Une jeune fille française dans la guerre 2

Des tracts dans les boites aux lettres

J’ai mis des tracts anti-allemands dans les boîtes aux lettres, tard le soir. Je n’ai fait cela que deux fois. J’ai dit à ma mère que, lorsque je mettais les tracts dans les boîtes aux lettres des collaborateurs, j’avais peur qu’ils me prennent le bras et qu’ils me disent : ah ! C’est toi qui fais cela ! Je n’avais pas peur des Allemands, je me disais que j’arriverai à me planquer. Maman m’a fait alors arrêter cette activité et a brûlé tous les tracts restants dans le feu. C’était sans doute le gars de la valise d’armes qui avait confié ces tracts à papa en lui demandant de les distribuer. J’ai fait cette distribution toute seule, en secret et je ne l’ai dit à personne. Mon père ne m’a pas aidé, il était déjà assez poussif et il n’aurait pas pu courir s’il avait vu les Allemands. Je n’ai pas lu les tracts avant de les distribuer parce qu’il fallait se dépêcher de le faire. Je n’ai pas eu la curiosité de les lire. Je savais que c’était anti-allemand et c’était tout.

Les évadés russes

La ligne Paris-Rambouillet a été bombardée et un train a déraillé à Trappes. Des prisonniers russes en ont profité pour s’enfuir. L’un d’entre eux, Warden, était dans un trou avec de la terre jusqu’à mi-corps. Ses camarades l’ont sorti de là. Ces Russes se sont cachés dans les fermes hollandaises de G.... Ces familles hollandaises étaient installées là depuis longtemps. Les Russes étaient torse nu quand ils se sont sauvés et les gens des fermes leur ont donné des vêtements. Ils étaient aussi nu-pieds et ont d’abord travaillé ainsi dans ces fermes, avant qu’on en leur procure des chaussures. Un des Russes était appelé Félix. Il avait des traces de coups de fouet dans le dos. Les copains nous ont dit de lui qu’il avait été docteur avant la guerre Maman m’avait envoyée travailler chez une des deux couturières de G..., pendant une semaine, et j’ai vu passer Félix parce que la ferme où il travaillait était à côté. Il était beau et n’avait pas de cheveux du tout. Lorsque sa chevelure frisée a repoussé il était curieusement moins beau. Il était jeune et était incapable de prononcer les gue. Les autres en avait peut parce qu’il était membre du parti [communiste]. IL est retourné à G... après la Libération, habillé en officier. Une dame du village, qui parlait le russe, m’avait dit qu’il était très intelligent et que Félix n’était pas son vrai nom.

Nous avons fait la connaissance de ces Russes qui sont sans doute venus faire réparer les chaussures de leurs maîtres, les fermiers, à la cordonnerie. Et maman a commencé à parler avec eux et les a invités.

Ces Russes étaient plutôt petits. Deux grands très costauds sont venus un jour d’un autre village. Ils ont chanté très fort des chansons russes et ils ont mangé à la maison. Quelques jours après, tard le soir, ils ont apporté un sac de patates pour nous remercier, sac qu’ils avaient dû piquer à leur fermier. Nous, on ne leur avait rien donné mais ils avaient été heureux d’avoir trouvé des gens sympas qui les avaient réunis, entre Russes. Ces deux Russes étaient de la région de Moscou contrairement aux autres. Warden était Géorgien et un autre était musulman turc. Warden me disait : quand nous rentrer en Russie, Staline dire : toi prisonnier, toi pas courageux et toi fusillé. Il était arrivé à parler un peu le français et c’est surtout lui qui parlait avec nous.

Les Allemands n’ont pas fait semble t-il de battue pour retrouver ces prisonniers échappés, qui étaient moins d’une dizaine, ils pensaient peut-être qu’ils avaient été tués pendant le bombardement du train.

Une panne de voiture

Un jour des gens nous ont demandé si on pouvait leur indiquer où ils pourraient trouver une chambre car leur voiture était tombée en panne et c’était bientôt l’heure du couvre-feu. Maman leur a proposé de dormir dans son lit et a même mis des draps neufs. Elle leur a dit que nous allions au bal et que nous y resterions toute la nuit, ils pouvaient donc profiter du lit. Elle n’a pas accepté qu’ils paient pour la nuit passée chez nous. Elle avait ses bons côtés. Elle était été très confiante car ces gens étaient restés seuls à la maison car papa gardait les voies. Ils auraient pu voler tout ce qu’ils voulaient.

Chez des paysans hollandais

A G... j’ai été mieux nourrie. On a cherché de la nourriture dans les fermes. Le fermier H T…, un hollandais, nous a dit : je vous donnerai des pommes de terre à condition que quelqu’un de chez vous vienne travailler à la ferme au moins une journée. C’est ainsi que je suis allée travailler chez eux ; On m’a envoyé arracher des pommes de terre. A cette époque je ne savais même pas comment poussaient les pommes de terre. J’en ai ramené quelques unes au fermier, dans un panier. Il a hurlé : c’est tout ! Il faut bêcher profondément, votre panier devrait être archi plein !

La fermière m’a alors donné un fer à repasser et une chemise, le travail le plus dur pour le repassage. C’était aussi la première fois que je faisais cela, papa repassait ses chemises lui –même. J’avais quinze ans, j’ai jauni le col ! La fermière n’était pas contente et a dit : ça ne sait rien faire !

J’ai mangé à table avec eux, à midi. C’était une grande table. J’étais suffoquée de voir la façon dont ils se conduisaient : ils avaient tous le nez sur leur serviette. Je n’avais jamais vu cela. Mes parents se conduisaient plus délicatement. Le matin s’était donc mal passé. L’après-midi on m’a envoyée travailler dans un champ de betteraves et j’ai travaillé avec le père et les fils dont Jean H.T. [dont elle est plus tard tombée amoureuse} qui alors ne s’occupait pas de moi. Faute d’alimentation je n’étais pas belle à ce moment là, j’avais grossi et j’avais un visage ingrat. J’étais plus belle à 14 ans ! Les fermiers ne m’ont pas reprise chez eux mais papa a quand même eu ses pommes de terre. J’ai trouvé qu’ils profitaient du fait que c’était la guerre et qu’ils jouaient aux maîtres.

Une meilleure alimentation

Comme je l’ai dit nous étions mieux nourris à G... qu’à Paris. Un jour, dans la capitale, on a eu pour tout repas, mon frère et moi, un kilo de navets seulement cuits dans de l’eau salée, et c’est tout… A G... on mangeait davantage de légumes, ceux qu’on se procurait chez les paysans et ceux qui poussaient au jardin. On ne consommait plus des rutabagas et des topinambours. On a également mangé des lapins de garenne.

Maman a fait aussi de l’élevage. Elle a mis des œufs à éclore dans le four et on a eu ainsi plusieurs poulettes. C... s’était pris d’amitié pour une des petites poulettes et avait demandé à maman de la tuer en dernier… La première poule que ma mère a tuée c’est celle là. Elle était sans doute jalouse et voulait que C... ne soit attaché qu’à elle. Mon frère n’a pas mangé de viande ce jour là. Il ne m’en a pas parlé parce qu’à ce moment là on vivait chacun dans notre sphère mais il en a certainement voulu à notre mère…. Elle élevait aussi quelques lapins mais les rats sont venus les dévorer et ma mère ne retrouvait que la fourrure, tout l’intérieur était mangé. Notre voisin, celui qui était Suisse, est venu avec son fusil et il a tué un rat qu’il a surpris dans le poulailler.

[Avant le débarquement et après les Alliés ont bombardé toutes les voies de communication du nord-ouest de la France pour gêner les déplacements des Allemands. Les voies ferrées et les gares ont été particulièrement visées. D’où 24 raids aériens alliés en Eure-et-Loir en juin 1944 et 42 raids du 1er au 15 août. Epernon et sa gare ont été sévèrement bombardés par les Alliés le 12 juin 1944, 21 personnes étant tuées.)

Fraises des bois et bombardement

De temps en temps passaient dans le ciel des nuées d’avions alliés. Cela me faisait penser à mon grand-père : tu sais, me disait-il, de temps en temps le ciel était tout noir autrefois car il passait des nuées de corbeaux qui s’arrêtaient dans les champs et qui mangeaient tout. Il fallait ressemer.

Ma mère m’a envoyée un jour chercher des fraises des bois avec mon petit frère. Je n’en avais pas du tout envie. Subitement, on a entendu la sirène au loin. On a levé la tête et on s’est aperçu que les avions alliés étaient en train de bombarder la gare d’Epernon. J’ai dit : c’est bien fait si notre mère s’inquiète, elle n’avait pas à nous envoyer cueillir des fraises des bois. Mon petit frère a répété tout cela à ma mère alors qu’il ne rapportait rien d’habitude. Maman m’a dit : quelle idiote, tu te rends compte du nombre de gens qui ont été tués.

Elle avait raison !

Tous les alentours de la gare d’Epernon avaient été aplatis par les bombes.

La venue du Maréchal Pétain

[Le Maréchal Pétain a fait un voyage dans le nord de la France en avril - mai 1944 avant que les Allemands ne le renvoient à Vichy. Il a été logé un moment au château de Voisins, une demeure construite près de Rambouillet entre 1903 et 1906 par un diplomate, le comte de Fels, à la place d’un ancien château.]

Château de Voisin, saint - Hilarion

Lorsque Pétain est venu loger près de chez nous on nous a dit qu’il fallait se faire tous inscrire à la mairie pour avoir droit à un laisser-passer. On nous a dit que Pétain était là et que nous en pouvions plus entrer et sortir du village comme avant.

Du coup des gendarmes sont venus assurer la protection de Pétain et se sont installés dans une maison vide placée juste à côté de la nôtre. Ils étaient quatre ou cinq. Tous les soirs nous écoutions maintenant Radio-Londres. Un des gendarmes est venu nous voir pour nous prévenir qu’un de ses collègues risquait de nous dénoncer aux autorités parce qu’on entendait notre radio dans la maison d’à côté. Il nous a conseillé de la mettre plus doucement de manière à ce qu’on n’entende plus rien. Vous savez, a t-il dit à mon père, nous ne sommes pas tous pareils. Certains parmi nous préviennent les personnes qui doivent être arrêtées pour qu’elles aient le temps de s’enfuir. Après il est revenu souvent, il est devenu un ami. Il devait rechercher un peu la vie de famille car si les siens n’habitaient pas loin il ne pouvait pas les voir comme il voulait.

Un jour Pétain est venu à la messe à G.... J’allais à la messe tous les dimanches mais ce jour là je n’y suis pas allée. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute parce que je ne voulais pas voir Pétain. Papa n’a jamais fait beaucoup de politique mais il était gaulliste et n’a jamais été pour Pétain.

[Une actualité cinématographique de l’époque montre Pétain traversant seul le cimetière qui est autour de l’église et se dirigeant vers l’entrée. C’est visiblement une mise en scène car il devait y avoir du monde pour venir voir le maréchal Pétain.]

Un autre dimanche je suis allée à la messe et on m’a montrée Madame Pétain qui était là. C’était une dame assez âgée qui faisait plein de grimaces, elle avait de nombreux tics. Je me suis dit : la pauvre, elle ne doit pas être bien dans sa peau.

Un jour j’avais vu un Allemand à la messe et je m’en étais étonnée. Ma mère m’a expliqué qu’il y avait des Allemands catholiques. Cet Allemand n’était venu qu’une seule fois. Il y avait beaucoup de monde le dimanche dans notre église et on chantait très fort le cantique “catholique et français toujours !”

Un spectacle macabre

[Dans la nuit du 2 au 3 juin 1944 un Halifax est tombé dans la forêt à Hermeray (6 morts , un rescapé sauté en parachute, 3 corps calcinés récupérés par les Allemands) un autre tombe à Emancé (6 morts).

Dans la nuit du 4 au 5 juillet 1944 un Lancaster s'ecrase à Emancé .

le 1er juillet 1944 un avion est abattu sur Poigny et un autre sur Epernon (7 morts).

le 3 juillet 1944 un avion Anglais est abattu sur Epernon, les 7 membres d'equipage de 19 à 24 ans reposent au cimetière d'Epernon]

Nous avons accompagné, ma cousine et moi, un des gendarmes qui était venu au village au moment de la visite de Pétain, celui qui nous avait prévenus. Il avait pour mission de repérer les endroits où les avions alliés étaient tombés pour qu’on puisse récupérer les morts. Il se déplaçait en voiture pour cela.

Quand nous sommes arrivés il y avait un avion en morceaux, il ne restait plus que l’avant de l’avion avec un corps sans tête. Nous ne nous sommes pas approchées. J’ai pensé que c’était très triste : quand on voyait un avion tombé on ne pensait pas au petit jeune qui les pilotait, un petit jeune de mon âge… Le gendarme a dit : ne restons pas là plus longtemps, la tête est quelque part, il faut que j’aille avertir les autorités… C’était un brave homme qui avait deux grands fils avec qui il faisait du vélo … On a appris plus tard qu’il y avait d’autres cadavres et que des gens, des jeunes disait-on, avaient volé les bagues des morts ce qui rendait plus compliqué leur identification.

Du débarquement à la Libération

L’époque du débarquement

Quand on a appris le débarquement on n’y croyait pas beaucoup, on se disait que peut - être les Alliés allaient être refoulés. On pensait que les Allemands étaient puissants et on se souvenait du débarquement de Dieppe qui avait échoué. On avait peur que cela recommence.

Je me souviens des nombreux tanks allemands qui montaient au front et qui de temps en temps s’arrêtaient dans notre village. On se disait qu’ils n’étaient pas fous car ils se camouflaient sous les superbes tilleuls qui bordaient et recouvraient la rue.

Papa a pris tous les meubles de la maison, après les avoir démontés, et il les a tous descendus à la cave. C’était une cave double. Il a mis des stères de bois devant les ouvertures pour protéger les meubles des éventuels bombardements. Avec les stères de bois on en voyait plus les ouvertures. C’était sans doute aussi une protection contre les voleurs. On a vécu quelque temps ainsi avec seulement une table et des chaises, on avait l’air vraiment pauvres.

Mon père avait aussi creusé, sans se faire aider de personne, une tranchée dans la jardin, en cas de bombardement nous aurions été nous y mettre à l’abri.

Dans un fossé

Nous étions allées, ma mère et moi, à un bal clandestin organisé dans une petite annexe du château du comte de Fels. Nous n’étions que quelques dizaines, surtout des jeunes. Ma mère était là aussi, avec une amie. Elle aimait danser et dansait d’ailleurs mieux que moi. Mon jeune frère était là aussi, avec un copain. Il ne dansait pas mais écoutait la musique et s’amusait. Nous sommes repartis avant la fin du couvre feu. C’était au petit matin et il commençait à faire jour. Cela se passait avant la Libération.

Nous sortons du bois et nous apercevons des Allemands, peut - être une patrouille. Je les ai aperçu et j’ai reculé en disant à mes copains : sauvez vous ! Les Allemands sont là ! J’étais devant avec maman et sa copine ainsi que mon frère et son ami. Les garçons ont vite fait demi-tour mais nous n’avons pas eu le temps de faire de même. Le commandant allemand nous a arrêtés et nous a fait fouiller. Evidemment, comme j’étais une jeune fille, on m’a fouillée d’un peu trop près…. Nous n’étions pas dangereux et le chef allemand nous a dit : vous ne devriez pas sortir à cette heure là, c’est défendu. Ne rentrez pas par la route car c’est interdit et surtout il peut y avoir des troupes qui descendent par là. Vous risquez de tomber sur plus méchants que nous. Des troupes montaient par là pour aller sur le Front de Normandie.

L’amie de maman, prudente, a dit qu’elle allait passer par la petite sente mais maman a fanfaronné : je n’ai pas peur, je passe par la route- ce qui pourtant lui avait été déconseillé- je ne risque rien.

Arrivés sur la route nous entendons un bruit infernal, c’étaient des tanks et des camions qui arrivaient. Maman a dit : oh ! Là ! Là ! J’ai fait une bêtise. Cachons nous dans le fossé. C’était un fossé profond. C... et son copain se sont précipités dedans et C... s’est fait mal en tombant sur une pierre et s’est mis à pleurer. Maman lui a dit : tais toi, tais toi ! S’ils nous entendent on va se faire fusiller. J’ai eu très peur. Je ne pensais pas à l’exécution mais au viol. Je me suis dit que comme nous étions des femmes, ma mère et moi, ils allaient nous violer Et comme nous avions de belles petites robes blanches j’ai pensé qu’ils nous avaient vues de loin.

La voiture de devant s’est arrêtée et les soldats du camion qui suivait sont descendus et sont venus uriner en haut du fossé. Le fossé était certes profond mais c’était le petit matin…. Nous retenions notre souffle sans bouger. Nous étions recroquevillés et nous les entendions parler et rire. Cela a duré un quart d’heure avant qu’ils ne repartent. La voiture de tête a donné le signal du départ et les camions et les tanks ont suivi. Nous étions soulagés. C... avait réussi à retenir ses larmes. Ma mère a regardé si la voie était libre et on est vite rentré à la maison….

L’embuscade allemande

[le 16 août des éléments de reconnaissance américains, partis de Chartres, sont tombés dans une embuscade allemande entre G... et Rambouillet. Les occupants d’une jeep ont été tués et ceux d’une autre jeep ont dû quitter leur véhicule en feu et utiliser un fossé pour revenir à G.... L’automitrailleuse qui les accompagnait a réussi à passer et après avoir circulé dangereusement dans Rambouillet elle a pris des routes secondaires pour se replier.]

Maman avait une amie, une réfugiée du Nord, qui venait chez nous prendre le café et bavarder. Cette amie parlait un peu anglais ce que j’ignorais. Les gens en face de chez nous criaient aux soldats américains qui venaient d’arriver en jeep : N’allez pas là - haut, dans la côte du Saut du loup, il y a les Allemands. Comme les Américains ne comprenaient pas cette dame s’est approchée d’eux et leur a dit la même chose en anglais. C’étaient nos premiers Américains et ils étaient en voiture découverte, en jeep. Ils ne nous ont pas écouté et après on a appris qu’ils ont été tués dans la côte. Leurs véhicules étaient au milieu de la rue et j’étais devant chez moi. Papa nous empêchait de nous approcher car ils avaient peur que l’on soit tué en cas d’attaque allemande. Les Allemands étaient encore à Rambouillet et leurs avions circulaient dans le ciel.

[ Le sergent Krinke était dans le second véhicule. Il saute rapidement à terre pour se mettre en position de riposter. Alors que le chauffeur tentait de faire demi-tour un obus atteignit la jeep. Le chauffeur fut blessé au pied et le troisième occupant éjecté par le choc. Les deux rescapés, sains et saufs, transportèrent le blessé dans un fossé. Les 3 hommes rampèrent jusqu’à la première maison de G.... Mlle Quero ouvrit et alla quérir l’aide de Mme L. (qui ne veut pas de publicité autour de son nom).

Agée d’une trentaine d’année à l’epoque Mme L. avait quelques notions de secourisme. Elle parvint à extraire l’éclat d’obus du pied. Les 3 soldats sont cachés dans la cave d’une maison voisine inhabitée. M ; Boutier, médecin à la retraite, finit de soigner les blessés. Mme Barbet la maîtresse d’école faisait office de traductrice. Le lendemain les Américains viennent récupérer leurs hommes. Mme L se souvient des armes pointées dans son dos en descendant à la cave, les américains redoutant un piège. »

« Le sergent Krinke revient a G... 55 ans plus tard et retrouve mme L. grâce aux recherche historique de Françoise Winieska , une Américaine résidant à Rambouillet et auteur de « Aout 44 La liberation de Rambouillet edité par la S.H.A.R.Y. » ]

Les Américains… et les Allemands arrivent

Tout le pays criait : voilà les Américains ! Ils arrivaient par la rue principale. Je suis sortie et j’ai pensé que leurs uniformes et leurs tanks ressemblaient à ceux des Allemands. Je n’étais pas très rassurée. On avait sorti un drapeau français que j’avais fait avec des vieux chiffons quand on a su qu’ils allaient arriver. Beaucoup de gens aveint fait de même et des drapeaux pendaient un peu partout. On restait silencieux en se demandant ce qui allait se passer.

A ce moment là les Allemands sont arrivés en face, ils descendaient la côte qui mène à Rambouillet. J’ai vu arriver les tanks allemands et j’ai eu peur, j’ai dit : mais ce sont les Allemands ! Je n’étais pas la seule à avoir vu leurs tanks. Nous avons tous vite retirés les drapeaux et nous sommes rentrés chez nous. IL n’y a heureusement pas eu de combat, les Américains se sont repliés et les Allemands sont repartis. Je sais que tout le monde était enfermé en attendant de voir ce qui allait se passer, on a attendu que les choses se passent mais il n’a eu aucun bruit de combat.

Plus tard des Américains sont à nouveau arrivés, ils sont descendus des tanks et un des Américains nous a demandé le drapeau que j’avais fait. Il était fait de vieux tissus et était tout troué. Cela me paraissait étrange qu’ils aient choisi mon drapeau. Papa a dit : cela ne fait rien, ils penseront que c’est à cause de la guerre qu’il est comme cela… A ce moment là on n’était pas encore très sûr que les Allemands ne reviennent pas…

Le passage de De Gaulle

[Le général De gaulle est arrivé à Rambouillet le 23 août 1944, après être passé par G.... Au château de Rambouillet il a rencontré Leclerc.]

Les gens se sont mis à crier : “Vive de Gaulle ! Vive de Gaulle !” Il y avait eu sans doute des véhicules qui étaient passés avant mais de Gaulle était dans une petite voiture ordinaire. Papa est apparu avec un bouquet de fleurs et cela m’a surpris car je ne savais pas où il était allé les chercher les fleurs. Il s’est précipité sur la voiture et il accroché les fleurs à l’avant, sans doute sur le pare-choc. J’étais présente et j’ai donc assisté à toute la scène : de Gaulle s’est penché pour voir ce que cet individu allait faire et quand, il a vu le bouquet, il a aussitôt rentré la tête à l’intérieur de la voiture. C’était la première fois de ma vie que je voyais de gaulle, je l’ai trouvé très sympathique parce qu’il nous libérait. J’ai trouvé plus tard, en regardant des photos de lui, qu’il faisait plus jeune au naturel. J’étais heureuse en le regardant et comme je n’avais aucune idée préconçue sur l’aspect qu’il devait avoir et je n’ai donc pas été déçue. … Les gens se précipitaient tous vers la voiture qui avançait lentement. A la maison, plus tard, mon père m’a dit : tu vois ce sont les mêmes gens qui acclamaient Pétain quand il est passé par G....

Les tontes de cheveux

A la Libération on a coupé les cheveux de certaines femmes, notamment l’épouse de l’italien. Je ne voyais pourtant pas d’Allemands venir chez eux et cela m’a fait mal au cœur. On a aussi tondu une femme qui avait fait le ménage dans un local occupé par les Allemands.

Dans une localité un peu plus loin on a tondu une mère de famille qui avait quatre enfants et qui venait d’accoucher d’un cinquième. Le père de ce dernier enfant était son amant allemand. Elle était mariée et l’Allemand était devenu l’ami de la famille : il apportait aux enfants des bonbons et des gâteaux et plein de choses qu’ils n’avaient jamais vues. C’était une famille très pauvre : le mari livrait du charbon l’hiver et était ouvrier agricole pendant la belle saison. Cette mère de famille a été aussi été mise en prison car des voisins ont dit qu’elle avait fait de la dénonciation. Elle ne savait ni lire ni écrire mais les gens ont affirmé qu’elle avait fait écrire les lettres de dénonciation par ses enfants. Je crois que c’était faux, c’était de la méchanceté….Ils ont ensuite quitté la région pour aller vivre en Alsace. Ce n’est pas à cause de la tonte des cheveux et de la prison qu’ils sont partis. Le mari qui a travaillé ensuite dans une porcherie vendait en douce des porcelets. Quand on s’en est aperçu il a été muté, on ne l’a pas puni sévèrement…

Des jeunes gens du village voulaient aussi couper les cheveux d’une jeune femme qui avait fait un peu de ménage pour les Allemands mais ils ne sont pas passés à l’acte parce qu’elle était en mauvaise santé à cette époque : tuberculeuse, elle était allongée dans un fauteuil. J’étais présente quand ils ont parlé de couper ses cheveux et j’ai dit qu’elle n’avait jamais rien fait de mal. Un garçon a alors dit : c’est à toi qu’on va couper les cheveux ! Je n’ai rien répondu mais quand je suis rentrée chez moi j’ai dit à maman que peut-être ils avaient appris que nous avions fait des filets pour les Allemands. Maman m’a dit que ce garçon plaisantait…

Ma mère m’a dit : si tu veux voir à qui on coupe les cheveux va te cacher chez notre voisine et tu regarderas derrière les rideaux. J’y suis allée car je voulais savoir à qui on coupait les cheveux. J’ai vu Jean H.T. qui enlevait les cheveux coupés d’une femme et qui faisait semblent de les renifler avec dégoût avant de les jeter par terre. Je lui ai dit plus tard que ce n’était pas bien ce qu’il avait fait ce jour là et qu’alors je ne l’avais pas trouvé beau. Je l’aimais déjà depuis un certain temps mais je ne le fréquentais pas encore. Je pensais que c’était le plus beau garçon du village et il l’était en réalité car toutes les filles étaient amoureuses de lui. Un jour je me suis dis : Mon Dieu ! Si seulement il pouvait me regarder et me faire une bise, cela me suffirait ……. Je l’ai fréquenté plus tard grâce aux bals de la Libération organisés pour les soldats Américains.

Les Américains n’étaient pas tous gentils

On avait l’habitude de serrer la main des soldats américains qui passaient. Une fois, un camion est passé avec des Américains. J’ai serré la main d’un soldat qui ne m’a pas lâché alors que le camion avançait. Je risquais de tomber et de me faire très mal. Heureusement un autre Américain lui a demandé d’arrêter et il m’a lâché la main. J’ai eu du mal à me redresser et je me suis dit que je ne serrerai plus jamais la main à un soldat américain. On idéalisait les Américains à cette époque et cela m’a un peu refroidie. Il y a des idiots partout…

Un sergent américain

Les Américains ont installé un camp militaire dans la côte entre G... et Rambouillet.

Un jour, ma cousine Paulette et moi, nous allions à Rambouillet et un sergent nous a fait signe dans cette côte de s’approcher de lui pour bavarder. Paulette lui a indiqué qu’elle parlait un peu l’anglais. Il nous a donné du chocolat et nous a demandé si nous allions revenir le lendemain. Paulette a dit perhaps et il n’a pas compris du tout ! Ma cousine n’était pas contente ! Je lui ai dit maybe et il a compris ! Paulette, en colère, m’a alors dit : tu parles anglais toi maintenant ? J’écoutais les cours d’anglais que l’on donnait à la radio et j’avais assimilé quelques mots pendant les bals.

Nous sommes revenues lui dire bonjour le lendemain. Comme il nous a donné des bonbons et du chocolat maman m’a demandé de lui apporter six œufs. Ce que j’ai fait le soir même. Il était content et m’a donné à nouveau du chocolat. Je lui ai alors dit : maman demande si vous avez soap (savon). Il est allé en chercher et je lui ai rendu son chocolat ; Il était étonné que je le lui rende et m’a dit de garder le tout ; Il est même parti rechercher d’autres savons. Je crois qu’il a fait cela parce que je n’étais pas une française qui essayait de le dévaliser. Il m’a raconté plus tard qu’une grosse fille était venue avec un carton et lui avait demandé de le remplir. Il l’avait alors chassée.

IL m’a demandé si ma mère pouvait laver et repasser son linge. J’ai dit que j’allais transmettre la demande, c’est comme cela que maman a lavé et que j’ai repassé le linge du sergent Lou. Comme il était content il est venu chez nous avec un grand carton de marchandises et il a demandé si on pouvait lui acheter du champagne. Maman m’a envoyée en acheter dans l’hôtel d’en face. Je lui ai donc apporté la bouteille. Plus tard il a voulu qu’on lui en rapporte à nouveau et a dit qu’il payerait. Maman n’a pas voulu que je retourne acheter du champagne. Je ne sais pas pourquoi, parfois elle était dure à comprendre…

Je suis revenu un soir alors qu’il n’y avait plus de clients dans la cordonnerie. C’est alors qu’il m’a demandé de laver et repasser le costume de son chef. Je n’ai fait cela que deux fois. J’apportais les vêtements sur un cintre. Un de ces deux fois, le sergent m’a dit d’aller les porter moi - même à son supérieur et celui - ci m’a offert un énorme cigare en disant : pour vous. J’ai répondu : Oh Non ! Pour papa ! Et les Américains qui étaient là ont ri. En échange de ce travail on me donnait des chocolats.

Le sergent m’a dit qu’il allait revenir après la guerre pour se marier avec moi mais tous les Américains disaient cela. Je ne l’ai pas pris au sérieux. Je lui ai dit qu’après la guerre je serai mariée et mère de deux garçons (Martha mariée et mère de two boys)…Il avait 29 ans et m’avait dit qu’il était pilote et travaillait à l’aéroport new - yorkais de la Guardia. Cela m’a étonné qu’il ne soit pas dans l’aviation mais il m’a répondu que c’était la guerre… Plus tard on a appris que ces Américains partaient occuper l’Allemagne.

Après la guerre, alors que j’étais mariée, ma mère m’a apportée une boîte de bonbons vide, en métal, pour y mettre mes billets de banque. Elle pensait qu’en cas d’incendie ils seraient protégés et ne brûleraient pas…J’ai lu sur l’étiquette que la boîte venait de la Guardia…. J’ai donc pensé qu’il était revenu à G.... Il m’avait dit que son métier allait l’amener à voyager.

Un jour ce sergent s’est énervé parce que je prenais des leçons d’anglais auprès de lui au lieu de tout simplement bavarder. Il a monté le ton et je lui ai dit Chut ! Il a été surpris car cela ressemble à l’anglais shut ! (ferme là !). Il a été surpris parce que j’étais habituellement polie et il m’a demandé si c’était une expression française.

Un jour que nous mangeons une tarte pour célébrer l’anniversaire de la tante Marie qui vivait dans le même village que nous il nous a expliqué qu’il vivait à New - York avec sa tante qui s’appelait aussi Marie. Nous sommes d’origine syrienne a t-il ajouté et ma tante parle beaucoup le français (ce qui n’était pas son cas). Il était brun, grand et costaud.

Bals, livres et noirs américains

A la Libération on a organisé des bals où les soldats américains venaient danser avec nous ; C’était surtout ma mère qui aimait danser, elle venait sous prétexte de me surveiller.

J’aimais aller au bal mais certains jours j’aurai préféré lire un bon livre. Ma grand- mère m’avait donné une petite bibliothèque pour jeune fille qui avait appartenu à sa fille Roberte. Je n’ai malheureusement pu lire que deux ouvrages car j’ai eu l’imprudence de dire à ma mère que j’avais lu le soir. Mama m’a alors dit : Tu uses de l’électricité pour rien ! Ce qui était évidemment faux car on avait un abonnement à prix fixe puisque papa était commerçant. Maman a donné tous mes livres à une copine, ainsi que d’autres qui étaient plus anciens et je j’aimais. Elle a aussi donné des gros livres de Bécassine. Par contre elle a gardé les livres pour garçon… Elle les a offert par la suite à ses petits - enfants, mes fils, et j’ai donc pu les récupérer mais c’était bien tard car leur contenu ne m’intéressait plus.

Pour aller au bal j’avais une robe bleue. Ma mère s’était fait faire une robe de bal et elle n’a pas pu faire autrement que de m’en faire faire une aussi. Elle a exigé que les deux robes aient la même forme. Comme cela on nous prendra pour deux sœurs, a t- elle dit. Un jour elle m’a affirmé que quelqu’un lui avait fait le compliment suivant : on dirait que tu es la fille et Léonie la mère ! J’ai répondu (vu la tête qu’elle avait) : de dos, bien sûr ! Elle m’a fait payer cette remarque. A la première occasion elle m’a flanquée une bonne volée.

Un cousin était venu nous voir et on l’avait amené au bal. Ce garçon avait combattu les Allemands en Italie et avait vu mourir son frère à côté de lui. Il m’a reproché d’avoir dansé avec un soldat noir américain. Il m’a dit : il ne faut pas danser avec ces gens là. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas refuser de danser avec un soldat qui avait risqué sa vie en libérant la France.

Une autre fois j’avais salué des soldats noirs américains qui m’avaient fait signe de loin et le sergent Lou en a été contrarié. Il m’a mis en garde : pas bon ! Jamais parler et faire amitié avec noirs ! C’étaient des noirs qui étaient en repos au nord de G.... Un jour l’un d’entre eux est rentré dans notre cordonnerie. Il a bavardé avec nous et nous a donné du chocolat. Il avait avec lui un lapin blanc qu’il nous a montré. On lui a dit qu’on allait manger le lapin et il a protesté : No ! No !

Cela me rappelle une autre histoire : des Américains étaient entrés dans notre boutique et comme il faisait froid je leur ai demandé de fermer la porte, en anglais. J’ai dit shut mais comme mon accent n’était pas bon les Américains ont entendu shit (merde) et ils se sont mis à rire tant qu’ils pouvaient. Plus j’essayais de prononcer le mort correctement, plus ils riaient. Je n’étais pas contente. Ils attendaient que je prononce bien le mot pour fermer la porte. La voisine qui parlait un peu l’anglais et qui venait souvent nous voir est heureusement entré à ce moment là et m’a expliqué que je leur disais : merde la porte, d’où leurs rires !

Le début d’une histoire d’amour

Mon histoire d’amour avec Jean H.T. a commencé dans une grande baraque qui servait de salle de bal. Quand je suis arrivé sur place il y avait peu de monde. Ce bal avait lieu pendant la journée et ma mère n’était pas avec moi. Un petit jeune était venu à cheval, un gros cheval de ferme. Je me suis étonnée : mince, vous êtes venu à cheval ! Il m’a expliqué qu’il passait ses vacances dans les fermes et il ajouté : j’habite et travaille à Paris mais j’aime bien les chevaux. Je lui ai alors dit : j’aimerais bien savoir monter à cheval. Il m’a alors fait la courte échelle et je suis monté sur son animal, étant sur le dos d’un cheval pour la première et dernière fois de ma vie. Je lui ai ensuite posé une question : que feriez-vous si le cheval partait avec moi ? Il a simplement ri de bon cœur….

Quand je suis redescendu il m’a demandé une bise pour sa peine. J’ai tendu la joue et il m’a donc fait une grosse bise. Je suis ensuite rentrée dans la sale de bal et je me suis assise en écoutant la musique. Il n’y avait que peu de danseurs. Tout un coup j’ai aperçu Jean H.T. sur le côté, il était seul. Il avait l’allure d’un homme car il y avait vingt-sept ans et moi seulement dix-huit. C’était un grand garçon, costaud et avec les cheveux blonds frisés. Il ne bougeait pas, il était assis tranquillement. J’attendais peut-être qu’il vienne m’inviter à danser. Il était là sans danser et j’espérais qu’il viendrait. On ne vivait pas dans le même monde et je ne le connaissais que de loin tout en l’aimant….

Je me suis finalement levée et je suis sortie de la salle de bal. Dehors, j’ai versé des larmes parce qu’il m’avait regardée et qu’il ne s’était rien passé d’autre. Le petit jeune homme avec le cheval s’est approché de moi et m’a parlé : vous êtes malheureuse, vous n’êtes pas très heureuse chez vous. Si vous voulez vous pouvez venir avec moi et laisser tomber vos parents. J’ai une belle petite chambre à Paris, on serait heureux tous les deux. J’ai affirmé que je n’étais pas malheureuse, je n’allais pas lui raconter ma vie !

Je suis ensuite revenue à la salle de bal et je me suis assise à la même place. Jean H.T. s’est alors levé et s’est assis à côté de moi. Il a penché sa tête vers moi et m’a fait une bise sur la joue (celle que j’avais demandée au Bon Dieu…), son grand nez rencontrant le mien. Il m’a invité à danser, ce que nous avons fait. Il avait sans doute remarqué que j’avais pleuré.

Pendant que nous dansions je lui ai dit : vous êtes grand et vous faites de grands pas, quand vous dansez vous devez faire de tout petits pas. Il m’a écouté et je l’ai complimenté : ça y est, comme cela vous dansez bien. Nous avons fait plusieurs danses puis il proposé que nous sortions prendre l’air car il faisait chaud dans la salle. Nous sommes allés au bord de l’étang qui était proche de la salle de bal et là il m’a embrassé deux ou trois gentiment, sur la joue. Il ne me faisait pas peur. Une superbe bagnole est arrivée avec des gars qui venaient pour danser. J’ai dit : elle est toute neuve cette voiture, et il m’a regardé en me posant la question suivante : et vous ? Vous êtes toute neuve ? Je lui ai répondu : oui, moi aussi. Il ne maîtrisait pas bien le français et disait des chevals et un fille. Par ma réponse il a compris que j’étais une fille sérieuse.

Nous sommes retournés danser et il m’a donnée rendez-vous pour les bals suivants. J’étais évidement très heureuse et j’ai dit à maman que j’avais dansé avec lui. J’étais très franche et je lui disais tout. De toute façon si je ne disais rien elle me tirait les vers du nez et me faisait recommencer tout mon récit quand j’avais changé un seul mot, comme si j’étais interrogée par la police. Je préférais donc tout lui dire, tout de suite.

Une histoire d’amour qui se termine mal

Pour le bal suivant, Jean H.T. est venu me chercher à la maison. Ensuite il n’est pas venu uniquement pour les bals mais aussi pour des promener ou aller aux fêtes. Cela finissait en bavardages, à l’ombre des arbres. Il m’embrassait gentiment, pas comme les baisers vulgaires de maintenant. On parlait de notre vie mais je ne lui disais pas tout.

Chaque fois que l’on rencontrait des filles, minces et jolies, il disait : celle là je l’ai vue toute nue, celle là je sais comment elle est faite, j’ai couché avec celle- ci… Je l’ai sermonné : ce n’est pas bien ce que vous dites, vous salissez les files qui vous ont donné du plaisir et, quand vous serez marié, vous parlerez encore de cela à votre femme. Elle dira : quel drôle de mari j’ai épousé, il a couché avec toutes les filles du pays. Il riait de bon cœur ; C’était Jean qui rit alors que mon futur mari, Jean B…, c’était Jean qui pleure… Je lui ai fait beaucoup la morale et cela le faisait toujours rire.

Une fois il m’a dit qu’il n’aimait pas les chats. Citant un proverbe je lui ai dit : vous serez alors battu par votre femme. Il a fait : Oh ! Oh !... j’ai alors ajouté : mais ce ne sera peut - être pas moi votre femme. J’étais heureuse de le fréquenter mais je pensais que cela n’irai pas très loin. Je n’étais pas faite pour lui, je n’étais pas assez riche (sa famille avait 40 vaches). Il m’avait aussi dit qu’il ne pourrait pas vivre ailleurs qu’à la ferme, qu’il ne pouvait pas respirer en dehors de la campagne et qu’il ne pouvait être que paysan. Ce jour là j’ai compris qu’il n’y avait rien de possible entre nous deux.

Je lui avis fait comprendre que je me réservais pour celui que j’allais épouser un jour et il n’a jamais essayé d’aller plus loin que de m’embrasser gentiment.

Cela a duré trois mois et au bout de deux mois je me suis dit : qu’est - ce que je suis heureuse mais cela ne va pas durer.

La dernière soirée que nous avons passée ensemble ma mère nous avait permis d’aller à Rambouillet, au cinéma, et de rentrer à minuit. Après le film nous sommes rentrés par le parc du château et nous nous sommes assis sur l’herbe. C’était l’été. Il m’a montré la photo de sa maman et il a pleuré. Sa mère avait dû les quitter quand son père avait fait un enfant à la fille de ferme. Je lui ai dit : quand vous serez dans votre ferme vous pourrez prendre votre maman chez vous, elle sera heureuse et vous aussi… Il n’avait pas pensé à cela ! Il m’a alors dit qu’il viendrait le lendemain matin me demander en mariage et qu’il allait faire tout son possible, une fois rentré chez lui, pour ses parents disent oui.

Lorsque je suis rentrée ma mère m’a fait tout raconter. Il y a eu sans doute un brin de jalousie chez elle car j’avais évoquée l’idée de prendre la mère de Jean avec nous. Elle m’a alors dit d’aller chercher du papier, une plume et de l’encre et elle m’a fait écrire une lettre de rupture. J’ai commencé à écrire en anglais tellement j’étais émue, quelques mots seulement… J’ai déchiré la feuille et j’en ai pris une autre. J’ai deviné ce que ma mère allait me faire écrire et j’ai pensé qu’elle avait raison. Elle m’a dictée à peu près ceci : Mon cher Jean, je suis désolée mais nous en sommes pas faits l’un pour l’autre, c’est impossible : Vous êtes protestant et je suis catholique, vous êtes hollandais et je suis française, vous êtes fermier et je suis parisienne. Notre union est impossible.

Elle m’a ensuite demandée d’aller de suite mettre la lettre à la poste, en pleine nuit ! Elle m’a expliquée plus tard qu’elle était sûre que je ne jetterai pas la lettre dans le caniveau. Elle m’avait habituée à une obéissance stricte.

J’ai appris que Jean H.T. avait tourné comme un lion en cage chez lui, après avoir reçu cette lettre. Il ne comprenait pas ce qui s’était passé, il était assommé. Le dimanche suivant il est venu à la messe avec la fille que ses parents voulaient lui voir épouser. Une hollandaise qui venait travailler chez eux pendant la belle saison. Cette fois là j’ai hurlé plutôt que je n’ai chanté à la messe. La sœur du curé, étonnée, s’est retournée pour me regarder, elle se demandait ce qui pouvait bien se passer.

Après ce dimanche je n’ai plus revu Jean. Il n’est pas venu me demander des explications. Mais une fois marié, avec la fille que lui destinaient ses parents, il est revenu voir ma mère et il lui a dit qu’il détestait mon père parce que c’était de sa faute si on ne s’était pas mariés. Il croyait cela à la suite d’un incident qui avait eu lieu au café : le père de Jean, hostile à tout idée d’union entre nous deux, avait serré la main de tout le monde mais pas celle de mon père. Jean pensait donc, à tort, que mon père était furieux et qu’il s’était donc opposé à notre mariage…

Nous nous aimions encore, même après la rupture... En ce qui me concerne je n’ai plus fréquenté personne avant mon mariage.

Le retour de Jean

En 1946 nous avons revu Jean B. et trois mois après j’étais mariée avec lui. Il avait passé deux ans en Allemagne. Il avait été bien reçu chez nous et est donc revenu nous rendre visite, on était un peu de la famille. Il était changé, ce n’était plus le même homme. Il semblait plus grand car il avait beaucoup maigri (il ne pesait plus que 42 kilos à son retour) et il parlait beaucoup en public, ce qui n’était pas le cas lorsqu’il était venu la première fois. A ce moment là il n’avait été bavard qu’avec moi. Il avait évolué. Lorsqu’il était parti il n’avait que 21 ans et demi. Maintenant il ne parlait que de l’Allemagne où il avait beaucoup souffert. Il nous a raconté sa vie avec les prisonniers russes.

Une fois que nous avons été marié il ne parlait plus beaucoup de cette période de sa vie mais il disait qu’il allait leur faire payer tout ce qu’il avait subi, il ne pensait pas spécialement aux Allemands mais à toute la société dans son ensemble. Il avait une revanche à prendre….

Jean me racontait que les Russes n’avaient qu’une pomme de terre contre trois pour les Français et ceux-ci prenaient leur pomme de terre la plus petite et la donnait aux Russes pour égaliser un peu. Il a d’ailleurs appris quelques mots en russe à cette époque.

Il avait voulu parti absolument en même temps qu’un camarade et, quand ce camarade s’est pendu les prisonnières russes se sont occupées de lui pour l’empêcher d’en faire autant. Il avait envie de le rejoindre dans la mort. Il aimait beaucoup ce camarade qui partageait autrefois ses bonbons avec lui à l’école, un camarade issu d’un milieu plus favorisé. Une des femmes russes le suivait partout et serait bien allée en France avec lui, elle devait être amoureuse.

Un jour il s’est permis de jeter son éponge sale sur la photo d’Hitler. L’Allemand qui les gardait lui a dit : il faut nettoyer la photo tout de suite, si on sait que c’est toi qui a fait cela tu vas être fusillé. Il a donc nettoyé la photo. Plus tard il a eu envie de retourner en Allemagne pour revoir cet Allemand qui avait fait la guerre de 14 - 18 et qui était humain. Cet homme était âgé et il ne l’aurait sans doute pas revu vivant. De toute façon il n’avait pas les moyens de retourner en Allemagne.

Au moins une fois lui et le camarade qui s’est suicidé par la suite ont attrapé un chat pour le manger. Ils ont trouvé que la viande était très fine.

Jean a été libéré par les Américains. Quand ils sont arrivés il est sorti en gesticulant et les Américains ont braqué leurs armes sur lui. Il est donc rentré en vitesse car ils étaient prêts à l’abattre.

Il devait travailler dans les usines pour la production de guerre allemande. Dans un de ces usines, il passait dans un endroit où il y avait des pièces défectueuses et avec son copain ils en mettaient dans leurs poches. Ils les mélangeaient ensuite avec celles qu’ils fabriquaient. Ils se faisaient disputer mais cela leur permettait d’en faire moins. On a une lettre de lui adressée à ses parents à cette époque dans laquelle il écrit « pour ma part j’ai eu une indigestion d’usines ». Cette lettre provenait de la petite ville de Benshausen, en Thuringe. Une ville qui s’est retrouvée par la suite en Allemagne de l’Est.

Quand il est rentré en France on a lui a fait jeter tout ses vêtements, on l’a désinfecté et on lui a donné des vêtements neufs. On l’a aussi pesé et il a passé une radio. Il n’avait plus beaucoup de dents à l’époque et il revenait avec un ulcère à l’estomac. Plus tard cet ulcère s’est aggravé et on a dû lui enlever une bonne partie de l’estomac : tout le reste de sa vie cela l’a handicapé, il devait se nourrir souvent.

Jean et les deux bonnes bouteilles

Jean est venu nous rendre visite une deuxième fois parce que maman l’avait invité à revenir. La première fois il m’avait dit une phrase en russe, tout d’un coup, alors que j’étais à côté de lui. Nous n’étions pas seuls. J’ai ri et j’ai demandé la signification de cette phrase. Il m’a répondu que cela voulait dire Je t’aime. Je n’ai pas pris cette phrase pour moi et j’ai ri de bon coeur.

La deuxième fois qu’il est venu maman lui a demandé d’aller chercher deux bonnes bouteilles de vin qu’elle avait mis à la cave, en lui expliquant qu’elles étaient derrière l’escalier. C’était là où ma grand - mère gardait son bon vin, il arrivait en tonneau et elle le mettait en bouteille. Jean revient avec deux bonnes bouteilles qui avaient été cachetées par la grand - mère. Maman était toute étonnée car ce n’était pas ses bouteilles à elle et lui a demandé où il les avait trouvées. Elle lui a aussi demandé s’il y en avait d’autres mais il n’y en avait seulement deux. Papa a ouvert ces bouteilles qui étaient anciennes et qui avaient été oubliées. C’était un vrai délice.

Plus tard papa était en train de boire un peu de vin de la deuxième bouteille et voyant que cela me faisait envie m’a fait boire aussi. Je lui ai dit : ce n’est plus du vin, c’est trop bon. C’est quelque chose d’autre !

Troisième et quatrième visites de Jean

Jean a demandé s’il pouvait revenir encore, cette fois avec son copain. Ce garçon lui avait conseillé de se marier lui disant qu’il avait besoin de quelqu’un pour prendre soin de lui. Il avait donné l’exemple en se mariant lui-même. Le copain venait pour voir si je pouvais convenir à Jean. Après m’avoir vie il a dit, en parlant de moi : tu peux l’épouser, si je n’avais pas Christiane [son épouse] je te l’aurais fauchée….

Jean est revenu une quatrième fois mais je n’étais pas chez mes parents. J’étais chez une tante. Jean et son copain sont donc allés chez cette tante où ils ont chanté. Jean a chanté un pot-pourri de chansons et son copain une seule chanson, mais en entier. Ma tante préférait Jean pour sa belle voix mais je préférais moi qu’on chante une chanson en entier. Et c’est tout, il ne s’est rien passé d’autre.

Un curieux mariage

De retour à G... ma mère m’a dit : je t’ai trouvée un mari, tu vas épouser Jean. J’ai dit : non, je n’en veux pas, surtout pas celui - là ! Et cela c’est arrêté là.

Sans me consulter ma mère s’est occupée des bans et des préparatifs du mariage. Tout le monde me poussait au mariage. Mon père m’a dit : c’est un gentil garçon, je ne comprends pas que tu le refuses. Il est bien calme. La tante Marie, qui était encore factrice à cette époque m’a dit également que c’était un gentil garçon. Toute la famille a fait pression. C’est ainsi que je me suis mariée à G... le 24 août 1946, le jour de la Saint Barthélemy, avec un homme que je n’aimais pas. Il y avait 70 personnes à mon mariage et je portais la robe longue de mariée de ma cousine.

A la mairie j’ai regardé la tête de ma mère. Elle avait une tête d’enterrement. Elle avait sans doute peur que je dise non. Je lui avis dit que je ne voulais pas de Jean et elle m’avait répondu : tu l’épouseras que tu veuilles ou que tu ne veuilles pas.

L’oncle Paul, le mari d’Hélène, une tante maternelle, s’était dérangé pour mon mariage, lui qui ne se déplaçait jamais et il y avait beaucoup de monde. Je me suis dit que je ne pouvais pas tout annuler. Et puis j’avais peur des réactions de ma mère. Je n’ai pas dit oui tout de suite, j’ai d’abord regardé tout le monde….

A l’église le curé a fait un petit discours mais je n’étais pas vraiment là, je n’ai entendu qu’un bout de phrase : … pour le meilleur et pour le pire. Je ne sais même pas quelles étaient mes copines présentes ce jour là. J’avais l’impression que ce n’était pas moi qui se mariait….

Je suis allée vivre à Mantes Gassicourt, dans ma belle famille. Ma vie a alors été alors plus terne mais j’ai ensuite trouvé une nouvelle raison de vivre avec la naissance de mes deux fils.