, à mettre en place le plus rapidement possible, car, la bonne lumière se barre vite, mon grimpeur n'est pas toujours patient et, je n'ai pas les moyens de rester trois mois sur un seul lieu. Une fois pendu à mes ficelles, il faut faire les photos. Tu l'as bien compris, je ne suis pas en studio, le confort est nettement moindre et à coup de grand angle, ma position est souvent acrobatique, donc physique. Oui, au grand angle, je vois facilement dans le viseur, mes pieds ou une sangle trop longue au baudrier, donc, je dois mettre mes pieds au-dessus de la tête et souvent encore, tenir le boitier et faire tous les réglages d'une seule main. Alors oui, c'est technique.
Et la chance, ben, pour reprendre une phrase que mon père m'a souvent répétée, "la chance, çà se provoque". Bien sûr, il y a toujours l'élément ingérable, le petit rayon de soleil qui va bien, mais je suis totalement d'accord avec cette citation, la chance, il faut aller la chercher, à l'égal de ce superbe slogan pour le Loto : "100% des gagnants ont tentés leur chance"...
c) Et comment y es-tu venu, à la photo à bout de cordes ?
- Tout simplement parce que c'était l'activité que je connaissais le mieux. Je suis un grimpeur à la base, ex-membre de l'Équipe de France, j'ai beaucoup grimpé étant jeune. Et la photo, mon père et mon grand-père ont été photographes une partie de leur vie, j'ai souvent erré tout gamin dans les chambre noires mais n'ai hérité de rien ou presque, juste des photos de moi, enfant, en noir et blanc, qui m'ont toujours plu. Puis, à force de feuilleter les magazines de grimpe et leurs belles images, j'ai eu envie, en 95, de m'y mettre aussi. Totalement autodidacte, dès le début, mon ambition était de vendre mes photos aux magazines, non pas pour en vivre, mais juste pour gagner un peu d'argent à réinvestir dans du matériel et des voyages. Ma première publication était une pleine page dans le Roc & Wall n°1, un mois et demi après avoir eu mon premier appareil.
d) Est-ce que tu as une ‘’vision’’ particulière, unique et personnelle, lorsque tu es en action (si on peut appeler ça de l’action….)
- T'as une dent contre l'escalade ou quoi ?!...
Je pense que mon point fort est ce que je t'expliquais plus haut : imaginer une vision d'un endroit précis, en 3D. Cette mentalisation se caractérise par la célèbre "tête de Sam" ! Demande aux grimpeurs qui me connaissent bien...
Une chose est sûre, c'est que ma "vision personnelle" (unique?) est celle que j'aime le plus, dont je suis "auto-fan", des images larges, avec un grimpeur en petit, qui montre le support.
e) Quelle est la meilleure photographie – outre celle que tu as manquée- le meilleur angle d’attaque, la meilleure lumière pour atteindre les sommets de ton art ?
- Chaque endroit est différent et encore différent lui-même au fil des années d'expérience qui s'accumulent. Refaire la même photo 10 ans après, est quasiment impossible... Je n'ai pas la prétention d'affirmer qu'une technique est la meilleure. C'est du feeling : on en a tous un, différent, à un moment donné. Deux photographes, au même endroit, dans des conditions exactes, sortiront des photos différentes.
Personnellement, mon meilleur angle d'attaque est justement cet angle, c'est de me placer au bon endroit. Je ne suis pas un stakhano de la lumière parfaite, à tel point que la majorité du temps, je préfère l'ombre.
La meilleure photo, ben justement, c'est celle que l'on manque... La scène qui se passe devant les yeux, celle où l’on n’a même pas le temps de dire "clic". Des fois, il faut savoir uniquement apprécier le moment présent, un souvenir est fait pour être dans la tête, pas pour être accroché au mur, sinon, ça s'appellerai un poster...
f) Est-ce qu’il existe un rocher idéal pour la photo ?
- Idéal, je ne pense pas, toutes les formes sont dans la nature, par contre, des rochers "caca-beurk", super dur à rendre beau en photo, çà, y'en a.
g) Quel type de grimpeur t’inspire le plus ?
- Un type particulier, non. Certains sont plus photogéniques que d'autres. Mais ceux qui sont motivés, qui m'aident pour réussir une belle photo, çà, c'est appréciable.
h) Comment concilier la vie de photographe, les déplacements et voyages et la vie de famille ?
- C'est pas simple, encore que, je ne suis pas celui qui bouge le plus. Cumulé, c'est environ 4 à 5 mois de déplacement par ans. Çà demande un peu d'organisation et de respect pour ceux qui restent. J'en profite d'ailleurs, pour dire merci à Eva, mon épouse, Yohan, mon petit garçon patient et mes parents dans leur rôle de papi et mamie.
i) Comment vois-tu le milieu de la montagne dans vingt ans et où seras-tu ?
- Dans 20 ans, je pense que ça n'aura pas beaucoup changé, si ce n'est que l'escalade sera au Jeux Olympiques, sous une forme regrettable, "la vitesse", et que le 9b se fera à vue (enfin, çà c'est pour dans 3 ans !). Les nouveaux terrains de jeux seront beaucoup plus rares, les falaises actuelles plus usées, les Chinois seront non seulement les Maîtres du Monde, mais aussi les plus forts en escalade, car, depuis longtemps, je trouve que la morpho-physiologie des asiatiques est la plus adaptée à cette activité.
Quant à moi... Si tout va bien, un vieux con de 60 ans...
j) Outre la photo, quelles sont tes passions ?
- Les voyages, le bricolage mais aussi la photo... Et la photo également.
k) Pâtisserie et vin favoris ???
- En vin, je ne m'y connais pas plus qu'en marque de chien ou de fleur. Je sais juste, qu'une fois dans ma vie, j'ai bu ce que je considère comme du vrai vin, c'était, euh... J'en sais rien, c'était waow... Pas pareil !
En pâtisserie, mes meilleurs souvenirs, sont celles de Sicile ! Les Cannolis et même si je ne suis pas très glace, celles maisons, étalées à la spatule dans une brioche ! Mais bon, les sucreries, j'essaye de me modérer, je suis diabétique...
l) Le plus bel endroit visité jusqu’à présent ?
- La grande arche de Gétu en Chine, pendant le dernier PETZL RocTrip, les très graphiques orgues basaltiques d'Arménie, l'immense chaos de bloc d'Hampi en Inde, les paysages américains, les Météores grecs sous la neige, Taghia au Maroc, et il y en aura d'autres...