Lucien Dermer

(1910-2003)



Un chirurgien au cœur des maquis

Singulière destinée que celle de Lucien Dermer, jeune père de famille en 1940, que ses fonctions de chirurgien désignent dès 1939 pour intervenir au sein des unités combattantes mobilisées. Lucien Dermer a fait le choix de laisser un témoignage écrit de sa campagne de France et des débuts de l’Occupation. Particulièrement riches en détails, ses propos permettent de restituer au mieux la situation souvent âpre à laquelle ce médecin trentenaire fut confronté. En raison de l’intérêt historique d’un témoignage si particulier, nous avons fait le choix d’accorder de larges références à ces « mémoires », écrites en 1985, qui initialement n’étaient pas destinées à être publiées. Lucien Dermer précisait : « Si, comme on le dit communément, chacun de nous est le témoin de son temps, il faut le prouver et pour cela ne pas rester muet. Le témoin muet n'est que le figurant qui traverse la scène du théâtre de la vie. C'est la carpe dans la rivière. Aussi, n'étant point né sous le signe du poisson, je me suis décidé à faire le compte rendu, aussi exact que possible » Plus discret sur sa participation effective aux actions de la Résistance, notamment au sein de sa région d’origine, l’est du Berry, le texte de Lucien Dermer sera complété par les principaux éléments de l’intervention qu’il donna au collège de Courdimanche en 1995.

Mobilisation et Drôle de guerre

Lucien Dermer est mobilisé le 2 septembre 1939. Le lendemain, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. Il est alors affecté à Compiègne comme « aide d'équipe chirurgicale mobile (E.C.M.) » avec pour médecin-chef d’équipe Jean-Louis Lortat-Jacob qui fut son externe, en 2ème année de médecine . A Compiègne, les mois s’écoulent et Lucien Dermer n’a des nouvelles de sa famille qu’irrégulièrement. Il se préoccupe surtout de sa jeune épouse alors enceinte. Il trouve un réconfort auprès d’un jeune chiot qu’on lui donne : « Ce jeune cocker fait la joie de notre groupe. C’est un amour de chien, aussi comme son nom doit commencer par un N je l’ai appelé N’Amour. Il sera la mascotte de l’équipe chirurgicale mobile n° 51… ». Mais l’atmosphère est sombre et ses déplacements à Paris le confortent dans ce sentiment : « Paris est triste. L'avenue des Champs-Elysées est sinistre et j'ai eu du mal à voir pour conduire. Tout est noir et les phares des voitures ont obligatoirement un « cache » noir, ne laissant filtrer qu'un rai de lumière. » L’éloignement des siens lui pèse beaucoup et le courrier arrive sans régularité. Lucien Dermer constate avec inquiétude l’évolution de la situation internationale avec notamment l’invasion de la Pologne par les troupes soviétiques. « Jusqu'où cela va-t-il nous mener? » s’interroge-t-il dans son journal intime. Il se languit de n’avoir que peu de nouvelles des siens. La guerre est lointaine mais elle se rapproche pourtant et des avions de la R.A.F. survolent Compiègne le 9 octobre. Des alertes poussent la population à se réfugier aux abris. Lucien Dermer écrit sur cette période de sa vie : « A des jours monotones dans leur intérêt, succédaient des jours uniformes dans leur monotonie. » Cette monotonie était pourtant interrompue par des interventions chirurgicales. Vers la fin décembre 1939, le colonel Capette nomma Lucien Dermer chef de l'équipe chirurgicale mobile 51. L'H.O.E.² n°7. (Hôpital Ordinaire d’Evacuation Secondaire de la 7ème armée) travaillait comme un grand hôpital civil. « Les trains sanitaires et les autorails se succédèrent très régulièrement et le travail, tant dans les pavillons de chirurgie, que dans ceux de médecine, se poursuivit à une cadence croissante : 129 entrées en octobre, 1867 en novembre, 2649 en décembre, 4760 en janvier 1940, 4261 en février. Il s'agissait surtout de malades et d'accidentés de la route, qui furent très nombreux en raison d'un hiver rigoureux et de la circulation avec camouflage des phares. Le chiffre des entrées n'était plus que de 2188 en mars et de 2673 en avril. Après bien des difficultés, grâce à la bonne volonté absolue de tous, grâce à une camaraderie qui ne se démentit que rarement, grâce à l'esprit de décision et à l'ardeur au travail, même manuel, des nombreux médecins, chirurgiens et spécialistes, la formation put fonctionner avec de très bons résultats pendant plus de six mois, ce qui nous amène au 10 mai 1940 . L’armée française installée confortablement dans la passivité fut tirée brutalement de sa léthargie. Le réveil fut terrible…»

Offensive allemande et débâcle

Dans ses mémoires, Lucien Dermer donne un témoignage précis de ce dont il fut témoin et acteur au moment où Hitler décida d’attaquer la France. « A Compiègne, où nous pensions être loin d’éventuelles opérations militaires, la gare et le pont sur l’Oise furent bombardés dès le premier jour, le 10 mai au matin, et les bombardements continuèrent journellement. Par groupes de trois, les bombardiers allemands prenaient en enfilade la rue Solferino, dans le sens de l’Hôtel de Ville à l’Oise, lâchaient leurs bombes explosives ou incendiaires et s’en allaient sans être inquiétés. Aucun avion français ou anglais n’intervenait pour contrecarrer leur œuvre de destruction. Seule la D.C.A. se manifestait par des tirs inefficaces au canon de 75, datant de la première guerre mondiale. Pendant tout le temps que nous restâmes à Compiègne, le pont sur l’Oise, objectif capital, ne fut jamais atteint ; mais la gare ainsi que tout le côté droit de la rue Solférino, en partant de l'Hôtel de Ville, bijou de l’époque Renaissance-demeuré intact par miracle- furent écrasés sous les bombes.

Un jour, après un bombardement, alors que les trois bombardiers allemands s’éloignaient, leur mission accomplie (mal), deux chasseurs français venant de l’Est apparurent. Je fis avec quelques camarades cette réflexion qu’ils venaient « comme les carabiniers », quand à ce moment même un des trois bombardiers allemands qui disparaissaient à l’horizon fit demitour et revint bombarder le pont. Avait-il oublié de larguer une bombe? Je ne sais ; toujours est-il que mal lui en prit. Il ne vit pas les avions français ; l’un deux fondit sur lui et le mitrailla. Une longue traînée de fumée s’échappa d’un des moteurs ; un aviateur sauta immédiatement en parachute, tandis que le pilote et son appareil allaient s’écraser en flammes sur la voie ferrée Paris-Compiègne. Le chasseur français, après avoir survolé « sa victoire » revint vers le parachutiste qui se balançait dans l’air et descendait lentement. Il le salua au passage d’une rafale de mitrailleuse, le laissant pantelant et disloqué au bout de ses ficelles...

Cette « action de guerre » fut suivie par une grande partie du personnel de l’H.O.E.² n°7. Il n’y eut point d’applaudissements mais une sensation générale de malaise. Après le premier bombardement, les quatre équipes chirurgicales mobiles 48, 49, 50 et 51 furent convoquées chez le médecin colonel Capette. Il nous ordonna de boucler nos cantines et de nous tenir prêts à partir d’un moment à l’autre pour la frontière belge. Tard dans la soirée venait le contre-ordre : « vous ne partez pas ; préparez-vous à travailler ; beaucoup de blessés vont arriver. » Le soir-même nous ne vîmes rien venir ; mais le lendemain ce fut sur la route bordant Royallieu, un défilé ininterrompu d’automobiles, matelas sur les toits, bourrés de réfugiés ; certaines avec remorques remplies de mobilier et d’objets hétéroclites, venant de Hollande et de Belgique. Par les fenêtres ouvertes des voitures, (il faisait très chaud) les fuyards nous criaient : « sauvez-vous... sauvez-vous... Ils arrivent ! » Etait-ce là cette fameuse « 5ème colonne » chargée de démoraliser l’arrière de nos troupes ? Le 12 mai, même défilé ; mais des voitures françaises, moins puissantes, parfois déglinguées, des camions, des fourgonnettes, toutes avec des matelas sur le toit. Puis vinrent des Mosellans, des chariots hippomobiles, des poussettes, des gens à bicyclette et parmi toutes ces populations, jetées sur les routes pour aller sans savoir où, (mais entravant les mouvements de nos armées), des soldats en débandade, sans vareuse, sans calot, sans ... armes ! Criant à notre adresse qui les regardions passer : ne restez pas... sauvez-vous... Ils arrivent ! Enfin le 13 mai, des blessés, par centaines, venant d’un train sanitaire déchargé en gare de Compiègne sous la direction du médecin capitaine F.P. Merklen, médecin des hôpitaux de Paris, nous fournirent le matériel pour exercer notre métier. Les équipes chirurgicales de l’H.O.E.² n°7 et les équipes chirurgicales mobiles 48, 49, 50 et 51 se mirent aussitôt à l’ouvrage. Les médecins généralistes faisaient le triage des blessés, les cataloguant en 1ère, 2ème, 3ème urgences, puis les dirigeaient vers les salles de soins, d’évacuations ou d’opérations.

Il y avait aussi une salle pour les morituri (« ceux qui vont mourir »). Les chirurgiens s’aperçurent très rapidement que le triage des blessés était un acte très important et que le classement de l’urgence ne pouvait être fait que par eux-mêmes ; qu’on ne pouvait le laisser faire par des médecins généralistes et encore moins par des étudiants en médecine. Le chirurgien-chef Capette décida que les équipes effectueraient huit heures d’interventions, précédées ou suivies de quatre heures de triage pour alimenter l’équipe « en chantier ». Dans chaque salle d’opération, il y avait deux tables du modèle « Service de Santé en Campagne ». Pendant que le chirurgien opérait sur l’une, un infirmier ou une infirmière préparait un blessé sur l’autre table. Nous n’avions pas d’anesthésiste qualifié; le diplôme n’existait pas encore ; mais pendant la période de « la drôle de guerre », nous avions fait des cours à nos « infirmiers » et formé certains à faire des anesthésies au masque d’Ombredanne, sorte de carburateur dans lequel on mélangeait en proportions variables soit de l’éther, soit du Schleich, soit du balsoforme, avec de l’air. Nous n’avons jamais eu de problème sérieux d’anesthésie ; quant à la réanimation elle en était alors à ses débuts et chaque chirurgien y pourvoyait de son mieux pour ses propres opérés. Dans la salle d’opération se tenait une infirmière avec un registre pour noter les comptes-rendus opératoires que dictait le chirurgien. A Compiègne les formations sanitaires ne furent pas bombardées et fonctionnèrent à plein rendement; seuls quelques éclats d’obus ou de bombes frappèrent les bâtiments. Le 16 mai au matin, les hôpitaux complémentaires de Noyon, Ribecourt et Ourscamp (Oise) dont les formations sanitaires regorgeaient de blessés, se replièrent sur Compiègne. De nombreux civils étaient venus augmenter le nombre d’hospitalisés militaires. Il faut rendre ici hommage au sang-froid du personnel médical, des infirmières et infirmiers qui accomplirent un travail considérable. Le 19 mai arriva l’ordre de repli. De nombreux médecins provenant des diverses formations sanitaires de la 9ème Armée refluaient sur l’H.O.E.² n°7. Quelques-uns avaient été séparés de leurs unités par les chenillettes allemandes qui les avaient cependant laissé continuer leur route. Un jour ce fut un autobus de la R.A.T.P., réquisitionné par le médecin commandant Boppe, un infirmer au volant, qui arriva avec tout le personnel sanitaire de l’A.C. lourde qu’il commandait. Il ne fit que passer et repartit au bout de 48 heures. Nous devions le retrouver à Poitiers ! Le 20 mai nous eûmes par des blessés des renseignements sur l’avance allemande. Amiens était occupée et des éléments ennemis s’étaient infiltrés entre l’Aisne et l’Oise. Il semblait que nous n’avions rien devant nous et les blessés qui nous arrivaient étaient constitués par du « tout-venant ». Nous fonctionnions comme un H.O.E. primaire ou plutôt comme un « groupement d’ambulances » de corps d’armée. Pour exécuter l’ordre de repli l’H.O.E² n°7 devait laisser sur place à son départ des E.C., des infirmières et infirmiers et du personnel d’intendance pour assurer le traitement des blessés restants ou à venir et assurer si possible leur évacuation. C’était à qui resterait. La panique de l’armée et de la population à laquelle nous assistions n’avait pas gagné notre formation et pourtant il ne fallait pas compter sur un train pour transporter le matériel et le personnel. Comme d’autre part nous n’avions en propre aucun moyen de transport, la situation était des plus angoissantes. Le 21 mai après démarches sur démarches de nos chefs, une rame quitta la gare du Nord vers Compiègne ; mais elle fut bloquée à Creil, les voies étant coupées par les bombardements. Après de nombreux coups de téléphone avec le Grand Quartier général (G.Q.G.), il nous fut promis des camions pour notre départ. Ils arrivèrent vers 22 heures ; mais en nombre très insuffisant. Nous dûmes faire plusieurs voyages entre Compiègne et Evreux où le redéploiement de l’H.O.E.² n°7 était prévu. Cars et camions furent chargés à la hâte. Avec l’aide de mon personnel, du médecin lieutenant Adelman, des infirmiers et infirmières, tout le matériel chirurgical et radiologique du pavillon A2 fut embarqué, à l’exception de l’autoclave à traction hippomobile (Genestercher) datant de la 1ère guerre mondiale et de mon scialytique démoli par un éclat d’obus de D.C.A. pendant que j’opérais !...

Parmi les infirmières qui travaillent à cette époque aux côtés de Lucien Dermer, on retrouve Violette Rougier-Lecoq. Cette infirmière organisa l'évasion de prisonniers, leur fournissant tenues civiles et itinéraires. Fin 1940, à Paris, Violette intégra le réseau de renseignement « Gloria ». Ce réseau était infiltré et elle fut arrêtée par la Gestapo en août 1942. Déportée en octobre 1943 au camp de Ravensbrück, elle réussit à survivre. On lui doit une série de dessins exceptionnels, composée en cachette, qui témoigne de la réalité quotidienne de ce camp de concentration…

Les restes du personnel et du matériel devaient être enlevés le lendemain ; et c’est après en avoir reçu l’assurance formelle, que le médecin-chef quitta sa formation à 4 heures du matin, laissant le personnel médical nécessaire à son fonctionnement comme hôpital d’évacuation primaire, sous les ordres du médecin capitaine Béclère. Mon équipe et celle de Joly rejoignirent l’H.O.E.² n°7 à Evreux en passant par Saint-Denis, où ma mère nous hébergea à l’improviste. Personnellement je retrouvai mon lit mais, mes camarades dormirent sur les tapis et les descentes de lit. A Evreux l’H.O.E. s’installa sur de nouvelles bases. Il profita des formations sanitaires déjà en fonctionnement, en particulier au lycée de garçons Saint-François, à l’Ecole Normale d’institutrices, transformée en hôpital complémentaire et au collège Saint-Joseph lui aussi transformé en hôpital. D’autres formations furent également « coiffées » par l’H.O.E.² n°7 : une à Bernay (Eure), une autre à Verneuil-sur-Avre ; les communications avec elles furent difficiles. Personnellement, avec Joly, je m'installai à l’Ecole Normale sur la colline SaintMichel avec le matériel du pavillon A2 que j'avais pu évacuer de Compiègne, comme je l'ai dit plus haut. Le 26 mai arriva le premier train de blessés. Ils se suivirent ensuite régulièrement, à peu près journellement. Malgré un quai d'embarquement et de débarquement à peu près inexistant, les médecins, infirmiers et infirmières arrivaient cependant, grâce à l'habitude acquise de ce genre de travail, à faire des transbordements convenables. Les formations chirurgicales d’Evreux fonctionnèrent à plein rendement. Il en fut de même de celles de Verneuil-sur-Avre, installées à l’Ecole des Roches, dans des baraquements où l’H.O.E.² détacha des équipes chirurgicales et radiologiques. Le 5 juin nous nous trouvions, à nouveau, à peu près dans la même situation qu’à Compiègne. L'avance allemande faisait que nous étions beaucoup trop près des théâtres d'opérations. Nous recevions des premières urgences, comme dans un groupement d'ambulances de corps d'armée ! Il devenait évident qu'il nous fallait envisager un nouveau repli. Nous devions également songer à étendre la capacité de la formation devenue trop exiguë. Verneuil était complet. Restait Bernay encore disponible, mais où il n'y avait pas de ressources chirurgicales en personnel et peu en matériel. Le 8 juin l'ordre de repli sur le Mans était donné; mais le médecin colonel Dreneau n’en informa que les chefs. Nous devions prendre toutes les mesures nécessaires pour que la formation soit enlevée le plus rapidement possible, d'un moment à l’autre, en emportant le maximum de

Les blessés ne cessaient d'arriver. Vernon avait été fortement bombardée et incendiée. Les hôpitaux avaient beaucoup souffert. Des ambulances « sanitaires » avaient été envoyées pour transporter les blessés de Vernon à Bernay, car les hôpitaux d'Evreux étaient plus que pleins. En effet depuis 48 heures nous recevions sans cesse des blessés et il n’était pas possible, en raison des circonstances, de faire des trains d'évacuation sur l'intérieur. Un groupe chirurgical fut envoyé en renfort, en pleine nuit, à Bernay. Il devait s'installer immédiatement et fonctionna d'une façon parfaite. Pendant toute la nuit, Evreux reçut encore des blessés. On se battait tout près de nous. Nous entendions le tir des chars et des mitrailleuses. Le 9 juin, l’ordre de repli immédiat sur le Mans est confirmé. A 14h30, premiers bombardements intensifs sur Evreux, par bombes explosives et incendiaires. L'hôpital complémentaire, dans le lycée de garçons au centre de la ville, est entouré de maisons en flammes ; de nombreux blessés de la ville y accourent ; des civils presque tous, des femmes, des enfants ; des morts déjà. Des enfants qui ont perdu leurs parents errent dans les rues en flammes, à leur recherche. La gare fut spécialement visée ; l'hôpital Saint-François situé audessous de la gare fut bombardé. Il y eut des morts et des blessés. L'hôpital du Grand Séminaire fut presque entièrement détruit et le médecin-chef tué. A l'hôpital Saint-Michel où je me trouvais, cinq bombes, lâchées par les stukas tombèrent à 50 mètres de la formation. Il y eut des dégâts matériels, la voie d'accès coupée et toutes les vitres brisées ; mais ni tué, ni blessé. Partout le personnel, médecins, infirmiers et infirmières, à quelques rares exceptions, se comporta admirablement. Les salles d'opérations étaient en plein travail au moment du bombardement ; elles continuèrent à fonctionner comme si de rien n’était. Toutes les communications avec l'extérieur furent interrompues par les bombardements; routes et voies ferrées coupées, fils électriques et téléphoniques arrachés. Plus aucune liaison avec le G.Q.G. au sujet des moyens de transports pour le repli de la

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formation. Il fallait agir par nos propres moyens, or ils étaient pratiquement inexistants. Tout ce qui fut trouvé de disponible comme sanitaires et voitures de toutes sortes fut chargé avec du matériel et du personnel et le départ des convois eut lieu en pleine nuit. Il aurait fallu une trentaine de camions pour évacuer la formation, quatre seulement avaient été annoncés ; il n’en arriva qu'un ! A Evreux, l'E.C.M. 51 (la mienne) commença à fonctionner le dimanche 26 mai. Installée dans l'aile est de l'hôpital complémentaire Saint-Michel elle travailla en collaboration avec l'E.C.M. n°48 du médecin lieutenant Joly, une équipe chirurgicale de l'H.O.E.2 n°7 (médecin lieutenant Auclair) et le G.C.M. (trois équipes chirurgicales) du médecin capitaine Gaudier de Lille. Cet ensemble comprenait donc six équipes chirurgicales, soit deux chantiers opératoires, qui du 26 mai au 9 juin au soir fonctionnèrent sur le principe des « trois-huit », comme à Royallieu. Au cours du premier bombardement d'Evreux le 9 juin à 14h30, mon équipe qui avait fonctionné de 1 heure à 5 heures du matin au triage des blessés, puis de 5 heures à 13 heures en salle d'opération, était au repos. Vu le grand nombre de blessés arrivés à Saint-Michel après ce bombardement, dont beaucoup de civils venus par leurs propres moyens, mon équipe se remit en « chantier » et opéra jusqu'à 22 heures, pour soulager l’E.C.M.48. A 22 heures les E.C.M. 48 et 51 s'arrêtèrent d'opérer, non faute de blessés, mais d'éclairage, d'eau et de gaz. L'eau manquait cruellement. Nous opérions torse nu, en sabots, avec un tablier caoutchouté pour nous protéger au-dessous de la ceinture; nous n’avions plus de champs opératoires, ni la possibilité de nettoyer et faire bouillir nos instruments. Les dernières opérations furent faites à mains nues. Les résultats chirurgicaux n'en furent pas moins excellents, grâce en partie à la sulfamidothérapie qui venait d'apparaître. Nous n'avions aucun ravitaillement en dehors des conserves et des « biscuits de guerre ». Nous buvions, et les blessés aussi, du

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cidre que des infirmiers allaient chercher dans les cafés abandonnés. Pendant le deuxième bombardement d'Evreux, vers 19 heures, les E.C.M. 48 et 51 continuèrent à opérer côte à côte, avec leurs propres infirmiers et des infirmières « Croix-Rouge ». Les infirmiers de l’H.O.E.² n°7 mis à notre disposition, avaient rejoint, sur ordre, leur formation. Un de mes trois infirmiers, Rouffort, dans la vie civile ouvriertourneur chez Renault, qui me servait d'anesthésiste, ne nous quitta pas de la journée et vers le soir donna de son sang à une femme que j'avais amputée au niveau de la cuisse, sans interrompre pour cela son service. L’ordre de repli de l'H.O.E.² n°7, le dimanche 9 juin, nous fut confirmé par messager à Saint-Michel à 21 heures. Nous savions que l'H.O.E.² n°7 se replierait dans la nuit du 9 au 10; mais nous avions 150 blessés hospitalisés, tant militaires que civils et quelques soldats blessés arrivaient encore isolément. Dans ces conditions et en accord avec Joly et Gaudier, il nous sembla préférable d'attendre jusqu'au lendemain la formation qui devait relever l'H.O. E. 2 n°7, pour que la jonction soit assurée. Pendant toute la nuit le G.C.M. du médecin capitaine Gaudier, les E.M. 48 et 51, avec leurs propres infirmiers et les infirmières Croix-Rouge* qui avaient refusé de partir avec l’H.O.E.2, veillèrent les blessés dont le moral était très bas. Ils se rendaient compte des préparatifs de départ général et le retrait du personnel infirmier de l’H.O. E.² n’était pas pour les rassurer. Ils avaient peur que nous ne fassions de même et les abandonnions. De plus nous n'avions plus d'eau, je l'ai déjà dit, pour leur donner à boire et la plainte lugubre répétée sans cesse, des blessés criant ou murmurant, était pénible à entendre. Nous aussi étions en déroute; mais c'étaient 150 blessés qui criaient à boire et non pas un ! Le lundi 10 juin à 7 heures du matin, ordre nous fut donné par le médecin-chef de l'A.C.L venue relever l’H.O.E.² de partir immédiatement pour Verneuil en amenant avec nous « à pied »!... les blessés évacuables assis et de laisser les autres avec un médecin auxiliaire et 6 infirmiers ! (Entre Evreux et Verneuil-sur-Avre il y a 42 km!)

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Mes camarades et moi décidâmes d'un commun accord que cet ordre était inexécutable, que nous ne pouvions pas abandonner nos blessés, ni faire faire 42 km à pied à des « blessés évacuables assis ». A 7h30, bombardement d’Evreux « en piqué » par 21 Stukas. Nous les voyions arriver par vagues successives, lâcher leurs bombes sur la caserne située au pied de la colline Saint-Michel, juste en dessous de nous, avec un sifflement terrible, se redresser, puis s’éloigner sans être inquiétés. Dès le bombardement terminé, je me rendis au lycée de garçons avec ma voiture personnelle qui m'accompagnait depuis le début de la retraite. Evreux était en flammes. Tout brûlait. L'hôtel du Grand Cerf était calciné. Pour arriver au lycée, il me fallut zigzaguer dans les rues en feu, revenir en arrière parfois pour trouver un passage. Arrivé non sans mal au lycée, le médecin commandant de l'A.C.L., venu relever l’H.O.E.² n°7, était déjà sur le départ. Devant le médecin chef de place, il m'expliqua qu'il ne pouvait pas rester à Evreux ; qu’incessamment les Allemands y entreraient ; qu'ils étaient aux portes de la ville ; qu'il n'était pas question de déballer son matériel, qu'il allait partir et que nous devions faire de même. Ni lui, ni le médecin chef de place n’avaient de moyens d'évacuation à nous offrir pour nos 150 blessés, ni pour notre personnel et c'est pourquoi l'ordre d’évacuer à pied nous avait été envoyé. Dans ces conditions je pris congé, en leur disant que leur ordre était inexécutable, que les E.C.M. 48 et 51 n'abandonneraient pas leurs blessés avec un médecin-auxiliaire et six infirmiers (les leurs), que nous partirions ou resterions tous. En retournant à Saint-Michel, j'eus la chance de rencontrer deux « sanitaires » errantes, cherchant leur formation. Je leur ordonnai de me suivre et leur fis évacuer nos dix-huit infirmières avec leurs affaires personnelles, pour l'Ecole des Roches à Verneuilsur-Avre. A 8h30, sur ordre de la Place d'Evreux, le personnel appartenant à l'Hôpital Complémentaire Saint-Michel (qui occupait une moitié des bâtiments de l'Ecole Normale), médecin-chef et

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infirmiers, partaient en nous laissant 200 blessés, un lieutenant gestionnaire et quelques infirmiers. Devant la gravité de la situation, je partis à Verneuil avec ma voiture remplie des cantines de mes camarades et des paquetages des infirmiers, pour retrouver l’H.O.E.² n°7. Les colonels Dreneau et Capette, après m’avoir entendu, me donnèrent les 4 seules « sanitaires » encore disponibles ; (il y en avait peut-être une centaine bourrées de blessés). Après avoir récupéré celles qui avaient évacué nos infirmières, confié à celles-ci nos cantines et tout ce que j’avais amené d'affaires personnelles, pour les adresser à nos familles si nous étions faits prisonniers, je retournai à Evreux à la tête de mes six ambulances. Il nous fallut naviguer dans la cohue des réfugiés fuyant devant l'avance allemande. Arrivés à Evreux, il y avait déjà des chenillettes ennemies qui patrouillaient. Nous passâmes sans incident, peut-être n'avaient-elles pas l'ordre de s'occuper de nous ou pensaient-elles que nous étions déjà prisonniers ? Quoi qu'il en soit nous parvînmes à Saint-Michel où avec mes camarades et nos infirmiers, nous nous mîmes à entasser les blessés dans les ambulances. Une quinzaine de navettes entre Evreux et Verneuil furent nécessaires pour évacuer nos 350 blessés, nos infirmiers et le matériel. Tantôt les ambulances passaient sur la route nationale, tantôt par la forêt de Conches quand il fallait s'abriter pour éviter les mitraillages aériens qui ne connaissaient ni Croix- Rouge, ni civils. A dix-sept heures, l’évacuation était terminée. Avant de quitter Saint-Michel je fis le tour avec mes camarades de nos salles d'hospitalisation pour vérifier qu'il ne restait personne. Nous trouvâmes seize cadavres, dont ceux d'une femme et d'un enfant. Aidés de nos infirmiers, nous les transportâmes dans leurs draps pour les ensevelir dans les tranchées-abris, creusées dans la cour de l 'Ecole Normale et les recouvrîmes avec la terre des parapets. Avec des planches d’emballages nous fabriquâmes des croix sommaires et inscrivîmes dessus les noms que nous connaissions ; plusieurs restèrent anonymes dont celles de la femme et de l'enfant.

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Blessés évacués, morts enterrés, nous nous regardâmes tous. La journée avait été chaude ! Nous étions tous en vie. Nous avions fait ce que nous estimions être notre devoir ; mais nous étions harassés, sur les genoux et ce qui était le plus triste c'est que nous nous rendions compte que la France était, elle aussi, sur les genoux ! Nous disposions encore de deux ambulances ; elles furent chargées avec du matériel et nos infirmiers. Elles prirent la route de Verneuil-sur-Avre. Je les suivis avec ma voiture dans laquelle avaient pris place les médecins des E.C.M. 48 et 51. A l'Ecole des Roches des centaines de blessés jonchaient les pelouses. Joly et moi, après avoir installé nos infirmiers près des ambulances, constaté que les infirmières avaient bien retrouvé leur chef, Madame Turenne, surnommée « la Reine Mère », (elle avait fait 14/18 !) nous prîmes chacun une ambulance lourde de la Croix-Rouge conduite par une jeune fille et repartîmes vers 20 heures en direction d’Evreux ramasser des enfants, mitraillés par l'aviation allemande, que nous n'avions pu prendre avant dans nos ambulances surchargées. Ce fut un choix pénible ; mais nous ne pouvions les prendre tous et il y avait aussi des adultes et il y avait des morts. La plupart des parents ne voulaient pas abandonner leurs enfants, or nous ne voulions prendre que des blessés et ne pouvions les prendre tous. Nous fîmes beaucoup de pansements et ramenâmes une quinzaine d'enfants. Nous fumes plus invectivés que remerciés. Le reste de la nuit, sur la pelouse de l'Ecole des Roches, fut frais ; la rosée tombait sur l'herbe et je dus prendre un brancard dans une sanitaire pour m’isoler du sol et dormir... comme une souche. C'était la nuit du 10 au 11 juin. Le 12 juin était mon anniversaire - mon 30ème. Pendant les 48 heures précédentes j’avais pensé ne jamais le voir. Alors que les E.C.M. 48 et 51 évacuaient les blessés de SaintMichel, l'H.O.E.² n°7 s'était installé à Verneuil-sur-Avre dans la matinée du 10 juin et avait prêté main-forte à l'Hôpital Complémentaire qui s'y trouvait installé.

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Les 350 blessés que nous avions transférés dans la journée du 10 juin étaient en voie d'évacuation sur Mammers, Argentan et Sées. Ce même jour Verneuil avait été bombardé et nos ambulances mitraillées peu avant le passage à niveau, à l'entrée de Verneuil en venant d'Evreux. Du fait du bombardement et du mitraillage de la voie ferrée, on ne pouvait plus compter sur un train pour évacuer la formation sur le Mans. Le 11 juin au matin, nous reçûmes Joly et moi, l'ordre de partir au Mans, avec notre matériel et nos équipes. Le médecin chef nous accorda pour cela deux ambulances. Je les suivis dans ma voiture, avec Joly et nos cantines. Nous étions satisfaits de cette décision, car une partie du personnel de l'H.O.E.2 devait rejoindre le Mans, à pied. Une équipe chirurgicale et le G.C.M. du capitaine Gaudier restèrent à Verneuil pour assurer la réception, le traitement et l'évacuation des blessés. C'était de fait un poste de secours avancé. L'équipe chirurgicale devait rester sur place jusqu'à l'évacuation complète des blessés. Au Mans il ne fallait pas songer à se développer. Une équipe chirurgicale fut affectée en renfort à l'Hôpital Général, partiellement abandonné par son personnel médical et les E.C.M. 48 et 51 à la formation Sainte-Anne, installée dans les bâtiments de la Congrégation Notre-Dame-de-Sion. Un chirurgien de la ville, le docteur Dumas, affecté sur place avec le grade de médecin capitaine dirigeait cette formation. Il nous reçut avec le minimum de confraternité. Il fallut lui fournir un ordre du médecin colonel pour confirmer notre affectation ce qui fut fait... mais deux jours plus tard ! En attendant nous étions le 12 juin ; il fallait arroser mes trente ans. Malheureusement tout était fermé. Les rares bistrots rencontrés n’avaient pas de champagne ou ne voulaient pas en vendre. Je trouvai enfin un cafetier compréhensif qui me céda une bouteille à condition de ne pas la boire chez lui et c'est ainsi que le soir je pus offrir dans ma chambre, (billet de logement chez l’habitant) une goutte de champagne à mes collègues et à mes infirmiers (Une bouteille pour dix !).

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Au Mans, nous restâmes jusqu'au 15 juin. C'est par hasard que nous fûmes avertis, Joly et moi, que le Mans avait été déclaré « ville ouverte ». Nos deux équipes rentraient tranquillement de ville où nous avions déjeuné chichement dans un boui-boui, quand en arrivant à la fondation Sainte-Anne, nous vîmes la voiture du Dr Dumas, bourrée d'objets hétéroclites, un matelas sur le toit et notre confrère au volant, en civil. Nous lui demandâmes ce qui se passait. Il nous informa de la nouvelle et nous annonça qu'il s'en allait ; ce que nous voyions bien ! Mais si nous n'étions pas venus après déjeuner à Sainte-Anne, (nous ne travaillions que de nuit) nous n'aurions trouvé personne en venant le soir prendre notre service... Nous lui dîmes notre mécontentement et exigeâmes qu'il nous signe une attestation indiquant que notre mission au Mans était terminée; ce qu'il fit sur un bout d'ordonnance, sans quitter son volant. Nous exigeâmes alors que le chiffon de papier qu'il nous remettait portât le timbre de l'Hôpital Complémentaire SainteAnne. Il le fit en maugréant, car il fallait qu’il rentre dans l'Hôpital chercher le cachet officiel. Nous décidâmes, Joly et moi, de partir dans la nuit du 15 au 16 juin après avoir évacué les blessés de notre formation sur l'Hôpital Général; ce qui nous prit une bonne partie de l’aprèsmidi du 15. Pour quitter le Mans, le colonel Dreneau nous avait donné un bon pour deux ambulances. Quand nous allâmes les réclamer à la « Place », il n'y avait plus d'ambulance. Elles avaient été utilisées pour l'évacuation du personnel et des archives de la Place. Il nous fut remis en échange un bon de réquisition de 10 bicyclettes à prendre à la consigne de la gare. Quand nous arrivâmes à la gare, les civils qui fuyaient la ville s'étaient déjà servis sans bon de réquisition, et ne restaient que des vélos détériorés, certains sans pédales ! Heureusement le bon de 50 litres d'essence que le colonel m'avait laissé pour ma voiture personnelle put être honoré. Nous décidâmes de rejoindre Poitiers en conduisant à tour de rôle ma voiture à laquelle j'avais attaché, en remorque, une ambulance toute neuve sortie des usines Renault du Mans, mais

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dont l'embrayage était mort; probablement pour avoir patiné et chauffé à force de rouler au pas dans la cohue de l'exode. Cette ambulance nous fut utile pour transporter notre matériel, nos cantines et les paquetages de nos infirmiers. De plus cela faisait une place assise supplémentaire pour l'infirmier qui tenait le volant. Avec les cinq entassés dans ma voiture il n'y avait que quatre infirmiers qui pédalaient. Nous ne roulions pas vite, les phares recouverts d'obturateurs ne laissant passer qu'une petite lueur. Les routes étaient encombrées par toute la misère humaine qui fuyait en utilisant tous les moyens disponibles. Nous arrivâmes au milieu de la nuit au Lude. Ma voiture consommait plus que normalement avec la lourde ambulance en remorque. Je décidai qu'on ne pouvait aller plus loin ainsi et mes camarades furent d'accord pour rester avec l'ambulance dans une grange remplie de paille, en plein champ. Je continuai vers Poitiers, avec un infirmier, quérir une sanitaire lourde. A Blois, la ville venait d'être bombardée et brûlait. Le pont sur la Loire, vu l'embouteillage des véhicules, paraissait difficile à traverser. Je pris la direction de Beaugency où j'avais laissé ma femme dès les prémices de guerre et où ma fille Anne-Marie était née. Beaugency était évacuée. Je ne trouvai ni femme, ni enfant. Un vieux qui n’avait pas voulu partir me renseigna. Tout le monde s'était enfui vers Arcachon et ma femme était partie avec un chauffeur de taxi, sa fille dans ses bras et le landau sur le toit. Je me dépêchai de passer la Loire. Les artificiers avaient déjà miné le pont de Beaugency et attendaient l'ordre de le faire sauter. De l'autre côté de la Loire, je dus traverser le parc de Chambord dans une cohue indescriptible où se mêlaient pêlemêle militaires en débandade, civils, piétons, carrioles, automobiles et camions. La traversée du parc dura plus de deux heures. J'arrivai enfin à Poitiers, trouvai le colonel Capette qui mit à ma disposition une « sanitaire » lourde avec conductrice Croix-Rouge pour retourner au Lude. Je passai la Loire à Saumur. Le pont était miné et les artificiers prêts de le faire sauter. Je leur expliquai ma mission. Ils ne me garantirent pas que je pourrais passer à mon retour, mais me

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dirent de me renseigner auprès des sentinelles que je trouverais échelonnées le long de ma route et qui se repliaient les unes sur les autres au fur et à mesure de l'avance allemande. Je trouvai mes camarades dormant sur la paille comme des bienheureux, sans penser aux Allemands qui les avaient déjà dépassés. Nous repartîmes au plus vite et franchîmes la Loire et le pont de Saumur. Nous étions les seuls, à ce moment-là, au nord de la Loire et le pont de Saumur devait sauter peu après notre passage. La Loire franchie, je fis comme mes camarades et m'endormis dans l'ambulance ! L'H.O.E.² n°7, par ses propres moyens, avait rejoint Poitiers les 14 et 15 juin. Le colonel Dreneau , après de nombreuses démarches, tout contact avec le C.Q.G. étant rompu, avait pu obtenir un train pour évacuer ses blessés, son personnel, son matériel ainsi que les nombreuses formations sanitaires repliées des armées et venues « s'accrocher » à sa formation; ce qui compliquait encore la question du transport. Heureusement, les voies étaient certes encombrées, mais intactes et libres. Le 14 juin au soir l'ensemble de la formation s'était mis en route, en laissant sur place à Evreux et à Verneuil comme cela avait été fait à Compiègne, le personnel nécessaire pour assurer le traitement des blessés non évacuables. Personne ne fut abandonné et la plupart des blessés, avec les médecins, infirmiers et infirmières se retrouvèrent à Poitiers. Le 16 juin, quand les E.C.M. 48 et 51 arrivèrent à Poitiers, le gros de la formation était déjà en place dans le lycée de jeunes filles. La situation paraissant désespérée, l'H.O.E.² n°7 ne se déploya pas ; mais répartit ses équipes chirurgicales dans les formations existantes. Les E.C.M. 48 et 51 furent affectées en renfort à l'A.C.L. du médecin commandant Boppe, où le travail ne manquait pas. Le 19 juin un train de munitions fut bombardé en gare de Poitiers par l'aviation italienne. Un train sanitaire était, comme un fait exprès, auprès de lui. Bilan : 35 morts, une centaine de blessés. Le train de munitions brûla en gare toute la

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journée et les wagons explosèrent les uns après les autres pendant des heures. Les blessés que nous reçûmes de la gare étaient tous couverts d'un enduit jaunâtre. Plus aucune liaison téléphonique n'existait avec le G.Q.G. L'avance allemande était certaine ; ils avaient traversé la Loire sur nos talons, à Saumur... Le 21 juin, je demandai au colonel Dreneau, s'il avait des ordres concernant les E.C.M. qui dépendaient du G.Q.G. et n'étaient qu'en renfort dans sa formation. Je lui signalai que nous avions fini d'opérer et lui demandai de nous laisser partir à pied plus au sud, vers Angoulême. Il refusa. Sans ordre du G.Q.G. Santé il ne pouvait nous laisser partir et si nous nous en allions sans ordre nous serions considérés comme déserteurs. Après concertation avec l'E.C.M. 48, Joly et moi décidâmes, en tant que chefs d'équipe, de donner l'ordre à nos deux médecins-aides d'équipes et aux cinq infirmiers qui dépendaient de nous, de partir à pied en direction d’Angoulême et que nous, nous resterions en tant que chefs de formations rattachées à l’H.O.E.² n°7 et attendrions les ordres du G.Q.G. ! A peine partis, trois auto-mitrailleuses allemandes patrouillaient déjà dans le quartier de la gare de Poitiers et notre colonel nous fit savoir que nous n’avions plus le droit de sortir du lycée ; que les Allemands l'avaient contacté ; qu’il fallait nous considérer comme prisonniers et qu'un médecin allemand viendrait le lendemain matin, 22 juin, visiter notre formation. Le 22 juin, vers le soir un télégramme du G.Q.G. qui errait à notre recherche depuis 48 heures, prescrivait à l’H.O.E.² n°7 « le repli sur Angoulême et Bordeaux des éléments chirurgicaux et radios qui n'étaient pas indispensables. » A la même heure, les Allemands négociaient avec les autorités civiles et militaires leur entrée dans Poitiers, déclarée "ville ouverte". Il était bien tard pour exécuter l'ordre du G.Q.G. santé ! Le 23 juin en effet, les premiers éléments allemands pénétraient dans la cour du lycée. L’H.O.E.² n°7 venait de vivre ses derniers instants de liberté ! Les chefs des E.C.M. 48 et 51 également. Le 25 juin, le service de santé français passait sous la direction d'un médecin militaire allemand et c'est lui maintenant qui allait

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nous donner les ordres et le premier de tous : que les officiers qui avaient une arme, la déposent sur le bureau de notre Colonel. Adieu mon 7,65... Dans la matinée du 25 juin tout le personnel médical, paramédical et intendance fut réuni dans une cour du lycée. Il fut annoncé aux infirmières qu’elles pouvaient, si elles le voulaient, continuer à soigner les blessés mais qu'elles étaient libres de rentrer chez elles. Ensuite le commandant allemand fit mettre d'un côté tout le personnel âgé de plus de 40 ans. Cet ordre exécuté, il leur dit qu'ils étaient libres de partir. Ils ne se firent pas prier et s'en allèrent faire leurs paquetages. Dès que ce groupe se fut retiré, il demanda aux restants de se mettre de part et d'autre d'une ligne centrale qu'on traça dans la cour, d'un côté ceux qui habitaient au sud de la Loire et de l'autre ceux qui habitaient au nord. Cette opération terminée, on nous annonça que tous ceux dont le domicile était au nord de la Loire étaient prisonniers et ceux du sud : libres ! ! ! J'habitais au nord de la Loire ! Grâce à notre médecin-chef qui attendait l'ordre du G.Q.G. pour laisser partir les équipes chirurgicales, j'étais prisonnier. Seule satisfaction, mon médecin- auxiliaire et mes infirmiers étaient partis à pied la veille. Les 25 et 26 juin, Joly et moi restâmes dans nos chambres à nous reposer. Ce que j'appelle chambre était un vaste dortoir de jeunes filles (elles n'y étaient plus), chaque lit étant séparé de l'autre par une cloison ; mais l'accès par le couloir central n'était pas fermé. Nous l'avions obturé pour être tranquille avec des draps ou des couvertures accrochés sur des ficelles.

N’Amour des Terres fraîches

Le 26, vers dix heures du matin, alors que je dormais comme beaucoup d'autres, une voix tonnante nous réveilla en sursaut. Tout en me frottant les yeux je vins jusqu’au pied de mon lit, j’ouvris le rideau et vis

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le médecin commandant Genil-Perrin (psychiâtre de l'H.O.E) qui enquêtait sur l'origine... de crottes de chien, trouvées dans la salle des blessés située juste au-dessous de nous. Il savait que j'avais un chien « N'Amour », (j'ai oublié de mentionner qu'il avait fait la retraite) et pensait qu'il était le fautif ; mais il le jugea trop petit, quand il le vit, pour les crottes qu'il avait trouvées ! Un lieutenant d’intendance, Albert Naud, avocat, futur « défenseur » de Laval, avait un chien-loup. Génil-Perrin le trouva suffisamment gros pour le volume des crottes. Naud déclara que ce devait être les excréments d'un blessé pressé d'aller aux toilettes. Génil-Perrin voulut en avoir le cœur net et fit faire un prélèvement par le laboratoire en demandant de rechercher s'il s'agissait de défécation humaine ou animale. Je n'ai pas su le résultat de l'analyse car le lendemain 27 juin, le médecin-chef allemand décida d'envoyer à Paris l'ensemble de la formation, officiers, sous-officiers et infirmiers résidant au nord de la Loire. Le départ eut lieu en convoi le 28 juin, à 7h30 du matin, sous la conduite de l’Unterarzt Schmidt. J'avais un Fahrbefehl du Stabsarzt Müller pour suivre la colonne avec ma voiture personnelle. L'itinéraire passa par Blois, Chartres et Rambouillet. Il n'y eut pas d'arrêt, sauf ceux obligatoires pour le ravitaillement en essence. Pas d'arrêt-buffet. Nous mangeâmes des boites de conserves et des biscottes de l'armée. Nous y étions habitués car depuis le départ de Compiègne nous ne mangions que ça ; aussi avais-je maigri de 10 kg ! Le convoi arriva à Paris le 29 juin à 5 heures du matin et se rendit directement au Val-de Grâce où il fut « remis » au médecin-chef français Melnotte qui fut tout étonné de ce cadeau ! L’H.O.E.² n°7 n'avait plus qu'à procéder à sa dissolution. Son personnel, sous-officiers et soldats, restait prisonnier au Val-de Grâce. Le personnel officier après avoir indiqué son lieu de résidence fut autorisé à regagner son domicile. Quant à l'E.C.M. 5, elle fut également dissoute. J'étais, comme les autres officiers,

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autorisé à rentrer chez moi ; mais comme les autres officiers j'étais prisonnier sur parole. Mon médecin-auxiliaire et mes infirmiers furent envoyés comme personnel sanitaire dans des camps de prisonniers ou de réfugiés. Avant le départ de Poitiers, le médecin-chef allemand avait exprimé sa satisfaction d'avoir à son arrivée, trouvé tout le personnel en plein travail, se livrant de tout cœur à sa besogne et traitant les nombreux blessés hospitalisés dans les diverses formations sanitaires de la ville. La formation H.O.E² n° 7, avec ses trois groupes chirurgicaux mobiles et ses équipes chirurgicales mobiles 48 et 51, est une de celles, sinon celle qui reçut le plus de blessés pendant la Campagne de France. A Compiègne, à l’H.O.E.² n°7, puis à l'antenne formant ambulance chirurgicale qu'il laissa en se repliant, 5 000 blessés furent triés et soignés, dont près de 2 000 opérés. A Evreux, la formation reçut 3 000 blessés dont un millier fut opéré. A Poitiers, quand les Allemands arrivèrent, nous avions encore 1 200 opérés hospitalisés. Les E.C.M. 48 et 51 opérèrent chacune 500 blessés environ.

Là s'arrête l'histoire très résumée en ses grandes lignes de l’H.O.E.² n°7 et des équipes chirurgicales mobiles qui y furent en renfort. Je dois cependant ajouter, sans pour cela être complet, une note du médecin-colonel Dreneau que me communiqua Mme Turenne, chef des infirmières Croix-Rouge attachées à la formation et qui est en fait « l'ordre du jour » de l'H.O.E².n°7 : « Dans les circonstances les plus critiques, devant les horreurs de l'exode, devant la débandade et la panique, jamais il n'y eut dans le personnel de l’H.O.E.² n°7 de défaillance ; jamais aucun murmure. Dans les heures graves, à Compiègne, à Evreux, chacun a fait son devoir et il y eut à signaler de nombreux actes de courage et de dévouement tant parmi les médecins que parmi les infirmières. Le personnel des équipes chirurgicales laissées sur place jusqu'à l'accomplissement du travail d'interventions, pansements et d'évacuation, a été toujours audessus de tout éloge ; et il faut signaler aussi le cran admirable et

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le dévouement sans limites des conductrices de la section sanitaire automobile, qui, sur des routes encombrées et souvent bombardées, ont contribué par leur courage à l'évacuation correcte de très nombreux blessés » Lucien Dermer devient le 28 août 1940 chef d'équipe chirurgicale au Val-de-Grâce à Paris. La défaite de la France est pour lui un traumatisme : « Mon médecin-colonel, mon cher Capette, chirurgien consultant de l'H.O.E.² n° 7, vétéran de 14/18, assis près de moi sur un banc de pierre dans la cour du Val-de-Grâce où les Allemands venaient de nous ramener, pleurait et me répétait en leitmotiv : « Mon pauvre Dermer, en être arrivés là, c'est terrible ». Je ne répondais pas, opinais de la tête et songeais. L'avenir me paraissait sombre pour moi, ma famille, pour la France envahie et Paris occupé. L'appel du 18 juin, au lendemain de la demande d'armistice à l’Allemagne, prononcé de Londres par un général de brigade au nom évocateur de celui de la Patrie, ne m'était pas connu. Entre le 10 mai et le 23 juin nous avions eu autre chose à faire que d'écouter la radio. A peine avions-nous su que le 10 juin, l'Italie nous avait déclaré la guerre pour être présente à la curée qu'elle entrevoyait. A plusieurs reprises ma mère, me demanda de raconter mon odyssée : « Raconte ce que tu as vu », me disait-elle… « Raconte ». J'étais fatigué de ces huit semaines de campagne, j'avais maigri de 10 kg et n’étais pas d'humeur à raconter la défaite, à lui parler de ce que j’avais fait, de ce que j'avais vu et lui répondis simplement : « Maman, laisse-moi, je voudrais oublier ce que je viens de vivre ». Et puis le voyage à Arcachon (où s’étaient réfugiées son épouse, Nelly et leur petite-fille) me tracassait. Les troupes allemandes occupaient les routes ; il fallait prévoir, surtout pour le retour, un endroit pour passer la nuit et des vivres pour Nelly et AnneMarie. C'était toute une expédition et rien ne devait être laissé à l’improviste. Cela me donnait beaucoup de soucis et la suite des évènements devait prouver que je n'avais pas tort de m’inquiéter.

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Cinquante ans sont passés ; ma mère n'est plus ; Anne-Marie non plus. J’ai un peu oublié cette période du 10 mai au 23 juin 1940, entre Compiègne et Poitiers. Je viens de raconter la retraite de I 'H.O.E.² n°7 et des E.C.M. 48 et 51 ; mais il me faut ajouter quelques détails pour situer l'atmosphère dans laquelle elle s'est déroulée. Je rappellerai d'abord que nous avons toujours opéré dans des locaux de fortune ; dans un camp d'aérostiers à Compiègne, dans une Ecole Normale pour jeunes filles à Evreux, dans une école religieuse au Mans et dans un lycée de filles à Poitiers. Je rappellerai ensuite que toutes les équipes chirurgicales de l'H.O.E.2 n°7, celles des groupes et les E. C. M. qui y furent rattachées, ont toujours, quelles que fussent les circonstances, accompli leur mission avec compétence, efficacité et abnégation. Elles furent le fer de lance de l'H.O.E.2 n°7. Elles assurèrent son arrière-garde, lui permettant de décrocher sans abandonner de blessés derrière lui. Les morts furent enterrés. Dans la débandade générale de l'armée, elles accomplirent imperturbablement leur devoir et se replièrent, quand elles purent exécuter les ordres reçus, dans la discipline, le calme, après avoir évacué tous leurs blessés et en ramenant le maximum de matériel chirurgical possible avec les moyens dont elles disposaient. En cela elles furent grandement aidées par un personnel d’infirmiers et d’infirmières d'un dévouement sans faille. Les E. C. M. 48 et 51 ont effectué chacune dans les 500 interventions et trié plus de 2.000 blessés à elles deux. Le triage restera mon plus douloureux souvenir de la Campagne de France ; celui auquel je pensais quand je répondais à ma mère : « Je voudrais oublier ce que j'ai vu ». Une équipe chirurgicale peut opérer en huit heures de 20 à 22 blessés, en suivant les instructions de la Direction du Service de Santé qui recommande de ne suturer aucune plaie et de s'abstenir pour les lésions profonde de l'abdomen ou du thorax ! Comme les équipes chirurgicales faisaient les trois-huit, c'est au maximum 66 blessés qui pouvaient être opérés en 24 heures dans un chantier opératoire. Or les blessés arrivaient par

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fournées, en trains sanitaires au début de l'offensive allemande, puis par ambulances, camions... à pied, au fur et à mesure que nous reculions. Beaucoup de civils venaient d’eux-mêmes isolément. On ne pouvait les opérer tous. Il fallait faire un choix, en sauver le plus possible, dans le minimum de temps avec le minimum de moyens. Nous n'opérions que les extrêmes urgences, surtout les porteurs de garrots, les gros dégâts des membres, les extractions sous radio des projectiles près des vaisseaux, les plaies en séton qu'il fallait mettre à plat pour éviter les gangrènes gazeuses, parfois des sutures pleurales pour évacuer « assis » des pneumothorax traumatiques. C'était une lourde responsabilité qu'assumaient les chirurgiens affectés au triage. Beaucoup de blessés auraient pu être opérés sur place, mais l'intervention aurait été trop longue et pour en sauver un on ne pouvait risquer d'en perdre trois. C’était une question de rentabilité! Consacrer une heure à un blessé, on ne le pouvait pas en temps de presse. Nous avions un rendement calculé à respecter : deux blessés et demi à l'heure au minimum ! Choix cruel, douloureux. Droit de vie ou de mort que nous portions seul dans notre conscience. Avoir trente ans, décider de la vie ou de la mort d'un de ses semblables dont le regard anxieux scrute le vôtre pour y lire une lueur d'espoir ou la mort, est un pouvoir qu'aucun juge ne possède dans une démocratie. C’est cette vision, cet aveu d'impuissance, que j’aurais voulu effacer de ma mémoire, pour ne plus avoir devant les yeux ces regards suppliants de mourants à qui la chance de survivre n’était pas donnée : c’est cela que je ne voulais pas dire à ma mère quand elle me disait : « Raconte » ! Pour un jeune chirurgien, la guerre est une grande école ; ce n'est certainement pas la meilleure. Elle forme les hommes, façonne le caractère, donne le sens de la décision rapide, de la responsabilité et de l'esprit d'équipe, selon la formule : tous pour un, un pour tous. J'ajouterai pudiquement que la guerre est la grande pourvoyeuse de matière première pour former la main d'un

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jeune chirurgien. Il y acquiert vite une grande expérience et beaucoup d'assurance. Malgré tout, ce n'est pas une école à recommander ! Pour terminer cette « Campagne de France », la mienne, je voudrais rapporter quelques cas particuliers de blessés, vus ou opérés par moi pendant cette mémorable retraite. A Compiègne, c'est une femme d'une cinquantaine d'années que je reçois au triage. Elle est apparemment « en bon état », mais un de ses membres est dans une botte de paille rougie de sang. La blessée m'explique (elle n'est pas choquée), que leur groupe de réfugiés a été bombardé par l'aviation allemande dans un bois entre Noyon et Compiègne ; que sa jambe a été arrachée. Pour qu'elle puisse sortir du bois, ses compagnons ont emmailloté son moignon avec du linge et de la paille prise dans un chariot. Ainsi elle a pu se traîner, appuyée sur sa cuisse restante et le genou sain, jusqu'au bord d'une route où elle a été ramassée! En enlevant la paille, je constatai que la jambe et le genou avaient été arrachés, que le moignon de la cuisse ne saignait pratiquement pas, que dans la botte de paille il y avait le pied rattaché à la cuisse par une lanière cutanée plicaturée de quelques centimètres de large, que je coupai sur-le-champ d'un seul coup de ciseau, sans anesthésie. Après avoir retrouvé et lié aisément artère et veine fémorales qui ne saignaient pas, sidérées par 1'arrachement du genou et de la jambe, la blessée fut dirigée vers le chantier opératoire pour le parage de la plaie. A Compiègne, je me souviens aussi d'un cas douloureux qui illustre la conduite à tenir préconisée par la direction du Service de Santé, devant les blessures de l'abdomen ou du thorax : l'abstention. Mes huit heures d'interventions se terminaient quand le Dr Capette vint me trouver pour me demander, en grand service, d'opérer une fillette d'une douzaine d'années, blessée à 1’abdomen. Il savait mieux que moi quelles étaient les instructions et sans y faire allusion je lui promis d'opérer la petite blessée. Capette avait une grande sensibilité vis-à-vis des enfants et son grand regret, je l'ai déjà dit, était de n'en avoir pas eu.

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Dès que je fus libre, j'examinai la gamine, blanche comme un linceul, les yeux vitreux…, une voix qui s'éteignait... Une vie qui s'en allait. Sur son ventre ballonné une languette d'épiploon sortait par un petit orifice sus-pubien de balle de mitrailleuse. Je la vois toujours cette languette d'épiploon jaunâtre... J'ouvris le ventre, la balle avait frappé le « promontoire » (charnière lombosacrée), et son enveloppe de maillechort avait éclaté, faisant l'effet d'une balle explosive. Les intestins étaient hachés en tous sens ainsi que le mésentère. C'était un véritable « puzzle », que cette cavité abdominale. Malheureusement il m'était impossible de rassembler tous les fragments pour reconstituer l’anatomie. Je fis appeler Capette, il regarda ce ventre ouvert, ne me dit rien, pas une réponse. On s’était compris. Je bourrai rapidement la cavité abdominale avec un champ opératoire et fermai la paroi par quelques points en X avec du crin. La morphine aidant, la pauvre enfant ne reprit pas conscience. A Evreux, au triage, c'est un jeune aspirant que j'examinai ; il était blessé au pied. Rien par ailleurs ; si ce n’est une agitation extrême et une angoisse de la mort que ne justifiait pas sa blessure. Il n'avait plus de talon. Un projectile, obus ou grenade, lui avait arraché le calcanéum et probablement un cuboïde tarsien. L'avant-pied était intact. J'essayai de mon mieux de minimiser l'importance de la blessure que l'infirmière nettoyait et pansait. Je le rassurai, lui administrai un calmant et le fis diriger vers le chantier opératoire, me demandant ce que mon collègue déciderait : conservation de 1'avant-pied avec problème ultérieur d'appareillage ? Ou d'emblée amputation au niveau du mollet ? Plus tard quand je pris mon tour en salle d'opération, je demandai au collègue que je relèvais, ce qu'il avait décidé pour le pied de mon aspirant ? Il n’était pas au courant et alla s'en informer. Quand il revint, il me dit qu'il n’avait pas été opéré car il était mort subitement ! De quoi était-il mort ? De la peur de mourir ? C’est une question ! J'ai encore un cas à citer ; il y en aurait bien d'autres, mais celuici sera le dernier. Il s'est passé à Poitiers. C'était après le bombardement de la gare par l'aviation italienne. J'avais fini mes huit heures d'interventions et me rendais à ma

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chambre pour me reposer. Il faisait très chaud, j' étais torse nu, le casque sur la tête car les bombardements continuaient. Les couloirs du lycée étaient jonchés de blessés non opérés ; on ne savait où les mettre. Tout d’un coup, l'un d'eux attire mon attention et je m'arrête. Ce blessé avait le visage en sang, son casque était sur sa tête, il était encore tout habillé. Il paraissait mort : mais de temps en temps un râle soulevait sa poitrine, et ce qui me frappa c'était de voir un orifice d'entrée de balle au centre de l'écusson du casque et un large orifice de sortie diamétralement opposé juste au-dessus du rebord. Je ne comprenais pas comment une balle qui avait transfixié un crâne de part en part n’avait pas été mortelle sur le coup. Je voulus en avoir le cœur net et je me baissai pour enlever tout doucement le casque. Oh surprise ! Oh miracle ! La balle était entrée au niveau de l'écusson du casque, en plein front, mais elle avait ripé sur les supports intérieurs de la coiffe, contourné le crâne, scalpé le cuir chevelu, sectionné l'artère temporale, pour ressortir à l'opposé de son entrée. J'obturai immédiatement la section artérielle avec mes doigts et demandai à un infirmier de m'apporter des instruments. Je clampai les deux bouts de l'artère avec des pinces de Kocher et le blessé fut transporté à la salle de pansements, pour être perfusé dans l'immédiat et transfusé ensuite, si possible. Ce blessé fut sauvé grâce à ma curiosité. J’avais voulu comprendre pourquoi une balle paraissant transfixiante, entrée dans la région frontale, ressortie dans la région occipitale, en traversant un casque où se voyaient les orifices d'entrée et de sortie, n 'avait pas été mortelle sur le coup - Dire que la curiosité est un vilain défaut n’est pas toujours vrai ! Là se termine ma Campagne de France. Je n'ai pas écrit tout ce que j’avais vu ; mais tout ce que j’ai écrit, je l'ai vu..

Les débuts de l’Occupation dans un camp de réfugiés

Si Lucien Dermer se préoccupait de la situation dramatique de la France livrée aux Allemands, ses pensées allaient surtout à sa femme et à sa fille réfugiées à Arcachon.

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Il se préparait à les rejoindre lorsque le médecin-chef du Val-deGrâce le convoqua : « Je devais me trouver le lendemain matin à 8h30 en tenue, au 90 Avenue Foch, avec un « bagage » (linge, etc...) pour 15 jours d’absence ! Je me crus obligé d’exécuter cet ordre, et le 2 juillet au matin, je me trouvai au rendez-vous fixé, avec ma cantine. Un officier allemand m’attendait ainsi que deux médecins sous-lieutenants français, un infirmier militaire qui me remit mon ordre de mission, et 18 infirmières civiles et religieuses confondues. J’appris que je devais, avec tout ce personnel placé sous mes ordres, me rendre à Dourdan, m’occuper d’un camp de réfugiés N.S.V. (Nationalsozialistische Volkswohlfahrt). Un autobus nous attendait pour nous y conduire. A l’arrivée, un jeune capitaine S.S. d’une compagnie anti-chars nous reçut, fort étonné de tout le personnel féminin accompagnant trois médecins militaires français, en tenue et un infirmier également en tenue. Nous montâmes tous dans un car militaire. Ne parlant pas l’allemand, ce fut un des médecins souslieutenants qui engagea la conversation. Les infirmières civiles et religieuses furent dirigées sur-le-champ, vers l’infirmerie du camp des réfugiés et nous, les militaires, il nous ordonna de le suivre jusqu'à sa compagnie qui stationnait dans les communs et le parc du château de Bréau-sans-Nappe (près d’Ablis). Il nous expliqua que nous étions prisonniers de guerre, « Kriegsgefangener », que je serais médecin-chef de sa compagnie qui n’avait qu’un infirmier et pas de « Doktor ». Il me fit installer avec mes deux camarades dans les communs du château. J’avais la plus belle chambre, celle du majordome des anciens propriétaires. Mes sous-lieutenants et mon infirmier étaient moins bien logés : hiérarchie oblige ; même dans l’adversité ! Le P.C. de la Compagnie anti-chars était installé au rez-dechaussée du château ; les officiers habitaient le premier étage. Le lendemain, j’allai visiter les camps de réfugiés et retrouver les infirmières. Je fus consterné de ce que je vis et voici des extraits d’une lettre du quatre juillet que j’écrivis à ma mère au lendemain de cette

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visite : « Je suis dans un camp !... pour X jours? Je ne soigne rien personnellement. J’ai deux médecins sous-lieutenants sous mes ordres et 18 infirmières. Je m’occupe d’hygiène, d’enlèvement des ordures etc. et d’organisation ». « Ce sont de pauvres gens qui pensaient retourner chez eux, vers le Nord, l’Est, la Belgique, la Hollande et qu’on arrête sur les routes car on ne peut plus monter ! Il y a en deux camps (hommes et femmes séparés) dans les onze cents réfugiés ! » « Je m’occupe de loger les femmes avec enfants... nourrissons... ; mais le plus beau résultat est malgré tout lamentable. » « J’espère que je ne resterai pas trop longtemps ici ; car je crois que ma ligne va encore s’améliorer... ! ». En effet nous étions arrivés vers midi et l’on nous avait servi pour trois médecins et un infirmier une grande gamelle remplie d’un liquide sans saveur, couleur bouillon sale et huit petits cubes de lard. Nous n’avions fait du tout qu’une bouchée ; mais quand vint l’heure du dîner, nous étions comme sœur Anne et nous ne vîmes rien venir. La gamelle et le lard servis à midi composaient le repas de la journée. Je fis comprendre à l’infirmier allemand que nous avions faim. Il répondit qu’il nous avait servi le menu correspondant à notre situation de prisonniers de guerre. Je lui fis répondre par mon médecin qui parlait allemand que si nous étions prisonniers nous n’avions pas à travailler dans une compagnie anti-chars allemande ; mais que si son capitaine voulait que nous soignions ses hommes il fallait nous donner à manger ; donnant... donnant ! Il nous fit comprendre que pour ce soir-là il ne pouvait rien faire de plus ; mais qu’il s’arrangerait pour les jours à venir. Cet infirmier d’une dizaine d’années environ plus âgé que les hommes de la Compagnie n’était pas désagréable ; alors que le capitaine et ses soldats d’une vingtaine d’années à peine étaient le parfait produit du nazisme. Les jours suivants nous eûmes des repas normaux et du bon vin, pillé probablement dans les caves du château ou dans celles des maisons du village voisin. Poulets, lapins provenant des poulaillers et clapiers des environs, agrémentèrent régulièrement nos repas que nous prenions en commun avec l’infirmier allemand, apparemment chapardeur.

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La question nourriture réglée, je m’occupai des problèmes sanitaires. Je mis un médecin dans chaque camp de réfugiés et partageai les infirmières en deux groupes ; les religieuses chez les femmes et les enfants, les laïques chez les hommes. L’infirmier fut chargé de l’hygiène ! Et du « confort » des deux camps. Quant à moi, en dehors de la surveillance générale, je m’occupais de l’infirmerie de la Compagnie. L’infirmier allemand me présentait les soldats qui se faisaient porter malades à la visite du matin. Je notais sur un cahier mes observations et mes prescriptions que l’infirmier remettait à un « Oberarzt » que je n’ai jamais vu. Il m’était interdit d’écrire quoi que ce soit sur le livre réglementaire de l’infirmerie. Ma visite médicale était fort appréciée si j’en juge par le nombre croissant de mes consultants. J’interrogeais par signe et baragouinais quelques mots d’allemand. Je donnais le plus d’exemptions de service que je pouvais et prescrivais des mises en observation à l’infirmerie pour tous les troubles digestifs. Qui dit camp, sous-entend immédiatement hygiène des camps ! Et inspection. Ma première visite des deux camps de réfugiés, installés dans l’ignorance volontaire des principes élémentaires d’hygiène, bafouant toute dignité humaine, me laissa pantois. Je n’avais jamais vu ça, ni pu imaginer cela. Mon enfance berrichonne dans une humble maison paysanne, sans assainissement, sans électricité et l’eau au puits, me parut s’être déroulée dans un luxueux palace ! Les réfugiés couchaient sur des paillasses à même le sol ; l’eau était stockée dans des tonneaux avec une louche pour se servir et les « feuillées » étaient collectives, en plein air ! Ces « feuillées » étaient des tranchées de 50 à 60 cm de profondeur et longues de 4 à 5 mètres. Une échelle était placée dessus à plat dans le sens de la longueur. Une planche était clouée entre deux barreaux et des espaces vides alternaient avec les espaces pleins, ces derniers servant de repose-pieds pour « besogneux du gros côlon ». Chaque échelle pouvait ainsi satisfaire les besoins de sept personnes. A part le premier installé sur l’échelle, chacun ou chacune, (cela dépendait du camp dans lequel, il ou elle se trouvait), pouvait apprécier la défécation de

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celui ou de celle, qui le précédait ! Il y avait plusieurs de ces installations dans chaque camp, elles étaient parallèles entre elles. L’odeur dans l’environnement était : « sui generis ». Il faut l’avoir vu pour le croire ! Je n’avais aucune liaison avec la Direction du Service de Santé français et ne voyais pas la fin de mon séjour dans cette compagnie allemande. Les réfugiés se renouvelaient sans cesse et les camps ne désemplissaient pas. Les occupations ne me manquaient pas, la principale étant l’évacuation des ordures de toutes sortes ; la deuxième la recherche de médicaments, de pansements et de lait pour les enfants. Je ne voyais pas le temps passer, mais je n’oublierai jamais le 15 juillet 1940. Ce jour, là, le capitaine allemand nous avait invités avec notre infirmier à une soirée musicale au « château ». Personnellement j’avais refusé car je trouvais notre situation contraire aux stipulations de la Convention de Genève. Je n’avais pas à soigner, sauf urgence, les soldats ou officiers d’une armée ennemie. Mes sous-lieutenants, plus souples et moins stricts que moi, avaient accepté. Seul, dans ma chambre en train de lire, un Feldwebel (sergent allemand) vint me dire vers 22 heures que le capitaine me demandait. Le concert était terminé, mes camarades rentrés dans leurs chambres, je m’attendais à un « savon », pour avoir boudé la « partie ». En entrant dans le hall du château, grande fut ma surprise. Le capitaine, assis à son bureau, n’était pas seul. En face de lui, me tournant le dos, se tenait Nelly, mon épouse. Nous nous précipitâmes dans les bras l’un de l’autre et avant que je puisse poser une question, Nelly me dit qu’Anne-Marie était gravement malade, qu’elle avait obtenu du capitaine l’autorisation que j’aille la voir immédiatement à Saint-Denis, chez ma mère ; qu’elle était venue avec ma voiture. Un Feldwebel devait m‘accompagner. Nous partîmes sur le champ. Dès que nous fûmes en route je réalisai que, pour me laisser partir ainsi, Anne-Marie devait être morte ; je posai la question à Nelly qui me répondit par l’affirmative et elle me raconta en pleurant comment c’était arrivé : Le retour

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d’Arcachon s’effectuait normalement… Tout se passait relativement bien jusqu’aux environs de Châteauroux où le convoi fut stoppé pendant plus de six heures, sous un ciel de plomb. Les Allemands installaient la ligne de démarcation, prévue au traité d’Armistice, et contrôlaient les voyageurs qui remontaient vers la zone Nord. Il faisait très chaud dans les voitures arrêtées sous les rayons du soleil. Les fenêtres de l’automobile étaient bien ouvertes ; mais on n’osait pas descendre de voiture de peur que l’ordre de partir ne soit donné inopinément. Progressivement le visage d’Anne-Marie pâlit puis devint blanc. Elle tomba dans la torpeur et se mit à geindre. Elle était froide et pourtant sa température dépassait les 40°. Après une nuit passée à Châteauroux, la route fut reprise avec Nelly et Anne-Marie subconsciente. Quand ils arrivèrent à Saint-Denis, ma mère fit immédiatement appeler Mme le Docteur BertrandFontaine, une des premières femmes-médecins des Hôpitaux de Paris, qui ordonna des « bains froids ». Anne-Marie décéda peu après. C’était le 15 juillet 1940. Grâce à ma malencontreuse affectation dans un camp de réfugiés, j’avais perdu ma fille âgée de neuf mois. De plus, j’étais bouclé dans une compagnie anti-chars allemande et un feldwebel assistait au malheur de toute une famille, c’est-à- dire d’un jeune couple et d’une grand-mère réunis, pleurant sur corps d’un bébé… » L’enfant fut enterrée à Saint-Denis : « Le feldwebel avait reçu l’ordre de ne pas me quitter pendant ces tristes cérémonies ; mais il était gêné de ce que l’on lui demandait de faire. Il s’en ouvrit à Nelly qui parlait couramment l’allemand, lui disant qu’il resterait à la maison à condition que je lui promette de ne pas me sauver « car ce serait grave pour lui et mes deux camarades si je ne revenais pas au camp. » Peu de temps après, Lucien Dermer quitta Bréau-sans-Nappe pour Gif-sur-Yvette où fut déplacé le camp de réfugiés ainsi que la compagnie anti-chars allemande. « Je n’avais alors aucune nouvelle de la Direction du Service de Santé, ni du Val-de-Grâce. Les 15 jours annoncés de déplacement étaient largement dépassés et comme Sœur Anne, je ne voyais rien venir. Par l’infirmier allemand je savais que les

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hommes de la compagnie faisaient des exercices de débarquement et s’entraînaient à nager. L’idée d’un débarquement allemand en Angleterre prenait corps. S’il n’y avait pas d’accord secret entre l’Allemagne et l’Angleterre pour dépecer notre Empire colonial, ni espoir de paix séparée, le débarquement en Angleterre était envisageable. Les îles anglo-normandes, Jersey et Guernesey, en particulier, étaient déjà occupées par la Wehrmacht. Un matin en arrivant à l’infirmerie, j’appris que l’infirmier allemand avait tenté de se suicider en sautant la nuit par la fenêtre du premier étage du pavillon qu’il habitait. Il avait été transporté dans un hôpital allemand. Le soldat qui le remplaçait me fit comprendre par la parole et par gestes, qu’il avait eu peur de participer à un débarquement en Angleterre. Tout cela me préoccupait. Personnellement j’aurais bien voulu me rendre en Angleterre, rejoindre le général De Gaulle dont on commençait à parler ; mais je n’envisageais pas d’y aller comme médecin d’une compagnie anti-chars allemande ! Il fallait que je trouve un moyen de me sortir d’une situation qui menaçait de s’aggraver et de perdurer. »

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Au Val-de-Grâce

Le 28 août 1940, Lucien Dermer obtint enfin d’être affecté à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris. « Le Val-de-Grâce, avec la défaite, était devenu un hôpital pour prisonniers de guerre, à l’exception d’une infime partie destinée à des internés civils, hommes et femmes. A mon arrivée, j’allai me présenter au Directeur, le médecincolonel Lhomme, qui m’affecta au service de chirurgie du 4éme Blessés en qualité de Chef d’équipe chirurgicale. Le 4ème Blessés bordait tout le côté gauche du jardin à la française sur lequel donne la façade d’honneur de l’ancien couvent de Port-Royal de Paris. Nous étions un hôpital de prisonniers de guerre et le gros de notre « clientèle » allait provenir maintenant des camps de prisonniers de guerre encore installés en France, avant leur transfert en Allemagne dans les « oflags » ou les « stalags » du « Grand Reich ! »

Soigner et résister en Berry

Lucien Dermer devait rester au Val-de-Grâce jusqu’au 4 août 1942. Après beaucoup d’avatars et aventures, il fit finalement le choix de partir en zone libre et de retrouver la région de son enfance : le Berry. Fin 1942, il se retrouve dans le Cher, près de Sancoins. « On commençait à parler de la Résistance mais on ne la voyait pas. Elle était vraiment souterraine. A ses débuts, elle s’organisa sans service de santé particulier. Les médecins n’avaient pas besoin de se cacher pour soigner les rares blessés. Le secret médical les couvrait. Tout changea avec la loi scélérate adoptée par l’Etat de Vichy qui faisait obligation, sous peine de graves sanctions : amendes, radiation de l’Ordre des Médecins nouvellement créé et même prison, de déclarer à la police française ou à la Milice, à la Gestapo, tout blessé par arme à feu ou arme blanche. C’était contraire à l’éthique médicale, au serment d’Hippocrate… Il a fallu que des chefs de groupement de résistants recherchent, avec circonspection, des médecins et des chirurgiens sur lesquels ils puissent compter en cas de

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besoin. C’est ainsi que je suis entré dans « la Résistance ». C’est ainsi que j’ai failli ne pas en sortir car je devais être condamné à mort par contumace, début 1944 à Nevers, par un tribunal allemand comme « chirurgien terroriste ». La Milice pourchassait les réfractaires au STO, les communistes, les juifs et les francs-maçons, pour les livrer à la Gestapo. Ces proscrits en fuite rejoignirent les maquis. « Ils furent mes premiers clients. Avant le débarquement du 6 juin 1944, écrit Lucien Dermer, je n’eus à soigner que des fractures, des plaies accidentelles et une seule blessure par balle. » En juillet 1942, Lucien Dermer s’affilie au groupe « Libérationsud » à Sancoins (Cher). Fernand Duruisseau, un coiffeur, en est la tête. Sancoins devint un centre important de résistance auquel se rattachèrent des membres des communes voisines comme Grossouvre où Lucien Dermer avait passé une partie de son enfance et où il avait de la famille. Trente-quatre personnes composent les membres les plus actifs du groupe. Parmi eux, deux médecins, dont Lucien Dermer. Hélas, une série d’imprudences conduisent à l’arrestation de Duruisseau le 3 août 1943. Après avoir été torturé, il fut fusillé à Bourges avec quatre autres membres du groupe, le 7 octobre 1943. Lucien Dermer eut la chance de se sauver à temps lorsque la Gestapo vint l’arrêter. Le 24 mars 1944, son aide, le docteur Roger Leveillé eut moins de chance. Il fut déporté à Francfort- sur-le-Main et condamné à un an de prison pour avoir soigné un maquisard. Le 8 mars 1944, dans l’arrière-boutique du buraliste de Mornay-sur-Allier (Cher), Lucien Dermer avait opéré avec son confrère le résistant René Page, 20 ans, de Decize (Nièvre). Page avait reçu une balle de révolver dans le genou droit lors d’un coup de main raté. Malheureusement, début avril, il fut capturé et fusillé à Nevers (Nièvre)… Lucien Dermer continua vaille que vaille sa mission d’aide aux réfractaires et maquisards. Mais il fut pourchassé et dut se cacher dans plusieurs fermes. Il s’éloigna ainsi de sa femme et de ses enfants qui, eux aussi, durent quitter leur domicile. A la ferme des Forêts, dans la forêt de Meillant (Cher), il s’affilia à un groupe de renseignements dépendant de l’Etat-major de De Gaulle à Londres. Là se trouvaient deux postes-émetteurs

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permettant de transmettre des renseignements. Le groupe reçut régulièrement des parachutages d’armes et d’explosifs qui se révélèrent fort utiles pour la prise de Saint-Amand-Montrond le 6 juin 1944.

Un chirurgien franc-tireur lors de la Libération

Dans ses mémoires, Lucien Dermer ajoute : « Après avoir attendu des années, des mois et des semaines, le « Jour le plus long », la « Résistance » organisée et armée patiemment grâce aux nombreux parachutages effectués par la R.A.F. put se montrer à visage découvert. » Avec un armement léger composé de mitraillettes Sten, de fusils mitrailleurs Brenn, de pistolets Colt et de quelques bazookas, les maquisards harcelèrent les convois allemands en retraite et firent sauter au plastic ponts et voies ferrées. « Ces escarmouches ne se firent pas sans casse dans nos rangs. Il y eut des tués et des blessés et les populations locales subirent des représailles. Un « Service de Santé en Campagne » devint nécessaire. C'est à ce moment-là que je pris contact avec le capitaine Duret. J'appartenais à un petit groupe de renseignement camouflé dans une ferme, au lieu-dit « les Forêts », en forêt de Meillant. Nous dépendions de « Résistance-Sud ». Depuis un an, nous avions reçu et stocké des armes et munitions que nous enfouissions avec leurs conteneurs dans un champ et nous plantions par-dessus au fur et à mesure, des ... topinambours. Nous avons enterré des tonnes d'armes et de munitions. En forêt de Meilland (Cher), nous avons eu de nombreux parachutages de containers d’armes. C’était de grands cylindres de 1,40 mètre environ, avec aussi du ravitaillement. Par messages-radio, nous demandions aux Alliés tout ce dont nous avions besoin. Nous communiquions avec les pilotes par l’envoi de lettres en morse à laquelle ils devaient répondre. Si tel n’était pas le cas, il fallait déguerpir. Je me souviens d’un parachutage annoncé par la phrase « elle se gratte les poils du cul » ! Sitôt entendu, sitôt nous filâmes au point précis de rendez-vous…

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A leur départ, les parachutistes ignoraient où ils allaient. Peu de temps avant d’arriver près d’Avord (Cher), un détachement anglais de parachutistes S.A.S. atterrit ainsi à Mornay-Berry. Il n’y avait parmi eux qu’un Français, un infirmier. C’étaient des « durs à cuire », aimables mais aguerris aux combats. J’ai reçu vingt-quatre parachutistes anglais dont le chef Gordon Davidson. Lors des parachutages, il y avait des ampoules de morphine auto-injectables. Les parachutistes en avaient sur eux pour calmer la douleur en cas de blessure importante. Nous utilisions des véhicules qui devaient être identifiés par les Américains. En effet, une fois, ils ont pris un convoi du maquis pour celui d’Allemands et leurs tirs en enfilade ont littéralement coupé en deux une voiture. On avait donc intérêt à peindre une croix sur le toit et mettre des drapeaux tricolores… Pour ma part, je ne restais pas toujours au maquis car je connaissais d’autres endroits où j’aimais me réfugier. Ainsi, je me rendais chez un agriculteur près de Meillant. Pendant cette période, je n’ai pas eu faim… Je garde de la rancune à l’égard de la Milice et en particulier du chef de la Milice de l’Orléanais. Par l’intermédiaire du Docteur Belet, un collègue chirurgien de Moulins, il m’avait personnellement menacé affirmant à mon confrère et ami qu’il savait très bien ce que je faisais pour la Résistance et que je devrais bientôt devoir compter mes abattis ! Par ce même confrère, je lui ai retourné la menace, non sans lui préciser avec malice qu’il aurait bien du mal à me reconnaître. J’avais en effet une moustache, des lunettes noires et une fausse identité établie au nom de Louis Dubuisson… De toute manière, j’avais été condamné à mort par contumace et, si j’étais quand même reconnu, j’avais bien la ferme intention d’utiliser le gros révolver

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que j’avais constamment dans ma poche. C’était un Colt, un 1142 de l’armée anglaise avec toujours une balle dans le canon. On nous avait appris à tirer, mais en cas d’urgence, il ne fallait pas hésiter à tirer à travers la poche. Tant pis pour le pantalon et si le coup partait au sol, comme l’arme était encore dissimulée, le coup faisait se cacher l’adversaire, pris d’une peur soudaine. C’est à ce moment seulement que l’on pouvait sortir l’arme de la poche, se baisser et ajuster… Dans les jours qui précédèrent le débarquement en Normandie, la R.A.F. nous avertit qu’il n’y aurait plus aucun parachutage dans le secteur entre le 1er et le 15 juin 1944. C’était bien la première fois qu’on nous disait ça. Le 6 juin au matin, j’étais à la ferme des Forêts où j’avais l’habitude de me rendre de bonne heure en vélo. C’est là à 6 heures du matin qu’on vint me chercher et m’avertir que le débarquement était lancé. Il fallait faire vite, récupérer les armes où elles avaient été cachées. Et déjà des gars des maquis de la Creuse nous rejoignaient… Nous avons armé, sur ordre venu de Londres par radiotélégraphie en morse, les maquis de Maupioux, de Verneuil (entre Dun et Charenton) et de la Creuse, qui le même jour s'en allèrent prendre Saint-Amand-Montrond ! Après cette mémorable distribution d'armes, notre petit groupe se dispersa, mission accomplie. Fin juin 1944, notre ferme-refuge fut cernée par des miliciens. Ils rentrèrent dans la ferme où il y avait ce jour-là le chef du dépôt, l’instituteur Gaultier. Nous avons été tous les deux plaqués au mur et mis en joue. Pas assez nombreux, les miliciens demandèrent en vain des renforts à Saint-Amand-Montrond. Ils fouillèrent la ferme mais ne trouvèrent rien. On les vit même se mettre en place dans le champ de topinambours en ne soupçonnant pas ce qu’il y avait sous eux. J’ai su par la suite que le garçon chargé d’aller chercher de l’aide était revenu sur ses pas en affirmant que les fils du téléphone avaient été coupés… N’ayant rien découvert et la nuit tombant, le groupe de miliciens finit par décamper… » En juillet 1944, le docteur Dermer organise le service de santé du groupement Cher-Est, dirigé par le capitaine Servois alias Duret dans la clandestinité. « C'est par hasard que je fus mis en

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contact avec le capitaine Duret, qui en 1939 avait été capitaine des spahis de Senlis. Nous sympathisâmes et il me demanda d'organiser le service de santé des maquis qu'il avait sous ses ordres dans le triangle Bourges-la Charité-sur-Loire-Nevers. Dans chaque maquis, il y avait un poste de secours sommaire, tenu par un étudiant en médecine ou un infirmier. Il fallait un hôpital de campagne. Après quelques hésitations, la ferme de Naubois à Villers, hameau de Villequiers, fut retenue et une infirmerie dans la chapelle du château du Colombier à 6 kilomètres de là. A la ferme de Naubois, j'installai quinze lits, répartis dans deux remises. La cuisine fut transformée en salle d'opérations. Pendant la Campagne de la Libération, une vingtaine de blessés y furent soignés ou opérés. J'eus trois morts à déplorer : - Un ouvrier agricole Pierre Trompat - 29 août 1944 - blessé mortellement par les Allemands, alors qu'il procédait, pour le compte de son patron, M. Jean Imbert de Bengy-sur-Craon, à l'enlèvement des cadavres de chevaux tués au cours de bombardement d'un convoi allemand, la veille, par les Américains, sur la route nationale de Bourges à Nevers. - Le caporal anglais Wilkinson atteint d'une balle au cervelet le 26 août 1944. Comme les F.F.I. n’avaient pas de casque pour aller au combat, par esprit de « chevalerie », les Anglais ne mirent pas les leurs. Pendant les escarmouches et les embuscades que nous fîmes ensemble contre l’ennemi, Wilkinson a été blessé à la nuque… S’il avait eu son casque, il serait peut-être encore là. Il est arrivé dans le coma à Villers et n’en est jamais ressorti. Je n’avais pas d’antibiotiques et lorsqu’il est arrivé, de la matière cérébrale s’écoulait de sa plaie. Il aurait fallu mettre une vessie de glace sur sa tête mais je n’avais pas de glace. Opéré, Wilkinson ne survécut que huit heures à sa blessure. Garde d’honneur devant le cercueil du caporal Wilkinson

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- Un maquisard, dont je n'ai plus le nom, grièvement blessé dans les barbelés du camp d'Avord, et qui m'avait été ramené mourant au bout de 48 heures. En dehors des opérations et des soins dans mon « hôpital », j'allais visiter les postes de secours, leur distribuant pansements et médicaments. Le Docteur Menguy, médecin-chef de l'hôpital-hospice de Sancerre lui-même, m'en avait demandé et ce fut une véritable expédition, une partie de cache-cache sur les routes sillonnées d'Allemands en retraite, pour m'y rendre avec ma voiture, un coupé Citroën tôlé, traction avant, avec drapeau F.F.I. fixé au capot et une étoile blanche peinte sur le toit. Le Père Pottier me guidait dans mes déplacements. C'était un très brave homme et un homme brave. Le rôle d'un chirurgien ou d'un médecin de maquis n'est pas uniquement professionnel. La Croix-Rouge ne le protège pas. Alors pourquoi se gêner ? C'est un franc-tireur et comme tel, il peut participer aux coups de mains et aux parachutages. Je ne me suis privé ni des uns, ni des autres. A une exception près, je n'ai jamais tiré sur l'ennemi. Quand j'accompagnais mes camarades en opération, c'est toujours un rôle de protection, de surveillance ou de transport que j'ai assuré.

Table d’opération de campagne et trousse chirurgicale parachutées par les Anglais pour la Résistance.

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Pour terminer sur des sujets médicaux, vécus au Cher-Est dans mon hôpital de campagne à Naubois, je vous raconterai très succinctement deux interventions. Voici la première. Un médecin de Baugy non résistant, jurant ses grands dieux qu'il ne dirait rien de ce qu'il voyait, vint me supplier de m'occuper d'une de ses patientes, allongée dans sa voiture, qui présentait une grave hémorragie après faussecouche. Les Allemands ne l'avaient pas laissé passer vers Bourges. C'était urgent. Ayant des blessés hommes dans mes deux salles d'hospitalisation, je fis transporter la malade dans la chapelle du château du Colombier, isolée dans le parc, et demandai au confrère d'aller au plus vite me quérir les instruments nécessaires à cette intervention, non prévue en chirurgie de guerre, ni de maquis ! Il revint rapidement avec le matériel nécessaire et tout finit bien, sous le regard curieux de la Sainte Vierge ! Je ne sais pas ce qu'elle en pensa… Elle n'a rien dit, mais paraissait songeuse ! La deuxième intervention concerne un jeune Berrichon de 20 ans, qui arrivant à vélo à un passage à niveau fermé, fut arrêté par un Feldwebel qui se trouvait à une vingtaine de mètres environ, en avant de sa section, battant en retraite à pied et attendant que la barrière se lève. Le Feldwebel fit comprendre à mon Berrichon qu'il n'avait plus de vélo et qu'il devait déguerpir - schnell... - schnell !... Mais mon gars ne l'entendait pas ainsi. Il y tenait à son vélo, fruit de ses économies. Il ne partait pas et regardait le sous-officier allemand amarrer son paquetage sur le porte-bagages et surtout il regardait le fusil posé dans l'herbe sur le bas-côté de la route. Soudain il bondit, se saisit du fusil et visa au front l'Allemand, presque à bout portant. Ce ne fut pas « le chapeau qui tomba », comme dans le poème de Victor Hugo, mais l'Allemand, foudroyé. Puis il sauta sur son vélo et s'enfuit à toutes pédales avec le paquetage du Feldwebel sur le porte-bagages! Les soldats, le premier moment de stupeur passé, se ressaisirent et firent feu à volonté sur le fuyard, atteignant la maison voisine d’un garde

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barrière. Bien qu’il fût touché, il put arriver jusqu'à mon hôpital avec une fesse ensanglantée. Une balle était entrée d'arrière en avant dans la face interne de la cuisse gauche et s'était arrêtée près des gros vaisseaux profonds. Je fus étonné que la plaie ne soit pas transfixiante, que l'orifice d'entrée soit déchiqueté et qu'il n'y ait pas d'orifice de sortie. J'en conclus à une blessure par « ricochet » et demandai à voir le vélo, d'abord par méfiance sur l'origine de la blessure et sur l'histoire rocambolesque racontée par le blessé, qui n'était pas maquisard ; ensuite pour comprendre la trajectoire du projectile. Je constatai alors de visu que la balle avait sectionné à moitié le tube qui relie la selle au cadre, puis avait ripé vers la cuisse du blessé. Je ne vous raconterai pas toutes les péripéties qui précédèrent l'intervention, car il me fallut faire en voiture avec le blessé et mon fidèle Père Pottier, l'aller-retour Naubois-Sancoins, en coupant les colonnes allemandes en retraite, pour repérer sous radio le projectile. La balle fut extraite; mon Berrichon avait sauvé son vélo ; moi le membre inférieur gauche du Berrichon. Le vélo reconnaissant de n'avoir pas été abandonné aux Allemands, l'avait protégé et aidé à fuir ; moi pour récompenser l'inconscience héroïque de ce garçon, je le proposai pour la Croix de Guerre, ce qu'il obtint. » En vérité, comme ce jeune garçon, tous les habitants du secteur avaient fini par être au courant alors de l’existence de cet hôpital de campagne. Le 8 août 1944, Lucien Dermer est appelé au maquis de Tronçais (Allier) pour opérer les blessés d’un camp cerné par les Allemands. Pour s’y rendre, il doit parcourir en voiture armée d’un fusil-mitrailleur sur le capot vingt kilomètres de route surveillée par les Allemands.

S.A.S. britanniques et leurs jeeps à la ferme de Villequiers en août 1944

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Après des combats, il réussit à joindre l’infirmerie de ce camp où il opéra et pansa sept blessés… De juillet au 7 septembre 1944, Lucien Dermer continue de participer à des coups de main, détruisant des ouvrages d’art tout en assurant des soins de première urgence. Il participe également à de nombreux autres parachutages d’armes et de soldats britanniques… Et lorsqu’en octobre, l’action du maquis s’achève, il travaille à Sancoins, où les patients de son ami médecin déporté l’attendent, tout en restant à la disposition des services de santé F.F.I. « A la Libération, se souvient-il encore, j’ai été chargé à Avord d’identifier parmi les corps retrouvés les cinq fusillés de notre groupe. On les a fait déterrer par des prisonniers allemands. Ils avaient 17-18 ans et ils pleuraient d’avoir à faire ce sale travail. Les exécutions avaient eu lieu en avril et nous étions en septembre-octobre… J’ai vérifié les ongles des cadavres. Les corps étaient vêtus des vêtements qu’ils portaient lors de leur arrestation. Mais ce qui m’a beaucoup surpris, c’est qu’à l’emplacement du cœur était fixé par une épingle de couturière un petit disque blanc. On distinguait dedans l’impact de 3 ou 4 balles de fusil. Les poils de ces hommes avaient naturellement continué de pousser après la mort et ils étaient un peu barbus et moustachus. Mais je ne vis pas de trace de sévices particuliers, d’ongles arrachés… »

Sur cette période si particulière de sa vie, Lucien Dermer concluait ses propos ainsi : « J’ai été un chirurgien en blouse blanche ou un chirurgien en uniforme avec brassard Croix -Rouge au bras gauche, ou un chirurgien franc-tireur… En vérité le même homme avec la même mission, celle de soigner avant tout les blessés et de les guérir car telle devait être la volonté des Cieux… » Après guerre, Lucien Dermer retrouva sa famille et fonda une clinique à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Il resta près de 40 ans maire de Châtenay-en-France (Val d’Oise).

Responsable du texte : Jean-François Couriol

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Lucien Dermer est nommé capitaine.

Sources :

Mémoires de Lucien Dermer (publication inédite et privée).

La Résistance dans le Cher, ouvrage collectif ; Editions S.C.E.R.E.N. du C.R.D.P. Orléans-Tours.

La Résistance dans le Cher. D.V.D. de l’A.E.R.I. (Association pour des Etudes sur la Résistance Intérieure)

Entretien avec Lucien Dermer réalisé au collège public Sainte-Apolline de Courdimanche en mai 1995.

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Le souvenir est toujours entretenu à Villequiers (Cher) : devant la stèle, au lieu-dit Berry, les anciens combattants, la municipalité, les habitants, rendent chaque année hommage aux membres du groupe de maquisards Cher-Est, dont le poste de commandement se trouvait à la ferme de la Chaumotte à Villequiers. L’hôpital de campagne de Lucien Dermer, à la ferme de Naubois, est proche.

Remerciements sincères pour leur aide et conseils:

Mesdames Catherine Poissonnet, Musée de la Résistance et de la Déportation du Cher à Bourges. Marie-Elisabeth Dermer. Monsieur Jacques Dermer.