Flamanville

Vue par Sébastien Chausse, grimpeur du CAF du Cotentin

Vers les années 1995-1996, je rencontre, en compagnie de Vincent Deganne (mon compagnon de cordée à l’époque), un extra-terrestre, pour nous : Jacques Lebever. On m’avait parlé au sein du CAF d’un type un peu « rustre » qui passait tous ses week-ends sur le site de Flamanville à faire du coinceur et à nettoyer des voies.

On a donc décidé d’aller voir… Et, là, ce fut la révélation. Un terrain de jeu exceptionnel: malgré le peu de hauteur, l’ambiance était bien présente, sûrement liée à la présence de la mer, aux lignes esthétiques du rocher et à l’engagement qu’impose l’escalade sur coinceurs.

Pour nous qui ne parlions que Montagne et grandes voies rocheuses dans les Alpes, ce site deviendra un excellent terrain d’entraînement.

Jacques Lebever, lui, était ravi, car il avait trouvé en « ses 2 jeunes fous » -comme il disait-, de bons cobayes. Jacques, seul en semaine, grimpait souvent en auto-assurance, nettoyait et bichonnait ses voies. Et le WE, il nous envoyait dans ses dernières trouvailles. Il connaissait toutes les prises, toutes les possibilités de coincements. Il grimpait aussi parfois avec les Caennais lorsqu’il les croisait de temps en temps sur la paroi.

Mes meilleurs souvenirs à l’époque : l’ouverture, en compagnie de Jacques, des « Gouillots » (secteur le bivouac) ; une voie de 3 longueurs sur une falaise haute de 35m en train de chercher les points verts peints par Jacques pour trouver la voie traversant au-dessus du grand toit. A chaque mètre d’escalade, j’écoutais le descriptif de Jacques et la direction à prendre. Au fur et à mesure de l’escalade, le son de la voix de Jacques diminuait, contrecarrée par le bruit des vagues. Grande sensation de seul au monde dans cette face.

L’autre bon moment, ce fut l’escalade de Captain Flam (6A, secteur captain flam) en compagnie de Vincent Deganne qui était parti en tête. Au niveau du crux, Vincent ne pouvait revenir en arrière, une jambe tremblait puis tout s’est mis à trembler. Le dernier coinceur était déjà loin, il décida alors de lancer un gros excentrique dans une faille qu’il avait repérée mais qu’il ne réussissait pas à atteindre. Epuisé, il se pendit dessus et par miracle, le gros boulon tint. Ouf!

Jacques délaissa un peu le site de Flamanville qu’il trouvait trop dur par rapport à sa nouvelle trouvaille : le Nez de Voidries dans la Hague. C’est moins dur, c’est plus haut (45m) mais c’est beaucoup plus chaud!! La qualité médiocre du rocher crée une incertitude supplémentaire à l’escalade d’où des noms d’ouverture comme Armageddon…Là aussi pas mal de dimanches passés en sa compagnie et des grosses émotions parfois…


Il s’en est passé des années à arpenter ce site de Flamanville, ses secteurs, à rechercher et grimper des nouvelles lignes de fissures et aussi à imaginer des lignes dans ses boucliers de dalles ou fissures bouchées.

Et oui, comme dans tous les sites d’ailleurs, si le granit de Flamanville se prête souvent bien à la pose des coinceurs, il arrive parfois que certains passages ou zones soient dépourvues de fissures ou de solutions pour se protéger. Plusieurs choix s’offrent alors:

- Les grimper en solo ou en escalade exposée avec un risque de retour au sol très important sur une bonne partie de la voie. Certains le font. Ils ont le niveau qui leur permet d’être à l’aise. Ils ont la chance de la sortir et de s’en sortir. Ils l’annoncent sur un topo, ça flatte leur égo et la voie n’est jamais refaite (même par eux!).

- Rester à les imaginer.

- Ou à la mode « Piola » comme dans le massif de Chamonix : poser les quelques points strictement nécessaires pour faire cette voie dans un engagement mesuré. C’est ce choix, réfléchi et muri, que j’ai effectué pour l’ouverture de ces quelques lignes que j’avais repérées depuis tant d’années et qui me semblaient « majeures » depuis un bout de temps. Avant de juger ou critiquer, allez grimper « l’Océan du vide », « Zoématelot », « Yes, we can », « Au sombre héros de la mer », vous verrez que ces voies sont loin d’être des échelles à spits, voir des via-ferrates comme j’ai pu le lire. D’ailleurs, n’oubliez pas vos coinceurs, ils vous seront fort utiles.

Quelques relais ont aussi été équipés en haut de voies pour faciliter l’accès, pouvoir grimper par marée assez haute et éviter de grimper dans des pentes d’herbes et de terres pour aller entourer le seul pauvre rocher avec sa sangle de 4m. Je suis d’ailleurs content que ces relais aient pu permettre parfois l’ouverture de nouvelles lignes entièrement sur coinceurs. Le seul relais de « l'océan du vide », a, par exemple, permis l’ouverture de 3 lignes dont 2 entièrement sur coinceurs. Bien sûr il y a toujours des professionnels de la critique qui, suivant leur niveau d’escalade, pensent que tel ou tel spit n’était pas obligatoire…la guerre des pitons n’est pas terminée…

Enfin un site qui vit est un site qui est pratiqué. J’organise depuis des années des sorties coinceurs « terrain d’aventure » au sein des activités du CAF Cotentin. (5/6 sorties par an sur Flamanville). Il n’y en a pas beaucoup, des clubs de « plaines» à organiser des sorties terrain d’aventure et à faire découvrir à des personnes intéressées l’escalade sur coinceurs! Si on veut que l’activité perdure, il faut la faire découvrir et éviter qu’elle ne soit réservée qu’à une élite à l’égo surdimensionné. Mais la responsabilité est grande d’emmener des personnes découvrir ce genre d’escalade même si ce sont déjà des grimpeurs perfectionnés. Ce n’est pas comme y aller avec son pote.

L’engagement, même dans les voies faciles, doit rester mesuré. Il en faut pour tous les goûts et les niveaux. Alors oui, la pose d’un seul spit peut permettre d’effectuer une voie qui auparavant n’aurait jamais été reprise.

L’apparition de nouvelles voies dans certains secteurs entraina l’apparition d’un topo téléchargeable gratuitement sur le site du CAF Cotentin inspiré fortement de celui de JC Laville. Nouveauté imprégnée des pays anglo-saxons, les voies sont cotées par difficulté et engagement (de E1 à E4). Mais tout cela reste très subjectif.


A lire certains propos, on aurait assisté à un véritable ferraillage de la falaise du sémaphore. Ne vous inquiétez pas, le site reste très typé « terrain d’aventure ». Amis bretons, ne vous attendez pas non plus à un site comme Pen-Hir où l’on alterne entre voies sportives et voies T.A. Ici ce sera 95% voies T.A et 5% voies mixtes (coinceurs et quelques spits) et c’est très bien ainsi.


Enfin la nature, en l’occurence ici la mer et l’érosion, poursuit son travail de renouvellement des voies. La voie « Florilège » dans le secteur bivouac n’existe plus. Elle s’est éboulée de haut en bas modifiant aussi le bas de « la Chiure ». Une zone importante du secteur « Dévers » s’est elle aussi éboulée. Une érosion lente et continue se poursuit tranquillement sur le haut des voies. C’est comme ça, on est finalement pas grand chose…

Pour finir, l’escalade dans le Nord-Cotentin et notamment sur la côte ouest ne date pas d’hier. Des vestiges d’équipement ont été retrouvés un peu partout: dans des secteurs sur Flamanville (secteur du dévers: quelques vieux spits, secteur des terrasses: 1 vieux spit et 1 vieux clou, secteur du bivouac: quelques vieux clous), sur les falaises de la Fauconnière et même sur une face de la Montagne du Roule sur Cherbourg!

Selon mes recherches, ces équipements dateraient des années 80. A l’époque, une section Escalade s’était crée à la COGEMA (AREVA maintenant) mais je n’en sais pas beaucoup plus. Je pense seulement que Yves COTTEBRUNE en faisait partie? C’est lui qui propose maintenant la visite des grottes de la Hague au départ de l’auberge de Jobourg.


Vue par Jean-Christophe Laville

Tout a commencé par une vieille photo en noir et blanc.

Elle était plutôt ratée : Pas de beau geste, mal cadrée, un tirage plutôt palot.

On voit surtout une paroi et, à son pied, un grimpeur avec un casque qui s’apprête à commencer son escalade, quelques blocs et un morceau de mer.

Un simple calcul de proportionnalité accessible même au plus obtus des stapiens permet la conclusion suivante :

La paroi mesure au moins 25 mètres…

Certes l’habitué du Verdon ne verrait rien d’autre qu’une photo pourrie mais, pour nous, les Normands, une telle paroi provoque un flot de sécrétion d’hormones « rocalus ».

25 mètres, verticale, propre, non équipée !!!! Ce serait un véritable une sacrée aubaine…

Question : où la photo a-t-elle été prise ?

Personne ne sait…La photo a été placée en évidence dans la bibliothèque de la permanence Rue de Geôle au CAF de Caen.

Je viens régulièrement le jeudi pour assurer la permanence et organiser le we à venir.

J’interroge tous le monde et en particulier la cohorte la plus représentée au CAF : les anciens.

Mais personne ne sait rien de cette photo, ni qui l’a laissée à la permanence, ni quand, ni où elle a été prise.

Mystère et excitation !

Car nous sommes au début des années 90. Cette paroi vierge de tout équipement serait un miracle.

Chaque mètre carré de notre chère région a été quadrillé avec soin afin de découvrir d’éventuelles merveilles cachées. Ces dix dernières années, chaque bout de rocher a été repéré, nettoyé, broché, bichonné et parcouru dans tous les sens ; toutes les variantes possibles et imaginables ont été réalisées. Et quand je dis nettoyé, je parle d’un véritable nettoyage. Dans le Sud, la plupart des futures voies sont trouvées « prêtes-à-grimper ». Le nettoyage consiste à faire tomber les quelques rochers branlants et à enlever les quelques rares lichens présents. Nous, ils nous faut parfois une journée pour dégager quelques mètres carrés de rochers. La scie, la pelle, la bêche, la truelle et même la lance à incendie font partie de l’équipement indispensable du bon petit équipeur normand (sans conter que souvent, une fois l’hiver passé, il faut recommencer...).

Au final, toutes les voies de Normandie ont été équipées : c’est le début du règne de sa majesté la broche.

Les mots « terrains d’aventures » n’existent pas. Si vous parlez coinceurs et friends, au mieux on ne vous comprend pas, au pire vous passez pour un demeuré.

Tous les grimpeurs ont été convertis à l’escalade sportive.

Tous les grimpeurs ? Non, une équipe de jeunes grimpeurs résiste et cherche une falaise inexplorée pour grimper sur coinceurs !

Alors cette photo excite ma convoitise…

Bien sur, je pense rapidement au Nord Cotentin. Mais aucun site connu ne correspond à la photo.

Certes, elle pourrait prise en Angleterre ou en Bretagne.

Mais mon intuition me dirige vers le Nord Cotentin. Un beau jour de mai 90, je décide de partir explorer cette côte.

J’appelle les copains… personne de libre. Sauf trois copines : Pascaline, Nathalie et Carole. Que des filles…

Pas terrible pour une exploration. Mais on fait avec que l’on a !

Direction Diélette dans le Nord Cotentin.

« Diéletteest le port de la commune de Flamanville, situé à l'extrémité nord de celle-ci. Il s'agit d'un ancien village de pêcheurstypique. » d’après Wikipédia.

Un port, la plage, un camping (qui n’existe plus) mais aussi (wikipédia a oublié) la centrale nucléaire….une paroi : que dalles (ah ! ah !).

Par contre de la pluie ! Du coup, l’une des trois sirènes propose d’aller voir « les visiteurs » à Cherbourg. Pourquoi pas... A travers cette décision, on comprendra facilement le sentiment de désespoir, la perte de motivation que je ressentais.

Le lendemain : il fait beau. Je ne sais pas pourquoi, la même déesse nous propose de suivre le chemin sinueux qui mène au Sémaphore de Flamanville. Allons-y.

Au sémaphore, la vue est splendide : la mer, les iles Anglo-Normandes et la côte sauvage du Nord-Cotentin. Mais, à priori, rien de grimpable.

On décide de suivre le chemin des douaniers. Quelques mètres plus loin, un chemin ou plutôt une vague sente, semble se diriger vers la mer.

On la suit, elle mène à une ancienne carrière puis à un accès escarpés au bord de mer.

Et là….

Avez-vous déjà vécu un tel choc dans votre carrière de grimpeur ?

Vous découvrez une falaise entière, propre, avec un potentiel d’une centaine de voies…

Dans un cadre magnifique, un jour de soleil resplendissant…accompagné de trois superbes créatures !

Du beau granit, de splendides fissures, des dièdres déversants, des pas d’adhérence subtils ...

J’étais dans un état d’excitation indescriptible, je ne savais pas par quoi commencer ! Dans quels itinéraires vierges allais-je me lancer ?

Ce jour-là, j’ai ouvert macadam line mais aussi les ribaudes et les gueuses (je vous laisse deviner l’influence)…

Puis l’exploration de la paroi et la fièvre de l’ouverture ont commencé.

D’après mes sources, la falaise a connu deux périodes de fréquentation et d’ouverture importantes:

Par les grimpeurs du CAF de Caen entre les années 1993 et 1998.

Où toutes les voies ont été ouvertes avec l’éthique suivante :

- aucun repérage en rappel du haut,

- ouvertes du bas en libre.

Puis, par les grimpeurs du CAF de Cherbourg jusqu’au milieu des années 2000 (avec l’apparition des premiers spits)

Depuis le site semble connaître une fréquentation relativement limitée.

Bien entendu, je suis le Christophe Colomb de la falaise de Flamanville : d’autres avant moi avaient « découvers », le site. Pour preuve, nous avons retrouvé un vieux piton « en pâte feuilletée » dans le décor des cormorans au secteur bivouac et un spit dans le secteur des terasses.

Il existait même une description de l’accès au site dans le topo « Escalade en Nord-Cotentin »…..

Quelques anecdotes de l’histoire de Flamanville.

Ouverture de « A dégoutter complètement » 6b:

La première de cette voie a été réalisée par un grimpeur confirmé (l’ouvreur) et un débutant. Ce dernier grimpait, depuis seulement trois jours, à la falaise du Sémaphore. Il ne connaissait donc que l’escalade sur coinceurs. Malicieux, l’ouvreur ne lui avait jamais parlé des autres méthodes de protection. Quelques jours plus tard, la même équipe part escalader les rochers du Parc à Clecy. Ils font une voie et arrivés au relais, le débutant demande à l’ouvreur : « Comment fais-tu pour enlever les broches ? ». Pour le débutant, il n’était pas possible de laisser du matériel derrière soi. Cela le choquait et il ne trouvait pas cela normal. Comme quoi tout est une question d’éducation.

Benoit à l’ouverture de Jivaijivaipa

Ouverture de Jivaijivaipa 5+ :

Connaissez-vous le Yo-Yo ? Je cite le dictionnaire : « jeu formé d’un disque de bois évidé par le milieu de la tranche, que l’on fait descendre le long d’un fil enroulé autour de son axe ». Cette voie se termine par un dièdre arrondi et sans fissure qui rend impossible la pose d’un noble coinceur. Bien entendu, selon cette bonne vieille loi de Murphy, c’est là que se situe le « crux » de la voie. Toutes les conditions sont réunies pour jouer au Yo-Yo de l’ouvreur : Quelques mètres au-dessous du « crux », il se dit : « Allez, j’y vais », une fois dedans, il se dit : « Mais, bon sang, pourquoi me suis-je fourré dans cette galère ? Qu’est-ce qui me prend de vouloir grimper avec des coinceurs? Les broches c’est tellement mieux ! ». Après ces réflexions, il redescend. De nouveau en sécurité, il regarde le passage honni et il remarque alors une prise cachée, il repart. Mais de nouveau dans le « crux », il ne la retrouve plus, alors il redescends, etc.



Le retour d’un pionnier.

Après 10 ans d’absence, je suis enfin de retour à la falaise du sémaphore dans le secteur du bivouac au pied du mur de « macadam line»

Horreur: qu’est-ce qu’Il a fait?

Sans même m’en parler, Il a pris sa brosse céleste et Il a frotté et nettoyé le mur de « Macadam line »;

Le mur n’est plus noir mais ocre.

A cause de Lui, va-t-on être obligé de changer le nom de la voie? Macadam, tu parles! Ça ne colle plus! Il se prend pour un écolo! Plus de pollution, plus de noir!

Alex: « JC, eh, JC! »

Ah oui, je suis accompagné d’Alex qui vient pour la première fois au sémaphore. Il veut découvrir l’escalade sur coinceurs.

Alex: « cette ligne, elle est grimpable? »

Alex me montre du doigt « la ligne », celle qui immédiatement appelle à l’escalade, celle que j’ai ouverte en premier dans le secteur, celle qui a subi une décoloration transcendantale.

Alex s’en fout, lui du changement.

moi: « Ouais, ça se grimpe ». Je ne rajoute pas : « d’ailleurs, c’est moi qui l’ai ouverte » parce qu’il paraît que je la ramène tout le temps.

Alex: « combien? » Il ne parle pas de tarif, vous l’aurez compris.

Moi: « 6a »

Alex: « bon alors je l’a fait ».

Moi, obligé de faire un peu le pédago: « euh, t’apprends peut-être à poser les coinceurs avant? ».

D’autant plus que, non seulement « macadam » est intégralement sur coinceurs mais le relais aussi. J’ai pas envi de grimpeur en second en me posant des questions existentielles sur la qualité de son relais.

Après quelques grimpes à caractère pédagogique, Alex a grimpé « macadam line ».

Conclusion: peu importe la couleur, ce qui est vraiment excitant c’est la ligne ( bien entendu, il n’y a dans cet adage aucune allusion à caractère sexuelle).

« Macadam ligne » c’est un peu comme la « fissure Gobbi » à Mortain: Dieu l’a crée pour être grimpée.

Jean-Christophe dans Macadam line, 6a

En conclusion, plus besoin de traverser le « Channel » pour retrouver « the English way of climbing ». A la falaise du Sémaphore en Basse-Normandie, vous trouverez la même mer, le même rocher et la même nécessité d’avoir sur votre baudrier coinceurs et friends.

Enfin, si nous avons bien exploité une nouvelle falaise, je ne suis toujours pas certains que la photo correspondent à la falaise de Flamanville.

Qui sait ? Il y a peut-être quelque part une falaise inexplorée qui vous attend….