Lucienne Rolland

Résistante communiste. Déportée à Ravensbrück.

Militante active du parti communiste interdit, Lucienne Rolland, résistante, connut la mise au secret dans diverses prisons avant l'enfer de Ravensbrück...

Militantisme et Résistance.

En 1940, Lucienne et ses trois frères et sœurs vivaient à St- Ouen-sur-Seine où elle naquit en 1920 et où son père était employé de banque et sa mère commerçante. A 20 ans, elle y suivait un apprentissage en haute couture.

Elle était déjà très sensibilisée aux événements de l’époque et tout d’abord à la montée du fascisme et du nazisme. Elle fut naturellement enthousiaste au moment du Front Populaire, notamment quand, à l’issue de grandes grèves, en juin 1936, les accords Matignon octroyèrent l’augmentation des salaires, les congés payés, la semaine de 40 heures. Elle décida alors d’adhérer aux Jeunesses communistes.


Après l’entrée en guerre en 1939, le Parti communiste est dissout ; la défaite et l’installation du régime de Vichy rendent la situation des communistes encore plus difficile. Par crainte des bombardements, les parents décident d’envoyer Lucienne, son frère Louis et sa sœur Yvonne, chez une amie à Gron, près de Sens, Mme Polgar. Celle-ci et quelques amis avaient commencé à se rencontrer, discuter et faire le bilan de ce qu’ils pouvaient faire. Lucienne est admise dans leur cercle. Commence alors une vie de clandestinité, dont son père connaissait tous les agissements, contrairement à sa mère qui désapprouvait une démarche trop dangereuse.


Grâce à un ami secrétaire de mairie qui lui procure une fausse carte d’identité, Lucienne devient Madeleine Guyot. Elle est assignée à la conception puis à la distribution de tracts. Action importante, qui devait permettre à d’autres personnes de se joindre à son groupe, mais action dangereuse, qui exigeait d’être toujours sur ses gardes, et qui s’accomplissait de nuit et jamais seule.


Mais un jour, à Sens, son vélo, sur lequel était transporté un paquet de tracts, fut volé par un homme qui, arrêté, la dénonça à la police locale. Lucienne dut quitter Sens pour Auxerre et changer à nouveau d’identité. Cependant, le 26 août 1941, elle fut arrêtée en même temps que son ami Jules Brugot, un militant très actif.


La prison.

Aussitôt Lucienne subit l’interrogatoire du commissaire Bourgeois. Il essaya de l’amadouer en lui promettant la liberté si elle dénonçait des personnes figurant sur un grand registre qu’il lui montrait; ce qu’elle ne fit pas, bien sûr. Elle fut envoyée à la maison d’arrêt d’Auxerre et confinée au secret dans une cellule en attendant d’être jugée – attente de six mois – par le tribunal d’une cour spéciale créée pour juger politiques et syndicalistes. Dans cette affaire, treize personnes furent concernées.


Bientôt, Lucienne se rend compte qu’elle est enceinte, ce qu’elle réussit à faire savoir à son ami Jules qu’elle n’a pas pu revoir ; mais hélas le 13 janvier 1942, celui-ci est désigné comme otage pour le meurtre d’un Allemand à Dijon, puis fusillé.

Alors qu’elle est enceinte de six mois, Lucienne est transférée à Paris à la prison de la Petite Roquette ; elle n’est plus isolée, mais se retrouve avec d’autres politiques, et aussi des prisonniers de droit commun. Elles sont surveillées par une religieuse fort sympathique, sœur Joséphina. Elles organisent leur vie en faisant des lectures à haute voix, en disant des poèmes ; elles protestent aussi contre la mauvaise nourriture. Gare à celles qu’elles considèrent comme des traîtres et qu’elles mettent à l’index.

En mars 1942, Lucienne est conduite au Palais de Justice de Paris pour y être jugée. Elle refuse l’aide d’un avocat comme le lui proposait son père, arguant qu’étant prisonnière politique cela ne servirait à rien ; on lui en donne un d’office, qui ne peut empêcher qu’elle soit condamnée à une lourde peine malgré son état: cinq ans de travaux forcés pour reconstitution de ligues dissoutes. Elle refuse d’aller à la prison de Fresnes où il y a une maternité pour ne pas se séparer de ses copines, avec qui elle est transférée à Rennes.

A Rennes, il n’y a pas de cellules ; la vie se déroule dans un grand hall, qui fut l’atelier de confection de la prison avant la guerre. Comme à la Petite Roquette, les détenues font des séances de lecture et même d’alphabétisation ; elles n’hésitent pas non plus à se révolter devant l’attitude machiavélique d’une surveillante. Par exemple : elles n’avaient pas le droit de porter des vêtements civils ; or, l’une d’elles reçut une jupe que la surveillante découvrit et déchira aussitôt : cela provoqua une révolte.


Quand les premières douleurs arrivèrent, Lucienne n’avait jamais consulté de médecin. Elle est conduite de nuit à la maternité Pontchaillou alors réservée aux prostituées et aux détenues.

En arrivant, une infirmière lui propose des vêtements plus « corrects » mais Lucienne refuse de changer ses vêtements de prisonnière politique, statut que le personnel ignore : elle ne veut jamais plier ou se renier. Le 13 mai 1942, la naissance se passe bien. Juliette est une belle petite fille, mais elle pousse mal ; c’est pourquoi Lucienne réussit à rester trois semaines au lieu des douze jours prévus, ce qui permet au bébé et la maman de se requinquer un peu. De retour à la prison, Lucienne et Juliette se retrouvent au quartier des nourrices ; il y a sept mamans et leurs bébés dont l’une, Line, deviendra sa sœur de déportation, avec son fils, « le p’tit Jo », d’un an plus âgé que Juliette. Ce quartier était dirigé par deux « droit commun », condamnées comme criminelles, You-You et Mélie. Cela donnait le frisson de confier ces petits à cette sorte de femmes ; en fait celles-ci se prirent d’affection pour les bébés et firent tout ce qu’elles purent pour leur rendre la vie la plus douce possible. Ainsi deux ans passent, un projet d’évasion n’a pas le temps de se réaliser, car un beau jour le directeur de la prison leur dit de préparer leurs affaires et de prévenir leurs parents de venir chercher les petits. On n’arrive pas à joindre les grands-parents, le temps est trop court, alors Lucienne et Line, encore naïves, décident d’emmener leurs enfants. Elles en sont dissuadées par les surveillantes, qui promettent de s’en occuper. C’est donc la mort dans l’âme que Lucienne et son amie, profitant du sommeil des enfants, partent « en chantant une pauvre Marseillaise noyée dans les larmes » pour « crâner » devant les gardiens. Dans la cour où étaient installées des tables avec des registres, elles signent leur levée d’écrou et sont remises aux autorités allemandes.


La déportation.

Le 25 mai 1944, elles sont embarquées dans des camions allemands vers le centre de triage de Romainville et elles y ont le premier contact avec l’administration allemande. Un jour, Lucienne voit arriver dans la cour du camp un convoi, dans lequel elle reconnaît sa sœur Yvonne qui, elle, avait rejoint le groupe de résistants des Auberges de la Jeunesse et venait d’être arrêtée. Quelle joie et surtout quel ballon d’oxygène quand celle-ci lui apprend que Juliette est en sécurité chez leurs parents ! Elle n’en savait rien (c’était pourtant l’exacte vérité), et Lucienne est rassurée.

Puis c’est le départ pour l’Allemagne en wagon à bestiaux. Le premier arrêt est à Sarrebrück où, avec ses camarades, elle fait à nouveau, acte de résistance. En effet arrive un gardien avec un paquet de vêtements usagés et dégoûtants qu’il leur ordonne de découdre, ce qu’elles refusent de faire en raison de leur saleté. Mais le chef du camp leur dit qu’en tant que prisonnières politiques, elles ne sont pas protégées par la convention de Genève et qu’il a tous les droits sur elles.

De là, elles partent à nouveau pour une longue semaine pénible, en wagon à bestiaux, jour et nuit, pour le camp de Ravensbrück où elles sont mises en quarantaine, pour déterminer si elles sont aptes ou non au travail. C’est ainsi que Lucienne est envoyée près de Leipzig dans le commando des usines de guerre Hasag (vaste complexe métallurgique sur 32 km). Elle est affectée à la galvanoplastie des obus. Des douilles de fer devaient tourner successivement dans trois bacs chimiques pour être cuivrées, puis être contrôlées sous la surveillance d’une SS, l’Offizierin. Au bout de trois jours, le groupe des Françaises s’oppose déjà en refusant une prime de rendement proposée par la direction ; d’autre part, comme les détenues ne donnaient pas le bon rythme à la roue, les obus présentaient des défauts et étaient inutilisables : c’était du sabotage, une autre action de résistance qui, une fois, aurait pu tourner mal sans l’initiative d’un homme de la chaîne, un Russe semble-t-il, qui les sauva.


Dans les baraquements où les détenues dormaient entassées sur des châlits à étages, les conditions d’hygiène et de nourriture étaient épouvantables. A Sarrebrück, c’était une soupe d’herbes, à Ravensbrück, une soupe de légumes déshydratés, et pas toujours équitable, puisque la fille qui puisait dans le bouteillon versait à certaines le dessus liquide et à d’autres le fond plus consistant ; à cela s’ajoutait un bout de pain avec parfois de la margarine ou de la marmelade le soir ; le matin, une eau noirâtre servait de café. Les journées de travail : 12 heures de jour ou de nuit étaient encadrées par une heure d’appel. En coupant ces appels par une minute de silence, les détenues cherchaient à énerver les SS.


Malgré tout, c’est dans ces conditions de vie inhumaine que Lucienne a connu ses meilleurs moments de solidarité morale. Par exemple, en prélevant une petite portion de leur maigre ration, les détenues apportaient un petit supplément de nourriture aux amies malades qui étaient à l’infirmerie, tentant de les sauver. Et elles essayaient de se soutenir dans les pires moments pour ne pas sombrer dans le désespoir. Lucienne, en dernier ressort, pensait à sa fille.


Elles étaient coupées du monde extérieur. Néanmoins, elles réussissaient à avoir parfois des bribes d’informations par les filles qui allaient aux cuisines chercher les bouteillons de nourriture, ou par celles qui faisaient le ménage des bureaux ou encore par les nouvelles arrivantes. Elles apprirent ainsi que les troupes de libération encerclaient l’Allemagne.


La libération.

Un jour de mai 1945, les SS ouvrirent le camp et les firent toutes sortir puis marcher par groupes de cinq, sans arrêt possible, sans rien à boire ni à manger, et cela dura pendant dix jours, dans un rayon de 15 km. C’était atroce ; pour beaucoup ce fut vraiment

« la marche de la mort ». C’était par chance la période du colza, certaines purent donc en dérober des tiges, les sucer ou même manger de l’herbe. Usant de leurs dernières forces, Lucienne et ses quatre compagnes décidèrent de quitter la colonne et de s’évader ; mais cette première tentative échoua. Alors, il fallut ruser ; revenues dans le rang, elles ralentirent, se laissèrent dépasser pour se retrouver au dernier rang et, la nuit venue, elles se jetèrent dans le bas-côté de la route où elles restèrent cachées jusqu’au lendemain matin. Lucienne regrettait de ne pas avoir pu persuader sa sœur, déportée aussi à Ravensbrück, d’en faire autant. Au petit jour, elles virent au loin un camp de prisonniers, s’approchèrent et purent parler à deux prisonniers qui faisaient leurs courses. Ils leur donnèrent de la nourriture et des habits pour se changer. Elles continuèrent à marcher avec eux dans des conditions moins pénibles pendant deux à trois jours, jusqu’à ce que tous tombent sur des Américains qui distribuaient du chewing-gum sur la place d’un village du Mecklembourg au cœur de l’Allemagne. Tous apprirent ainsi leur libération.



Le retour

Avec ses camarades, Lucienne rejoignit un camp de rapatriement d’où elles repartirent vers la France dans les mêmes wagons de galère qu’à l’aller : dix jours de voyage, dix jours de souffrance aussi, durant lesquels beaucoup moururent encore, soit de faiblesse, soit de dysenterie pour avoir trop mangé d’un coup après des mois de dénutrition.


A Paris, Lucienne, comme les autres, est dirigée vers l’Hôtel Lutetia, où on les désinfecte, avant que des militaires ne leur fassent subir un interrogatoire sur les raisons et les conditions de leur déportation.

Après cette ultime épreuve, elle retrouve enfin le cocon familial : ses parents, sa petite Juliette, à qui chaque jour, son grand-père parlait de sa maman. C’est une chance que n’ont pas eue beaucoup d’anciens déportés qui ont trouvé à leur retour un climat d’incompréhension rendant plus difficile leur réadaptation à la vie normale.


Lucienne est l’une des premières adhérentes du CERN95, et tant qu’elle a eu toutes ses forces, elle a multiplié les témoignages et interventions.