William Dahan

(1918 - 2012)



L’engagement d’un cheminot syndicaliste

Dans les locaux du collège de Courdimanche, William Dahan est face à un petit groupe d’élèves qui se penchent sur ce que furent ses convictions et sa participation à la Résistance, à l’origine de sa découverte de l’enfer des camps.

La démobilisation et le retour à la vie civile en 1940

Comme tous les jeunes, j’ai été soldat. J’ai fait partie de la classe de 1938. J’ai donc fait la guerre, participé à la « drôle de guerre », et j’ai été blessé à la bataille de Rethel. Ramassé par les Allemands et emmené comme prisonnier (voir note n°1). Seulement l’avantage que j’ai eu, c’est que je ne suis pas parti pour l’Allemagne. Pour la bonne raison que j’étais employé de chemin de fer et que je travaillais dans un dépôt de locomotives. Comme ils avaient besoin de cheminots et surtout de gens qui avaient l’habitude de monter dans les locomotives, j’ai été libéré ce qui s’appelle « sur parole ». C’est ainsi que je suis rentré chez moi au mois d’août et que début septembre 1940, je suis retourné au dépôt de la Plaine-Saint-Denis où je travaillais sous contrôle allemand. Il fallait aller à la Kommandantur tous les quinze jours, signer pour attester qu’on était toujours présent.

L’entrée au syndicat clandestin des comités populaires

Avant de partir à la guerre, j’étais aux Jeunesses communistes et quand je suis arrivé au dépôt de la Plaine-Saint-Denis mes camarades me connaissaient. Pétain avait pris le pouvoir et la première chose qu’il a faite puisqu’il a collaboré, ça a été de détruire les syndicats. Il n’y avait plus qu’un syndicat unique dont les responsables étaient nommés sur l’ordre des préfets. Ça ne plaisait pas dans le monde des cheminots. Il y avait eu ce qu’on appelle les 40 heures, les congés payés, les comités populaires de l’époque. (voir note n°2). Donc il était ancré dans l’esprit des gens, des jeunes, que d’enlever les syndicats, c’était quelque chose d’inadmissible ! Ainsi, il s’est construit ce qu’on appelle des syndicats clandestins « les comités populaires » et j’y suis rentré. Le travail de ces comités populaires,

c’était d’abord de demander des augmentations de salaires parce que la vie était très chère, avec la multiplication des tickets d’alimentation. Et puis ça va continuer comme ça. On va se mobiliser de plus en plus. Il y aura des petites grèves d’ailleurs malgré l’Occupation allemande !

Les premières actions résistantes par le sabotage

Et en même temps il fallait travailler le moins dur possible pour les troupes d’occupation allemande. On faisait ce qu’ils appelaient des « petits sabotages ». Ces petits sabotages aujourd’hui, c’est assez difficile à décrire parce que la technique a avancé et un wagon d’aujourd’hui ou une locomotive actuelle ne ressemblent pas à ceux de 1940. A cette époque, il y avait surtout des wagons de marchandises sur lesquels il y avait un essieu, évidemment, pour faire tourner les roues et de chaque côté de cet essieu, il y avait une boîte dans laquelle on mettait de l’huile pour que ça ne se grippe pas. Eh bien nous on mettait du sable ! Lorsque le train était parti, qu’il avait fait 25 ou 30 km, il était bien obligé de s’arrêter, la fusée était grippée. Ca, c’était un exemple de petits sabotages qu’on a commencé à faire.

La naissance des premiers mouvements de Résistance

Lorsque l’on voit chez soi un pays comme le nôtre complètement battu, que l’on voit flotter sur ses mairies un drapeau allemand , tout ça ça fait mal et les gens réagissent. J’estime que c’est une erreur de croire qu’il a fallu longtemps avant que la Résistance se mette au travail. Il va y avoir l’appel de De Gaulle, pas tellement entendu, tout au moins dans la région parisienne pour une bonne raison : à l’époque tout le monde n’a pas la radio. C’était des appareils qu’on écoutait en fonction de ses moyens. En plus de ça, c’était interdit d’écouter la radio anglaise. Par contre, dans le centre de la France, il y a des officiers, des soldats qui attendaient dans les casernes, l’arme au pied, d’être démobilisés, et qui purent entendre l’appel de De Gaulle et qui ont réagi. Le Parti communiste français a été mis dans l’illégalité. Il avait été interdit par le gouvernement Daladier en septembre 1939. Assez vite, ce parti a cherché à construire clandestinement un mouvement, et ça sera l’ « Organisation Spéciale ».

Un des principaux responsables sera Marcel Paul. Ce sont des débuts d’organisation de Résistance tout à fait embryonnaires. Par la suite, on aura les mouvements « Libération-sud » avec d’Astier de la Vigerie, et « Libération-nord » avec Christian Pineau. Dans la zone non-occupée, à Lyon, on aura à peu près les mêmes mouvements, avec Combat et Franc-Tireur. Entre la fin 1940 et la fin 1941, ça commencera à se mettre en route. La mise en œuvre de la Résistance fut en définitive assez rapide.

L’exécution de Jacques Bonsergent et la bravade du 11 novembre 1940

Le 11 novembre, c’est la célébration de la fin de la guerre et de la victoire de 1918, donc les Allemands avaient interdit toute manifestation patriotique et ils étaient un petit peu sur les dents. Or la veille, le 10, un couple de jeunes gens vient d’assister à un mariage à Herblay. Lui, c’est un jeune, il est ingénieur, il est sorti

lauréat des Arts-et-Métiers. Au mois de novembre, il fait déjà nuit quand ils rentrent à Paris par la gare Saint-Lazare. En face de la gare, un hôtel, devant lequel deux Allemands sont en train de se disputer. En passant l’ingénieur bouscule malencontreusement un des Allemands. On arrête ce garçon, il n’a rien fait ! Les Allemands le mettent en prison et pour frapper l'opinion publique et faire peur à la population française en faisant un exemple, le condamnent à mort. … C’est le premier garçon qui va être fusillé, la veille de Noël, au fort de Vincennes… Le premier civil fusillé… Il s’appelait Jacques Bonsergent. Il avait 28 ans… A Paris, une station de métro entretient son souvenir en portant son nom. Le 11 novembre 1940, des jeunes gens, des jeunes filles, lycéens pour beaucoup, vont faire la première manifestation au nez et à la barbe des Allemands. De Gaulle avait demandé, de Londres, qu’on aille fleurir la tombe du Soldat inconnu, avec drapeaux tricolores déployés. La police française, qui collabore avec l’occupant, et la police allemande vont tirer. Il y eut des blessés mais heureusement pas de tués. C’est une des premières manifestations patriotiques de l’Occupation. Un premier acte de Résistance au grand jour… A la suite de cela d’ailleurs toutes les universités et l’Ecole Normale Supérieure furent fermées sur ordre de Pétain et de son gouvernement collaborationniste.

L’intégration au sein des FTP et les premiers déraillements

Les mouvements de Résistance commencent déjà à prendre de l’ampleur. Et moi qui suis toujours dans ces syndicats clandestins, je vais entrer en 1941 dans un de ces premiers mouvements de Résistance qui s’appelle les Francs - Tireurs - Partisans, les F. T. P. Là, ce n’est plus du travail syndical que l’on fait. Ca va être d’essayer de faire de la lutte armée contre les Allemands. Ce n’est pas facile ! Dans la région parisienne, il n’est pas question de parachutages. On fait ce qu’on peut. On coupe les lignes téléphoniques… Ou, autre exemple, la nuit, on commence à provoquer des déraillements à la S. N. C. F. C’està-dire qu’on va déboulonner les rails pour espérer faire dérailler les trains. On y réussira pour quelques trains. Seulement les Allemands ne sont pas des imbéciles. Ils mettent en place une tactique : avant d’envoyer un train de marchandises, ils font passer un train de voyageurs. Vous comprenez très bien que pour déboulonner un rail et riper un truc qui fait 12 mètres de long…, il faut être au moins sept ou huit et ça ne se fait pas en dix minutes ! On ne pouvait plus faire de déraillement, donc on arrêtera l’action. Par la suite les déraillements seront refaits quand on aura du plastic.

La récupération des premières armes

On va essayer d’attaquer les Allemands comme on va pouvoir… avec des revolvers, mais des revolvers nous n’en avons pas beaucoup ! Cependant on se procure un petit peu d’armes grâce aux égoutiers de Paris. En effet lorsque les Allemands sont arrivés, ils ont placardé de grosses affiches disant : « Il faut rendre vos armes à la Kommandantur sous peine d’être fusillés ». Beaucoup de gens ne vont pas déposer leurs armes à la Kommandantur, ils les jettent dans les égouts de Paris, et là les égoutiers, qui ont des petits groupes de Résistance, vont commencer à ramasser des revolvers puis à les nettoyer. C’est comme ça qu’on aura quelques revolvers pour pouvoir commencer des actions contre l’occupant.

La fabrication des premières bombes

Ensuite, on fabrique des bombes avec des étudiants et des professeurs résistants de la Cité universitaire de Paris. Ce sont des bombes artisanales ! Imaginez un bidon dans lequel vous faites le graissage de votre automobile, un bidon d’huile, vous remplissez ça de poudre noire et vous mettez un petit détonateur de fulminate de mercure 4 grammes. Cela nous était fait par la Cité universitaire et ça descendait de filière en filière. Quelquefois on en mettait une sous nos affaires. L’action consistait surtout à entrer dans les stations de la S. N. C. F. ou des usines où il y avait des condensateurs… Avec une ou deux bombes comme ça, l’explosion du condensateur empêchait l’usine de travailler pendant trois ou quatre jours . C’est ce que l’on a pu faire au début.

Puis les actions deviendront de plus en plus importantes car nous avons touché ce qu’on appelle du plastic. Alors il fallait faire très attention. Ca ressemble à du mastic. Vous coupez un bout, vous y placez un petit détonateur… On mettait ça quelques minutes avant que le train parte. Ça faisait sauter le rail. Pour les locomotives on mettait ça par-dessus, ça faisait sauter les cylindres.

Des risques d’arrestation aggravés

Au début ceux qui nous traquaient, c’étaient des policiers français. Parmi eux, il y avait des gars qui couraient après nous sans nous voir. Seulement Pétain va transformer une organisation d’anciens combattants, l’U. N. C. (voir note n°3) en créant la Légion des volontaires français (L.V.F.), il y rassemble surtout des pétainistes ! Comme il a fait la guerre de 14-18, il est auréolé de gloire. Et c’est dans cette Légion qu’on va choisir des vétérans de 14 pour en faire des flics qui rejoignent les Brigades spéciales, les B. S. (voir note n° 4). Ceux-là ne sont pas comme les gens de la Gestapo. Ils parlent français. Quand on avait un gars de la Gestapo qui entrait dans une usine, il avait beau nous dire qu’il était alsacien, on faisait attention parce qu’il avait un accent. Mais quand les gens des B.S. entrent dans les usines, ils créent le contact, ils s’infiltrent et ils finiront par arrêter des camarades. Bien sûr, on prend l’habitude de faire très attention ; cependant des accidents, ça arrive. Ca m’est arrivé et c’est comme ça que j’ai été arrêté par la Brigade spéciale….. A mon niveau, j’étais devenu chef de détachement, c’est-à-dire que j’avais quatre groupes de huit gars à m’occuper. Pour que les liaisons se fassent plus facilement, on en faisait l’affaire des femmes. Dans la Résistance on oublie toujours les femmes. On a tort ! Elles ont joué un rôle important. Elles se sont battues comme les hommes. Elles ont été arrêtées comme les hommes. Elles ont été torturées comme les hommes. Elles ont été envoyées en camps de concentration comme les hommes. La seule chose qu’ils ne faisaient pas avec les femmes françaises, c’est qu’ils ne les tuaient pas sur place. Ils les envoyaient en Allemagne, à Berlin ou à Hambourg, et là elles étaient décapitées à la hache. Suzanne Séraphin, par exemple, qui était chimiste, qui s’occupait de nous faire des « petits bricolages », a été arrêtée et décapitée à la hache à Hambourg… et beaucoup de femmes connurent le même sort ! Il ne faut pas oublier cela. Les femmes se sont battues dans la Résistance avec autant de courage que les hommes. Les femmes prenaient des risques. C’est elles qui transportaient le revolver lorsque l’on avait des actions à faire parce qu’elles passaient plus facilement un barrage ; elles faisaient un sourire et les Allemands, séduits, se croyaient bêtement arrivés ! C’était comme ça.

Arrestation le 16 juin 1943

A mon niveau j’avais donc une camarade de liaison. J’avais envoyé un de mes camarades, un chef de groupe, incendier une menuiserie qui travaillait pour les Allemands. Il avait sur lui sa grenade incendiaire et son revolver. Malheureusement pour lui il est tombé sur un barrage allemand et il a été arrêté par la Brigade Spéciale. Interrogé par eux et par les Allemands. Or il y avait un protocole chez nous. Quand on était arrêté, il fallait essayer de tenir 48 heures parce que si la camarade de liaison ne voyait pas le copain le lendemain, elle ne retournait pas à la liaison et elle attendait qu’un ordre vienne. Mais là il n’a pas tenu 48 heures. Il a tenu 24 heures et il a donné le lieu de rendez-vous avec ma camarade de liaison. C’était le matin de bonne heure, le 16 juin 1943.

Ma camarade est venue jusqu’à moi. Elle n’avait pas vu qu’elle était suivie ; elle a été arrêtée et moi aussi. Son nom de guerre était Jeanne. Elle a été interrogée très durement par les Allemands. Elle a été martyrisée, elle n’a pas parlé. Elle est partie au camp de Ravensbrück. Malheureusement elle n’en est pas revenue. Quant à moi j’ai été envoyé à Fresnes, où j’ai été interrogé par la Brigade Spéciale et la Gestapo pendant sept-huit jours. J’ai été arrêté avec trois ou quatre gars qui étaient de mon groupe et il était question naturellement pour nous d’être fusillés. Parce que vous savez qu’on ne passait pas toujours en jugement ! Théoriquement vous étiez jugé mais vous n’assistiez jamais à votre procès. C’était facile… Au moment de mon arrestation,

un groupe de la M. O. I. (voir note n°5) a essayé de descendre un général, le général Julius Ritter qui supervisait le Service du Travail Obligatoire (S. T. O . )

Et ils ont en effet descendu cet Allemand. A la suite de quoi les Allemands ont décidé de prendre cent otages. Comme on m’avait arrêté en tant que chef de détachement, ça faisait bien… On est venu me chercher à la prison de Fresnes et on m’a emmené à Romainville. Dans la casemate, parce que c’est un ancien fort, on s’est retrouvé à cent. On devait certainement être fusillés. C’était fin septembre 1943. Or les Alliés avaient déjà débarqué en Sicile, cela faisait beaucoup de bruit tout cela, si bien qu’à la dernière minute au lieu d’en prendre 100, ils ont décidé d’en prendre que 50 tirés au sort. L’adjudant S. S. nous a dit : « Il y a une bonne nouvelle pour vous. On n’en prendra que 50 au lieu de 100 ». Puis il est parti. Le surlendemain, on est venu ouvrir de bonne heure et on nous a appelés. Evidemment tout le monde s’est mis à chanter… Les femmes… Parmi elles, il y avait Danielle Casanova, célèbre résistante, qui partira de Romainville pour aller à Auschwitz… Elles chantent… Tout le monde chante ! Quand dans la prison on entendait qu’un camarade allait partir, tout le monde chantait. Ca nous supprimait la soupe mais c’était plus fort que nous, on chantait la Marseillaise. On est venu nous chercher et on nous a emmenés. J’ai dit à un camarade breton qui était avec moi: « Tu sais qu’on va passer à la casserole … » et finalement non ! En effet, nous nous sommes retrouvés à la gare du Nord et nous sommes partis à Compiègne au camp de Royallieu qui était un camp de passage pour tous les résistants qui étaient déportés en Allemagne. Mais les camarades, les cinquante qui étaient restés, ils ont tous été fusillés le lendemain. J’ai eu de la chance…

Le souvenir des tortures subies

Dès mon entrée à Fresnes, je fus « caressé » de façon brutale. Face à la torture, il fallait faire en sorte de pouvoir tenir deux jours. Après deux jours, vous pouviez raconter n’importe quoi, on savait que les gars étaient sauvés. Eux aussi le savaient d’ailleurs ! C’était les deux premiers jours qui étaient difficiles. Moi, on m’a tapé dessus énormément. Je n’ai pas parlé. A côté de moi il y avait un petit Alsacien, beaucoup plus jeune que moi, une vingtaine d’années. Il n’était pas de mon groupe. Il était interrogé en face de moi probablement pour me faire très peur. On lui a glissé deux doigts dans une presse à papier puis on les lui a écrasés. Le p’tit gars n’a pas parlé. Fallait tenir… Les femmes aussi d’ailleurs. Bien souvent les femmes ils leur brûlaient le bout des seins avec leurs cigarettes. Beaucoup n’ont pas parlé. La torture était faite par des gens à eux, des criminels, aussi bien français qu’allemands. Ça dépendait de ce qu’ils faisaient. Il fallait tenir deux ou trois jours. Notre camarade qui a parlé, lui, n’a pas pu tenir. Ce n’est pas de sa faute. Si on ne peut pas ! Il a été fusillé. Moi, j’ai eu de la chance. Comme ils avaient arrêté un soi-disant responsable, un chef de détachement de la Résistance, ils étaient contents. C’était la Milice. Ils ont tapé très très fort sur moi, si bien que je suis tombé, je me suis trouvé mal. Après quand ils retapaient, je me relaissais aller. Alors ils prenaient des seaux d’eau… Et puis au bout d’un certain temps ils en ont eu marre et ils m’ont laissé tranquille. J’ai eu droit au même traitement par la police allemande quand j’étais à Fresnes. Un jour on vient dans ma cellule, un soi-disant avocat, officier allemand, se présente. Il me dit : « Je suis votre avocat. Vous avez été condamné à mort ». Ça ne me faisait rien. Je m’y attendais. Quand on entre dans la Résistance, on prend ses responsabilités. Mais il ajoute : « Vous savez, si vous demandez un supplément d’enquête, moi je suis sûr que j’obtiendrai votre grâce ». Je lui dis : « Pourquoi voulez-vous que je demande un supplément d’enquête ? J’ai tout dit ». Je n’avais rien dit en vérité ! « Ah ? Bon, eh bien réfléchissez ». Et puis le lendemain on me monte dans la cellule des condamnés à mort.

C’est une cellule où il y a un grand vasistas au lieu du petit que l’on trouve dans les autres cellules. L’électricité est allumée tout le temps et vous êtes attaché au pied. On me donne un colis de la Croix-Rouge puisque c’est ce qu’ils faisaient quand on allait être fusillé. J’avais faim, j’ai mangé. Et puis je me suis endormi. Et le lendemain à 4 heures du matin, on est venu ouvrir ma porte. Je m’attendais à passer « à la casserole ». Il y avait quatre S.S. qui m’ont fait descendre, m’ont emmené dans le terrain derrière. Mon avocat qui était là me dit : « Alors ? Vous avez encore le temps de parler. Vous parlez ? Vous avez quelque chose à me dire ?». Je lui dis : « Ben non… Je vous ai tout dit ». Je me suis pris une paire de baffes ! Une de ces volées ! Je me suis retrouvé dans mon ancienne cellule complètement abasourdi. Je me suis réveillé sans avoir entendu passer la soupe. Pour torturer les gens, ils avaient plusieurs façons de faire. J’ai un camarade qui a été étalé par terre avec des chiens prêts à le mordre toute une journée pour le faire parler. C’est à Buchenwald qu’il m’a raconté ça. Il y avait la baignoire aussi. Le tortionnaire mettait un camarade dans la baignoire, la tête sous l’eau jusqu’à temps que le gars n’en puisse plus, puis on recommençait…

Déportation

Le voyage de Compiègne à Buchenwald

Un beau jour à Royallieu, on nous fait monter dans des wagons de marchandises. A cent par wagon, on est serrés les uns contre les autres. On nous a donné un petit bout de pain et de saucisson. En deux jours et trois nuits nous arrivons à Buchenwald près de Weimar.

On savait qu’il y avait des camps mais on ne savait pas ce qui s’y passait. On pensait que ces camps ressemblaient à des camps de prisonniers… mais c’était bien différent.

Immédiatement on doit se déshabiller complètement… A poil ! On vous rase partout, et pour une question d’hygiène, on vous fait sauter dans une espèce de bain de produit acide. On vous jette des vêtements. N’importe quoi… ce qu’ils ont. On vous donne un pantalon, un caleçon, une chemise, une veste, un chapeau et on vous dirige vers un block. Par demi-block, on peut être facilement dans les trois à quatre cents. Les paillasses font quarante centimètres de large sur deux mètres de long. à deux vous êtes bien souvent obligés de dormir tête-bêche.

Camp de Buchenwald : le matin

Le matin, réveil à 5 heures. Première chose, car on est à cheval sur l’hygiène, il faut se laver. Mais bien souvent dans les blocks, il n’y a pas d’eau. Il faut aller dehors et le kapo vous oblige à sortir torse nu par n’importe quel temps, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Bien souvent, il gèle dans les grands lavabos et vous ne pouvez pas vous laver, alors vous vous passez un peu d’eau et vous rentrez pour toucher la première ration, environ un demi-litre d’eau tiède. Moi je dirais que c’était du thé, mon camarade dirait du café. On ne savait pas ce qu’on buvait. C’était chaud…Ensuite on touchait la première ration alimentaire : du pain. Un morceau de pain bis ! Vous prenez un morceau qui fait environ 200 grammes et un morceau de margarine. Dans un carré de margarine qui faisait 250 grammes, ils avaient découpé 25 parts. Vous avez donc une part de margarine et une part de pain. C’est tout. Quand vous avez touché tout ça, vous montez sur la place de l’appel. L’appel, le matin, est rapide. On n’a pas de temps à perdre, on va au travail. Les travaux les plus durs, abattage d’arbres, construction de lignes téléphoniques, de toutà-l’égout, et par n’importe quel temps ! Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse chaud. Voilà le travail.

La hiérarchie au sein du camp

Comment fonctionne un camp de concentration ? C’est une petite ville-usine. A Buchenwald, nous sommes 30 000. Tout le fonctionnement interne est entre les mains des déportés. Ce sont même eux qui sont chargés de faire la police dans les blocks. Il y a les « Stubenistes », c’est-à-dire deux ou trois hommes de chambre pour nettoyer, le « Forarbeit », le contremaître de chantier, le kapo, le chef de chantier.

L’identification des déportés

Dans un camp de concentration comme Buchenwald, nous sommes de vingt-deux nationalités ! Pour nous reconnaître, nous portons des triangles. Les premiers arrivés dans les camps étaient des Allemands arrêtés depuis 1933, antifascistes, communistes, socialistes, démocrates, résistants politiques. Ceux-là portent un triangle simplement rouge. Pour les Français, c’est un triangle rouge avec la lettre F. Si on est Belge, on a un B, etc. Ensuite vous avez les triangles violets, ce sont les voleurs, car dans ces camps on mélange tout le monde. Les triangles verts, ce sont les droits communs, les criminels. Et bien souvent c’est à ces criminels que les S.S. donnent toutes les prérogatives pour faire marcher le camp. Et vous pensez bien que les criminels s’arrangent toujours pour voler ce qu’il y a, le pain… etc.

Le cas des déportés pour homosexualité

Enfin il y a les triangles roses, ceux des homosexuels, qu’ Hitler n’aimait pas. Quand j’emploie le mot « homosexuel », cela ne signifie pas que tous ceux qui étaient dans les camps avec des triangles roses étaient des homosexuels. Non. En France, par exemple, vous alliez au cinéma, et à la sortie vous rencontriez une bande de S.S. et qu’ils trouvent que votre figure ne leur plaisait pas, ou tout simplement parce qu’ils avaient l’ordre d’arrêter un certain nombre de personnes…vous étiez embarqué. On vous arrêtait, on vous emmenait en prison. C’était pour faire peur aux gens, créer toujours cette chape de peur. Et on vous envoyait en camp de concentration. Et comme on ne pouvait pas vous classer comme voleur, criminel ou résistant, eh bien on vous classait comme homosexuel. Bien entendu, il y avait aussi de véritables homosexuels parmi les triangles roses.

Les camps de la mort lente

Des camps de concentration, il y en a eu beaucoup. Outre Buchenwald, il y a eu Sachsenhausen, Dachau, Ravensbrück où on mettait les femmes, qui y vivaient dans les mêmes conditions que nous. Il fallait aux S.S. un pourcentage de décès dans le mois et quand celui-ci n’était pas atteint, ils avaient recours aux Strafkommandos. Par exemple, j’ai vu arriver des jeunes Norvégiens. Ils étaient deux-cents, des étudiants. On les a envoyés dans une carrière dans laquelle quelquefois on allait chercher des roches qu’il fallait rapporter pour empierrer le camp. Dans cette carrière les travailleurs ne faisaient pas de vieux os. Un petit ruisseau y passait, large d’environ 90 cm. Il fallait sauter ce petit ruisseau avec ses pierres sur le dos. Et sans arrêt, sans arrêt. Des pierres de 20 à 25 kilos. Beaucoup de personnes tombaient. Les jeunes Norvégiens, arrivés à deuxcents, quatre à cinq jours plus tard, ne furent plus que cinquante.

Le soir, on rentre au block après l’appel. Cet appel peut durer deux, trois, quatre heures ! Pour ma part j’ai subi un appel de neuf heures ! C’était fin 43-début 44, en plein hiver. Quand nous sommes redescendus au bout de neuf heures, c’est avec dans nos bras des camarades morts sur place. Le soir on a droit à un litre de soupe faite avec des rutabagas ou des orties. Et c’est tout. Ca représente environ 900 calories. Vous savez qu’il en aurait fallu au moins 3000 pour des gens qui travaillaient comme nous, très fort. De tels endroits, on peut les appeler les camps de la mort lente !

Les punitions infligées

Une punition, ça peut être une bastonnade sur une chaise à bascule. C’est une chaise dont il reste un exemplaire au camp du Struthof, en Alsace. On y allonge le camarade, on lui attache les mains et les pieds, et on lui inflige sur les fesses cinq, dix, quinze, vingt coups de schlague. La schlague c’est un grand gourdin tressé avec du plomb au bout. Et il faut que le camarade compte les coups en langue allemande et ne se trompe pas, sinon on recommence… Il a vite les fesses en sang. On le soignera, on le sauvera. Mais s’il en reçoit dans les vingt-cinq, il a peu de chance de pouvoir continuer à vivre, car le S.S. lui aura cassé le bas des reins. Il faudra l’emmener dans un « revier ».

Le revier

Un « revier », c’est une infirmerie. Le règlement dit qu’on peut y passer deux jours quand on est malade. Dans ces reviers ce sont des déportés comme nous qui agissent. Des gars qui sont médecins, mais à qui on ne donne rien pour soigner. Par exemple, on fait souvent des crises de dysenterie. La seule chose que les médecins peuvent faire, c’est de se servir du pain du malade, le brûler pour en faire du charbon et de le faire ingurgiter au malade pour essayer de le sauver. Il n’y a aucun médicament. Un seul flacon de pommade pour tout le monde. Les malades on sait qu’ils ne dureront pas, car tous les matins le médecin S.S. supervise. Il passe pour voir qui est capable de reprendre le travail après deux jours. Ceux qui n’en sont pas capables, il les fait passer dans une pièce voisine, il leur fait une piqûre d’essence et il les tue. Dans un camp de concentration il n’y a que des vivants et des morts, il n’y a pas de malade. Aussi lorsque un camarade tombe malade, même d’un rhume et que ça dégénère en bronchite, il va continuer de travailler, se disant que peut-être demain ça ira mieux. Mais est incapable de travailler ! Le S.S. le voit commencer à s’écrouler, il hurle : « Allez! Arbeit! Arbeit!», et il tape. Bien souvent le copain meurt sur son lieu de travail. Le soir on redescend sur la place d’appel les camarades morts sur le chantier. C’est cela, les camps de la mort lente.

Les expériences médicales

Les docteurs S.S. font des expériences médicales. A Buchenwald, des expériences de deux sortes. Pendant cette guerre, il y a eu des bombardements au phosphore. Alors on prend des jeunes, en bonne forme, et on les met dans un block pour qu’ils servent de cobayes. Leurs yeux ont été brulés au phosphore. Autre expérience : on inocule des vaccins censés lutter contre le typhus…Tous ces camarades-là en mourront. A Dachau on fait d’autres expériences médicales. On met des jeunes dans des baignoires d’eau glacée pour voir combien de temps un marin tombé dans des eaux glacées peut survivre. Là aussi les cobayes en meurent. Dans chaque camp quel qu’il soit on a fait des expériences médicales. Même sur des enfants comme dans le camp de Neuengamme près de Hambourg. On a insufflé la tuberculose à des gosses de huit à quatorze ans, qui en sont morts.

La shoah : la sélection

Pour les Juifs c’est autre chose. Ils sont regroupés à Drancy et c’est de là qu’on va les emmener dans les camps d’extermination. Si dans un camp de la mort lente, on meurt d’extrême fatigue, pour eux ça va être la mort rapide. Des camps d’extermination, il y en a plusieurs : Treblinka, Sobibor, Majdanek … et le plus grand de tous, Auschwitz-Birkenau. Les femmes, les enfants, les vieillards et les hommes voyagent comme nous dans des wagons. Arrivés là-bas, on les fait descendre et on fait un tri. Ceux qui sont aptes à travailler : à droite ! Au camp d’Auschwitz ! Les femmes, les enfants, même les tout-jeunes de deux ou trois ans que leur mère tient par la main, les vieillards qui ne sont plus aptes à travailler : à gauche ! Continuez le chemin jusqu’à Birkenau ! Auschwitz est le camp de concentration, Birkenau est le camp d’extermination. Ils sont juxtaposés. Arrivés là, on les fait passer soi-disant aux douches. En réalité on les fait rentrer dans de grandes salles qui ressemblent à des douches. Et là, avec du zyklon B, on va les gazer. Ca c’est déjà la grande industrie. Mais au début quand ils ne connaissaient pas encore le zyklon B, à Maïdanek par exemple, ou à Sobibor ou Treblinka, on a enfermé les gens dans des camions blindés, on a fait tourner le moteur, et au lieu de laisser les gaz de combustion s’échapper à l’extérieur, on a orienté le pot d’échappement vers l’intérieur du véhicule. Avec ces gaz d’oxyde de carbone, les gens meurent d’asphyxie. Mais ça c’était de la petite industrie, qui ne pouvait pas tuer des milliers de gens. Quand on a découvert le zyklon B, qu’on fera tomber d’en haut sur les gens qui sont aux douches, on a pu tuer six cents à sept cents personnes d’un seul coup. Alors là, on peut parler d’une industrie de la mort.

La shoah, industrie de la mort

Après le gazage, deux commandos entrent dans les pseudo-salles de douches. Le premier, c’est celui des coiffeurs. Car on coupe les cheveux à tous ces gens-là, hommes et femmes, parce qu’une usine de mort doit rapporter de l’argent aux S.S. Les cheveux, ils les les vendent à l’industrie privée pour en faire des tissus. Le deuxième commando est celui des dentistes. Ils ouvrent les bouches et extraient les dents en or. Ils arrachent les colliers, les bagues, les alliances, les boucles d’oreilles. Ce sera envoyé à Berlin pour être refondu et transformé en lingots. Les vêtements et les chaussures sont collectés dans un dépôt qu’on appelle « Kanada ». Ils y sont réparés et tout cela sera revendu ou donné aux indigents allemands. Tout est une question de fric. Et il y a encore pire. A Birkenau il y a deux fours spéciaux à récupérateurs de graisse. Avec le gras des gens, on fait du savon ! Quant à nous, les travailleurs, nous sommes vendus par les S.S. aux usines allemandes, à ces gros industriels qui ont aidé à l’arrivée d’Hitler. Trafic d’esclaves.


La condition des femmes déportées

Les femmes déportées au camp de Ravensbrück, près de Berlin, subissent les mêmes cruautés. Elles y sont arrivées parfois enceintes. Si l’accouchement a lieu dans la nuit, une femme peut essayer par tous les moyens de sauver son petit. En vain d’ailleurs, du moins avant 1944. Les femmes S.S. prennent le bébé et le tuent. Et le lendemain la mère doit aller travailler. Mais si l’accouchement se produit de jour quand une femme est en train de travailler, par exemple à faire des trous dans une terrasse, il faut bien qu’elle accouche sur place. Elle s’asseoit par terre et pour la kapo S.S. cette position est considérée comme un refus de travail. Elle lui tape dessus, tuant la femme et son bébé en même temps. Cependant, à partir de 1944, la solidarité des femmes déportées finit par jouer. Un groupe de femmes se constitue, qu’on appellera « le kommando des lits chauds ». Les femmes qui travaillaient de jour dans les usines dormaient la nuit et celles qui travaillaient de nuit dormaient le jour ; elles s’étaient organisées en relais nourriciers: les bébés des unes et des autres furent secrètement gardés à tour de rôle. Une de nos camarades déportée à Ravensbrück a fait dans ce domaine un travail formidable (voir note n°6). En 1944, trois enfants français ont été sauvés grâce à cette solidarité. L’un vit aujourd’hui à Metz, un autre en Israël. Mais cela n’a pu se faire que dans la dernière période des camps.

Les écorchés d’Ilse Koch à Buchenwald

Une femme S.S. du camp s’appelait Ilse Koch. Quand elle voyait arriver un convoi de gars elle les regardait tout nus avec ses jumelles pour voir s’ils avaient de beaux tatouages, comme c’était la mode à l’époque. Si c’était le cas, on attrapait les hommes, on les tuait pour découper et tanner leurs peaux. Ilse Koch en faisait ensuite des abat-jour et des beaux tableaux. Elle organisa même un trafic très rentable. Comme il était de bon ton d’avoir chez soi le livre d’Hitler Mein Kampf, elle l’a proposé relié en peau humaine, ce qui a été fait. Elsa Koch, on l’a appelée la « chienne de Buchenwald », mais ce n’est pas gentil pour les chiens.

La libération de Buchenwald

Le camp de Buchenwald est un des seuls camps qui ait pu se libérer par lui-même. Comme il datait de 1937, les trois-quarts des internés étaient des politiques, qui y ont eu plus de pouvoir que les droit-commun. Ils y forment un mouvement secret de résistance, d’abord allemand puis international sous l’impulsion de camarades comme Marcel Paul ou Henri Krazucki, avec des Russes, des Polonais, des Tchèques, des Français, des Italiens, et bien d’autres puisque nous étions de vingt-deux nationalités. Lors du bombardement allié de l’usine de Buchenwald le 24 août 1944, en déblayant, nous avions pu récupérer quelques armes qu’on avait fait passer sous les brancards des allemands blessés. Le 11 avril 1945, nous comprenons que les Américains ne sont pas loin, car ils avancent dans la plaine. Mais nous savons aussi que les S.S. ont décidé de nous brûler aux lance-flammes dans nos baraques. Car les ordres d’Himmler, le responsable des S.S., étaient qu’il fallait absolument que tout soit détruit, pour qu’il n’y ait plus de témoignages possibles. Nous avons refusé de rentrer dans nos blocks, et avons tourné tout autour. Nous avons joué la montre. De temps en temps les Allemands envoyaient une rafale de mitrailleuse au-dessus de nos têtes. Arrive midi, midi et demi. On entend des rafales de mitrailleuse.

Alors on voit nos Allemands dans leurs miradors qui se tournent vers le Rhin et qui canardent dans tous les sens. On se dit : « Ca y est, c’est la libération. C’est le moment ». On va chercher les quelques armes qu’on a. On se précipite vers la place d’appel et vers les miradors. Et on voit les S.S. descendre de leur mirador et se sauver. Nous devenons les maîtres du camp. Il est trois heures et quart. Mais pas d’Américains en vue ! On commence à se faire du mauvais sang. Vers quatre heures, on voit enfin arriver une jeep américaine avec quatre officiers dedans dont un qui parlait français, un professeur de Los Angeles. On lui dit : « Ben, vous arrivez seulement, on vous attendait depuis ce matin ! » Il dit « Oui, mais ce matin on a envoyé une voiture, une mitrailleuse en reconnaissance ». En fait les Allemands avaient tiré sur cette auto-mitrailleuse et elle avait répondu. Les gars dans leur mirador se sont dit : « Ce sont les Américains, c’est le moment de se sauver ». Ce fut un moment de grande confusion qui nous a permis de nous libérer. Lorsque le commandement militaire américain est arrivé, il n’a même pas voulu entrer dans le camp car nous avions alors le typhus, une maladie très grave. Il y avait aussi beaucoup de gens morts de faim, et aussi des camarades qui étaient tombés sous les balles parce que les Allemands avaient tiré sur nous lorsque nous avions voulu monter sur la place d’appel. La première chose qu’a fait le commandement américain, ça a été d’aller à Weimar chercher les hommes et les femmes et de leur faire visiter le camp. Et là j’ai vu quelque chose ! Les allemandes se trouvaient mal devant ce qu’elles voyaient : les cadavres partout, certains empilés les uns sur les autres, les fours crématoires… Eh bien ils ne les ont pas aidées à revenir à elles. Voilà comment ça s’est terminé. Mais le 13 avril, à 30 ou 40 km de Buchenwald, dans le village de Gardelegen, les S.S. ont enfermé dans une grange mille-seize déportés évacués du camp-annexe de Dora-Mittelbau et y ont foutu le feu. On les a tous brûlés vifs. Pour Himmler il fallait qu’aucun résistant, qu’aucun déporté ne puisse s’en sortir vivant.

Après la guerre

Après la guerre je suis rentré chez moi. Je ne voyais presque plus clair, avec des ulcères de la cornée. J’ai mis septhuit mois à en guérir. J’étais quand même un peu diminué. Quand j’entendais un avion, je me mettais à trembler pendant un moment. Il m’a fallu au moins sept-huit mois pour redevenir un homme avec un comportement normal. J’étais marié avant de partir, j’avais deux gosses. C’est ce qui m’a fait tenir, je me disais tous les jours : « Il faut que je rentre ! » J’ai eu la chance de trouver une femme exceptionnelle, qui m’avait toujours aidé dans la résistance. J’ai donc retrouvé ma femme et mes deux enfants. Et puis j’ai repris mon travail à la SNCF et j’ai repris ma vie. On me demande souvent si je suis fier de ma résistance. Eh bien, ce n’est pas le cas. Je pense seulement que j’ai fait ce que je devais faire parce que c’était nécessaire. Il fallait se battre et je me suis battu.

J’ai longtemps fait des cauchemards avec tout ça. Surtout quand j’ai commencé à intervenir dans les écoles. Mes camarades aussi. Maintenant, à 83 ans, tout commence à s’éloigner. Mais ça m’arrive encore tout de même. Cela ne m’a pas empêché de garder de cette époque de très bons camarades allemands, d’anciens internés qui habitent Weimar, et que je vais voir régulièrement.


NOTES EXPLICATIVES

Note n°1 : La bataille de Rethel a opposé la 14 ème Division d’Infanterie aux ordres du Général de Lattre et l’armée allemande à Rethel (Ardennes), du 16 mai au 19 juin 1940 ; bataille interrompue par l’entrée en vigueur de l’armistice. Source : http://www.fondationmarechaldelattre.fr/images/texte/DP10b 2.pdf

Note n°2 : versions complémentaires accessibles sur internet - http://www.lesamisdelaresistance56.com/index.php/resistanceen-morbihan/temoignages-lettres-de-fusilles/jacques-bonsergent - http://www.paris-a-nu.fr/jacques-bonsergent1940-premier-civilexecute-par-loccupant/

Note n°3 : U.N.C.....Union Nationale des Combattants

Note n°4 : Brigade Spéciale, dépendant des Renseignements Généraux de la Préfecture de police de Paris.

Note n°5 : M.O.I. : Main d’Oeuvre Immigrée : syndicat puis mouvement de Résistance

Note n°6 : il s’agit de Marie-Josée Chombart de Lauwe ; voir son livre Toute une vie de résistance, édition FNDIRP.

Devant le camp de Buchenwald, William Dahan n’avait pas oublié…

Responsable du texte : Catherine Bujaud