Jean Hulin à Aincourt en 2006
à droite : De gauche à droite : Lucienne Rolland, Frania Haverland, Jeannette Hulin, Jean Hulin.
Il est né le 15 février 1920 au Havre. Sa famille était à la tête des Corderies de Normandie. Il a été professeur certifié en lycée technique.
En 1940, il est mobilisé dans l'Armée de l'Air. Après l'armistice, il tente de rejoindre Londres en avion, mais échoue.
Il rentre à Argenteuil et est démobilisé en juillet 1941. Il prend contact avec des résistants de l'usine La Lorraine* (Dassault), où sont fabriqués des moteurs d'avion pour la Luftwaffe. Il entre en Résistance au Front National le 1er juillet 1941.
En 1943, il est nommé responsable, pour le canton d'Argenteuil, des Forces Unies de la Jeunesse Patriotique.
En 1944, il est membre du Comité de Libération d'Argenteuil. Il devient président du Comité d’Argenteuil des Anciens Combattants Victimes de Guerre (ACVG), et président du Comité d’Argenteuil de l’Association nationale des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR).
Il est fondateur de l'Association des lieux de mémoire de la Résistance et de la Déportation d'Argenteuil et membre fondateur du Mémorial de la Déportation d'Aincourt (Val d'Oise).
* La Lorraine était l'usine la plus importante d'Argenteuil avec 4500 à 5000 travailleurs en temps de paix.
Témoignage de Monsieur Hulin devant les élèves du lycée Camille Claudel de Vauréal.
Je vais vous exposer comment est née la Résistance dans les villes; dans les campagnes, c’est différent. J’ai fait de la Résistance surtout à Argenteuil et dans son canton. J’ai été membre du Comité de Résistance de la ville d’Argenteuil et à ce titre, j’ai eu des contacts avec les autres mouvements locaux de Résistance ; il y en avait une douzaine. A la Libération, j’ai été membre du Comité de Libération de la ville et en même temps, membre du Conseil municipal provisoire qui a géré les affaires de la ville après la Libération, pendant un an environ, dans l’attente de véritables élections et de la libération complète du territoire français.
Mon entrée en Résistance
En 1940, j’étais mobilisé dans l’Armée de l’Air. Devant l’avance allemande, on a reculé progressivement de base aérienne en base aérienne. Je me suis retrouvé d’abord à Villacoublay, puis plus au sud à Châteauroux, Brive, et finalement Tarbes.
On ne pouvait pas aller plus loin, c’était les Pyrénées. C’est quand j’étais à Tarbes que l’armistice a été signé par Pétain. Ensuite, je suis resté quelque temps dans la région parce qu’il était impossible de remonter sur Argenteuil, il n’y avait pas de moyen de transport, pas de train.
Je suis revenu seulement en 1941 à Argenteuil. A cette époque, l’entreprise où je travaillais avant la guerre, était occupée par l’armée allemande. Cette entreprise, la SNECMA (Société Nationale d’Etude de Construction de Moteurs d’Avions), actuellement Dassault, fabriquait des moteurs d’avion pour l’aviation allemande, la Luftwaffe.
Lors de la fabrication, des sabotages importants étaient commis par des patriotes. Ces derniers avaient formé des embryons de noyaux de résistance qui se chargeaient d’endommager le matériel destiné aux Allemands.
Le personnel était resté français, du manœuvre à l’ingénieur, mais l’entreprise était dirigée par un directeur allemand, le colonel Brenner. Il avait fixé un programme de fabrication de moteurs qui était de 100 moteurs par mois. Le sabotage était si bien organisé que pratiquement, quand on sortait 10 à 12 moteurs par mois, c’était un record. Le colonel Brenner était un gaillard de près de deux mètres de haut, gros, gras, et qui parlait quelques mots de français ; il circulait toujours avec un interprète. L’un de ses deux interprètes était un type peu recommandable, qui avait hâte de toucher sa paye pour aller prendre ses repas au marché noir à Paris. Par contre, l’autre était un résistant et grâce à lui, on savait ce que pensait le colonel Brenner. Nous savions que le colonel avait surtout la hantise d’être envoyé sur le front de l’Est, sur le front russe, et qu’il aurait fait n’importe quoi pour ne pas y être affecté. De ce fait, quand survenait un sabotage, il ne transmettait pas de rapport en Allemagne. Cependant, comme il était tenu d’envoyer un rapport environ tous les mois, il indiquait la faiblesse de la production, et l’expliquait par le fait que la plupart des techniciens et ouvriers spécialisés étaient prisonniers en Allemagne et qu’il avait dû réquisitionner du personnel des environs non qualifié pour ce travail, comme des cultivateurs, des planteurs d’asperges, etc.
En 1941, Pétain avait dissout les syndicats représentant les ouvriers, les employés, les ingénieurs, ou les cadres. Il ne restait qu’un seul syndicat, d’obédience vichyssoise, appelé à l’époque « syndicat Pétain ».
Chose curieuse, en 1941, on a reçu de la Résistance l’ordre d’intégrer ce syndicat et d’y présenter des candidats. J’ai été élu, avec une douzaine d’autres. Cela nous offrait des facilités, car nous avions un badge qui nous permettait de circuler dans toute l’usine, dans les ateliers, dans les bureaux sans qu’on ne nous demande rien. Nous avions un bureau qui donnait sur la cour d’entrée, il y avait un téléphone qui permettait de communiquer avec le service de gardiennage qui était français et qui comptait beaucoup de résistants. Le téléphone du concierge de l’entrée servait ainsi de relais avec les résistants extérieurs.
Quand la situation générale s’est compliquée et que les événements ont pris une tournure exceptionnelle et grave, nous avons reçu l’ordre de saboter.
Un sabotage ou comment ne pas se faire prendre.
Pour fabriquer les moteurs d’avion, les Allemands, étant donné le blocus que la flotte anglaise maintenait autour de l’Europe, n’avaient pas accès aux matériaux nécessaires, tels le chrome, le nickel (qui venait de Nouvelle- Calédonie), le manganèse, etc.
Les Allemands n’obtenaient donc que des aciers de très mauvaise qualité, qui, lorsqu’ils étaient en contact, en frottement ou en rotation, s’usaient rapidement. Pour éviter cette usure rapide des organes du moteur, les Allemands exigeaient donc un polissage absolument parfait ; il fallait que toutes les surfaces en contact, en rotation ou en coulissement soient polies comme des glaces. Alors, c’était un travail de sabotage assez facile parce que nos camarades, qui contrôlaient les pièces, les rejetaient systématiquement pour défaut de polissage ; ce n’était jamais poli comme une glace, et certaines pièces, par exemple les axes de piston, dont la tolérance de diamètre est de l’ordre du centième de millimètre, étaient systématiquement refusés et partaient en rectification pour être repolis. Aussi, après deux ou trois opérations de polissage-repolissage, la cote passait en dessous de la tolérance et les pièces étaient mises au rebut. Des kilos et des kilos de pièces furent ainsi sabotés.
Un jour, toutefois, nous arrive un ordre de la Résistance de faire sauter un transformateur à haute tension qui alimentait une grande partie de l’usine. C’était un acte de sabotage beaucoup plus grave ! Il a été effectué de nuit entre 22 h et 6 h, c'est-à-dire entre les horaires de travail des deux équipes, l’une travaillant de 6h à 14h et l’autre de 14h à 22h. Les dégâts furent importants, clôture et murs sont tombés. Le lendemain matin, un camion de la Gestapo arriva dans l’usine. On s’y attendait un peu. Comme prévu dans ce cas, le concierge de l’entrée nous envoie un message codé : un coup de téléphone long, deux courts, etc. Ceci nous indiquait l’arrivée de la Gestapo et le schéma prévisionnel suivant : un officier SS descend du camion avec une liste de noms à la main (une liste d’otages), il la donne au concierge qui nous appelle au téléphone, cette fois-ci en clair. Il nous donne les noms des camarades susceptibles d’être arrêtés. L’usine est très grande, elle fait environ 800 m de long ; à l’autre extrémité de la cour d’entrée, il y a les bancs d’essais des moteurs. A cet endroit, se trouve une autre sortie et le gardien qui la surveille, est aussitôt prévenu. Il ouvre la porte aux ouvriers listés.
Ce jour-là, conformément à nos prévisions, on entend la liste des noms. Devant moi se trouvait un camarade qui était juif mais qui ne portait pas l’étoile par bravade. Il entend son nom : Vogelman. Il devient pâle comme un linge, mais il ne bouge pas, il me regarde fixement. Je lui dis : « Mais Henri, sauve-toi par les bancs d’essais là-bas !». Il continue à me regarder fixement, il hésite. Il se lève, se dirige vers la sortie du bureau, puis, plus rien. Environ dix minutes après, on se dit, entre nous, qu’il a dû se sauver, et que maintenant, il doit être dehors. Je regarde par la fenêtre dans la cour et là, j'aperçois la silhouette de mon camarade Henri Vogelman qui se dirige vers l’officier SS. Celui-ci regarde sur sa liste, mon camarade monte dans le camion, la bâche se referme. Qu'est-ce qu'il a pu faire ? Il se livre comme ça !
Le soir arrive, je lui avais promis de prévenir ses parents qui étaient tailleurs près du pont d'Argenteuil. Ils tenaient la boutique « L'Imbattable ». Je me dirige vers cette boutique, le rideau était fermé, mais je savais que l'appartement se trouvait au fond de la cour intérieure. Je passe sous le porche, et arrivé dans la cour, j'entends « Halte », un Feldgendarme me met en joue avec sa mitraillette : « Mains en l'air! »
J'essaie de ne pas perdre mon sang-froid, il me tâte, j'avais des tracts sur moi. Par chance extraordinaire, il ne les a pas sentis, sinon, c'était terminé pour moi!
Je lui dis: « Je suis venu chercher le costume que j'avais commandé à M. Vogelman, je viens voir s'il est prêt ».
Je me dirige alors au fond de la cour, tous les rideaux sont fermés mais j'aperçois des visages apeurés qui regardent. Je frappe à la porte du logement des Vogelman, personne ne répond. Je monte à l'étage puis à tout hasard, au grenier, par un autre escalier. Arrivé en haut, j'entends « Halte », c'était un officier SS, revolver à la main. Il parlait parfaitement français. « Que venez-vous faire ici? » Je répète : « Je viens chercher un costume... » Il me désigne M.Vogelman, assis sur un tabouret, face au mur, sanglotant. Je m'approche de lui. Je l'interpelle, le plus doucement possible, il ne répond pas.
« Ça suffit, raus ! » dit l'officier SS.
Je redescends l'escalier. Sous le porche, j'aperçois la concierge au fond de sa loge, morte de peur. Je frappe, « Je vous en prie, ouvrez-moi! ». Je dois insister, toute tremblante, elle me fait entrer. Je lui dis de faire prévenir Mme Vogelman, partie faire des courses, afin qu'elle ne rentre pas ici, car elle serait prise dans la souricière elle aussi. J'ai appris par la suite que Mme Vogelman n'était pas rentrée chez elle et qu'elle avait été sauvée.
Les débuts de la Résistance à Argenteuil.
De petits groupes de résistance isolés se sont constitués en réunissant des personnes qui se connaissaient d'avant-guerre. Car il fallait surtout bien se connaître! La condition suprême pour pouvoir résister, était d'être capable de garder le secret le plus absolu sur le groupe et ses activités, sinon, un bavardage, une trahison, et c'était fini!
Jusqu'au jour de la Libération, ma mère veuve et mes deux frères plus jeunes que moi n'ont pas su que j'étais dans la Résistance.
Par exemple, les cheminots de la gare de triage d'Argenteuil connaissaient les opinions de leurs camarades et ont formé un groupe. Dans les usines, les camarades qui se connaissaient d'avant-guerre avaient constitué des noyaux de résistants.
Dans les professions libérales, avocats, notaires, médecins qui connaissaient les opinions de leurs amis se sont regroupés parce qu'ils savaient pouvoir compter sur leur silence.
Jusqu'en 1943, cela a fonctionné ainsi.
A partir de 1943, une meilleure organisation.
En 1943, Jean Moulin, envoyé par le Général de Gaulle, a été parachuté sur le sol français. Il a fondé le Conseil National de la Résistance (CNR). Rapidement se sont constitués des Comités départementaux de Résistance et dans les communes, des Comités locaux de Résistance. Cela a permis de renforcer l'action des résistants.
Ainsi, à Argenteuil, je me souviens très bien de la première réunion du Comité dans le sous-sol d'une villa, à la lueur des bougies. Nous étions une douzaine de camarades qui ne se connaissaient guère entre eux. Pour ma part, j'en connaissais deux d'avant-guerre, les autres m'étaient totalement inconnus. Nous nous sommes présentés sous de faux noms, sous nos noms de résistants. Moi, je m'appelais Poitou au lieu de Hulin.
On a fait un tour de table pour apprendre nos nouveaux noms. A ma droite, le camarade a dit : « moi, je m'appelle 999 », pas de nom, un numéro donc. Un peu plus tard, j'ai appris qu'il était le Pasteur Néel, pasteur protestant d'Argenteuil. Il était aussi capitaine de réserve de l'Armée française avant la défaite. Il nous a été très utile pour coordonner nos mouvements et actionner tel ou tel acte de résistance.
A partir de cette réunion, on a su qu'il y avait 12 groupes de résistants distincts dans Argenteuil, et nous avons pu un peu mieux coordonner nos actions pour que ce soit plus efficace.
Dans un entretien du 24 avril 2002, recueilli par Julien Bigorne (de la Gazette du Val d’Oise), Jean Hulin raconte sa participation à une opération à l'usine JUMO.
« En janvier 1944, notre groupe FTP est chargé de récupérer des fusils allemands dans l'usine JUMO, située Boulevard Delambre à Argenteuil. Dans cette entreprise, on répare et révise des moteurs d'avions pour la Luftwaffe. La direction, les cadres et la maîtrise sont allemands; la sécurité et le gardiennage sont assurés par un détachement militaire allemand équipé de fusils Mauser. Le personnel comprend des Français « requis », parmi lesquels des résistants ; l'un d'eux doit nous guider jusqu'au dépôt des armes. Il fait nuit lorsque nous commençons à arriver, un par un, devant une petite porte de secours ; le camarade guide nous fait entrer dans une cour ; nous sommes une douzaine, et il nous donne les premières instructions à voix basse : « Avancez en file indienne derrière moi, chacun ayant une main sur l'épaule du camarade situé devant, en silence et dans le noir absolu. Passez les consignes, au fur et à mesure, au camarade situé derrière vous ».
Nous pénétrons dans un local. Arrêt de la file. « 18 marches à descendre », me chuchote le camarade dont je tiens l'épaule. Je transmets à celui qui suit. Nous repartons avec de fréquents arrêts et de nouvelles consignes. Enfin un arrêt prolongé. Malgré l'obscurité totale, il me semble que nous sommes dans une salle vaste. Puis des chuchotements semblent provenir de notre droite. Je pense que « nous sommes faits », cependant que la main du camarade suivant me broie l'épaule. Mais finalement, une voix basse s'adresse à nous en français : « Ah! C'est vous. Bon, avancez! » La torche s'éteint, d'autres lampes de poche s'allument, éclairant faiblement un groupe semblable au nôtre, au sein duquel je reconnais un responsable du Mouvement de Libération Nationale (MLN). Puis arrivent les ordres à voix sourde « Un fusil chacun. Vite! Reformez la file.»
Quelques instants plus tard, nous sommes à nouveau dans l'obscurité totale, et nous repartons en sens inverse. Sans incident. Nous reprenons nos vélos, j'enveloppe mon Mauser avec de vieux chiffons et le fixe au cadre de ma bicyclette. Il fait alors très froid et nous ramenons les fusils en lieu sûr, dans notre planque, située à l'autre bout de la ville».
Ce témoignage montre un homme engagé dès le début de l'Occupation. Les actions menées, si elles n'ont pas été spectaculaires, étaient néanmoins très dangereuses que ce soit à l'usine ou par l'impression de tracts clandestins. Il a aussi procuré de faux papiers, des ausweis, aux prisonniers évadés ou à des familles juives.
Son engagement s'est prolongé bien au-delà de la guerre, il a travaillé durant 15 ans pour faire sortir de l'oubli le camp d'internement d'Aincourt (Val d’Oise) Il a assumé de nombreuses fonctions au sein du mouvement résistant.
Jean Hulin a témoigné année après année dans les établissements scolaires ne ménageant pas sa peine, et avec beaucoup de patience, répondant toujours avec le sourire à toutes les questions des élèves.
Il a été décoré de la Croix du Combattant 1939 - 1945, de la Médaille de la Victoire et de la Croix du Combattant Volontaire de la Résistance. Jean s’est éteint en 2008.
Jean Hulin a œuvré longtemps pour que le petit monument du camp d'Aincourt soit édifié. Chaque année courant octobre, une cérémonie a lieu commémorant la mémoire des internés de ce lieu. Il en est l'un des initiateurs.