Armand Vergnolle

Fier d'avoir été un Franc-Tireur et Partisan


« Je me nomme Armand Vergnolle, je suis originaire du Lot-et-Garonne, et je suis né en 1920 à Agen-même, sur les bords de la Garonne.

Je suis le fils d’un soldat qui a failli être fusillé. Mon père, illettré, ne sachant pas signer son nom, était venu en permission en 1917. Lorsqu’il a rejoint son corps à Verdun, il a appris qu’il y avait eu une mutinerie.

Lors d’une bataille, il est blessé à la jambe et ne peut plus marcher. Il est ramené à l’infirmerie par les brancardiers. Un infirmier le voit et lui dit : « Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Pas d’histoires, tu es condamné à mort! ». Il était de ceux qui devaient être fusillés ! Cet infirmier le sort et le met dans une autre pièce.

C’était un mobilisé, secrétaire à la Préfecture du Lot-et-Garonne. Par solidarité de clocher, il l’a planqué !

Mon père ayant une balle dans le genou, les docteurs lui ont dit : « On va t’amputer ». Dans la nuit avec son couteau de poche il s’est charcuté et a enlevé la balle. Mon père a ainsi échappé à la mort et à l’amputation.

Il a porté la balle liée à la chaîne de sa montre jusqu’à sa mort.

J’ai commencé à travailler à l’âge de 13 ans comme ramasseur de copeaux et de sciure dans une fabrique de meubles. J’étais mousse : je nettoyais aussi les raboteuses et les scies. Je suis resté trois ans dans cette fabrique de meubles.

Ainsi je sais travailler le bois et conduire les machines.

Après 1936, cette période ou l’ensemble des républicains avait réussi à imposer au gouvernement des modifications du train de vie des travailleurs et obtenu par les grèves les congés payés, la semaine de 40 heures et des hausses de salaire, j’ai agi pour améliorer le sort de tous les travailleurs.

Mon exemple est typique : quand je travaillais, j’avais 5 francs par mois (une thune!) et, après les accords Matignon qui ont augmenté les salaires de 15%, soit 5 francs par mois, je suis passé à 5 francs par semaine. Une belle augmentation !!!

J’ai participé aux grèves, aux manifestations et je suis rentré en action syndicale (je me suis syndiqué en octobre 1934). J’ai participé aux batailles pour ces revendications et en même temps, en novembre 1935, j’ai adhéré à une autre organisation revendicative : les Jeunesses communistes.

J’ai participé aux défilés du Front Populaire. Les puissances économiques ont été obligées de céder aux revendications.

Le syndicat des patrons qui se refusait à l’augmentation des salaires devant la volonté de ceux qui étaient dans la rue en grève générale a compris qu’il fallait qu’il cède à la pression populaire. Le fait d’avoir augmenté tous les salaires a fait que ceux qui ont reçu l’argent l’ont dépensé aussitôt et que le risque de faillite agité par les patrons a été faible. En avril 1937, même avec 2 à 3 mois de grèves, le patronat faisait des bénéfices.

La misère était grande, l’augmentation des salaires pour les travailleurs était nécessaire et possible pour le patronat.

Il y a eu une amélioration des conditions de vie générale et une reprise des activités des entreprises fortes: certaines ont dû embaucher.

Beaucoup de riches qui fréquentaient les plages de Saint-Tropez ou de Deauville disaient avec amertume : « Eh bien, on va se trouver avec des travailleurs ! ». Les directeurs d’usines n’étaient pas habitués à côtoyer les employés qui faisaient leur fortune.

Si je suis devenu ce que je suis, c’est que dans mon processus de vie j’ai toujours été positif, J’ai toujours suivi mes idées ; j’ai toujours voulu faire respecter les droits de tous les individus.

En 1938 j’ai fait grève contre les accords de Munich. Je me suis opposé à toutes ces tractations et je suis rentré en « résistance ».

Le 26 septembre 1939, le gouvernement français dissout et interdit l’organisation à laquelle j’appartiens, et je vais devenir illégal.

Pour les réunions, j’allais toujours chercher des camarades. Un jour, je m’aperçois qu’à chaque maison où je frappais il y avait des personnes appuyées contre le mur, avec des têtes que je ne reconnaissais pas. Je demande aux copains : « Tu as des sentinelles en bas ? C’est drôle je ne les ai jamais vues ». Alors ils vont voir et me disent qu’ils ne les connaissent pas.

J’en informe la réunion.

Sur le coup de 11 heures du soir, une camarade nous dit : « Ça y est, vous êtes interdits par le gouvernement ». Les anciens, soucieux, disent alors aux jeunes : « Disparaissez dans la nature, les réunions ne devront plus se tenir. Vous, vous n’êtes plus du Parti ». Sur sept camarades, il y en a six qui adhèrent alors au Parti. Ils ne veulent plus être des jeunes mais des anciens. Nous rentrons en illégalité.

Avant de sortir, je dis aux camarades : « Est-ce qu’on peut regarder si nous sommes surveillés ? » Personne n’avait cru à ce que j’avais dit en arrivant.

Je mets la tête dehors et je regarde. Des personnes qui étaient dans des encoignures de portes se sont alors cachées. Nous étions dans une salle qui était attenante à l’imprimerie où l’on tirait nos papiers. Et comme il fallait que personne n’aille dans cette imprimerie, le responsable avait cloué une grande croix de bois sur la porte. Nous avons fait sauter la croix et sommes passés par l’imprimerie pour sortir. Ceux qui nous attendaient pour nous cueillir ne nous ont pas vus.

Au bout de trois mois, nous nous sommes retrouvés dans une vieille remise envahie par les ronces à deux kilomètres d’Agen, au milieu d’un champ. Avec une bouteille d’encre de Chine, protégés par des camarades, nous placions des mots d’ordre sur les portes : « A bas Hitler », « A bas Pétain ».

Le gouvernement Pétain n’avait pas 40 millions de sympathisants comme il a pu être dit. Cela n’est pas vrai. Après la surprise, tout le monde est resté dans l’expectative, et, ce n’est pas par ce que l’on ne bouge pas que l’on est politiquement d’accord.

Je suis devenu par la suite un agent de liaison des FTP. « Nous combattrons tant que nous virons » était la devise de notre organisation : le Front National (pas celui de maintenant !).

La Résistance pour moi a commencé en avril 1940.

Je suis arrêté pour avoir distribué un papier en cinq exemplaires à des camarades de travail. Malheureusement l’un d’eux ne trouve rien de mieux que de sortir du chantier, le papier à la main. Le chef du chantier - nous faisions des citernes souterraines pour stocker du kérosène pour l’aviation - le lui prend.

A 4 heures de l’après-midi, alors que je soudais au fond de la citerne, j’entends: « Monsieur Vergnolle !» ; et je distingue en haut deux personnes que j’avais déjà vues, deux policiers. Ils venaient m’arrêter…

Je suis arrêté et emmené au commissariat, questionné, trituré, un peu secoué. La bête ne parle pas. On me fait écrire, mais je prends mon écriture habituelle, pas celle du tract avec ses déformations volontaires.

Je leur propose d’aller faire une perquisition chez moi. Je descends de la voiture et je passe par le devant de la voiture ; je vois ma mère devant la porte et je lui fais un geste signifiant de ne rien dire. Ma mère a compris…

« Ces messieurs m’accusent, ils viennent perquisitionner pour voir si je fais de la propagande ».

« Qu’est-ce que c’est que ces histoires-là, où est-ce qu’ils ont trouvé ça ? »

La mère commence de suite à me défendre.

« Où est la chambre de votre fils ? »

Ils rentrent et s’aperçoivent qu’il y a deux lits, deux grands lits.

« Il n’y a pas un lit ? »

« Mais non, on est 8, et avec le père et la mère, ça fait dix ! »

Il y a des bouches à nourrir et mon père simple balayeur, n’avait pas un gros salaire (à l’époque il n’y avait pas les allocations familiales). Heureusement qu’il y avait un jardin qui nous donnait des carottes et des poireaux, ce qui, avec quelques têtes de volailles, nous permettait de vivre à peu près bien.

Ils regardent : une armoire, deux lits et c’est tout.

« Où écris-tu ? »

Ma mère leur dit :

« Si vous venez pour perquisitionner, il faut perquisitionner, sérieusement ».

Elle va à la cuisine et revient avec un grand couteau.

« Où vous allez avec ça ? »

Il y a une couette - les couettes dans le temps étaient très épaisses - elle arrive, crac…couette éventrée … « Vous trouvez quelque chose ? ».

Elle prend la paillasse - sac rempli d’épis de maïs - et elle l’ouvre Elle dégage l’armoire, va chercher une chaise.

« Regardez s’il y a quelque chose dessus ».

La chambre faite- il n’y avait que deux chambres, parfois nous y dormions à six - ils rédigent un procès-verbal qui ne nous convient pas !

« Vous n’allez pas partir d’ici sans regarder la chambre de mon père, si vous ne le faites pas, vous allez revenir car vous allez croire que mon père est complice ».

J’ouvre l’armoire de mon père et le premier journal que je vois, c’est le dernier numéro du Travailleur - journal du Parti communiste dans la région - sur lequel reposait du linge!

Moi, en prenant le tout, je mets les vêtements de mon père en faisant attention à ce que le journal n’apparaisse pas de trop. Les flics à deux trois mètres derrière moi n’y ont vu que du feu.

Ils ont eu droit aussi au grenier et à l’étable à cochons qui était aussi parfois poulailler. Je les ai obligés à venir se salir les pieds et à rendre visite à l’ânesse.

J’ai passé huit jours au commissariat.

L’ingénieur en chef ne me voyant pas à l’atelier se demandait où j’étais, et le chef de chantier a fini par le lui dire. L’ingénieur a fait des démarches au commissariat pour qu’on me libère. Il m’a sauvé ! Ces policiers sont venus tous les jours pendant trois mois m’accompagner jusqu’au chantier.

Au bout de trois mois passés à suivre un célibataire tranquille, ils ont allégé leur surveillance.

Le chef de chantier m’a dit : « Vergnolle, cherche-toi un autre boulot, le chantier est à sa fin ».

J’ai changé d’horizon et suis devenu méfiant. Tout en reprenant mes activités, je ne me suis plus fait arrêter.

Arrive 1941. J’ai l’âge d’aller en chantier de jeunesse. Je discute avec mes camarades clandestins. Ils me disent : « Ils se méfient de toi, vas-y, ce sera la preuve que tu es un bon patriote et que tu réponds aux appels de Pétain. »

Je suis parti au chantier de jeunesse à Foix, mais je ne voulais pas rester inactif et voulais savoir ce qui se passait.

Le groupement de jeunesse avait douze baraques et comme il arrivait des jeunes en pagaille il a fallu en construire une autre.

J’avais annoncé que j’étais charpentier en fer. Je devais donc savoir faire une charpente en bois! On me demande mon avis.

La baraque a eu un beau succès et le groupement a cru devoir me donner une permission. La baraque a été faite en huit jours au lieu des quinze prévus ; mais au lieu des 15 jours de permission promis, tintin… trois jours !!!

Au bout de huit mois, mon temps passé, je rentre chez moi. J’avais pris contact avec la résistance de Foix et je suis entré dans une clandestinité absolue.

Je suis encore arrêté pour avoir distribué des tracts en pleine nuit mais ils n’ont rien trouvé.

Responsable d’organisations, j’ai créé le Front national, les Forces unies de la Jeunesse patriotique où les communistes et les catholiques se retrouvaient. Je mets aussi sur pied la libération du nord du Lot-et-Garonne autour de Tournon : organisation des maquis, lutte contre les traîtres possibles.

Un jour, descendant à Agen avec une petite moto qu’on m’avait confiée pour les liaisons, j’entends des mitrailleuses et un canon.

J’arrête et m’avance sur Tournon à l’abri des haies. Un avocat que je connaissais me dit: « N’avance pas, ce sont les Allemands » ; je m’attendais plutôt à la milice. Dans la nuit nous apprenons qu’un détachement de la division Das Reich venait de fusiller dix personnes. Un curé avait dû dénoncer la Résistance dans sa paroisse.

Je suis appelé au Comité départemental du Lot-et-Garonne et je deviens membre du Comité de Libération du Lot et Garonne et de celui de la ville d’Agen : Groupe FTP, bataillon Prosper.

Nous avons tout, tout fait pour que le débarquement réussisse : attentats sur les chemins de fer, coupures de courant, faire sauter des ponts …

Je suis assez critique sur de Gaulle, me souvenant comment à Toulouse, qui s’était libérée seule avec les FTP et avait installé une administration, il a mis un homme à lui à la place du nôtre.

Mais je reconnais que sans de Gaulle nous aurions certainement été administrés par les Américains, qui s’y étaient préparés. »

Extrait d’un hommage à Armand par ses camarades :

« A la Libération, tu es monté à Paris pour gagner ton pain comme charpentier en fer, c’est-à-dire ouvrier en charpente métallique. Vers 1951, tu as été victime d’une chute de plusieurs mètres de haut. Cet accident du travail t’a contraint à changer de métier.

Tu es alors devenu coursier à la toute jeune Banque Commerciale pour l’Europe du Nord (BCEN, banque soviétique à Paris) en pleine époque de guerre froide entre l’URSS et les États-Unis. Tu nous as dit depuis que tes activités successives à cette banque avaient un sens précis, celui d’apprendre à gérer le pays pour le jour où le peuple aurait le pouvoir et dans les années 50-60, on pensait que c’était pour bientôt. Tu vivais avec ton épouse et ta fille sous les toits de Paris, aux Epinettes, dans le 17ème, près de la section du Parti où tu fréquentais, entre autres, la famille de Guy Môquet.

Marie et toi avez eu votre heure de gloire dans le journal l’Humanité, avec votre photo en « Une » du journal, lors d’une manifestation organisée contre le plan Marshall et la politique anti-communiste de Jules Moch favorable aux intérêts du grand patronat. Et c’est en mai 1956, qu’arrive à Montmorency la famille Vergnolle, accompagnée des parents et des frères de Maria. Dès lors, durant des dizaines d’années, tu as été, Armand, un pôle de la vie politique et associative locale. »

Extrait d’un hommage aux funérailles de Maria VERGNOLLE, née PUNSOLA SOLAND, décédée le samedi 8 janvier 2011 dans sa 85ème année, épouse d’Armand décédé un an auparavant. Texte rédigé par Claudine Vergnolle et Liliane Gallian sa camarade et amie qui a lu l’hommage.

« Mais toi-même n’a pas été en reste dans la bataille pour les libertés en Espagne, ton pays d’origine, en France, ton pays d’accueil, mais aussi pour les peuples de tous les pays.

Tu avais à peine 13 ans lorsqu’en avril 1938, fille d’un maire républicain espagnol, tu as dû franchir les Pyrénées pour fuir les troupes franquistes qui avançaient brûlant tout sur son passage, massacrant les militants républicains. Tu étais avec ta mère et deux de tes frères au bord de la rivière de ton village quand l’ordre vous fût donné par Salvador, ton papa, de partir.

Tu avais à peine 18 ans lorsque tu as rejoint les FFI dans le maquis vers Villefranche-de-Rouergue, Decazeville. Tu étais agent de liaison entre les maquis espagnol et français.

Peu de temps après la Libération, avec une autre famille espagnole tu arrives avec tes parents et tes deux frères, en Normandie. C’est à ce moment-là que ton frère et ta sœur qui étaient restés en Espagne ont pu vous rejoindre.

L’idée, pour tous, était de participer à la reconstruction de la France. Le père de cette famille était maçon et c’est tout naturellement que ton père et ton frère aîné sont eux aussi devenus maçons. C’est grâce à ton frère aîné que tu as connu Armand qui était charpentier en fer sur le même chantier et, en juin 1947, vous vous être mariés à Potigny (Calvados). Vous êtes ensuite partis vous installer en région parisienne, rue Paul Bodin, dans le 17ème, section des Epinettes, et là tu adhères au Parti communiste français. En décembre 1948 naissait Claudine, votre fille.

En mai 1956, vous vous installez à Montmorency dans un petit pavillon avec tes parents : Salvador, Joséfa et deux de tes frères.

Tu es rentrée en 1958 à la SERP (Société d’Expédition et de Routage de la Presse) comme manutentionnaire, routeuse. Tu faisais la mise sous bande de la presse de gauche. Tu y as rencontré le syndicat du livre dont tu fus adhérente, et les équipes de l’Huma, journalistes, typo etc. à des moments clés de la vie politique : guerre d’Algérie, événements de Charonne où un de tes camarades Daniel Féry trouva la mort.

Tu étais de tous les combats avec Armand. En 1965, on te retrouve sur les listes électorales du Parti à Montmorency.

En 1972, tu es entrée au journal « Le Monde », après quoi tu as pris une retraite bien méritée.

Tout en continuant ton activité militante, tu t’es consacrée à ta maman et à tes petits- enfants. Avec Joséfa/Joséphine, ta maman et Armand, vous formiez un trio qui ne cessait de nous surprendre par l’harmonie et l’entente qui régnait entre vous.

Grand’mère, nous nous souviendrons de tes tortillas de patatas dont la préparation donnait lieu à des discussions épiques entre ta maman et toi sur la meilleure façon de les faire. Qui avait raison ?

Toute ta vie, face à l’activité débordante d’Armand, tu as assuré ce que l’on pourrait appeler l’intendance. Il t’a fallu bien de la patience, de la compréhension, du courage pour surmonter parfois ta peur.»