Anise Postel Vinay

1922 - 2020


Des souvenirs qui ne s'effacent pas

La rédaction de ce texte a été établie dans le cadre des épreuves du Concours National de la Résistance et de la Déportation en 1995. Depuis, cet écrit a été enrichi de précisions multiples qui donnent à ce témoignage une importance scientifique indéniable et constitue un document humaniste de valeur qui dépasse de beaucoup le cadre d'un simple exercice scolaire.

Nous sommes le 29 mai 1995 à Courdimanche. Notre groupe se prépare à s'entretenir avec Madame Anise PostelVinay. Elle est la sœur de Claire Girard et nous sommes tous un peu excités et surtout impatients de la rencontrer. Cet entretien, nous l'avons préparé depuis longtemps…

Dans l'encadrement de la porte de notre salle de classe, notre interlocutrice, une femme assez grande, apparut dans un charmant tailleur saumon. Dotée d'une grande sensibilité, (nous l'avons vite réalisé), Anise Postel-Vinay fit preuve d'une grande modestie tout au long de notre entretien, ce qui nous parut fabuleux tant ce qu'elle avait vécu avait été dur à supporter. Enfin, sa sympathie à notre égard, pendant toute la durée de notre entretien, nous toucha. Quant au contenu de son témoignage, il fut tout simplement bouleversant.

Jeunesse et engagement

Avant que ne commence la guerre, Anise Girard, un peu plus jeune que sa sœur Claire, venait de passer son bac et débutait des études d'allemand. Elle avait 17 ans... Afin d'éviter les bombardements, puis, par la suite, le triste spectacle des Allemands entrant dans Paris le 14 juin 1940, les Girard avaient choisi de quitter la capitale pour se réfugier à Rennes. Mais Louis Girard, le père, étant médecin, était resté travailler à Paris et il ne rejoignit finalement les siens qu'après le 17 juin 1940. Le discours du maréchal Pétain du 17 juin 1940, annonçant l'arrêt des combats, fut ressenti comme un « déshonneur complet » par toute la famille Girard, qui était effondrée. Le plus amer fut Monsieur Girard qui, après huit ans au service de l'Armée française, avait de l'admiration pour le vieux maréchal. «Nous étions accablés, indignés, humiliés jusqu'au fond de nousmêmes. Mon père nous a alors rejoints à Rennes. Nous l'avons à peine reconnu : il avait vieilli de dix ans. Ses traits s'étaient creusés et son regard était dès lors inquiétant. Il était en proie à une colère intérieure redoutable, une de ces colères sourdes et silencieuses comme seuls les calmes en connaissent. Fils et petitfils de paysans des montagnes du Jura, il avait gardé le calme et la réserve des montagnards - leurs terribles colères aussi ». Malgré la présence des Allemands, toute la famille finit par retourner à Paris. Monsieur Girard devait continuer à travailler, ses clients l'attendaient. Ayant eu connaissance de l'appel du général De Gaulle, toute la famille devint celle de « gaullistes passionnels ». « Mes parents étaient profondément chrétiens et républicains : le respect absolu de la personne humaine passait avant tout. Il fallait savoir mourir pour ce principe. Nous n'avons pas entendu nous-mêmes le général appeler à continuer la lutte, depuis la radio anglaise. De toutes façons, avec ou sans De Gaulle, nous nous serions battus jusqu'au dernier souffle. Mais très vite, nous apprîmes l'existence, à Londres, de ce général au nom prédestiné qui sauvait l'honneur.

Qui était-il ? Nous n'en savions rien. Mais son langage était le seul qu'il convenait de tenir. Mon père acheta un nouveau poste de radio, le plus puissant possible, et notre vie fut désormais suspendue à la radio de Londres, à travers le brouillage diffusé en permanence par les autorités d'Occupation. Je m'inscrivis à la Sorbonne pour continuer mes études d'allemand. La rentrée universitaire avait à peine eu lieu que le 11 novembre approchait, anniversaire de la victoire de 1918, fête traditionnelle pour les morts de la Grande Guerre ».

Des intentions aux premiers actes de Résistance Le 11 novembre 1940, Anise Girard se rendit à la grande manifestation des étudiants contre les Allemands et le nazisme, sur la place de l'Etoile, à Paris. Ce n'était pas de sa part une décision irréfléchie. En effet, les Girard savaient bien ce qui se passait depuis 1933 en Allemagne. D'ailleurs, la mère d'Anise et de Claire, d'origine alsacienne, avait caché des réfugiés juifs et catholiques persécutés par le régime nazi bien avant la guerre. « Nous, les enfants, avions vu défiler à la maison des familles dépourvues de tout, le regard rempli d'angoisse... ». Lors de cette manifestation, les Allemands tirèrent sur les manifestants. Anise Postel-Vinay témoigne : « Je partis en avance, réussis à descendre dans le métro et me traînai tant bien que mal jusqu'à la station Etoile. Me hissant grâce à la rampe métallique jusqu'à la sortie de l'angle de l'avenue de Wagram, je m'étonnai de voir la grande place de l'Etoile entièrement vide. Je fis quelques pas et aperçus, au débouché de l'avenue des Champs-Elysées, plusieurs groupes de soldats allemands qui couraient et installaient rapidement des mitrailleuses sur les trottoirs. Je voulus courir, moi aussi, pour retourner me cacher dans le métro, mais mes jambes me faisaient trop mal (elle avait fait une très longue marche avec un groupe d'éclaireurs la veille) et je ne pus que me cacher, sans gloire, derrière le tronc d'un platane ! Les mitrailleuses claquèrent au ras du sol. Les étudiants fuyaient en redescendant les Champs-Elysées. J'eus le temps d'apercevoir des Allemands qui tenaient en respect des étudiants, les bras en l'air, revolver sur la nuque. Je reconnus l'un d'entre eux :

Horreur ! C'était un israélite. J'eus le sentiment aigu que nous ne le reverrions jamais... Il tenait encore ses cahiers et ses bouquins de l'université dans ses mains levées en l’air. » Les Allemands ne tirèrent pas sur elle. Elle avait réussi à se cacher dans le métro malgré les courbatures qui la faisaient souffrir. Depuis l'été 1940, les Anglais se trouvaient donc seuls contre les Allemands. Voulant les aider efficacement, Anise essaya de se rendre en Angleterre. « Dessiner des croix de Lorraine sur les murs était à mes yeux puéril, estime-t-elle. Rassembler et faire circuler les plaisanteries qui se racontaient sur l'occupant me paraissait dérisoire. A partir des quelques tracts ou journaux clandestins qui me tombèrent entre les mains, je ne réussis pas à remonter la filière pour m'associer au groupe qui les éditait. Que faire pour participer utilement à la lutte contre les nazis ? Je décidai de tenter de passer en Angleterre pour m'engager dans l'armée alliée. J'avais alors dix-huit ans et ma mère voulait bien m'y aider à condition que je trouve une camarade et que nous tentions l'aventure à deux... Je connus alors une des grandes déceptions de ma vie : de toutes mes amies, camarades de lycée ou de scoutisme, aucune ne voulut m'accompagner... Je découvris finalement une jeune Alsacienne, réfugiée à Paris, que l'idée enchanta. Hélas, les quelques filières que nous avions trouvées, avec mille peines, n'aboutirent pas et nous résolûmes de chercher à nous employer sur place, bien que nous ne nous sentions aucun goût ni aucun don pour l'espionnage militaire. C'est encore ma mère qui crut comprendre un jour qu'une de ses amies « faisait quelque chose » et elle m'a conseillé d'aller la voir. Simone Lahaye était professeur de philosophie, et par une collègue professeur d'anglais, elle avait été mise en rapport avec un universitaire qui transmettait des renseignements militaires à Londres. On me donna un dépliant qui indiquait tous les sigles des diverses armes de l'armée allemande et ma première mission consista à aller repérer quelles sortes de canons étaient installés sur les chars allemands stationnés au fort de Vincennes ! Moi qui distinguais à peine un canon d'une mitrailleuse, et pas du tout un caporal d'un général, qu'allais-je pouvoir faire ? » N'ayant donc pas pu joindre la France libre, Anise devint résistante sur le sol français. Elle était entrée en contact avec un réseau de l'Intelligence Service appelé « S.M.H. Gloria » (S.M.H. les initiales inversées de Her Majesty's Service). « En 1941 et 1942, nous ignorions les termes de « réseau » ou de « résistance ». Simplement, on faisait quelque chose avec un petit groupe de gens qu'on ne qualifiait pas encore de résistants. » Sa première mission n'eut rien de spectaculaire. C'était plutôt fastidieux puisqu'elle dut apprendre les sigles de l'armée allemande, et se rendre régulièrement au château de Vincennes pour repérer des chars ennemis et en mesurer discrètement les traces de chenilles avec un mètre de couturière ! « Ma seconde mission consista à observer et noter sur une carte un des systèmes de défense antiaérienne installé autour de Paris, les «saucisses», qui flottaient haut dans les airs, retenues à terre par des câbles. Toujours sur ma bicyclette et cette fois avec l'aide d'un de mes camarades de Sorbonne, nous avons noté tous les points d'ancrage de ces saucisses, avec les sigles et numéros de l'unité allemande de la Luftwaffe correspondante. Cette superbe carte, que j'avais dressée avec l'aide d'un de mes jeunes frères était micro-photographiée et, jointe aux documents des autres camarades du groupe, placée dans une boîte d'allumettes qu'un ami prêtre transportait en zone libre. De là, la boîte d'allumettes partait pour Londres via Lisbonne ».

L’arrestation

C'est au cours d'une de ces missions qu'Anise Girard fut arrêtée : « J'étais allée comme monitrice de colonie de vacances au Havre à un moment où ce port était beaucoup bombardé. C'était en 1942. Je devais observer la chute des bombes pour que les Anglais sachent le résultat de leurs bombardements. Moi, j'habitais avec mes gamins en face de la gare de marchandises du Havre. Les Alliés avaient bombardé avec succès tout un train et je me rappelle que les wagons ont sauté de proche en proche pendant au moins 24 heures. Nous étions en plein danger puisque tout près de la gare, mais ni moniteurs ni enfants n'avaient peur. Nous étions inconscients. Nous nous réjouissions avant tout de voir les Anglais arriver. Nous étions dans une vieille maison tout en haut de laquelle se trouvait une espèce de lanternon en verre ; je montais là-haut pendant les alertes pour surveiller où tombaient les bombes. Je prenais des notes pour garder en mémoire l'implantation d'une part des bombes et d'autre part des postes allemands que j'avais pu repérer dans la ville. Je notais cela sur un très grand papier parce qu'il fallait bien établir un plan du Havre, puis je roulais le tout dans mon sac. Je suis rentrée à Paris pour aller tout porter à mes chefs. J'en étais très fière, bien sûr. Mais, toute la côte étant classée zone interdite, il fallait repasser d'une zone à l'autre, avec des papiers que je n’avais pas. De plus, j'avais ce rouleau de papier compromettant dissimulé dans mon sac à dos. J'ai tout de même réussi à monter dans un train très, très bondé, tout en évitant les contrôles. Je suis arrivée à Paris sans encombre. Pas de contrôle à la gare non plus. Il faisait très beau et je me sentais très heureuse. La consigne était que je téléphone d'abord à notre chef avant d'apporter mes documents. Mais cet homme mystérieux et éminent que je n'avais jamais vu m'intimidait énormément, et je préférai aller directement avec mes documents chez ma camarade professeur d'anglais du lycée Buffon. Ce manquement à la consigne allait me coûter cher ! » Arrivée au pied de l'immeuble, Anise remarque à peine le long du trottoir une superbe voiture de sport décapotable, rouge.

« Tiens, me suis-je dit, comme personne n'a le droit de circuler le dimanche, ce doit être des Allemands !» Puis je chassai cette idée de mon esprit en me traitant de peureuse. Un Ausweis était collé sur le pare-brise. Ce pouvait être tout simplement un médecin. Et je montai gaillardement les cinq étages, assez fière d'apporter ma nouvelle moisson de renseignements militaires ! Quand j'ai sonné, ce n'était pas ma camarade qui était là, c'était un grand jeune homme en bras de chemise. J'ai vu les affaires de ma camarade par terre : toutes ses armoires, tous ses papiers étaient vidés par terre. Je me suis tout de suite rendu compte que c'était la Gestapo et que j'étais tombée dans une souricière. Je me sentis pâlir. « Mais vous devenez pâle », me dit le gestapiste... « Mon Dieu, dis-je pour trouver le temps de me ressaisir, vous croyez que c'est une surprise agréable d'aller voir une amie et de trouver les Allemands chez elle ? » Crânerie bien inutile. J'essayai de semer mes gestapistes en descendant les cinq étages plus vite qu'eux... Mais ils étaient sportifs, eux aussi. Un chauffeur allemand surgit de je ne sais où et nous montâmes à trois sur le siège arrière de la voiture rouge décapotable. J'avais mon sac à dos sur les genoux, avec le rouleau du plan du Havre qui dépassait... Nous abordâmes le pont de la Concorde, toujours sous un soleil merveilleux; j'imaginai pouvoir saisir mon rouleau d'un mouvement rapide et le lancer dans la Seine !... Mais à peine avais-je amorcé un mouvement que mes deux voisins m'ont renfoncée brutalement sur la banquette. Au siège de la Gestapo - situé au Ministère de l'Intérieur, rue des Saussaies - j'ai vu avec désespoir mon rouleau de papier disparaître dans un bureau voisin. Un après-midi se passa à attendre. Mais la police ne montra aucune curiosité ni pour les documents, ni pour moi. A quoi bon, en effet ? Ils avaient tout en mains. En fin de journée, ils réapparurent, discutant entre eux et me désignant. Je compris que je serais déportée en Silésie. Nous reprîmes l'élégante voiture découverte et je regardai avec intensité la belle lumière du soir sur Paris avec le sentiment mélancolique que je ne la reverrais peut-être jamais ».

L’expérience douloureuse de l’emprisonnement

« Les lourds battants de fer de la Santé s'ouvrirent comme par enchantement et se refermèrent sur nous ». A la prison de la Santé, Anise connut des moments épouvantables dont l'évocation nous a franchement émus. Arrivée au greffe de la prison, elle dut donner sa montre et signer le registre d'écrou. « Horreur ! La signature qui précédait la mienne était celle de mon père. Comment avaient-ils eu le temps d'aller l'arrêter ? Et tout cela était de ma faute... Le long des murs, j'aperçus des hommes blêmes, dont quelquesuns avaient peur et le laissaient voir. La honte me submergea. La cellule était grise et sale. Il me fallut toute mon énergie pour lutter contre l'immense détresse qui m'envahissait. Au bout de quelques heures, j'entendis des voix d'hommes et de femmes qui semblaient échanger quelques mots. Il y avait donc encore un peu de vie dans cet immense tombeau... La porte s'ouvrit brutalement à grands tours de clefs et un soldat allemand m'expliqua que j'allais être fusillée le lendemain matin à 4 h 30. Je trouvai cela normal : l'ennemi m'avait prise avec des renseignements militaires sur moi, c'était de bonne guerre. Cela expliquait pourquoi les gestapistes ne m'avaient posé aucune question. Mais, à vingt ans - à tout âge, sans doute -c'est dur de mourir. Je n'avais aucune envie d'être un héros. Pourquoi n'étaisje pas restée tranquillement à faire mes études ? Mais enfin, me répétais-je l'instant d'après, on ne pouvait tout de même pas se soumettre ainsi à l'ennemi ; ce nazisme, dont je ne connaissais pas à l'époque toute la monstruosité, on ne pouvait tout de même pas l'accepter. Allons ! Je devais tenir toute la nuit. Pour cela, je devais absolument m'empêcher de penser à ma mère et à son immense chagrin, me considérer comme un tout petit pion qui faisait ce qu'il devait dans la grande bataille mondiale. A la prison de la Santé, la grosse horloge sonnait tous les quarts d'heure. La nuit fut interminable. Vers trois heures, je commençai à prier, à genoux contre le lit de fer ; je ne faisais que réciter des « Je vous salue, Marie » parce qu'à la fin, cela se termine par « et à l'heure de notre mort » et que c'était la seule prière qui convenait. D'ailleurs toutes mes idées étaient embrouillées, tendue que j'étais à lutter contre une peur viscérale. Trois heures et demie, quatre heures moins le quart, quatre heures, quatre heures un quart, quatre heures et demie... J'attendais debout, recoiffée, ma jupe bien tirée... Personne. Cinq heures moins le quart, cinq heures... Personne. Vers sept heures, des bruits variés commencèrent à remplir la prison. La porte s'ouvrit enfin. Mon cœur se mit à battre terriblement. Mais c'était le café qu'on distribuait. Je compris que ce ne serait pas pour cette fois. Ou bien il y avait eu contre-ordre, ou bien c'était un tour qu'on jouait aux arrivants pour les démoraliser ». Anise, isolée dans sa cellule, se fait pourtant des amis grâce à un moyen vraiment très original : « Les W-C dans les cellules étaient alors un simple trou. Par ces W.C., on pouvait correspondre avec toute la colonne d'étage, même avec les voisins, même avec les détenus qui étaient en face. Pour « téléphoner » avec ses voisins, il fallait enlever le couvercle de bois et enfiler la tête dedans, en évitant d'avaler les petites mouches à merde qui voletaient ça et là. « Au bout du fil », j'entendais souvent Dédé, un jeune militant communiste de 17-18 ans, gai comme le printemps, malin comme 36 singes, drôle à mourir de rire, audacieux et courageux comme Gavroche. Il en était à sa troisième arrestation, enfermé dans une cellule du deuxième étage, menottes aux mains jour et nuit. Mais Dédé, qui travaillait en usine depuis l'âge de treize ans, était un fin métallo : agile comme un chat, il repassait ses menottes par-devant dès que la ronde du gardien s'éloignait, et avec le fil de fer de son petit balai de cellule, il avait réussi à se fabriquer une clef à menottes personnelle ! Il en avait fabriqué une autre pour un jeune garçon, deux cellules plus loin, qu'il avait réussi à lui passer, dissimulée dans le petit tas de poussière que chaque détenu poussait hors de sa cellule le matin. Dédé avait pu apercevoir son voisin par la rainure de sa porte, un instant ouverte. « Grand, blond, distingué, le vrai intellectuel » me disait-il avec admiration. Nous appelions ce voisin « René ». René était lycéen, il sifflait à longueur de journée les concertos brandebourgeois de Bach les uns après les autres.

Dédé avait cassé un carreau de son vasistas, et nous avait enjoint d'en faire autant. Il grimpait comme un chat jusqu'au plafond, s'accrochait aux barreaux et maintenait le moral du coin en racontant mille facéties. Il arrivait à correspondre avec un communiste plus âgé, que nous respections tous terriblement, « Auguste », dont on savait seulement qu'il était un ancien des Brigades Internationales et qu'il était plombier à Paris. Auguste et les hommes de son groupe partaient les uns après les autres pour le tribunal et revenaient le soir avec leur condamnation à mort. Ils attendaient leur exécution d'un jour à l'autre. Chaque soir, Auguste montait à son vasistas et parlait à ses camarades, s'adressant surtout aux plus jeunes. Il leur redisait inlassablement combien mourir pour la libération de leurs frères était beau et normal, que les grandes choses ne se faisaient que par la mort, que leur sacrifice ferait lever des générations de militants et qu'enfin la France valait bien que l'on mourût pour elle. Les paroles graves et chaleureuses d'Auguste me bouleversaient et j'ajoutais ma prière, intense et silencieuse, pour chacun de ces jeunes. C'était mon premier contact avec des communistes... Et ces gens se disaient matérialistes ? Je n'en revenais pas. Un matin très tôt, plusieurs portes de cellules s'ouvrirent à la fois à grand bruit. De toutes les cellules monta une Marseillaise disparate et entrecoupée par les aboiements des gardiens. Puis le silence retomba sur la prison. On n'entendit plus jamais la voix fraternelle d'Auguste ». Dédé de Bondy, comme on l'appelait, avait donc cassé le carreau de son vasistas et il avait fabriqué une cordelette au bout de laquelle il avait accroché une chaussette. Dans celle-ci, il mettait des messages ou même, un jour, un petit morceau de pain d'épices beurré que sa mère lui avait envoyé. « Moi, je n'avais pas le droit de recevoir des colis et le pain d'épices de Dédé est un souvenir que je garderai toute ma vie ». Anise, Dédé et d'autres camarades envisagèrent une évasion, mais la décision brutale du transfert à Fresnes de toutes les femmes détenues à la Santé, anéantit ce projet. Après la guerre, Dédé, revenu vivant de Dachau, raconta à Anise Postel-Vinay que René et lui étaient restés dans leurs cellules du second étage. Dédé décida d'essayer de s'évader avec lui, par les toits. Chaque soir, il lui balançait dans la chaussette le pied du lit pour qu'il s'en serve pour scier un barreau. Par chance, on trouve souvent dans les prisons des barreaux déjà sérieusement entamés. Pour couvrir le bruit que René faisait avec la scie sans dents, Dédé faisait le cirque dans sa cellule. Il fut repris plusieurs fois et au bout de quelques jours, les gardiens comprirent. Les garçons furent roués de coups et on leur attacha les pieds aux mains dans le dos, avec deux paires de menottes. Au bout de quelques jours de ce martyre, et bien qu'ils fissent de leur mieux pour laper le contenu des gamelles que l'on déposait par terre près d'eux, ils eurent une fièvre de cheval et leur sueur se mêla à l'urine et aux excréments qui envahissaient peu à peu leurs vêtements. Ils furent sauvés au bout de huit jours par un transfert général à Fresnes. René a été fusillé quatre mois plus tard. Il s'appelait en fait Lucien Legros et était lycéen à Paris. Dédé a survécu à Schirmeck, à Dachau, et au typhus qu'il a contracté au moment de la libération du camp. Il se nommait en vérité Désiré Bertieau. Auguste, c'était Raymond Losserand. On a donné son nom à une rue du 14 ème arrondissement de Paris, où il habitait autrefois. Venue de la Santé, Anise arriva donc à Fresnes le 13 octobre 1942. Cette prison était un peu plus confortable que la précédente, mais il était plus difficile de communiquer avec les autres détenus. Anise était contrainte à l'isolement. Elle avait toujours en tête le projet de s'évader, ce qu'elle nous décrit non sans humour : « J'avais l'idée de piquer la clef de la surveillante qui entrouvrait la porte pour enlever les poussières. Je m'étais dit qu'il fallait que je l'attire au fond de la cellule pour lui montrer qu'il y avait des punaises sur le mur, ce qui était faux, puis je l'estourbirais. Le lit était en fer et l'on n'avait pas le droit de se mettre dessus pendant la journée, il fallait le redresser et on le laissait plaqué contre le mur. Je voulais donner à ma gardienne un bon coup de balayette sur la nuque. J'avais une balayette avec un manche de bois très lourd. Il faudrait l'estourbir sans la tuer... puis lui mettre un bout de chiffon dans la bouche pour l'empêcher de crier, prendre sa blouse de travail blanche, avec l'aigle germanique sur la poche, sa clef, refermer soigneusement la porte derrière moi et gagner tranquillement la sortie. Le lendemain, 8 heures, 8 heures et demie, 9 heures, 9 heures et demie, personne ne vint ouvrir la porte... Cette attente fut terrible. Mon courage m'abandonnait, debout derrière cette porte, la balayette dans une main, le bâillon dans l'autre... Fallaitil vraiment que j'aille jusqu'au bout de mon projet ? La peur me tenaillait. Enfin, tour de clef dans la porte, une gardienne entre deux âges paraît. Elle se laisse facilement convaincre d'aller voir les punaises. Je tire doucement la porte derrière elle pour nous isoler des curieux. La gardienne se penche sur le lit, et vlan ! J’assène mon coup. Pas assez fort sans doute. Elle n'est pas évanouie et commence à couiner. J'essaye de lui enfoncer mon chiffon sale dans la bouche, en vain. Un obstacle s'est mis en travers. Je comprendrai plus tard que c'était son dentier ! J'essaye encore d'aplatir cette femme hurlante sur le lit et de remonter celui-ci pour l'accrocher au mur. Elle se débat furieusement. Nous sommes l'une sur l'autre dans un corps à corps désespéré, lorsque, doucement, la porte de la cellule est tirée de l'extérieur... Entrent alors en file indienne, visiblement médusés, le capitaine commandant la prison, l'adjudant de l'étage et un autre soldat... Ils sont grands et forts, bouchent la porte... je n'aurai pas le dessus. Je me redresse. Je me rends compte en un éclair qu'ils n'ont pas compris que c'était une tentative d'évasion. J'avais d'ailleurs calculé mes risques : une tentative d'évasion, c'était seulement trois semaines de cachot sans paillasse. La gardienne se redresse aussi et commence à raconter sa lamentable histoire. L’officier la fait taire et s'adresse à moi : « Que se passe-t-il ? ». Stupéfaite, je n'avais pas préparé d'histoire à raconter, je suis prise de court. Je reprends mon souffle, et lentement, dans la plus pure langue de Goethe, que je venais d'apprendre à la Sorbonne, je dis sentencieusement : « Je l'ai battue parce qu'elle le méritait ». « Comment cela ?... » me demanda l'officier. « Elle m'a battue à la Santé, et elle n'en avait pas le droit », inventai-je. La gardienne veut intervenir devant ce mensonge éhonté. De nouveau, les officiers la font taire. Ils s'en vont sans rien ajouter, sans m'agonir d'injures, sans me frapper...

Ma punition consista à dormir trois nuits sans paillasse, à garder les menottes dans le dos trois jours et trois nuits et à rester trois jours sans manger. En fait, l'adjudant de service venait souvent me remettre les menottes devant, ou les enlever tout-à-fait pour ma toilette et mes repas. Mes repas... Oui ! Car plusieurs surveillantes sont venues m'apporter des soupes clandestines prudemment, sans franchir le seuil de ma cellule... Elles m'ont appris que leur collègue avait été sanctionnée, déplacée ! Cet incident me fit, paradoxalement, gagner l'estime du capitaine. Il venait parfois discuter avec moi dans ma cellule. C'était l'époque où, tout premier modeste succès des Alliés, pendant que les Allemands avançaient encore en Russie, la petite île de Pantelleria, en Méditerranée, venait d'être reprise par les Alliés. Je lui prédisais la défaite de l'Allemagne. Cela l'amusait. Il n'en croyait rien... Je pense que c'est à lui que je dois d'avoir pu recevoir des colis, alors que j'étais classée « N.N. » depuis mon arrivée à la Santé. Les déportés résistants de l’Europe de l’ouest pouvaient être soumis à une procédure drastique, la procédure « N.N. » (Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard) selon laquelle ils devaient disparaître entièrement pour leur famille. Les prisons les déclaraient inconnus. Ils n’avaient droit ni aux lettres ni aux colis. Les Allemands jusque-là renvoyaient ma pauvre mère avec ses colis, lui disant que j'étais inconnue à la Santé, inconnue à la Gestapo... C'est une voisine de cellule de la Santé, la femme de l'acteur de cinéma Harry Baur, qui l'a prévenue de ma présence en prison, lorsqu'elle a été libérée. Grâce aux colis, je pus correspondre avec ma famille et projetai un nouveau plan d'évasion avec une complicité extérieure. Mais à la dernière minute, je ne reçus pas la lime à métaux demandée, car l'endroit choisi pour franchir les deux murs avait été isolé par un nouveau cordon de sentinelles ». De Fresnes, Anise fut transférée au fort de Romainville où elle a pu revoir son père « pâle, bouffi d'œdème de carence, mais avec ses yeux bleus indomptés ». Louis Girard ne partait pas pour le poteau d'exécution, mais pour l'Allemagne. « De Buchenwald, il fut aussitôt envoyé à Dora, en octobre 1943, à cette époque où les hommes restaient dans le tunnel nuit et jour dans des conditions d'hygiène effroyables. Son œdème grossit encore.

A 62 ans, ses cheveux étaient tout blancs. Ses camarades français l'appelaient Papa Girard, et les Russes « Stari » (le Vieux). Ceuxci le cachaient dans une anfractuosité du tunnel pendant le travail. Un jour, les S.S. demandèrent s'il y avait parmi les détenus un chirurgien capable d'opérer une mastoïdite : l'enfant d'un S.S. était au plus mal. Il souffrait d’une infection de l’oreille interne. C'était la spécialité de mon père. Il arriva à l'infirmerie tout couvert de poussière. Les S.S. le firent se laver, lui passèrent blouse blanche, masque et trépan, et l'enfant fut sauvé. Mon père fut sauvé du même coup, car à partir de ce jour il fut autorisé à travailler à l'infirmerie, dans sa spécialité ». Les trois mois de l'été 1943, Anise les passa dans l’une des casernes de ce fort de Romainville. II n'y avait que quelques centaines d'internés, hommes et femmes, jouissant d'un régime assez libéral sous la garde débonnaire de la Wehrmacht. Mais le 2 octobre, au petit jour, Anise assiste, pétrifiée d'horreur au départ pour l'exécution de deux cars remplis d'hommes. « Ces hommes sortaient des casemates du pourtour du fort, où ils avaient été enfermés pour servir d'otages en cas de besoin. Ce jour était venu, ils partaient. Certains avaient leur femme parmi nous. Il faisait à peine jour. Les fenêtres des cars étaient grillagées, mais nous pouvions voir que chaque homme, blême à l'extrême, était encadré par deux soldats allemands. J'ai su après la guerre qu'ils étaient cinquante et qu'ils payaient pour le meurtre du S.S. Standartenführer Richter, chef du service de la Main-d'œuvre en France, exécuté par la Résistance ». Le 21 octobre, un mois après son père, ce fut à son tour de partir : Anise fut déportée à Ravensbrück.

En wagon

Plus les détenues s'approchaient du camp et plus le moral baissait. Mais Anise avait eu la grande chance de sympathiser avec Germaine Tillion, la célèbre ethnologue, qui lui servit de « seconde mère ». « Nous n'étions qu'une vingtaine de femmes, confortablement installées dans un wagon de voyageurs. Tout le monde était assis, S.S. et prisonnières côte à côte. C'est là que Germaine Tillion et moi fûmes réunies ; elle venait directement de Fresnes. Cette femme étonnante, pleine d'humour et d'originalité, me prit littéralement en charge jusqu' à notre libération, me donnant d'autorité, chaque jour pendant dix-huit mois, une part de son pain, en prétextant que j'étais plus jeune, que je reviendrais, et que j'aurais dix enfants ! » Pendant l'année qu'elle venait de passer à Fresnes, Germaine Tillion avait fait venir ses documents dans sa cellule, et elle rédigeait ses manuscrits... Tous ses documents étaient enfermés dans un gros sac de toile verte qui gisait à nos pieds, en partance pour l'Allemagne avec nous. Où allions-nous ? Germaine Tillion me dit : « Tu veux le savoir ?... Eh bien ! Nous allons obtenir ce renseignement de notre S.S. Je vais te montrer comment on apprivoise un sauvage...». Elle tira de l'énorme sac une photographie représentant un adorable petit renard du désert, un fennec, qu'elle avait apprivoisé et qui l'avait suivie partout, dans sa dernière mission dans les Aurès. S'approchant du S.S., elle le tira doucement par la manche, une fois, deux fois, trois fois. Après s'être secoué avec impatience, le S.S. finit par jeter les yeux sur la photo que Germaine lui montrait. Dans un allemand épouvantable, elle commença à lui expliquer les mœurs des fennecs, puis celles des Berbères. Au bout de vingt minutes, nous savions où nous allions: Fürstenberg, après une escale à Aix-la-Chapelle. Fürstenberg, aucune d'entre nous ne connaissait cette ville... Après une dizaine de jours sur la paille (fraîche !) de la prison d'Aix-la-Chapelle, où vingt autres camarades françaises nous avaient rejointes, nous repartîmes, toujours en wagon de voyageurs, pour ce mystérieux Fürstenberg.

Nous y arrivâmes le dimanche soir 31 octobre 1943. Fürstenberg n'était pas en Silésie, mais dans le Mecklembourg, au nord de Berlin. Il faisait encore jour, le moral était bon. Mais plus nous descendions vers l'entrée du camp de Ravensbrück, plus le cœur se serrait ».

Dans l’enfer du camp de Ravensbrück

La première image du camp qu'Anise découvrit, c'était des femmes qui, rayées de gris, foulard blanc sur la tête, traînant leurs sabots de bois sur le mâchefer, défilaient silencieusement. Elles tournaient vers le fond du camp, puis repassaient indéfiniment cinq par cinq. « Le teint terreux, les yeux éteints, elles semblaient toutes étrangères. Quelques-unes cependant nous firent comprendre par gestes qu'il ne fallait pas pleurer. On n'entendait que le bruit sourd de ce piétinement sans fin, coupé par des hurlements et les vociférations des gardiennes ». En voyant ce bien triste spectacle, Anise eut l'impression d'une brutale plongée plusieurs siècles en arrière. Dans la nuit, Anise et ses camarades ont été déshabillées, dépouillées de tout, y compris des alliances pour celles qui en avaient ou de photos et de documents précieux comme la dernière lettre d'un fils fusillé... Elles ne purent garder qu'un mouchoir et une brosse à dents. « L'une d'entre nous, petite et rondelette, fut tondue. Elle pleurait, nue, sous l'eau de la douche qui tombait sur elle et qui se mêlait à ses larmes ». La première journée d'Anise, ce fut l'histoire tragiquement classique des camps : après la douche, et le rasage des poils des aisselles et du pubis, l'attribution de vêtements. Notre interlocutrice fit une découverte des plus inattendues : « Dans le tas de vêtements mis en vrac à notre disposition, j'avais tiré une culotte avec de grandes jambes jusqu'aux genoux comme en portaient nos grands-mères. J'ai été surprise de la qualité de cette étoffe. C'était comme un lainage très fin rayé de noir. De plus, sur la couture, il y avait des franges. Et j'étais là, ce linge dans les mains en me disant : « Mais qu'est-ce que c'est ? » Et tout d'un coup, bien que je n'en aie jamais vu, j'ai réalisé qu'ils avaient fait une culotte dans un châle de prière juif. Avoir fait une culotte dans un châle sacré ! Quel mépris ! Quelle dérision aussi ! Les nazis voulaient abolir toutes les valeurs et surtout ces valeurs-là ». Anise, Germaine et leurs camarades sont mises en quarantaine dans une baraque du camp. Elles ne travaillent donc pas. Mais elles ne sont pas épargnées par les horreurs du camp. « Nous apercevions par la fenêtre de véritables loques humaines, sous-produits inévitables du système concentrationnaire, que les S.S. se plaisaient à railler et à accabler. Ils les appelaient avec dérision les « Schmuckstück » (bijoux). Un soir, alors que, de la fenêtre, je regardais défiler des centaines de femmes étrangères qui revenaient épuisées du travail, sales, courbées, traînant leurs galoches, je crus reconnaître à la queue d'une colonne une Française d'un certain âge que j'avais aperçue un jour à la prison de la Santé à Paris : la porte de sa cellule s'était entrouverte et, avec un sentiment d'horreur, j'avais cru reconnaître ma mère. Dieu merci, ce n'était pas elle. Je sus par le « téléphone » de la prison que c'était la veuve d'un médecin retiré en Normandie. Dans le soir tombant, cette femme était méconnaissable. Vieillie de vingt ans, grise, sale, en guenilles, elle s'approcha de ma fenêtre et, soulevant sa robe, elle me montra sur sa cuisse une plaie aussi large que la paume de la main. En même temps, elle tendait la main pour que je lui donne du pain. Les pires images de la misère au Moyen-Age de mon livre d'Histoire repassèrent devant mes yeux... Les écrouelles... J'assistais aussi de ma fenêtre au jeu classique des gardiens dans les camps qui consistait à renverser le bidon de soupe dans la boue et à s'esclaffer devant la ruée des détenus qui lapaient la soupe comme des chiens. Arriverions-nous aussi rapidement à ce degré de déchéance et d'avilissement ? Cela ne dépendrait pas de nous. Au-dessous d'un certain seuil de sous-alimentation, de maladie, d'épuisement, de harcèlement, la lutte pour la survie devient animale, incontrôlée ». L'entente entre les détenues était souvent bonne. « Au bout de trois semaines de quarantaine, Germaine Tillion s'évanouit pendant l'appel : elle avait la diphtérie. Au bout de quatre semaines, je m'évanouis à mon tour : j'avais la scarlatine. Transportées au revier (infirmerie), nous y fûmes soignées tant bien que mal par des camarades médecins polonaises et soviétiques. Germaine eut une paralysie des jambes et du palais. Nous n'étions pas dans la même salle. C'est sa voisine de lit, une tchèque déjà convalescente, Hilda Synkova, qui la sauva en l'obligeant à boire. Au revier, j'assistai à l'agonie et à la mort d'une vieille paysanne tchèque qui avait deux amours au monde : sa chèvre et son fils technicien. Cette mort anonyme (qui des siens saura jamais comment elle a disparu dans le grand moulin à cendres des nazis ?...) me fit croire à la vie éternelle... Il n'était pas admissible que le néant recouvre à jamais cette humble vie d'amour... Autre rencontre au revier : le petit Peter, neuf ans, que sa mère et son petit frère essayaient d'apercevoir par la fenêtre. La tristesse absolue de cet enfant, mon incapacité à obtenir de lui le moindre sourire, et au début la moindre parole, était impressionnante. Ses parents étaient des juifs de Riga, ou peutêtre des Allemands déportés au ghetto de Riga. La mère et les deux petits garçons ont réussi à se maintenir au camp et ont été évacués à la fin sur Bergen-Belsen. Il n'est pas impossible qu'ils aient survécu ». Jugée rétablie, Anise est envoyée dans un des blocks déshérités du fond du camp, sale et surpeuplé, où « les cris, les vols et les bagarres tenaient le haut du pavé ». Elle y retrouve son amie Germaine Tillion. « Après ma scarlatine, des camarades polonaises m'avaient proposé de me faire entrer dans la colonne qui s'occupait des vêtements des prisonnières. Travail facile, propre, où l'on avait la possibilité de changer de linge et de se laver. J'hésitai. Cela me gênait terriblement d'avoir des conditions de vie plus faciles que mes camarades françaises. Finalement, je refusai. Aujourd'hui, je pense que j'ai eu tort. Il fallait accepter ces petits postes de camp pour pouvoir rendre service. Les bons kapos, les bonnes « bandes rouges » ont rendu d'inestimables services. On a tort de présenter actuellement les kapos invariablement comme de véritables sous-S.S. Je connus alors ces journées interminables où l'on nous faisait charrier de la terre ou des pierres dans des charrois moyenâgeux qui étaient de simples caisses munies de longues poignées à l'avant et à l'arrière pour être portées par deux hommes. On se croyait revenus au temps de la construction des Pyramides ; chaque jour, nous pensions ne pas tenir jusqu'au soir. Mais nous tenions et nous supportions en plus l'appel du soir. Ensuite, je fus affectée au transport des grosses machines destinées aux ateliers de confection du camp. J'admirais les belles filles solides qui composaient ces colonnes de débardeurs. Mais je m'aperçus vite que ce n'était jamais les mêmes. En quelques semaines, elles étaient rompues de fatigue et de fièvre, contractaient souvent une forme de tuberculose foudroyante qui les emportait en deux mois. Je fus sauvée de cette colonne exténuante par une merveilleuse « bande rouge » tchèque qui me réclama dans son atelier. Dans les « Dachauer Betriebe » attenant au camp, les détenues confectionnaient des uniformes pour les S.S. Dans l'atelier de la gentille Milena Seborova, on réceptionnait des caisses remplies de vestes de fourrure prises aux paysans russes et polonais, souvent encore tachées de sang séché, ou de manteaux de fourrure élégants pris aux juifs, hommes, femmes et enfants. Nous devions découdre les doublures et aplatir la fourrure pour servir à doubler les longs imperméables blancs des S.S. . Nous trouvions parfois dans une poche un billet de théâtre ou, dans un ourlet, des bijoux cachés. Ce travail était sinistre, mais beaucoup moins dur que de décharger des briques, de transporter des monceaux de terre ou de pousser des wagonnets sous les coups des gardiennes ». Les commandos de travail rythmaient donc la vie de ce camp. Anise poursuivit son témoignage en évoquant l'avidité des surveillantes qui ne perdaient jamais de vue les détenues. « Elles étaient sur notre dos pour essayer de récupérer ces bijoux à leur compte. Nous avions donc décidé de ne leur donner que 10 % de ce que nous y trouvions. Nous cachions le reste des bijoux près du toit dans les planches. Par la suite, j'ai fait une cache dehors, dans la terre, pour enterrer tout ce que nous trouvions. Quand nous avons été libérées, je les ai complètement oubliés. Ils doivent y être toujours... Malheureusement, j'avais attrapé la tuberculose. Il y avait une femme-médecin tchécoslovaque qui prit le risque de me faire passer une radio clandestinement. Mes poumons étaient dans un état terrible. En effet, dans l'atelier de fourrure, je respirais pas mal de poils. Mes camarades polonaises ont réussi à me caser dans une colonne de jardinage. Avec dérision, les nazis avaient décidé de faire planter de très jolies sauges rouges autour du cachot. Le S.S. qui s'occupait de cette colonne de jardinage, un brave type, avait inscrit vingt femmes. Dix femmes travaillaient chaque jour, ce qui permettait aux dix autres de se reposer. Lorsque je faisais partie de ce dernier groupe, je prenais des bains de soleil derrière un block pour soigner mes poumons avec l'espoir, qui s'avéra fondé, que ça passerait ».

Les « petits lapins » du revier

Hélas, tout le monde dans ce camp n'eut pas sa chance. Telles ces jeunes polonaises de son block que l'on appelait « petits lapins » depuis qu'elles y avaient été sélectionnées pour de pseudo-expériences médicales. A douze kilomètres du camp, il y avait une clinique S.S. très chic, où l'on soignait les grands dignitaires du régime, et qui était dirigée par le professeur Karl Gebhardt, un ancien camarade de classe d'Himmler, titulaire d'une chaire d'orthopédie à l'Académie de médecine de Berlin. En mai 1942, le numéro deux de la police allemande après Himmler, Reinhard Heydrich, qui était à l'époque « Protecteur» de la Tchécoslovaquie, fut victime d'un attentat à Prague. Hitler dépêcha Gebhardt à son chevet, mais il ne put sauver Heydrich qui mourut d’une gangrène gazeuse, c'est-à-dire d'une infection brutale et généralisée. A l'époque on n'avait pas d'antibiotiques, on ne disposait que de sulfamides. La fureur d'Hitler était à son comble : « Avec Heydrich, c'est vingt divisions que je perds », aurait-il crié. Il convoqua Gebhardt, puis refusa de le recevoir. Son médecin personnel, le docteur Morell, aurait susurré : «Ah, si mes sulfamides avaient été administrés !» Car le docteur Morell possédait plusieurs usines où l'on fabriquait son sulfamide, l'Ultraseptil. Dès lors, pour rentrer en grâce, il devenait vital pour Gebhardt de prouver « scientifiquement » que, face à certaines infections, les sulfamides s'avéraient impuissants. Avec la complicité de Himmler, qui lui procura des détenues, Gebhardt put faire ses expériences. Il choisit dans le block des Polonaises celles des filles qui avaient les jambes en meilleure santé. Sous anesthésie, il leur a cassé les jambes. Il a mis dedans des chiffons sales et un peu de poussière. A certaines d'entre elles, il donna des sulfamides et à d'autres, rien du tout. Il est allé jusqu'à faire venir de l'Institut S.S. d'hygiène de Berlin des bactéries, des cultures de gangrène, de staphylocoques et de streptocoques qu'il déposa dans les jambes des « lapins », sous narcose, après les avoir ouvertes, parfois fracassées. Elles ont souffert ces gamines, ce n’est pas possible ! En 1947, au tribunal international de Nuremberg, Gebhardt a parlé pendant huit jours de suite en racontant tout ce qu'il avait fait très en détail, ne voyant dans son action rien, absolument rien, de répréhensible... La Libération approchait et Anise se mit à espérer à nouveau dans son block, « l'un des mieux tenus de tout le camp ». L'entraide s'organisait et chacune tentait de « s'évader » par l'esprit. « Nous échangions des poèmes, nous diffusions les nouvelles de la guerre et nous marquions nos fêtes, nationales ou religieuses, par de modestes célébrations. Nous avions chassé de notre esprit que nous étions destinées à l'exécution car en effet nous étions toutes « N.N. » dans ce block, c’est-à-dire destinées à disparaître, sans laisser de traces. Un soir cependant, et cela n'arriva qu'une fois, on nous fit sortir du block et nous mettre en rangs pour un appel nominal de mauvais augure. Les innombrables et interminables appels du camp étaient des "Zahlappel". On nous comptait, mais jamais on n'appelait nos noms. Ce soir-là, j'eus aussi peur que la nuit de mon arrivée en prison, lorsque le gardien m'avait dit que j'allais être fusillée le lendemain. C'était la peur énorme, viscérale, qui creuse à l'intérieur du corps. Germaine Tillion, à côté de moi, dut s'apercevoir de quelque chose. Elle me prit la main : « Ma chérie, murmura-t-elle, rappelle-toi que dans tout événement humain, lorsque tout semble perdu, il reste encore 5 à 10 % de chances pour que les événements tournent autrement, 5 à 10% d'inconnu, d'imprévu. C'est une loi des sociétés humaines ». Oh ! Comme je me suis accrochée à ce pourcentage... Et de fait, après quelques heures de « pause », on nous a renvoyées dans notre block.... Chez nous, les premières destinées à la liquidation finale furent les « lapins ». Le 2 février 1945 au soir, on apprit que la garde serait doublée le lendemain, que de l'alcool venait d'être distribué à la cantine S.S. et que deux « paniers à salade » étaient stationnés devant la Kommandantur. Nos camarades ont alors entamé courageusement leur dernière nuit de condamnées à mort. Bouleversées, nous cherchions pour elles des cigarettes ou quelques suppléments de nourriture... Mais leurs compatriotes et les camarades soviétiques les poussèrent à faire une ultime tentative pour se cacher. Malgré le couvre-feu, toute la nuit, on organisa des cachettes, on prépara des changements de numéro. Et le lendemain, avant l'appel, on fit sortir les petites infirmes par les fenêtres. Grâce à un véritable miracle de solidarité, elles restèrent toutes cachées jusqu'à la Libération ».

Madame Tillion

Germaine Tillion avait été déportée avec sa mère, et Anise aimait beaucoup cette « merveilleuse vieille dame de soixante-douze ans, aux grands yeux bleus rayonnants de bonté et de gaieté ». Pendant plus d'un an, sa fille Germaine avait réussi à la maintenir en bonne santé, mais depuis plusieurs semaines la dysenterie avait fait son apparition. « Le 2 mars 1945, nous avons été enfermées dans le block disciplinaire avec un groupe de Gitanes en attendant le départ pour Mauthausen. Germaine Tillion, mal renseignée, pensait qu’avec les sélections pour la chambre à gaz qui avaient commencé à Ravensbrück, ce départ pour Mauthausen était peut-être une chance de mettre sa chère Maman à l'abri. Nous voilà donc toutes les trois hissées dans le « grenier » du block disciplinaire, car les trois étages de châlits étaient sur-occupés avec sept-cents femmes qui s'étaient ajoutées aux deux-cents habituelles. Germaine avait une fièvre de cheval, avec un abcès très douloureux à la mâchoire. N'y tenant plus, elle obtint de la gardienne S.S. d'aller se faire ouvrir son abcès au revier. La nuit vint, j'étais seule avec Madame Tillion mère, seule si l'on peut dire au milieu d'une purée de femmes hurlantes de fatigue, de faim, du manque de place. Contrairement à Germaine, ce transport ne me disait rien qui vaille. La présence des Gitanes était de mauvais augure. Mon moral avait de la peine à tenir. Me suis-je mise à prier ? Je n'en suis pas sûre, mais je me suis fait cette nuit-là un serment : si par miracle je sortais vivante de ce lieu effroyable, je clamerais ce que j'ai vu là jusqu'à mon dernier souffle. Et déjà, je me rendais compte qu'on ne nous croirait pas quand nous dirions ce que nous avions vu et vécu au cœur du national-socialisme. Le jour se lève enfin dans cette cohue. On nous aligne sur l'avenue principale du camp, déserte. Une gentille petite Française, Simone Sampaix, la fille d'un député communiste fusillé en Normandie, soutenait Madame Tillion de l'autre côté. Soutenait, c'est beaucoup dire... Elle, qui avait dix-sept ans, revenait d'Auschwitz. Elle était si maigre qu'elle avait l'air d'avoir douze ans ; on ne savait pas qui soutenait l'autre. Soudain, je me sens enlevée de force, arrachée à Madame Tillion, et entraînée au pas de course entre deux blocks sous le nez des policières-détenues qui hurlent en vain. Là, haletante, une camarade tchèque, qui était chef de la colonne de réparation des machines à coudre, me passe une bande rouge sur la manche et me dit : « Cours te cacher dans ton block, Mauthausen, c'est pour les gaz ! » Elle disparaît. Je commence à courir. Mais Madame Tillion ! Germaine me l'avait confiée… Je n'allais pas l'abandonner comme cela. Je remonte le long des blocks, reste quelques minutes à l'affût et, dans l'intervalle de deux policières, je fonce. J'arrache à mon tour Madame Tillion à la colonne. La petite Simone suit. Nous courons toutes les trois jusqu'au fond du camp. Je cache Madame Tillion dans un block où il reste quelques Françaises. Dès que l'on peut de nouveau circuler dans le camp, je cours au revier prévenir Germaine par la fenêtre. Je ne la trouve pas. On me promet de lui faire la commission. Vers le soir, horreur ! Grande sélection dans l'ensemble du camp. Je quitte mon block pour celui de Madame Tillion. Je lui propose de la cacher dans un «4 ème étage», c'est-à-dire entre le plafond et le toit. (Des camarades avaient fait sauter des planches et tenaient un véritable maquis là-haut à chaque sélection).

Madame Tillion ne veut pas. Elle est confiante. Elle tient à marcher vers son destin. Je ne sais pas où est Simone. Je me sens désespérément seule... Dans la foule qui se prépare à se mettre en rangs pour la sélection, je reconnais une Française, la grande Sylvie, pâle comme la mort, avec ses poumons en bouillie et ses jambes qui, depuis la torture de l’écartèlement, ne la portent qu'à grand-peine. Nous nous sourions, l'espoir renaît. Nous tapotons les joues de Madame Tillion et les nôtres jusqu'à ce qu'elles deviennent rosées. Sylvie s'exerce à retrouver une démarche quasi normale. Nous faisons marcher aussi Madame Tillion le plus vite possible, en souplesse. Nous cachons ses cheveux blancs sous son foulard violet. Nous nous donnons le bras. Je me mets la première des cinq à droite, du côté de l'horrible Winkeimann, le médecin sélectionneur. La colonne s'ébranle au pied du mur électrifié, entre deux haies de S.S. mitraillettes au poing et de policières-détenues qui s'agitent. Nous marchons vite ; Winkeimann est entouré d'autres médecins, du chef de camp, de l'infirmière en chef ; nous arrivons devant ce groupe redoutable ; nous allons passer... Je me fais aussi grande et large que possible. Mais non. Winkeimann se détache du groupe, sa grosse tête baissée, il se glisse devant moi et désigne Madame Tillion de son gros doigt bouffi. Je fais mine de ne pas l'avoir vu. Je tire Madame Tillion derrière moi. On me l'arrache. Mon cœur s'arrête de battre. Dans les hurlements poussés de tous côtés, je marche comme un automate. Tout se brouille dans ma tête. La colonne se disperse, je retrouve mes esprits. Vite. Retrouver la « colonne de la cheminée ». Elles ne sont sûrement pas encore montées au «Jugendlager». Trouver une «bande rouge» puissante qui va me tirer Madame Tillion de là. J'aperçois la « Grande Caria », aristocrate polonaise, historienne de l'art comme Madame Tillion ! Elle va faire quelque chose... Mais non. Elle me repousse brutalement. Elle fait du plat aux S.S. Elle ne veut rien écouter, rien faire... J'aperçois pourtant Madame Tillion dans cette colonne de la mort, bien gardée par les S.S. et les policières du camp. Elle me fait un joli signe de la main ...

Si j'allais au moins la rejoindre, mourir avec elle. Mais j'ai peur... Et d'ailleurs, que dirait Germaine ? Que dirait surtout Madame Tillion en me voyant soudain là ? Elle serait horrifiée, furieuse. Je me sens lâche, lâche, d'autant plus que la logique et le bon sens donnent raison à ma lâcheté. Ma lâcheté a des raisons valables ! Torturée, je dois absolument prévenir Germaine. Germaine, à la même heure, venait d'être opérée et subissait la sélection au revier même, car à l'infirmerie aussi, on sélectionnait les plus malades. Margarete Buber-Neumann était alors au revier, mais déjà convalescente. Elle a caché Germaine dans son lit, sous son propre corps. Le médecin-sélectionneur n'a pas vu la clandestine. Comment ai-je pu crier l'horrible nouvelle à Germaine ? Comment ai-je pu revenir à mon block, me jeter sur une paillasse de hasard... Je vécus alors la pire nuit de toute ma vie. Accablée de chagrin et de remords, torturée en pensant à Germaine. Ecrasée de honte : ainsi la preuve était faite, je n'avais pas su, pas pu me conduire en héros. Madeleine Tambour l'avait fait ; elle avait volontairement rejoint sa sœur dans la colonne de la cheminée pour ne pas la laisser seule ; mais moi non, j'avais laissé partir Madame Tillion. Personne ne l'a plus revue. On pense qu'elle a été gazée le soir même ou le lendemain. »

Une expérience tellement extrême

« Sept semaines plus tard, la CroixRouge suédoise nous a emmenées en Suède et le 8 mai nous apprîmes que la victoire était enfin là. Nous n'étions pourtant pas en état de nous réjouir. On nous avait pris Madame Tillion, et tant d'autres ».

Claire Girard Après la guerre, le retour en France a été tragique. Anise apprit la mort de sa sœur, Claire Girard. Elle eut cependant la satisfaction de revoir son frère revenir de Buchenwald et son père de Dora. Puis, après avoir récupéré avec plus ou moins de mal des globules rouges dans le Jura et en Suisse, chacun a repris ses activités. Anise se maria et s'occupa de ses enfants. André Postel-Vinay, son mari, fut aussi un grand résistant, Compagnon de la Libération.

André Postel Vinay, un des 1036 Compagnons de la Libération Anise Postel-Vinay n'oubliera jamais : « C'est assez curieux parce que c'est une expérience tellement extrême que ça ne s'efface pas, on ne s'en débarrasse pas ». Avec son amie Germaine Tillion, et d'autres camarades, elle a écrit plusieurs articles et un ouvrage important consacré à Ravensbrück, publié aux Editions du Seuil. Je tiens à la remercier sincèrement pour nous avoir confié son témoignage aussi bien marquant qu'émouvant. L'ensemble de ce projet et cette rencontre en particulier nous ont aidés à mieux comprendre cette époque tragique. Depuis cet entretien, plus de vingt ans ont passé. Aussi longtemps qu’elle put le faire, Anise a continué de témoigner auprès des jeunes.

En mai 2015, elle assista à l’Hommage de la Nation au Panthéon pour le transfert des cendres de ses amies Germaine Tillion et Geneviève De Gaulle-Anthonioz ainsi que de celles de Pierre Brossolette et Jean Zay. A cette occasion, Anise fut citée dans le discours prononcé par le président de la République française, François Hollande la qualifiant de « femme sublime » au même titre que « Marie-Claude Vaillant-Couturier, Jacqueline Pery d'Alincourt, ces femmes qui seront des sœurs de souffrance et d'espérance ». La même année, elle publia, en collaboration avec la journaliste Laure Adler, ses souvenirs sous le titre « Vivre » (éditions Grasset).

Responsable du texte : Jean-François Couriol

Le témoignage de Madame Anise Postel-Vinay a été recueilli le 29 mai 1995 par Sophie Mermoud, élève du collège public Sainte-Apolline de Courdimanche