Deux jeunes dans la tourmente.
Guy Baillon ( 1922-2003)
Guy Baillon est né en 1922. Il est parti en Allemagne, dans le cadre du Service du Travail Obligatoire, en juin 1943. Les textes qui suivent sont extraits de la biographie, intitulée « Deux jeunes dans le tourmente », que son gendre, Etienne Carpentier, lui a consacré en utilisant notamment les lettres qu’il écrivait à sa future femme, Madeleine. Les deux jeunes gens se sont liés depuis juin 1941. Il admirait Madeleine sans oser l’aborder et c’est elle qui a fait les premiers pas alors qu’ils attendaient un bus….
Guy Baillon à 19 ans Madeleine à 17 ans
Départ raté pour rejoindre Londres
Au mois de mai 1941,(…) je décidai, avec mon copain Lalane, de partir pour l’Angleterre via l’Espagne, rejoindre les troupes du Général de Gaulle. Les voies de chemin de fer étaient de nouveau en état, nous primes le train à la gare Montparnasse.
La première partie du voyage se passa sans problème mais, lorsque le train stoppa dans la gare de Vierzon, nous vîmes monter dans le train, des gendarmes français accompagnés de soldats allemands qui contrôlaient les laisser -passer pour franchir la ligne de démarcation. Comme j’étais très nerveux, les gendarmes me demandèrent mes papiers, malheureusement, je ne possédais pas l’autorisation pour passer en zone sud. Je fus arrêté et emprisonné à Bourges, mon copain ne fut pas inquiété et put continuer son voyage vers le sud de la France. Compte tenu de mes 18 ans, donc mineur, je ne suis resté que quelques jours en cellule, dans l’attente de l’arrivée de mon père qui avait été convié de venir me récupérer.
ÉTÉ 1943 : DECOUVERTE DE LA VIE AU CAMP
Partir pour le STO ou pas ?
En mai 1943, une liste des jeunes pour le STO est affichée dans mon usine de Stains et je figure dessus ! Le soir même, j’informe mes parents et un débat s’installe sur « partir ou ne pas partir ». Mon père qui est très respectueux de la légalité et des décisions de l’état me pousse dans la première solution, à cette période les maquis sont très peu nombreux. Il fait référence aux services et aux sacrifices qu’il a consentis à faire lors de la première guerre mondiale. Ma mère est plus partagée, elle a peur de me voir jeter dans l’inconnu d’un pays étranger mais d’un autre côté, elle redoute des éventuelles représailles sur la famille des réfractaires et une déportation dans un camp d’internement.
Mon frère me conseille de ne pas partir et de me cacher dans notre famille de la Somme jusqu’à la fin de la guerre.
Le discours de Pierre Laval du 5 juin 1943 confirme la menace de représailles sur la famille : « Pour mettre un terme à l’arbitraire et à l’injustice, j’ai décidé d’appeler la classe 42 sans exception. Il en est à ce jour qui se sont dérobés à leur devoir…. Des instructions ont été données et des mesures rigoureuses seront prises même contre leur famille ou des complices qui les mettront dans l’impossibilité de se soustraire à un devoir qui s’impose à tous ».
La propagande du Reich et de Vichy a eu un impact sur ma décision, elle disait : « La relève, vous avez la clé des camps, grâce à votre départ 250 000 prisonniers français seront libérés ou transformés en travailleurs libres ». Nous apprendrons par la suite qu’il n’en n’a rien été, elle nous promettait également des salaires supérieurs aux travailleurs français, une prime d’équipement de 1000 francs et un bon d’achat pour une paire de chaussures en cuir ! De plus la police proclamait, « si l’on ne prend pas l’ainé, on prendra le cadet », j’ai eu peur que si je ne partais pas, mon frère Claude soit obligé de partir à ma place.
Le service du travail obligatoire, dit comme cela, fait vaguement service militaire, cela rassure les parents, les remplacent dans le droit fil de la tradition. Depuis que les Allemands sont là, les garçons de 20 ans ne partent plus en cortège, avec cocardes, rubans et litres de rouge pour des garnisons lointaines. Les vieux bougonnent que sans la circonscription, cela donne des hommes sans couille, la jeunesse, il lui faut de la discipline et de l’aventure, du coup de pied au cul et de la soûlographie de chambrée, sinon, il n’y a plus personne dans la culotte.
Si j’ai accepté de partir, de quitter ma belle Madeleine [sa fiancée] et ma famille c’est que nous avions l’illusion après les victoires alliées de l’automne 1942 et du printemps 1943, d’une issue prochaine de la guerre. Je pensais m’exiler pour deux à trois mois maximum. De plus des listes de remplaçants avaient été affichées dans l’usine et si je ne partais pas, c’est un camarade marié qui devait partir à ma place.
A la Gare de l’Est
Après avoir reçu un ordre de recensement, début juin, j’ai été convoqué pour un départ gare de l’Est le 17 juin avec les «requis » de Stains et des villes avoisinantes.
Mon contrat de travail m’envoyait travailler dans l’entreprise Gustloff-Werke à Weimar, au sein de laquelle, j’espère retrouver un emploi de dessinateur industriel ! Mon père, ma mère, mon frère Claude, qui avait 17 ans ainsi que Madeleine m’accompagnèrent à Paris.
A l’entrée du quai, un officier allemand notait les noms des travailleurs en partance, toute la famille se rendit sur le quai pour suivre mon installation dans un compartiment avec trois autres gars de Stains.
Mon père décida alors, de payer un pot pour cette occasion, ainsi tout le monde repassa devant le contrôle pour se rendre au buffet de la gare. Claude [son frère, né en 1925) me dit ; « comme tu es enregistré laisse tomber et rentre avec nous à Stains » mais de peur des représailles, nous sommes tous repartis vers le train, sur le quai, une immense tristesse étreignait la foule. Après avoir embrassé la famille et mon adorée, au coup de sifflet du chef de quai, je grimpais sur les marches du wagon.
En route vers l’Allemagne nazie
Le train s’ébranla à 11h15 dans un gros nuage gris-noir et dans un bruit de souffle puissant qui s’accéléra par saccades et, dominant cet enfer, j’entendis monter une Marseillaise repris par tous les travailleurs forcés puis l’Internationale monta jusqu’aux oreilles des discrets surveillants allemands.
Pendant ce voyage, des jeunes qui regrettaient déjà leur décision actionnèrent le signal d’alarme en signe de protestation.
Au terme de mon voyage, après douze heures de train, d’arrêts, de départs, de nouveaux arrêts, notre train devait laisser passer des convois chargés de matériels militaires qui croisaient d’autres trains, transportant nos vaches bien grasses de Normandie, me voici arrivé à destination.
Je suis passé par Château Thierry, Chalons sur Marne, Vitry le François, Bar le Duc, Commercy, Toul, Nancy, Lunéville, Sarrebourg, Mannheim, Francfort, Erfurt et enfin nous sommes à Weimar le vendredi 18 juin.
Le long de ce voyage, j’ai traversé des régions très industrialisées, pendant des kilomètres, des usines s’étiraient le long de la voie de chemin de fer dans un paysage gris.
C’était une vision saisissante, c’était triste, inhumain et grandiose à la fois, et, pas une seule usine de bombardée ! Cette absence de dégât, qui dément la propagande anglaise, remet en cause ma conviction d’une victoire rapide des alliés et d’un retour rapide à Stains.
Après avoir traversé Francfort et sa banlieue, l’environnement changea, notre convoi roula à travers des panoramas semblables à ceux de la région d’Issoire.
Ils me rappellent la France, c’est toujours la même terre avec des arbres, des vaches, des champs de blé, des rivières. Il n’y a pas de rupture, aucune distinction entre les campagnes françaises et allemandes, j’ai tout simplement glissé vers l’est.
Il m’est arrivé une chose extraordinaire
Dans le train, il m’est arrivé une chose extraordinaire, j’étais en train de dormir, quand tout à coup, j’ai entendu quelqu’un me dire « Bonsoir mon amour » je me suis réveillé en sursaut et naturellement je n’ai vu personne. J’ai regardé l’heure et comme par un hasard formidable, il était exactement 20 h 30. L’heure des moments que je passais dans les bras de ma belle promise.
Tout le long du voyage, avec les gars du compartiment, nous avons chanté et mangé, pour essayer de chasser notre cafard.
Une annexe de Buchenwald
Je suis arrivé au camp hier, le 18 juin vers 5 heures du matin, maintenant je suis installé. Je suis toujours avec mes copains de Stains, nous avons eu beaucoup de chance de ne pas être séparés.
Nous sommes dans une annexe au camp de concentration de Buchenwald, celui des travailleurs requis. En février 1942, l'entreprise Gustloff établit ce camp pour soutenir sa production d'armements et ouvrit en mars 1943, à côté du camp, une grande usine de munitions. En mars 1943, afin de faciliter le transport du matériel de guerre, le camp fut relié aux gares de marchandises de Weimar par un embranchement ferroviaire.
Logés dans de grandes baraques
Nous sommes logés dans des grandes baraques en bois, pin ou sapin, de 6 pièces contenant chacune 16 places (8 lits superposés). La baraque mesure 40 m sur 8 mètres, nous vivons dans un cadre de vie spartiate.
Je suis dans la chambre du fond, c’est une toute petite pièce, même pas aussi grande que notre cuisine de Stains. Nous y logeons à six, nous n’avons guère de place, nous disposons chacun d’un placard pour ranger nos affaires.
Le sol est surélevé de 40 cm, la hauteur sous plafond est de 2.30 mètres, outre les châlits à deux étages, associés à une double armoire, le mobilier se limite à une table pour quatre personnes, dotée de deux bancs, le tout en bois.
Chaque chambre dispose d’une ampoule électrique fixée au plafond, alimentée par un interrupteur, ce qui rend la lecture difficile dans les châlits inférieurs. La lumière est bridée et un couvre-feu est fixé à 22h00.
Croquis de la chambrée, ma paillasse se trouve en haut à gauche
Guy est doué en dessin, ce qui lui a permis d’occuper la fonction de dessinateur industriel avant la guerre
Il y a une arrivée d’eau froide pour cinq travailleurs et un WC pour 20 personnes. Il est prévu une corvée de nettoyage des WC deux fois par semaine, les chambres doivent être lavées tous les jours.
Le camp et son règlement intérieur
Notre camp se trouve à 300 m de la grande usine, juste à côté se trouve le camp des « slaves », nous avons appris que ce sont des prisonniers russes et ukrainiens qui ont construit nos baraquements.
Une barrière symbolique entoure notre camp, l’entrée est surveillée par un gardien, les entrées et les sorties sont libres en dehors des heures de travail mais une grande tolérance permet de sortir à n’importe quelle heure.
La venue de femmes est en théorie interdite en dehors des femmes de travailleurs mariés, ces couples, le plus souvent volontaires disposent d’une chambre particulière.
Dans le règlement intérieur du camp, les jeux d’argent sont proscrits mais ils sont difficilement détectables. Toutes les infractions comme fumer dans les chambres, refus d’obéissance, retards à l’usine, chahut, bagarres, perte ou dégradations de matériels, sont punies par des amendes de l’ordre de 5 à 10 marks. Les infractions plus graves font l’objet d’un signalement à la gestapo et peuvent déboucher sur un internement dans un camp de « rééducation ».
Un contrôle du courrier touche une lettre sur deux, la correspondance est libre depuis juin 1943, avant cette date les travailleurs étaient limités à quatre lettres par mois.
C’est l’entreprise qui rétribue les gardiens et le chef de camp, ce dernier fixe l’heure d’extinction des feux.
Depuis que nous sommes arrivés, il pleut et il ne fait pas chaud. Ce samedi matin, nous sommes allés chez le photographe, nous sommes deux par cliché pour une question d’économie. Le résultat risque d’être catastrophique car je n’étais pas rasé et tout débraillé.
Climat et courrier
Je suis obligé d’écrire allongé sur le lit car il n’y a que quatre places à notre table. Je termine à l’instant de manger, nous avons eu de la soupe, servie dans notre cuvette de toilette.
J’ai la tête retournée par cette nouvelle vie qui j’espère ne sera pas trop longue et par le bruit infernal que font les copains de chambrée.
Je viens d’apprendre que nous allons toucher nos cartes d’alimentation et nos papiers allemands, nous ne serons peut-être pas trop malheureux. Un garde allemand m’a proposé 200 marks pour l’achat de ma montre, mais j’ai refusé, je préfère la garder. En ce moment, un camarade joue un air d’harmonica, il en joue très bien.
Il faut que je pense à demander à mes parents qu’ils m’expédient par colis une couverture, mon gros gilet, mon imperméable et du savon. Le temps est plus frais ici que chez nous et il pleut presque tous les jours.
Pour ce premier dimanche au camp, il fait beau et le moral s’en ressent tout de suite. Heureusement que maintenant j’ai repris le dessus car au début, ce n’était pas très joli !
Je me dépêche d’écrire car les trois copains de chambrée m’attendent pour descendre en ville. La correspondance constitue pour nous le lien indispensable avec le cocon familial.
Nous avons décidé de faire les repas nous-mêmes
Nous irons au café car c’est la seule distraction que nous avons ici, nous sommes loin de tout et la vue ne peut se poser que sur des camps de prisonniers de toutes nationalités avec leurs fils barbelés et leurs miradors.
Nous avons touché des cartes d’alimentation, nous devrions avoir également une carte de tabac, mais quand ? Nous avons aussi reçu 20 marks dans l’attente de notre paye qui doit nous être versée le 15 juillet. Ce matin nous avons payé 1.90 marks pour notre repas à la cantine et quel repas, il était insipide ! Avec les copains, nous avons décidé de faire nos repas nous-mêmes, nous avons ouvert deux boites de petits pois que nous avons coincées sur deux pierres après avoir allumé un feu pour les chauffer, c’est du véritable camping sauvage.
J’ai reçu ma « Arbeitskarte », carte de travail, le seul document officiel valable en Allemagne. Il montre que sous le n° 244/398 je suis esclave rattaché à la firme Gustloff-Werke, nom d’un nazi assassiné par un juif suisse. Cette usine est spécialisée dans l’usinage de culasses de canon et la fabrication de fusils.
Ce matin, j’ai fait la grasse matinée, je me suis levé à 10 heures, je prends beaucoup de repos suite à cet épuisant voyage en train et j’espère me remplumer un peu.
Est-ce que mon amoureuse est toujours en bonne santé, est ce qu’elle a bon moral ?
Je prends ma nouvelle vie avec philosophie, hier soir, j’ai joué aux cartes avec les copains de 20h30 à 23 heures. Nous sommes dans des lits superposés et comme j’ai le lit du haut, j’ai fixé la photo de ma belle sur un montant, comme cela, personne ne peut la toucher.
Nous commençons le travail lundi matin, le lever est fixé à 6 heures pour débuter le travail à 7 heures, le soir, nous finissons à 17h45, soit 10 heures de labeur par jour.
Il faut me voir à la sortie de l’usine !
Il faut me voir à la sortie de l’usine ! Je suis tout noir à force de manipuler les pièces car je suis traceur, comme métier, cela me convient très bien et comme cela ne me déplait pas, le temps passe assez vite. Mes mains sont dans un état, elles sont toutes noires, c’est impossible de les avoir et je ne parle pas de mes ongles !
Dès la fin de la journée de travail, nous prenons une douche à l’usine puis nous descendons en ville pour faire nos courses.
A notre retour, nous cuisinons notre repas sur deux briques, nous mangeons, faisons la vaisselle que nous terminons vers 23 h 00 et nous nous couchons dans nos lits superposés, notre emploi du temps de la journée est bien chargé.
Il n’y a pas de ramassage de courrier au camp, nous devons poster nos lettres nous-mêmes et la poste est déjà fermée lorsque nous quittons l’usine. Il nous faut trouver un camarade qui peut les poster pendant les heures d’ouverture.
Le courrier est très important pour nous, c’est notre cordon ombilical avec nos proches, écrire des lettres permet de concrétiser toutes les pensées qui s’envolent vers eux.
Je projette d’adresser une lettre par semaine à mes parents et deux à ma douce.
Au travail, je suis avec un ingénieur russe, (…) il s’appelle Alex, il est très gentil, il loge dans une baraque du camp slave, en face de la nôtre.
Enfin, une semaine de terminée, que c’est long ! J’ai fini samedi à 12 h 45 soit 55 heures de travail.
En rentrant, nous avons fait du feu dehors, toujours entre nos briques car c’est le seul moyen que nous avons pour faire cuire ou réchauffer des plats. Pour ce midi, nous nous sommes fait une omelette avec les œufs que nous avons touchés avec nos cartes d’alimentation, puis nous nous sommes fait des pâtes, nous avons fini notre repas avec de la confiture. Nos rations alimentaires viennent d’être augmentées, nous touchons maintenant du pain noir, 2.66 kg par semaine.
Il est trois heures de l’après-midi et nous allons aller aux douches de l’usine, ces douches sont comme les water-closets, c’est un plafond percé. Nous nous mettons tous dessous, cela vaut le coup d’œil ! Heureusement l’eau est chaude c’est merveilleux. Après la douche, nous reviendrons nous changer avant d’aller poster nos lettres. En rentrant, ce soir, il nous faudra refaire du feu pour notre diner, le plus difficile c’est de trouver du bois pour faire cuire nos plats.
Après mangé, comme souvent le soir, un camarade prendra son accordéon pour nous jouer des airs connus, nous chanterons tous ensemble, voilà comment nous finissons notre journée.
Demain dimanche, je vais faire la grasse matinée puis je ferais ma première lessive, ensuite nous irons faire un tour. Je me suis laissé pousser la moustache, au début, cela n’est pas très joli, maintenant cela me donne un air sérieux !
Le temps me paraît long
Weimar, distant de 9 km du camp possède trois cinémas mais cela ne nous dit rien de voir des films en allemand, tous imprégnés de propagande nazie ! Avant-hier, il est venu un cirque, les copains de chambrée y sont allés. Comme j’ai du courrier en retard, je ne m’y suis pas rendu, c’est difficile d’écrire car les copains sont en train de hurler, cela ne s’appelle pas chanter tellement c’est fort, les carreaux en tremblent ! La censure nous contraint à choisir nos mots, ce qui rend la communication difficile, nous nous contentons d’écrire des banalités car si nous disions la vérité, nos lettres seraient jetées au panier et nous encourions le risque de finir dans un camp de concentration. De plus nous ne voulons pas alarmer nos parents sur notre situation.
Enfin, le mois est fini, comme le temps me parait long et cela ne fait qu’une quinzaine de jours que je suis parti. Heureusement que le moral est bon, nous venons de finir de manger, notre menu s’est composé de pommes de terre à l’eau, nous nous débrouillons pour la cuisson, ce n’est pas facile car aujourd’hui il pleut ! Les repas sont nos seuls moments de distraction donc nous y mettons toute notre attention.
Voici mon emploi du temps d’un dimanche : Levé à 8h00 et après avoir pris une douche à l’usine, j’ai lavé mon linge, une première pour moi, je m’y suis pas trop mal pris. Nous ne repassons pas faute de matériel, je ne suis plus à cela près ! J’ai raccommodé ma première paire de chaussettes, ce sera la seule car j’ai décidé de ne plus en porter !
Notre menu du midi était composé de sardines en boite, d’un beefsteak accompagné d’une purée de pommes de terre et de la confiture pour le dessert. Après le repas, nous avons fumé car nous avons pu acheter du tabac puis là-dessus, nous avons bu un bon café.
Vers 17h00, nous sommes allés visiter la ville, nous avons regardé la ménagerie du cirque et, en continuant notre promenade, nous avons découvert une piscine de toute beauté. Nous sommes rentrés à 19h00, c’était l’heure de refaire la tambouille : dans une grande bassine, nous avons mélangé des pâtes, de la farine, des pommes de terre, des bouillons cube, puis nous avons épaissi cette soupe avec de la semoule.
Après ce repas, j’avais le ventre tout ballonné ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Et, dodo à 23h30 après notre rituel concert d’accordéon. Notre temps libre est occupé par la cuisine et la vaisselle !
La bande des quatre
Un copain de chambrée s’appelle Georges Bruno, c’est un Stanois qui demeure près de l’école du Globe. Il est très drôle mais à le voir on ne le dirait pas car il a l’air très sérieux. René est très drôle aussi et avec Robert, l’autre copain qui habite Saint-Denis, nous formons un quatuor d’inséparables car nous nous entendons à merveille, nous ne faisons pas un pas sans être ensemble.
Heureusement que sur les quatre deux parlent un peu allemand ce qui facilite notre relation au travail et nous permet de communiquer avec les commerçants.
A l’usine je suis situé loin d’eux, mais j’arrive à me faire comprendre par gestes. Mon travail de traceur consiste à « tracer des pièces » au dixième de millimètre, cela réclame beaucoup d’attention et me plait énormément.
Des nouvelles de mon amoureuse
J’ai hâte de recevoir du courrier, la réception d’une lettre est pour nous un évènement considérable.
Il faut me voir courir à la sortie de l’usine pour être le premier devant le tableau ou sont inscrits les noms des heureux destinataires d’un courrier.
Le samedi 3 juillet 1943, j’ai reçu des nouvelles de mon amoureuse, cette première lettre a mis cinq jours pour me parvenir. Dans celle-ci, elle m’explique en termes cachés que son chef de bureau, le père L.., qui l’a prise en grippe, menace de la dénoncer à la gestapo car elle est juive.
J’attends un colis avec un béret et ma vieille pipe car nous devons toucher du tabac.
Comment serons nous dans un an ?
A faire toujours la même chose, petit à petit, nous nous transformons en automate, nous devenons craintifs car nous sommes tout le temps sous la menace d’être punis en payant une amende, ce qui nous rend de plus en plus sauvages. Comment serons-nous dans un an ? J’espère être de retour avant ! Ici nous n’avons aucune nouvelle de l’extérieur, nous ne savons rien de ce qui se passe dans le monde, la région de Stains a-t-elle été bombardée ?
Georges Bruno et moi, nous sommes des privilégiés car nous sommes les seuls sur quatre à avoir reçu du courrier, cela fait plus de dix fois que je la relis.
A l’usine, rien de neuf, la routine, le travail me plait toujours et je m’entends très bien avec Alex, l’ingénieur russe, on communique par gestes.
Popote et lessive
Le soir, nous continuons à faire notre popote mais comme le chef du camp de travail nous a interdit de faire du feu sur place, nous allons dans les champs, ce qui nous fait prendre l’air et perdre bien du temps, au retour, il commence à faire nuit.
Hier midi, comme c’était samedi, en sortant de l’usine, nous avons été au restaurant.
Nous avons mangé une espèce de choucroute avec des pommes de terre et un drôle de morceau de viande ! Elle n’était pas très garnie, le tout sans pain, nous nous sommes habitués à manger sans pain car celui que nous touchons, nous le gardons pour les casse-croûte du petit déjeuner.
Nous avons terminé notre repas par des gâteaux que nous avons achetés chez le pâtissier.
En rentrant ; j’ai fait la lessive puis je l’ai mise à sécher sur une ficelle dans notre chambre. Celle-ci a cassé par deux fois ce qui m’a obligé à relaver mon linge. Hier soir, nous avons été faire notre cuisine, toujours à la même place, en dehors du camp. Nous avons fait des pommes de terre sans sel car nous l’avions oublié.
Ce matin, je suis allé prendre une douche à l’usine et après avoir terminé notre courrier, nous avons fait cuire notre kilo de beefsteak que nous avons acheté accompagné de nos éternelles pommes de terre. Ce soir nous devons aller manger de nouveau au restaurant.
Sous la douche, nous sommes tous à poil, vieux comme jeunes, des beaux et des moches, des poilus et des tatoués, car ici, c’est la mode ! Quel spectacle tous ces hommes nus en train de se décrasser et qui s’interpellent avec des «ç’a va mon pote ou mon p’tit gars ». C’est la mode du bouc mais moi, je préfère garder uniquement les moustaches.
Nous nous sommes inscrits pour une semaine afin de tester la cantine du camp, nous verrons si cela en vaut la peine ! Ce dimanche matin, nous ne sommes que trois à écrire car René travaille à l’usine.
Les autres copains de la chambrée sont partis pour deux jours à Iéna, nous sommes au calme pour une fois, cette promiscuité est fatigante.
Cette après-midi, nous avions décidé de nous rendre à la piscine mais nous avons dû renoncer car il fait trop froid, alors, nous nous sommes retrouvés à notre refuge habituel, le café !
Je vais essayer de ne pas devenir alcoolique, ici il n’y a pas de vin, il n’y a que de la bière, nous ne consommons de l’alcool que les fins de semaine.
Au travail, je suis avec un nouvel ingénieur qui est Russe comme Alex, je suis vraiment avec des huiles !
Le résultat du test sur la qualité de la popote du camp nous a donné satisfaction, nous allons continuer, cela nous fera gagner du temps car faire la cuisine à l’extérieur nous en prend de trop et comme cela, nous aurons plus de temps pour digérer avant de nous coucher. Nous avons réussi à nous procurer un peu de tabac, nous sommes heureux !
Souvent le soir, un copain sort son accordéon et joue jusqu’à 23h00, cela nous distrait mais nous fait coucher tard et le lendemain matin, c’est toute une histoire pour nous lever, surtout qu’il faut aller chercher le café, faire son lit et balayer la chambrée, heureusement qu’elle est toute petite!
Nous nous entendons bien tous les quatre, j’ai eu de la chance de tomber sur des garçons aussi bien. Nous parlons souvent de notre coin de France en regardant passer le train de Paris et en nous demandant quand nous pourrons le prendre ?
Au camp, des gars sont en train de former une équipe de football, je voudrais bien en faire partie mais je ne peux pas car je n’ai pas les chaussures adéquates. De plus, il faudrait que je trouve le temps pour m’entrainer surtout si nous continuons à faire notre tambouille nous - même en fin de semaine car il n’y a pas de cantine, le ventre passe avant tout !
J’ai plein de graisse dans mes moustaches
Lorsque nous aurons touché notre première paye, nous avons décidé d’aller à Leipzig. J’écrirai à Michel, l’ami de Mireille, qui se trouve là-bas, cela me fera l’occasion de le voir.
Comme tous les dimanches, nous sommes partis manger dans notre coin, beefsteaks, jardinière de légumes et café. C’était trop copieux, nous n’avons pas pu tout finir ! Ce repas s’est terminé à 15h30, nous sommes rentrés nous habiller pour aller en ville manger au restaurant. Nous avons eu du mal à rentrer tellement nous avions mangé ! Cette soirée s’est terminée avec des chants accompagnés par notre accordéoniste.
J’attends mon pyjama qui doit arriver dans un prochain colis, il me permettra de ne pas dormir en chemise car elle est très sale et je pourrai me passer de tricot de corps et de caleçon.
Il faut me voir à la sortie de l’usine, j’ai plein de graisse dans mes moustaches ce qui me fait une tête d’ahuri, je suis plus sale que la famille M. , qui fait référence à Stains, tous les copains sont dans le même état que moi. Mon sac de couchage me sert énormément, il m’empêche de tomber en bas du lit la nuit et j’ai maintenant touché deux couvertures.
Les Français sont mal vus
Il faut noter que nous, les Français, pendant toute une période, nous sommes fort mal vus des autres nationalités. La propagande nazie nous présente comme des dégénérés, des combinards, des paresseux, des parasites, cela ne va pas sans influencer l’opinion générale.
Nous sommes tenus pour responsables de la politique de Munich, qui a sacrifié la Tchécoslovaquie à Hitler. Nous sommes coupables d’avoir accepté l’annexion de l’Autriche sans réagir, d’avoir pratiqués la politique de non intervention en Espagne au profit du dictateur Franco. Nous sommes accusés de ne pas avoir défendu la Pologne et d’avoir livré notre propre pays à Hitler et de soutenir l’occupant par notre politique de collaboration.
Nous avons l’impression d’être mis en esclavage
Dimanche matin, nous avons été réquisitionnés pour décharger un wagon de sable.
J’entends de ma chambrée les applaudissements qui viennent du stade de l’usine, il se joue un match de football France- Hollande, cela ne me dit rien d’y aller. Il fait assez froid aujourd’hui et c’est toujours la même histoire, le temps me manque puisque je donne priorité à ma correspondance.
Je ne pourrai pas moi-même poster mon courrier, c’est un copain qui le fera, je dois écosser les petits pois et éplucher les carottes pour le repas de ce soir. Le samedi et le dimanche soir comme il n’y a pas de cantine nous devons nous débrouiller nous-même et nos repas sont copieux, on se cale bien les joues.
Petit à petit, je me fais à cette nouvelle vie, je suis en osmose avec les copains et on se comprend par gestes pas besoin de parole.
Nous venons d’être prévenus qu’à 18h00, il nous faudra décharger un autre wagon de sable avec des prisonniers, nous ne sommes pas payés pour ce travail, nous avons l’impression d’être mis en esclavage ! Nous avons terminé à 21h00, les mains pleines de cloques mais il nous a fallu préparer notre repas ; un beefsteak avec une jardinière composée de petits pois, carottes et pommes de terre puis un gâteau de semoule avec de la confiture. Vraiment nous mangeons bien grâce à nos colis, si cela pouvait continuer !
Nous sommes allés passer une radio
Samedi 17 juillet vers midi, en sortant de l’usine, nous avons pris une douche puis nous sommes allés déjeuner à la cantine, nous avons bien mangé ! Ensuite, nous sommes allés passer une radio, et naturellement, il ont vu que mes poumons étaient pris. Je ne sais pas si cela est un bien ou un mal pour moi, est-ce qu’ils vont me renvoyer en France ? J’ai tellement envie de revoir ma famille et ma chérie ! Ensuite, nous sommes descendus en ville pour faire nos commissions. En rentrant, nous avons dû refaire la queue pour le diner, à la fin du repas, la nuit était déjà tombée et comme nous n’avons pas de lumière dans le camp en ce moment, nous n’avons pas pu faire notre veillée habituelle du samedi soir.
Le dimanche, je me suis levé à 8h00 car je suis de corvée, j’ai lavé le sol de toute la chambre ainsi que la table et les bancs.
Le meilleur restaurant de Weimer
Comme un soleil radieux noyait ce jour de juillet 1943, nous avons décidé d’aller manger en pleine campagne. Voici notre menu ; saucisson à l’ail, boudin à la purée de pommes de terre et gâteau de semoule comme dessert, le tout, comble du raffinement, accompagné de pain blanc.
Nous avons terminé ce déjeuner sur l’herbe par un café, pris dans nos gamelles, il n’était pas mauvais, bien qu’il ait eu le goût de tout ce que nous avions mangé précédemment.
Notre ventre bien rempli, nous nous sommes allongés dans un coin un peu ombragé mais les rayons du soleil était si ardents qu’ils ont brûlé nos torses nus, nous avons terminé cette sieste avec le corps plein de coups de soleil. En début de soirée, nous sommes partis en ville pour aller diner dans le meilleur restaurant de Weimar, des artistes s’y produisent pendant le repas.
Je peux me permettre cet écart car j’ai touché ma paye pour ce premier mois de travail, je suis payé 17 francs 25 (0.86 RM) de l’heure, ce qui est largement au-dessus de mes camarades mais en deçà des salaires annoncés en France. Avec 1120 francs par mois, Je vais essayer d’économiser pour que lorsque je rentrerai, j’ai assez d’argent pour acheter des meubles.
La grille pour le calcul des salaires est difficile à comprendre, elle prend en compte la qualification du salarié ainsi que sa productivité. Des retenues grèvent d’un tiers nos salaires, elles correspondent pour moitié aux prélèvements sociaux et l’autre, aux frais de pension (logement, électricité, salaire des gardiens).
Je suis toujours très content de mon travail à l’usine et la collaboration avec mes deux ingénieurs se passent de mieux en mieux car nous commençons à nous comprendre, chacun faisant l’effort d’apprendre un peu la langue de l’autre. Vendredi 23 juillet, nous avons touché notre première carte de tabac, quelle joie, malgré que notre ration ne représente que trois cigarettes par jour, mais on fait avec !
Il ne me reste plus rien sur la tête
J’ai en projet, dès mon retour, de partir avec ma dulcinée en Amérique du sud pour aller voir son oncle ! Les grands voyages ne me font plus peur maintenant et ils forment la jeunesse.
Pour quelques cigarettes, un gars du camp m’a coupé les cheveux, ici, ils les coupent très court, il ne me reste plus rien sur la tête et je me sens tout nu ! Heureusement que mon amoureuse n’es pas là pour me voir avec ma tête de bagnard.
Ce soir, c’était la fête ! Nous avons fait un excellent repas avec les deux colis que j’ai reçu de mes parents et un autre qu’a reçu René, un des trois copains de chambrée.
Nous nous sommes régalés avec toute cette victuaille, surtout avec le lard qui était très bon, il y avait du vin dans celui de René, c’était la première fois que nous en buvions depuis notre arrivée en Allemagne, tu parles d’une joie, chaque gorgée était chargée d’émotion et de nostalgie.
L’on se primitive chaque jour
La vie au camp est toujours la même, pas de changement sinon que l’on se primitive chaque jour un peu plus ; dès que nous rentrons du travail, nous nous mettons torse nu pour ne pas salir nos affaires, le temps chaud et sec nous le permet en cette saison.
Comme la cantine du camp fonctionne mieux, nous n’avons plus besoin de descendre chaque jour en ville pour faire nos courses. C’est de la fatigue en moins !
Chaque semaine, il arrive au camp un contingent de nouveaux travailleurs, en ce moment, il y beaucoup de gars de ST Ouen, dedans, il se trouve sûrement des anciens voisins de Madeleine.
Dans une de ses lettres, elle me décrit ses relations de travail chez Brummell avec le père L.., elles sont de plus en plus mauvaises. Heureusement qu’elle ne se laisse pas faire, surtout avec un crétin pareil ! Ici j’ai rencontré ce problème avec un type de son genre, j’ai réagi comme elle et depuis, il me laisse tranquille.
Désinfection du baraquement
(…) La lecture d’un journal nous apprit la victoire des russes à la bataille de Koursk où 3000 chars furent engagés, bien sûr, la retraite allemande nous est présentée comme un repli stratégique !
En ce début de mois d’août, le camp continue de s’agrandir avec les nouvelles arrivées, ce qui ne nous indique pas la fin du tunnel !
Nous avons changé de baraquement pour deux jours car l’on pratique une désinfection du nôtre. Dans ce nouveau logement, nous sommes seize dont les quatre inséparables. Les cibles visées sont les punaises et les puces, elles se nichent dans les châlits et les paillasses. Suite à des accidents mortels provoqués par les vapeurs de souffre, le front allemand du travail à promulguer une circulaire en date de juin 1943, affichée sur les baraques concernées. Sur celle-ci, le chef de camp doit indiquer le début des opérations de nettoyage et la date de réintégration des logements. Des condamnations de chefs de camp qui n’avaient pas respecté le délai minimum de réintégration de 3 jours, n’incitent pas les responsables à effectuer ces désinfections.
Nous avons piégé la chambre
Un samedi soir, une grande partie de la chambrée était partie en ville manger au restaurant et se distraire au spectacle, pendant leur absence, nous avons piégé la chambre en plaçant une gamelle d’eau au-dessus de la porte et en attachant un mannequin pendu juste derrière si bien que le premier qui rentre, reçoit une gamelle d’eau sur la tête et se trouve subitement nez à nez avec le pendu. Nous avons également placé des traverses de lit en travers de la chambre pour que, sans lumière, les gars se prennent les pieds dedans et s’étalent sur le sol. Nous avons piégé les lits soit avec de la confiture soit avec une bouteille d’eau, le goulot placé vers le fond du lit et dont le bouchon était attaché au montant si bien que lorsque le malheureux prend la bouteille pour la sortir, le bouchon part et l’eau se répand dans le lit. Pour finir, nous avons retiré les traverses du bas des lits superposés, en se couchant, tout s’effondre et le camarade se retrouve par terre.
Nos « pièges » ont bien fonctionné et tout cela s’est terminé par une grande bataille dans le noir, les polochons volaient, les bouteilles d’eau également.
La fatigue a eu raison des combattants et nous nous sommes effondrés sur ce que l’on trouvait pour dormir, paillasse ou plancher. Le matin, au moment de me lever, mon lit s’est effondré et je me suis retrouvé sur celui d’en dessous avec un bleu à la cuisse. Heureusement que son occupant était parti travailler sans cela, il m’aurait reçu sur le ventre. Nous nous distrayons comme nous pouvons !
(…)
S’il n’y a rien je reste là les jambes tremblantes
Le lundi soir, nous avons emménagé dans un nouveau baraquement, il a fallu remonter les lits et ranger nos placards. Nous sommes dans la baraque n° 9, chiffre à préciser sur les courriers. Il persiste une très grande camaraderie entre nous tous. J’ai reçu le premier colis de maman expédié par la gare. Il était ouvert mais rien ne manquait.
L’importance d’une correspondance épistolaire régulière augmente avec le temps ainsi que la réception d’un colis, en sortant de l’usine, je cours le plus vite possible pour voir si une lettre m’attend, mon cœur est serré et il bat très fort au moment d’ouvrir la porte du baraquement, j’ai toujours un moment d’hésitation car j’ai peur d’une nouvelle déception, j’hésite entre me précipiter vers la boite à lettres ou bien aller directement au lavabo, nous avons dans ce nouveau logis une boite à lettres ainsi que des lavabos. Bien sûr, je choisis toujours la première solution. Lorsque je sors la totalité du courrier, ma respiration se coupe, j’examine attentivement les lettres et vérifie qu’il n’y a pas deux de collées ensemble.
S’il n’y a rien pour moi, je reste là, les jambes tremblantes, la tête vide, mais je me ressaisis en pensant que ce sera pour demain. Il m’arrive de ne pas recevoir de courrier pendant une semaine et d’en recevoir trois en un seul jour.
Quelle tristesse d’être contraint au travail en Allemagne en cette période de vacances, ma belle ainsi que toute ma famille doivent être parties à la campagne ! Notre vie ici est monotone et je m’ennuie terriblement.
A l’usine c’est le calme plat
Au travail, nous ne sommes plus que deux. l‘un des ingénieurs est parti sur un autre poste et je reste avec celui qui a un grain en moins ! Mais il se range souvent à mon opinion.
L’autre vient souvent me demander de mes nouvelles, il connait ma fiancée, je lui ai tellement parlé d’elle, il la trouve charmante et m’en félicite. Il me demande parfois de lui faire voir ses photos. Il me souhaite de la retrouver bientôt, il m'a promis de venir nous voir à Stains s’il passait par Paris.
Souvent après ma journée de labeur, je fais la couturière, je raccommode mon pantalon, ma chemise ou mes chaussettes, je réussis à boucher les trous mais le résultat n’est pas très esthétique !
En ce milieu d’été, à l’usine, c’est le calme plat, j’en profite pour fabriquer des objets ; j’ai fait un cadre pour recevoir une photo de mon amour, entouré de deux petits vases. Je l’ai posé au premier plan sur l’étagère de mon placard comme cela dès que je l’ouvre, je le trouve en face de moi et je peux ainsi l’admirer. Ce réconfort me fait patienter en attendant « la quille ».
Les semaines sont longues lorsqu’au travail il n’y a rien à faire et la paye s’en ressent, je n’ai touché que 50 marks. J’en ai assez pour vivre mais je ne peux pas en mettre de côté pour monter mon ménage. Les hommes mariés touchent une prime de séparation qui est assez importante, elle me fait défaut !
Madeleine souffre d’anémie
Je viens d’apprendre dans une lettre, à mon grand désespoir, que Madeleine souffre d’anémie par manque d’alimentation !
J’ai peur qu’elle soit longue à se remettre car elle n’a guère de nourriture pour reprendre des forces, heureusement que l’on lui fait des piqures pour la remonter. J’ai hâte d’avoir des nouvelles de sa santé.
Georges n’a pas reçu de courrier depuis un mois ! Il pense que sa femme regarde ailleurs ! Il n’y a que René et moi qui avons hâte de retrouver nos chères petites femmes et de ne plus les quitter.
L’été est déjà fini
L’été est déjà fini, il a duré quinze jours ! Maintenant c’est un temps de Toussaint, il fait froid et il pleut sans arrêt. Lorsque l’on sort dehors, nous avons de la boue jusqu’aux chevilles ! Aussi nous resterons dans la chambrée pendant les fins de semaine à nous reposer et à faire des belottes.
Toutes ces joies nous les gardons dans nos besaces
Au travail, nous avons sympathisé avec un prisonnier de guerre français, il est très gentil, comme il travaille à la cantine, tous les soirs, il nous donne une gamelle de soupe, c’est le système D, aussi lorsque nous arrivons à la soupe, après avoir eu une première gamelle, nous refaisons la queue pour avoir du rabiot !
Avec ce mauvais temps, le dimanche nous nous couchons pour faire la sieste, nous devenons très paresseux ! Ensuite tour à tour, nous évoquons les bons moments passés, nous pensons tous que nous avons bien fait d’en profiter, car toutes ces joies nous les gardons dans nos besaces et le soir, nous piochons dedans pour les revivre avant de nous endormir et pour qu’ils initient nos rêves.
Le rêve que je fais le plus souvent
Voici celui que je fais le plus souvent : « Je suis dans l’autobus 142, je guette l’arrêt de la place des écoles, je saute du bus et remonte en vitesse l’avenue Solon, je suis anxieux car il est très tard et je me demande si la famille de Madeleine ne sera pas couché mais j’aperçois de la lumière qui filtre à travers les volets du troisième étage du N° 19, je cours dans l’escalier, je monte les marches quatre à quatre, j’arrive enfin sur le palier, je donne un grand coup de sonnette, sa mère vient m’ouvrir en chemise de nuit, elle est très étonnée de me voir à cette heure tardive, elle reste là, la bouche ouverte sans dire un mot, sournoisement, je m’infiltre dans la chambre de Madeleine.
Elle m’attendait les bras ouverts, je me jette dedans et sur cette action, mon rêve se termine, amputé par la censure !».
(…)
Notre chambrée est repérée par le chef de camp
En général, l’atmosphère est bonne dans la chambrée malgré quelques discussions un peu animées entre « les gars des villes et les gars des champs ». Notre chef de chambre est un dur de Belleville, il se revendique « apache » quand l’interprète allemand vient chercher des types pour les corvées, il l’envoie sur les roses avec des phrases menaçantes. De ce fait, notre chambrée est repérée par le chef du camp.
Un nouveau boulot
Comme je n’avais plus de travail sur mon poste de traceur, j’allais me promener dans les ateliers, voir René, Robert ou Georges et le plus souvent je me rendais aux water-closets. Mon chef m’a demandé d’observer ceux qui travaillaient sur des machines, ce que j’ai fait et comme cela m’a paru assez simple, j’ai été affecté sur l’une d’elles. Ce travail n’est pas fatiguant et me convient très bien.
Nous partirons camper dans les bois
Pour la fête du 15 août, nous avons fait deux repas sensationnels, grâce aux colis que nous recevons et que nous partageons. L’après-midi du dimanche, comme il faisait beau, nous sommes allés chez un photographe, il nous a pris tous les quatre ensembles.
Tous les samedis après-midi, nous avons soit du raccommodage, soit de la lessive, soit du nettoyage ou du bricolage, à faire mais nous allons devoir nous organiser différemment car pour échapper aux corvées de fin de semaine, nous partirons camper dans les bois jusqu’au dimanche soir.
Heureusement le temps s’est remis au beau, nous allons en profiter, donc en quittant le travail, nous avons pris une douche, avaler une soupe à la cantine, en passant par la chambre, j’ai découvert un colis que maman m’a adressé.
Il contenait deux boites de conserve de lapin et un paquet de cigarettes. Nous avons pris nos victuailles et nos couvertures et nous sommes partis à la recherche d’un coin tranquille pour ne pas être interceptés par la police.
Nous avons marché un kilomètre pour découvrir un coin vraiment idéal, sur une petite colline, caché par des arbres. Nous avons monté notre campement à 100 m d’une rivière et d’une source.
Une fois notre installation terminée, nous sommes descendus nous baigner dans la rivière qui était aussi large et aussi sale que le Rouillon [un ruisseau de la Seine Saint Denis, aujourd’hui disparu ] puis nous sommes remontés faire un feu afin de préparer notre diner. Nous avons mangé du saucisson, du lapin avec des pâtes sauce tomate et de la confiture. A la fin du repas, le ciel s’est obscurci et quelques gouttes ont commencé à tomber, nous avons vite ramassé notre matériel puis nous nous sommes déshabillés pour ne pas mouiller nos affaires.
Il fallait nous voir tous les quatre à poil, ce n’était qu’un petit nuage qui est vite passé. Nous nous sommes enroulés dans nos couvertures, allongés sur la mousse du bois et très vite le sommeil nous a gagnés.
(…)
Retour au traçage, à contre cœur
J’ai changé de travail, je suis maintenant sur un bijou merveilleux, c’est une rectifieuse qui travaille au centième de millimètre. Cette machine possède les mêmes manettes qu’une voiture américaine : volant, changement de vitesse, etc., je me figure dans ma voiture en train de conduire avec toi à mes côtés !
Mon affectation change régulièrement maintenant que je suis polyvalent, il y a quelques jours, mon chef vient me voir et avec de grands gestes, il me fait comprendre que je dois retourner à mon ancienne place car du travail de traçage est arrivé. J’y suis donc retourné mais à contre cœur car je ne m’entends pas du tout avec le deuxième Alexis, il a des idées opposées aux miennes et nous sommes souvent en désaccord. Je ne suis pas le seul à ne pas le comprendre. J’ai repris mon travail mais sans lui adresser la parole.
Une diarrhée imaginaire
Je ne travaille pas ce mercredi matin 25 août car j’ai réussi, avec beaucoup de mal, à obtenir un arrêt de travail de trois jours pour une diarrhée imaginaire ! Sur les quatre copains, nous sommes trois à être « tombés malade » en même temps ! Lundi, c’était René le premier, vers 13h00, j’ai demandé un bon de sortie pour aller le voir. Il m’a convaincu de le rejoindre à l’infirmerie aussi mardi matin, je suis allé voir le docteur pour qu’il m’arrête mais cela n’a pas marché et j’ai dû retourner au boulot. Alors, j’ai simulé des douleurs au ventre et j’ai obtenu un autre bon d’absence, ce qui m’a permis d’aller voir Georges qui lui avait réussi à se faire « porter pâle », il s’était soit disant trouvé mal ! Nous en avons profité pour aller faire des commissions en ville.
Ce matin, j’ai simulé un mal au ventre terrible devant l’infirmière et bingo, cela a marché, nous sommes maintenant trois malades à garder notre chambrée, nous sommes de bons « tire au flanc » ! Ce temps libre me permet de faire du raccommodage et ma lessive.
Transformés en « mauvais garçons »
La vie ici est toujours aussi monotone, même emploi du temps et même repas ; travail, cantine, dodo ! La camaraderie règne dans notre chambrée à part ces éternelles discussions entre les gars de la ville et ceux de la campagne. Nous les laissons se chamailler entre eux, cela ne nous intéresse pas.
En deux mois de présence ici, nous nous sommes petit à petit transformés en « mauvais garçons ». C’est Georges qui a le plus changé, au début il s’offusquait pour un mot de travers ou un geste déplacé, maintenant, c’est lui le plus déluré. Hier, à la cantine, il nous a estomaqué ; un camarade voulait « la ramener » car nous avions obtenu du rab, Georges s’est levé d’un bond et lui a dit « ferme ta gueule ou je te rentre dedans ».
Nous avons éclaté de rire car nous ne l’avions jamais vu dans cet état, aussi menaçant. Voilà le résultat de la vie en collectivité pour des hommes jeunes.
(…)
Les Allemands ont proféré des menaces
Ce samedi, les allemands cherchaient des hommes pour les corvées, comme nous avons refusé, le ton a monté, ils ont proféré des menaces et nous ont mis des amendes mais ils ont fini par partir dans un autre baraquement.
Cette semaine, une soirée en ville a été organisée exceptionnellement pour nous mais, comme de bons paysans, nous sommes restés au camp. Cela ne nous disait rien de sortir puisque nous ne pouvons plus nous habiller correctement !
Dans un moment nous partons visiter la ville et manger des glaces, quand le camp sera ouvert car actuellement il est cerné par la police. C’est honteux de ne rien connaître de Weimar au bout de deux mois ! Madeleine m’a écrit qu’elle a acheté une belle robe pour mon retour, je l’imagine dans cette superbe toilette mais je ne souhaite pas qu’elle la mette pour venir me chercher à la gare, car moi, je ne serai pas très élégant avec mon pantalon reprisé et mes chemises toutes fripées.
Je suis allé récupérer mes photos, je vais les expédier à Stains, j’espère qu’elles plairont à Madeleine, avec une moustache.
J’attends une lettre de ma belle pour être rassuré sur son état de santé après ces quinze jours de congés payés, est ce que ses rapports avec mes parents se sont améliorés, est ce qu’ils l’invitent à manger, est-ce que le père L… est toujours aussi désagréable avec elle ?
Nous en avons assez de cette exploitation
Pour cette fin août, nous avons touché notre quinzaine, je n’ai perçu que quarante marks, c’est honteux d’avoir si peu pour 55 heures de travail par semaine. Où sont les économies que je projetais de faire pour mon retour ? Georges est encore moins bien payé que moi, il n’a eu que trente-cinq marks. Ici tout est à la baisse ! Nous en avons assez de cette exploitation, vivement que cela cesse !
(…)
Mieux traités à l’usine
Dans le camp, c’est l’optimisme car soixante-cinq hommes mariés ont obtenu une permission après cinq mois de travail forcé. Tous les huit cents camarades, nous les accompagnerons jusqu’ à la gare, cela va faire du monde ! Le caïd de notre chambre devait être du voyage mais il a eu sa permission supprimée suite à une altercation avec un surveillant du camp. Cela s’est produit ce matin, quel caractère ces français ! Au camp, c’est pire que le régiment, heureusement qu’il n’y a pas cette pression à l’usine. Là-bas, nous sommes considérés comme des ouvriers et pas comme des pseudo-prisonniers.
Les nuits sont courtes et la journée de travail longue
J’ai encore changé de travail, je suis de nouveau sur une rectifieuse, elle est aussi belle que la première, un polonais m’explique le fonctionnement. J’ai fait une croix sur le traçage car cette activité est trop épisodique.
Les nuits sont courtes, 6h30 de sommeil, c’est peu pour des journées de 10h00 de travail.
Les énergumènes du groupe
Nous avons quelques énergumènes dans notre groupe, comme un surnommé Tatave qui n’arrive pas à sortir une phrase sans s’y reprendre à dix fois, c’est un vrai bégayeur et à chaque fois qu’il essaye de parler cela déclenche de ces crises de rire très communicatives. Le pire c’est que nous ne pouvons pas nous en empêcher. Il y a un deuxième camarade qui a les « dents de Fernandel », il dort la bouche et les yeux ouverts, pour rigoler, de temps à autre nous lui mettons un objet entre les dents et nous l’admirons dormir ainsi. Un troisième copain a complètement perdu les pédales ; il parle tout seul, lorsqu’il ferme son placard, il secoue son cadenas pendant quinze minutes en crachant par terre, c’est un spectacle unique !
En cette fin d’été, il fait un temps déplorable, nous avons été obligés d’arrêter nos parties de camping ce qui nous permettra de visiter Weimar.
Départ des permissionnaires et pièce de théâtre
Hier, nous étions tous à la gare pour saluer le départ des permissionnaires. Lorsque le train est parti, on a tous poussé des cris d’adieu, nous avions le cœur serré en s’interrogeant sur la date de notre tour de permission.
Le soir, nous avons assisté à une représentation d’une pièce de théâtre montée par des gars du camp. Cela nous a remonté le moral et a chassé notre cafard.
Nous étions en train de fumer au lit quand le chef de camp est venu nous faire éteindre nos cigarettes et fermer la lumière. Il était une heure du matin.
Maintenant je dois m’entraîner tous les jours
Ce matin, nous nous sommes réveillés à sept heures, nous nous sommes jetés sur nos paquets de cigarettes, nous parlions de sport lorsque notre quatuor a lancé un défi au reste de la chambre sur une course à pied.
Robert et moi, nous avons été choisis pour affronter deux anciens sportifs, nous sommes partis sur le terrain et bien sûr, Stains l’a emporté ! Comme parmi les spectateurs, il y avait des types qui s’entrainaient pour une compétition internationale qui aura lieu dimanche prochain, ils ont pris mon nom. Maintenant, je dois m’entrainer tous les jours car je vais représenter la France dans ce tournoi. Mais je ne sais sur quelles distances je vais devoir courir, ils vont me tester afin de voir sur laquelle je suis le plus fort.
Je suis très heureux d’avoir ce projet, je commençais à m’encrouter mais je n’ai pas d’équipement, ni maillot ni chaussures. Je vais devoir courir avec mes souliers, je verrai bien ce que cela donnera, j’espère ne pas être le dernier !
Un gars de plus pour le maquis
Le caïd de notre chambre a fini par partir en permission, il était très heureux, il nous a confié qu’il ne reviendra pas, un gars de plus pour le maquis !
C’est le calme dans la chambrée, René et Georges sont en train de dormir comme plusieurs autres camarades, Robert regarde un match de football, quelques gars sont partis en ville.
Beaucoup de nos amis de province passent leur temps libre au lit, dès qu’ils ont un moment, ils se couchent, à ce régime-là, ils vont prendre de la graisse.
Nous avons lu sur les journaux allemands que les alliés ont débarqués en Italie, ce qui nous confirme que notre retour ne saurait tarder.
Les Allemands ont le moral dans les chaussettes
Mes cheveux ont repoussé, ils sont très bien comme cela, je peux faire des boucles avec. Lors de la représentation de dimanche, il y a eu une quête pour les réfugiés de Paris qui a rapporté 250 marks mais nous venons d’apprendre que l’argent est parti pour le secours national de Pétain, il a été alimenté par la spoliation des biens des juifs. Le mensonge et l’intox fonctionnent à plein régime ici.
Les Allemands ont le moral dans les chaussettes avec l’ouverture d’un deuxième front à l’ouest. Le nôtre est à l’opposé avec les évènements d’Italie. Il n’y en a plus pour longtemps de cette misérable vie.
Cela fait mal de voir avec quelle brutalité ils sont traités
Mon nouveau travail va très bien, ma bécane marche à merveille, le temps passe beaucoup plus vite qu’au traçage et le chef me fiche une paix royale. Ce n’est pas le cas avec les autres étrangers (russes et polonais) et cela me fait mal de voir avec quelle brutalité ils sont traités !
L’entrainement que je pratique après le travail pour la rencontre internationale se poursuit mais j’ai les jambes raides, ce qui sera un handicap pour la course de dimanche. J’espère quand même obtenir une place d’honneur.
Une pétition contre les corvées
A l’instant, je viens de signer une pétition contre les corvées, c’est un véritable esclavage ! Avant-hier les allemands ont forcé des camarades à décharger des wagons jusqu’à une heure du matin et cela après leur journée de 10 heures soit 18 heures de boulot, la moitié sans rémunération ! Comme ce matin, ils n’arrivaient pas à se lever, les allemands sont venus les chercher à 7 h00 et en plus ils ont écopé d’une amende !
IL faut faire attention à la censure
Ce samedi soir, je suis seul car les copains sont partis à une représentation, moi cela ne me disait rien, à la place, je suis descendu en ville boire un demi.
J’ai quitté le café à 8h30, il faisait nuit, j’ai fait le chemin du retour en flânant, les neuf kilomètres de retour au camp m’ont paru très court !
Nous n’avons aucune nouvelle des actualités et de l’évolution de la guerre car il faut faire attention à la censure, une lettre sur deux est ouverte, on peut le voir car il y a une bande collante sur un côté de l’enveloppe et une trace bleue sur la lettre.
Deux machines à la fois
Au travail, je m’occupe de deux machines à la fois ; ma rectifieuse et une grosse perceuse, comme celle de Georges. Cela me permet d’avoir une double paye : 82 mark, les allemands viennent de nous confirmer que nous pouvons envoyer beaucoup d’argent en France ! Prudence car nous avons appris à connaître la valeur de leur parole !
Il est 21h00 ce dimanche soir 12 septembre 43, nous rentrons de la campagne, un peu fatigués car le trajet était long. Nous avons passé une excellente journée agrémentée par un copieux repas : Haricots au lard avec champignons que nous avons trouvés dans la forêt, ainsi que des pommes qui ne nous ont pas coutées cher.
Lettres et colis
Cette semaine, j’ai reçu trois lettres de Madeleine, elles m’ont rassuré sur son état de santé, et un colis de maman avec une chemise neuve et un pot de rillettes.
Je vois que la famille de Madeleine a encore des embêtements avec ces sales gens, j’espère que cela n’est pas trop grave et qu’ils vont bientôt déménager. J’en ai par-dessus la tête de ces gens-là, ces allemands me révulsent sur bon nombre de sujets ! Où se trouve notre beau Paris, celui de mes belles sorties ?
Mon cher ami Louis Pujol m’a également écrit : « Ta fiancée est très gentille, elle a un genre spécial qui te sied bien ». Claude m’a aussi adressé un courrier, il me dit : « Je suis content d’avoir Madeleine comme belle-sœur. Maman et papa conviennent qu’elle est gentille et ils seraient contents qu’elle soit leur bru ».
Je viens d’adresser une lettre à Madeleine pour lui souhaiter un bon anniversaire, hélas loin d’elle mais je note tout ce temps perdu en me promettant de le rattraper une fois de retour à Stains.