Eric de Martimprey
IN MEMORIAM
II est difficile pour une maman d'écrire quelques lignes sur son fils sans paraître vouloir en faire un garçon exceptionnel. Ce n'est pas.ma pensée, je désire seulement rappeler les étapes d'une vie trop courte... sans heurt ni tumulte, qui s'ajoute à la lignée chevaleresque des MARTIMPREY, de VILLIERS de la NOUE, imprégnée de leur foi profonde, des belles traditions militaires d'honneur, de simplicité, de devoir <Pro fide pugnando ». (Devise des Martimprey.)
Eric est né à Pontoise, le 18 janvier 1923, baptisé le 24 janvier en l'église Notre-Dame de Pontoise.
C'est un magnifique bébé poussant comme un bel épi.
A 5 ans, première étape de sa vie par sa première communion avec Claude, en la Chapelle des Religieuses Auxiliatrices du Purgatoire à Lourdes. Communion suivie d'une consécration à la Sainte Vierge, dite avec toute son, âme devant la grotte.
Eric gardera toujours un culte pour Celle qui, nous le verrons, ne cessera de le protéger.
En 1929, commence sa vie de Collège : admirablement débuté par une institutrice primaire, Eric suit sans difficulté sa première classe, la huitième, au collège Saint-Martin de Pontoise dirigé par les Oratoriens, (Dès ces premières années de travail, il sait s'organiser : études et jeux ne se nuisent pas et jamais il n'est utile d'intervenir.
Tous les ans, la lecture, du palmarès terminant l'année scolaire — à l'ombre des grands arbres de Saint-Martin — est pour nous une réelle fierté tant Eric accumule les nominations — 1ers prix d'excellence, de narration, etc.
En dehors des heures de collège son foyer resté, pour lui son plus grand centre d'attraction. Aimant la solitude, le silence — souvent même au détriment de l'amabilité — une forte volonté s’affirme en lui avec générosité, droiture et pureté. Il rêve d'exploits -militaires qui, sans précision, s'élevaient davantage « Tel « ce chevalier mourant, dépeint-il dans une de ses narrations, allant chercher plus haut un amour plus idéal »...
Les sports ne le séduisent pas. L'équitation seule aura toutes ses faveurs. Il peut réaliser pleinement cet attrait par l'amabilité des Colonels et Officiers du 5è cuirassiers et 1er dragons portés prêtant leur chevaux et donnant l'autorisation de franchir les obstacles les plus variés.
Plus tard, il se passionne avec succès pour l'escrime.
Ses études ont un but qui n'a jamais varié : Saint Cyr, c'est l'étoile qui oriente toutes ses activités, car il ne comprend la vie militaire qu'en y entrant par la « grande porte ».
Son goût du silence s'affirme, se concrétise; méditatif, vibrant, il ne pouvait manquer d'être sensible à l'appel du désert et de la solitude. Le Sahara...servir en Afrique. On devinait que moine ou soldat c'est là-bas seulement qu'il apaiserait son appétit de grandeur.
Les murs de sa chambre sont recouverts de photos du désert, de reproductions militaires, « Je serai officier et moine », redit-il souvent sans cependant aucune autre manifestation extérieure de piété.
La période des examens succède à ces quelques années coupées de vacances à la montagne, à la mer, en Angleterre où l'originalité d'Eric se développe avec tant de charme et de souplesse en toutes circonstances.
Reçu au bachot à 15 ans, — II entre en math élem ; quelques jours avant cet examen — qu'il redoute — il décide de passer la philosophie — décision rapide et audacieuse... enfin, avec l'aide de Claude, qui lui résume les textes et citations, et la part de chance envisagée, il est reçu en philosophie avec mention et refusé en math-élem...
Après ces examens, avant de s'orienter vers les grandes écoles, Saint Martin conduit ses élèves faire une retraite dans des centres religieux unissant l'ambiance à la beauté du site.
En mai 1930, Eric .part avec ses camarades pour l'Abbaye de Clervaux (Luxembourg) et dans cette atmosphère de recueillement se retrouve profondément en Dieu. D'une façon brève et concise, il note ce qu'il veut faire... laissons-le parler.
D'abord, il prie « Mon Dieu, donnez-moi la lumière » (elle lui est accordée) « Votre grandeur infinie, Dieu, créateur de l'infiniment grand et de infiniment petit — Bonté infinie ! Et mon orgueil qui m'empêche de ployer le genou ! est-il ridicule... et mes -péchés ! Ingratitude, sont-ils énormes !... Mon Dieu donnez-moi de ne jamais oublier cette infinie disproportion. Ma première vraie prière des Litanies du Sacré-Cœur, Seigneur ayez pitié. Cœur de Jésus, d'une infinie Majesté mais salut de ceux qui espèrent en Vous, ayez pitié de nous ».
Puis il entrevoit l'idéal ; « il faut vivre avec Jésus et en Jésus Il n'y a que cela qui compte, mettre tout mon amour, tout en Lui, ne rien lui préférer et m'attacher toujours à Lui ressembler »..
Suivent les résolutions : « Mon Dieu, je ne veux plus me contenter de faire le catholicisme nécessaire au salut, il ne me suffit plus d'appliquer vos commandements quoique j'en sois encore bien incapable, non, je veux .prendre ma croix, vous suivre ».
«Prendre ma croix accepter avec joie votre sainte volonté, joie comme peine. Vous suivre m'appliquer à Vous connaître et à vous imiter; réprimer mon orgueil, mon amour propre et si cela me peine d'abdiquer toute personnalité, me réfugier dans votre amour ».
« Oui, je veux poursuivre cette retraite en faisant première et, plus grande la part de Dieu •».
En 1940, seconde .retraite à la Trappe de Mortagne.
Réalise-t-il lui-même ses aspirations profondes ne lisant aucun livre de spiritualité, hors de temps en temps, quelques pages d'Evangile ou d'Imitation de Jésus-Christ ?
Une patrouille de routiers se forme à Saint-Martin. Eric qui jusqu'alors n'était pas attiré par le scoutisme y voit là le moyen de réaliser un peu son idéal ascétique et apostolique.
Tente et sac de couchage au dos, il part camper avec quelques .camarades, la saison le laisse indifférent et il fait l’une de ces randonnées avec 10 degrés au-dessous de zéro. Sa belle santé résiste à tout et son âme s'enrichit en essayant de se donner, de faire monter ses équipiers. Il écrit à l'issue d'une réunion de patrouille :
« D'abord, remercier Dieu pour la bonté réelle qu'il me. Montre ; Dieu est avec moi — sûr — il n'y a qu'à voir comme tout a bien marché même au point de vue physique, scolaire, et maintenant, cette grande grâce du mouvement routier.. En profiter pour s'élever, haïr la médiocrité; le Paradis est pour les violents, faire tout avec énergie... »
II se fixe quelques points pratiques d'apostolat, de travail, de silence.
Il voit les choses extrêmement simplement et marche tout droit; un épisode fera davantage ressortir ce caractère :
Appréciant au cinéma les films documentaires, Eric eut l’occasion d'en voir un sur l'Afrique, le désert — sa terre d'élection — cette représentation était suivie d'un film de goût douteux et grossier; avant le début, tranquillement, il quitte la salle, ses camarades, leur déclarant n'avoir aucun plaisir à regarder ce film.
Joli geste défiant tout respect humain et mettant bien en valeur sa haute tenue morale.
Saint Martin organise les cours de Saint Cyr : une corniche-de huit élèves débute en 1940, Eric demande au Général Détroyat — autrefois colonel à Pontoise — de baptiser cette corniche « Bournazel ». (Discours, chants, splendides galettes font- les frais d'une journée qui compte parmi les plus belles de sa vie d'étudiant (27 avril 1940).
De ce jour retentit à la maison le chant légendaire des « Cyrads-, « la Galette ». Le calot chargé d'emblèmes, crânement posé, ne quitte plus la tête d'Eric.
(Actuellement ce calot reste pour nous une précieuse relique.}
Les événements se précipitent : la guerre, avec toutes ses douloureuses séparations, commence ses ravages.
René nous quitte pour prendre le commandement du dépôt de remonte à Saint-Germain-en-Laye.
Eric devient l'homme du foyer dont la maturité rend les avis précieux. Les effroyables bombardements de Pontoise ne peuvent troubler son calme, son sang froid, ses études, entre autres celle de l'allemand, aidé de l'Assimil (disques et livres). Sa constance vient à bout de toutes les difficultés et lui a permis de se défendre admirablement en allemand à Saint Cloud.
Le triste exode commence, lamentable défilé d'une armée en déroute qui horrifie Eric. La gare est transformée en centre d'accueil pour les réfugiés du Nord qui déferlent. Claude aide à l'organisation d'une petite infirmerie où elle passera ses journées. Eric prend son service de nuit, circulant sur les quais pour ravitailler les trains de réfugiés qui se succèdent sans arrêt, nous confirmant les terribles nouvelles.
Notre heure a sonné : il faut évacuer, la ville pouvant se trouver coupée par sa situation géographique et les bombardements devenant de plus en plus violents et fréquents...
Les décisions s'imposent Le 8 juin 1940 dès 5 heures du matin, Eric charge les bagages sur l'auto : malles, bicyclettes, colis de toutes formes s'entassent. Le volant bien en mains notre excellent chauffeur nous pilote pour faire un premier arrêt à Saint Germain où nous retrouvons René que nous pouvons embrasser. Quelques heures après notre départ de Pontoise, un bombardement terrifiant détruisait des immeubles sur la place de la gare, faisant de nombreuses victimes.
De Saint Germain, nous reprenons notre route pour Royan par Courteilles, près Verneuil sur Avre chez ma sœur de Selle de Beauchamp où nous faisons un court arrêt.
Sans accroc, sous un chargement faisant plier les essieux de notre parfaite 7 chevaux Citroën, filant dans l'encombrement des routes, nous arrivons chez ma sœur des Courtis à Royan.
Malgré les petites dimensions de sa villa, elle nous offre une hospitalité si complète, si affectueuse, que ce fut un rayon de soleil au milieu de tant d'horreurs.
Dès l'arrivée, notre chauffeur prévoyant fait le plein d'essence et met en lieu sûr notre auto-roulotte. Cette corvée terminée, un tambourinage énergique lui apprend que l'examen de math-é!em se passe dès le lendemain au lycée de la Forêt. Eric veut tenter sa chance, appuyée sur sa mémoire. Il passe l'examen où il est reçu avec mention.
Il prend des gardes à la gare de Royan, mais ce ne fut pas un long service, les Allemands arrivant peu de temps après nous. Les bombardements s'intensifient ! L'affolement à Royan tourne à la panique, les rumeurs les plus sinistres circulent. Eric conserve le plus grand calme ; son cran est un vrai réconfort.
Nous décidons de rentrer rapidement à Pontoise. Les ponts coupés sur la Seine arrêtent notre élan ; nous entendons des nouvelles troublantes, Pontoise serait détruite... Eric enlève sa bicyclette juchée sur l'auto et part sur les lieux (100 kms. dans son après-midi) constater les dégâts : Notre-Dame, notre paroisse et les maisons qui l'entourent sont intactes. Le soir même nous sommes autorisés à passer le pont de fortune entre et pour les convois allemands. A dix heures du soir, nous reprenons contact avec notre cher foyer.
Dans quel état ! Plus de carreaux, poussière et suie recouvrant tous les meubles, mais rien n'y manque malgré la porte ouverte ! Notre quartier est encore inhabité : plus d'eau, plus de gaz, d'électricité.... Eric et Claude parent à toutes ces difficultés...
Les Eglises sont encore fermées : Saint-Maclou est affreusement mutilée. Avec beaucoup de difficultés, Monsieur l’Archiprêtre se procure quelques hosties et -peut enfin célébrer la Sainte Messe au milieu des décombres. Eric sert cette première Messe où monte vers le ciel toute notre reconnaissance pour avoir protégé notre exode et notre foyer.
La guerre se prolonge : La France, ruinée et occupée, semble dans une situation sans issue.
Eric a 18 ans, il voit la vie s'ouvrir devant lui, sent profondément ses responsabilités.
Tout en travaillant avec acharnement le concours de Saint-Cyr, il prie, pense beaucoup, cherche.... veut arriver à la parfaite maîtrise de lui même et pour cela ne ménage pas ses efforts. La vocation religieuse de Claude le frappe beaucoup : « Je voudrais fonder un ordre où on ne fasse que prier et se battre » dit-il quelque fois... Il se prépare ;
« Les vues de Dieu sur moi sont impénétrables, mais, où qu'il me mette, quoiqu'il fasse de moi, je dois en tout et partout faire son œuvre », note t’il encore.
Entre les études, Claude et Eric lisent beaucoup : livres de haute portée morale pour lecteurs avertis, philosophie, histoire, science ont leur préférence et suscitent entre eux des discussions passionnées qui animent d'une façon charmante nos repas de famille.
Quelques ouvrages sur les anciennes religions hindoues, les moines du Tibet enthousiasment Eric. Ces livres sont étudiés annotés discutés il voudrait imiter leur « ascèse », il ne parle plus que du « nirvana », l'absence du désir; il admire ce détachement, ce mépris, sans beaucoup de formes... des choses de la terre, et veut le transposer dans sa vie chrétienne.
Cependant des réseaux de résistance sous l'impulsion du Général de Gaulle se développent partout.
Eric devient un ardent résistant : un véritable arsenal de récupération s'organise aux heures de liberté avec une folle audace et j’ajouterais folle imprudence que nous nous en effrayons hélas trop tard !
Les filets de la Gestapo entourent nos garçons, se serrent de jour en jour davantage pour aboutir à l'effroyable drame.
Le 26 Décembre 1941, vers 7 heures du matin notre maison est cernée, envahie d'allemands venant arrêter Eric la 11e arrestation en quelques minutes.
Sa chambre subit une perquisition en règle pendant qu’il s’habille, gardé à vue.
Rapidement la police allemande l'entraîne et il quittait la maison pour toujours....
Sa présence -reste près de nous !
Après des journées d'attente sur le sort de ces onze victimes de la Gestapo, nous apprenons leur internement à Fresnes.
Triste fête de Noël !
Le 16 Janvier 1942, jugement à. Saint-Cloud, dans une somptueuse villa réquisitionnée par le tribunal militaire allemand. Dès l'aube, un camion y conduit nos chers prisonniers ; je reconnais la mince et grande silhouette d'Eric sautant de ce camion. Nos cœurs s'appellent et se rejoignent...
Minutes poignantes... je suis vite refoulée ; seuls les chers -amis venus avec moi peuvent pénétrer comme témoins; la jeune et charmante Vicomtesse B de Beaurepaire-Louvagny, ne craignant pas d'affronter les tribunaux allemands et deux professeurs de Saint-Martin, Monsieur Reynaud et Monsieur Chauvin.
Une suspension de ce tragique jugement permet de ravitailler nos pauvres garçons qui n'avaient rien mangé depuis la veille...
J'ai l'autorisation d'apercevoir Eric, de l'embrasser... Quel bonheur pour lui de serrer .la main à ses chers professeurs. Mais son cœur très aimant souffre de la souffrance de ceux qu'il aime. « II y .a vraiment des moments où l'on voudrait être orphelin », ne peut il s'empêcher de murmurer...
Son avocat, M* Stoeber, me dit son admiration pour la façon remarquable dont il s'est défendu et a voulu défendre ses camarades ce qui lui a valu la demande d'acquittement du Général Von Zeleman.
La séance reprend, je me réfugie à l'Eglise de Saint-Cloud. A 9 heures du soir seulement les sentences sont rendues.
Pour Eric et l'un d'entre-eux, c'est l'acquittement sans libération immédiate. Hélas, 3 condamnations à mort, plusieurs années de forteresse sont le bilan de cette sinistre journée !
Eric, en -sortant, me demande de porter l'argent destiné à ses étrennes à la mère d'un condamné à mort son soutien.
Bousculés par la Gestapo, il faut partir vite, nos prisonniers montent dans leur camion à peine garantis de la neige qui ajoute encore une note plus lugubre à la consternation.
Dans la nuit, ils s'éloignent, trouvant le courage de chanter quand la mort les frôle !
Ces heures, ces journées sont affreusement douloureuses à noter, mais j'irai jusqu'au bout... Eric me donne un tel exemple ! Claude, dans ses lettres, m'encourage également « Je comprends que ce travail vous soit douloureux, mais n'est-ce pas une paix, une joie même, de penser que toutes les richesses que le Bon Dieu avait mises en lui se sont transformées directement en sainteté par des moyens forts et pour cela si rapides.... ».
A Fresnes, les jours passent, les condamnés à mort sont exécutés. Un autre fusillé comme otage. Eric ne retrouve pas la liberté, les jugements étant cassés.
C'est cependant avec le sourire et un optimisme inébranlable que nous le revoyons en prison, enfermé pour la circonstance dans une cage grillagée, séparés par un interprète.
En Avril 1942, je le revois derrière ces grilles, très pâle, souffrant de la faim, malgré la- valise que nous lui portions toutes les semaines mais dont le contenu était sans doute allégé avant de lui arriver. Il me félicitait de mon courage, cherchait à me donner confiance... Mon sourire refoulait des larmes...
L'interprète un peu ému après cette- entrevue, toujours très courte, la dernière ! me conduit dans un couloir où Eric passait pour remonter dans sa cellule. Ce fut notre dernier baiser, notre adieu sur la terre !...
Que ce passe-t-il alors dans cette âme très pure déjà tant travaillée par la grâce ? Quel est le secret de sa force, de son courage qui ne se dément pas ? Quelques lettres, conversations, passages soulignés dans son « Imitation, » permettent de l'entrevoir.
Dans ses lettres, souvent envoyées clandestinement, je note ces lignes : « Ne croyez pas que le temps passé en prison soit « perdu pour la préparation de mon avenir. Je ne parle pas seulement du travail accompli tant intellectuel que moral. La prison (politique) est, je crois, une bonne école de virilité et d'honneur »...
« L'Aumônier m'apporte la Communion chaque Vendredi. Ma sanctification progresse aussi. Fresnes comptera pour moi au même titre que la Trappe ou Clervaux...».
« Je travaille méthodiquement et un horaire si bien équilibré rend l'ennui impossible. Le travail déjà fait s'amoncelle et, le temps passe si vite que j'ai rarement fini le soir le programme fixé 1e matin... ».
« Cette année de perdue, la tristesse que peut vous causer cette séparation l’égoïsme auquel je suis forcé alors que je pourrais vous être utile à la maison, telles sont mes seules pensées désagréables. Par ailleurs, santé magnifique, moral au plus haut, temps utilement employé; vous le voyez, la vie est belle ! ».
Et dans son Imitation, ces passages soulignés :
«Vanité des vanité, tout n'est que vanité, hors Dieu seu1 ».
«L'homme est un exilé... élève ton cœur à l'Amour des choses invisibles... Que notre principale étude soit de méditer la vie de Jésus-Christ.... ».
Dans sa cellule de Fresnes, Eric est seul en face de Dieu. Il semble alors prendre vivement conscience des grandes réalités surnaturelles, trop souvent obscurcies, pour beaucoup, par les choses sensibles qui les entourent.
Un minuscule billet caché par Claude dans les provisions apportées chaque semaine veut joindre le réconfort moral au réconfort matériel : « Pense au Purgatoire, c'est aussi une prison ». Huit jours après, un autre minuscule billet apporte la réponse ; « Prison plus -confortable que le Purgatoire, malgré les Auxiliatrices »... Nous tentons de lui écrire directement par la poste : « Tu .as enfin trouvé ton -désert à la seule petite différence des vastes horizons. que la Sainte Vierge soit pour toi le réconfort...la douceur, tout ce que nous- ne pouvons te donner, nous l'en supplions. »
La lettre arrive, elle est comprise, déclarée «sympathique», ce qui est tout dire pour le grand garçon très timide lorsqu'il s'agit de dévoiler ses sentiments- profonds.
Voici la réponse : « Merci pour vos intercessions auprès de la Très Sainte Vierge, je ne crois pas exagérer en disant que sa protection se manifeste pour moi dans les plus petits détails. C'est la meilleure raison de ma confiance qui est totale ».
Mais on ne peut rester ainsi devant Dieu sans se voir très très peu de choses. D'absolu, d'entier, d'assez sûr de lui même, Eric, dans sa solitude, se comprend incapable d'aucun bien. Il y trouve la paix en mettant toute son espérance en Dieu. Cependant, sa fière nature lutte encore : ne pas pouvoir passer le concours de Saint-Cyr pour lequel il n'a cessé de travailler dans sa cellule est un « rude coup », écrit-il
De plus en plus, il s'abandonne à la divine volonté. II goûte alors une des joies les plus pures et les plus profondes d'ici-bas : celle de l'apostolat ; elle illumine ses traits tirés lorsqu’il peut nous annoncer qu'il a converti un des détenus de Pontoise, acquitté comme lui.
Il l'instruit pendant les corvées en prison, le baptême est décidé à la sortie de Fresnes....
(Jean S.... déporté en Allemagne, y a -été baptisé par un Prêtre belge, quelques jours avant de mourir d'épuisement et celui qui se désespérait dans sa cellule de Fresnes donnait comme dernier message à ses parents : « Je meurs dans la paix et la confiance d'être à Dieu » (Camp de Gross-Rosen, 3 Janvier 1945).
Un restaurateur de Paris partageant quelques jours la cellule d'Eric subit aussi le rayonnement de sa foi, se convertit et part en déportation le ciel dans l'âme (fusillé à Cologne).
Allant à Fresnes en Novembre 1942, nous apprenons qu'Eric est parti en déportation...
Ce fut alors le grand silence, l'impossibilité totale de découvrir le bagne où la mort faisait son œuvre.
Le froid, la faim, un travail extrêmement dur devaient rapidement détruire une santé magnifique, un organisme encore en pleine croissance..
Le 16 Mai 1945, un déporté de retour à Pontoise, m'apprend la mort d'Eric au Camp d'Hinzert... L'allure- étrange de ce malheureux me fait douter de sa parole et je n'ose avertir René.
Quelques jours plus tard, le R.P. Duprey, Supérieur du Collège Saint-Martin me confirme la douloureuse réalité du décès d'Eric au pénitencier de Diez-sur-Lahn, certifié par un déporté libéré de cette prison de Diez.
Eric rendait sa belle âme à Dieu le 2 Septembre 1943, après avoir reçu les derniers sacrements.
Daigne la Très Sainte Vierge qu'il aimait tant, l'accueillir dans l'éternelle béatitude !
II a -été enterré avec les prières de l'Eglise -dans le Cimetière de Diez sur Lahn. La tombe, correctement entretenue par un prêtre Allemand, est surmontée d'une croix blanche avec l'inscription :MARTIMPREY Eric, né à Pontoise le 18-1-1923, mort en captivité le 2 Septembre 1943.
Cette effroyable tragédie termine le livre de notre foyer désormais vide, sans espoir de continuité sur cette terre.....
Malgré l'éloignement, Claude Mère Marie de l'Annonciation par son affection et sa foi, si rayonnante aussi, maintient dans l'espérance nos cœurs brisés.
C'est vers le ciel que nous regardons. Eric nous y attend. Magnificat !...
Comtesse René de MARTlIMPREY .
Pontoise 10 août 1946
Eric a reçu la médaille de la Résistance à titre posthume (journal officiel du 13 octobre 1946).
Une rue de Pontoise porte son nom, l'inauguration de la plaque a été célébrée à l'anniversaire de la Libération de la Ville par un discours suivi de la Marseillaise.
Institut Pasteur/ Paris, 8 octobre . .
Madame,
J'ai connu votre fils, Eric de Martimprey, à Hinzert, au début de l'année 1943.
Les quelques mois passés par lui dans ce camp relativement facile, ne lui ont pas été néfastes.
Bien entendu, c'était les rassemblements dans le froid, les baraques sans feu, la discipline avec injures et coups ; et aussi une infâme et brûlante nourriture à 'absorber dans un minimum de temps et le travail.
Eric, pendant une quinzaine, était l'un des misérables qui devaient traîner la charrette ou la pousser, 40 kil par jour, à peu près sans chaussures, sous les coups de fouet des SS qui faisaient trotter l'attelage de prisonniers.
Une blessure au pied, envenimée mais sans danger, me permit de le soustraire à ce meurtrier Kommando. Dès lors, votre fils, Madame, put bénéficier de « l’in diesnt » (repos au camp en chambre chaude). Sa plaie entretenue amoureusement lui valut une double- ration alimentaire et l'écart de tous travaux pénibles. Eric fut muté au Kommando Romika, où l’on ébarbait, assis, des rondelles de caoutchouc pour mines. Il travailla aussi à tresser des souliers en paille (de revêtement pour la Wermacht en Russie).
Excepté ce bobo utilitaire, l’état de mon jeune camarade n’était point trop déficient quelques kilos étaient perdus, mais la bonne amitié régnant dans un petit groupe auquel appartenait votre fils, lui permettait d'endurer la discipline du camp.
Tous ces jeunes gens, Madame, ne survivaient que par leurs espoirs et leur courage. Eric n'était pas le dernier à se montrer un homme. Tous avaient appris à ne pas se prendre au sérieux ; ils plaisantaient des souffrances inattendues. La règle de ces .premières années de camp consistait à se défendre de toute confidence; il fallait -rester soi, avec orgueil, pour ne pas faiblir.
Eric, votre fils, était vraiment très courageux. Nous l'aimions beaucoup.
Je l'ai perdu de vue, un transport l'ayant ôté de mon camp vers la mi 43. Moi-même ai erré de tous côtés. C'est vous, Madame, qui m'apprenez la disparition de ce jeune auquel nous tenions, que nous avions essayé d'aider.
Je regrette, Madame, de ne pas savoir mieux faire revivre tous ces détails que les mères désireraient connaitre et que peut-être il vaudrait mieux qu'elles ignorent.
Ce qu'il importe seul, c'est que vous les mères et nous les camarades, nous n'oublions pas les nôtres.
Je vous prie d'accepter, Madame, mes hommages respectueux.
CHABAUD
Fried JKneïp . . Johannisberg-/Rheingau
Aumônier Décembre le 28-46
Madame la Comtesse.
Je ne puis comprendre que vous n'ayez pas reçu la lettre que j'avais envoyée il y a du moins trois mois.
Je me souviens encore très bien de votre cher fils Eric.
Il était maigre et très grand.
Il était dans la cellule 1501 avec deux autres camarades qui le soignaient avec une grande tendresse. Eric était un des 250 NN prisonniers dont le nom ne fut pas nommé et dont la famille ne savait jamais où ils étaient. C'était un crime atroce.
Ces prisonniers étaient mes favoris. Je les visitais aussi souvent que possible et donnais la -communion tous les dimanches et aux jours de fêtes. Malgré la défense; je leur donnais aussi l'aide matérielle puisqu'ils étaient très affamés.
Me souvenant de ces jeunes, je suis touché de savoir avec quelle soumission ils acceptèrent la mort de la .main de Dieu.
Quelle consolation pour moi d'avoir fait tout ce que je pouvais. Notre Seigneur me dira un jour vous l'avez fait pour moi.
J'ai enterré le corps au cimetière de la ville de Diez d'après les cérémonies de l'Eglise, observant strictement que là tombe soit correspondante.
Que le bon Dieu donne sa consolation céleste à toutes les familles de ces pauvres prisonniers défunts Unis dans le Christ
votre
Fr. Kneip