Adrien Le Moine est connu d'un certain nombre de Pontoisiens puisqu'une rue du quartier de l'Hermitage - qu'il n'a pourtant pas habitée - porte son nom avec mention " Déporté mort pour la France ". Sur sa maison, 60 rue de Gisors, a été apposée une discrète plaque à la demande de la famille.En 1925, Adrien et son épouse Blanche vendirent l'atelier de fabrication de bijoux fantaisie qu'ils possédaient à Paris, afin d'acheter un garage pour leur fils unique, Robert, mécanicien alors âgé de 22 ans. Ce garage, avec pompe à essence, ils le créèrent à l'emplacement d'une ancienne ferme, 60 rue de Gisors, où vint s'installer toute la famille : Adrien, son épouse, sa mère, son fils - famille qui, après le mariage de Robert et Andrée, s'agrandit avec la naissance de Claude en 1929, Françoise en 1932, Christiane en 1936. L’affaire de Robert marchait bien. Son père l’aidait. Adrien avait de multiples dons pour la peinture, la sculpture sur bois, tout en consacrant beaucoup de temps à la maison et à sa femme malade.
Mais avec la guerre, la situation changea; à cause de la restriction d'essence Robert perdit beaucoup de clients.
Alors, au retour de l'exode, pour aider sa famille, Adrien travailla quelques temps à la Société LTT (Lignes Télégraphiques et Téléphoniques) à Conflans-Sainte-Honorine puis, plein d'idées, il se mit à récupérer de vieux tissus pour fabriquer lui-même des chaussons, des mules, des sacs à main qu'il allait vendre au marché et à des commerçants de la rue de la Roche.
Quand son fils eut intégré le réseau Alliance, il y contribua lui-même en autorisant de jeunes résistants à utiliser sa maison pour transmettre des renseignements.
Cela se faisait grâce à un poste émetteur caché dans le " sous-grenier ".
Mais le 1er octobre 1943 survient le drame. Vers 10h, Françoise -11ans- revient de chercher le lait et, en remontant la rue de Gisors, elle aperçoit, stationnées dans la rue de la Citadelle, deux Tractions Avant, d'où sortent trois membres de la Gestapo, qui montent bientôt la rue devant elle. Tout de suite elle devine qu'ils viennent chez elle. Elle assiste à la fouille de la maison, mais les Allemands ne découvrent pas le sous-grenier : il n'y avait plus de poste, enlevé par sécurité par l'un des jeunes gens et emmené dans une valise, se souvient-elle, mais son grand-père y avait déposé son fusil de chasse et des objets de valeur. Apercevant l'antenne sur le toit, les gestapistes tirent sur le fil qui cède puisqu'il ne tenait plus à rien d'autre. Pendant ce temps un chauffeur amène une des voitures devant la maison, en sort un jeune homme ensanglanté - membre du réseau - pour lui faire certainement confirmer la maison recherchée; cette opération est sans nul doute le prolongement d'une longue série d'arrestations durant le mois de septembre provoquées par des trahisons et qui ont abouti au démantèlement presque complet de nombreux sous-réseaux.
Les nazis arrêtent les deux Le Moine, mais Adrien, devinant les conséquences du drame qui se joue, craignant de voir ses petits-enfants privés de leur père et peut-être orphelins, se désigne comme seul coupable. Malgré tout père et fils sont embarqués, "arrêtés pour espionnage sur camp d'aviation et émissions de radio", et direction Maurecourt pour perquisitionner chez M. Julia (lui aussi membre de l'Alliance) et l'arrêter. Ils arrivent à Paris, rue des Saussaies, pour prise d'identité et interrogatoire. Ils retrouvent là leur chef, "Bergerac", arrêté le 15 septembre 1943, ce qui a permis d'établir un alibi pour Robert, lui permettant de sortir le soir même après correction et interrogatoire serré, tandis qu'Adrien était envoyé à Fresnes. Ce que Robert peut désormais faire pour son père, c'est de lui apporter à Fresnes, lui-même ou par son amie Micheline, un colis tous les quinze jours en échange de linge sale: moyen de se transmettre de courts messages dans les paquets échangés - par exemple sur un petit papier collé au dos du couvercle d'un pot de miel. Un mois après l'arrestation, Robert est convoqué à Fresnes pour une confrontation avec son père, dont il n'a pas parlé par la suite. Lors d'une dernière visite le 6 février 1944, le directeur de la prison lui apprend que son père est parti pour une direction inconnue. En fait Adrien Le Moine avait été envoyé à Fribourg-en-Brisgau où siégeait la Cour Martiale composée de deux généraux, deux colonels, un capitaine - réunie en trois sessions en décembre 1941, mars-avril 1944, puis juin 1944. La plupart furent condamnés à mort (la sentence était décidée d'avance) sauf quatre dont Adrien Le Moine : le motif étant le grand âge ou bien le poste émetteur n'étant pas considéré comme matériel de guerre. A Fribourg les conditions de vie étaient considérées comme "acceptables", mais il semblerait toutefois qu'une révolte des détenus aurait entraîné une grande répression et leur envoi dans le camp de concentration de Flossenbürg (en Tchécoslovaquie). Les conditions de détention y étaient atroces, le camp étant essentiellement dirigé par des "kapos" détenus de droit commun, encore plus sadiques que les nazis eux-mêmes.
Adrien y arriva affaibli et âgé (71 ans) pour travailler dans une carrière de pierre. Il put subsister plusieurs mois grâce à la solidarité de déportés plus jeunes qui l'aidaient à porter les pierres et éviter les séances d’épouillage qui, vu sa faiblesse et son âge, l'auraient peut-être conduit à l'extermination immédiate.
Camp de concentration de Flossenbürg . Document Réseau Alliance
Le 5 mars 1945, à la nouvelle de l'arrivée de l'armée russe, les Allemands ouvrirent les portes du camp ; c'est alors qu'on perd la trace d'Adrien Le Moine. Est-il mort d'épuisement comme tant d'autres sur la "route de la liberté", ou a-t-il été, comme beaucoup d'autres aussi, abattu par les SS parce qu'il ne marchait pas assez vite ?
Textes établis après enquête auprès de Mmes Not et Aloisi.
Robert Le Moine, résistant, membre du réseau Alliance,
sous le nom de Python.
Robert Le Moine est arrivé à Pontoise en 1925 à l'âge de 22 ans quand ses parents Adrien et Blanche ont vendu leur atelier parisien de joaillerie pour acheter une ancienne ferme au 60 rue de Gisors, afin de la transformer pour leur fils unique en garage avec pompe à essence. Toute la famille s'y installe : Adrien, son épouse, sa mère, son fils - famille qui, après le mariage de Robert et d'Andrée s'agrandit avec la naissance de Claude en 1929, Françoise en 1932, Christiane en 1936. L'affaire de Robert a vite prospéré avec l'aide de son père et d'un employé.
Mais avec la guerre la situation changea ; à cause de la restriction d'essence, Robert perdit beaucoup de clients. Il loua alors ses boxes à une trentaine d'entre eux pour y entreposer leurs voitures immobilisées. Il accueillit également les camions gazogènes des Français à qui les Allemands avaient fait appel pour participer à des travaux de terrassement dans le camp d'aviation de Cormeilles-en-Vexin. Ces "chauffeurs", qui habitaient dans la région, pour éviter de consommer trop de carburant cherchèrent à entreposer leur véhicule la nuit à Pontoise et retournaient chez eux par différents moyens. Il arrivait que ces camions tombent en panne dans le camp; on faisait alors appel à Robert pour venir les réparer, c'est ainsi qu'il obtint un "ausweis" et put faire des observations dans le camp de Cormeilles où ces travaux auraient eu pour but de fabriquer un faux village pour leurrer les Anglais. Ces observations parurent intéressantes à Robert qui aurait bien voulu les utiliser contre les Allemands, mais comment ?
Or l’un des loisirs de Robert Le Moine était la pêche, qu'il pratiquait le plus souvent du côté de Vauréal; c'est là qu'il fit la connaissance d'un autre pêcheur, Joseph, jardinier d'une grande propriété voisine. Sans doute mis en confiance par cet homme, il lui parla de ses sentiments patriotiques et anti-allemands; c'est ainsi que Joseph le mit en relation avec sa nièce, Odette Veyrias. Celle-ci le fit entrer dans le réseau Alliance, dirigé par Marie-Madeleine Fourcade, ex-Méric, dite « Hérisson », et qui était en liaison directe avec
« l' Intelligence Service ». Il devint « Python » - un nom d'animal comme tous les membres du Réseau que pour cette raison les Allemands baptisèrent l' "Arche de Noé ". Ce ralliement au "Service dans les Forces Françaises Libres (en tant que service dans la Résistance intérieure au Réseau Alliance)" a été enregistré en mars 1942 - et d'après le certificat délivré par Marie-Madeleine Méric, les fonctions qu'il exerçait dans le réseau pendant l'Occupation allemande correspondaient dans la hiérarchie de la DGER (Direction Générale des Etudes et Recherches) au grade de chargé de mission de 3ème classe. Cette fonction allait être plus sérieuse et plus efficace que ses premiers " coups " contre les Allemands - à savoir tirer des coups de fusil de chasse sur des avions allemands volant à basse altitude au-dessus du garage, tandis que son fils Claude et son camarade Albert Collavizza, avec une voiture mise sur cale et dont le pot d'échappement était débranché, faisaient " pétarader " le moteur à fond pour masquer le bruit des coups de fusil.
Mettant donc à profit ses possibilités d'entrer dans le camp de Cormeilles, il observait et prenait des photos. Ces renseignements, des jeunes gens d'une vingtaine d'années - dont l'un s'appelait Marcel Fontenailles - venaient les recueillir et les transmettre sur place au PC de l'Alliance (dit « Grand Hôtel ») grâce à un poste émetteur caché dans le " sous-grenier " auquel on accédait par une trappe pratiquée dans le mur du grenier et aussitôt après dissimulée par un meuble. De ce poste partait un fil qui courait le long d'un tuyau d'aération jusqu'à une antenne, l'ensemble n'étant visible ni de la rue ni des propriétés voisines.
Mais le 1er octobre 1943, c'est le drame avec l’arrestation de Robert et de son père Adrien. Robert est cependant relâché le soir-même faute de preuves.
De retour chez lui par le dernier train de Pontoise, bouleversé, il ordonne à son fils Claude (14 ans) de prendre vite son vélo pour aller à Cergy prévenir Joseph. Celui-ci contacte aussitôt sa nièce Odette, qui échappe à la rafle. Naturellement pendant un certain Claude Le Moine temps, Robert se tient tranquille, il est sans doute très surveillé; la preuve : comme par hasard un half-track allemand tombe en panne devant le garage, il est amené dans la cour - panne sérieuse qui nécessite plusieurs jours d'immobilisation d’un véhicule que le chauffeur ne doit pas abandonner. La famille Le Moine est contrainte de garder le camion et nourrir le chauffeur; durant ce temps cet Allemand a eu tout le loisir d'épier les faits et gestes de la famille. Quant à son père, ce que Robert peut seulement faire pour lui est de lui apporter tous les quinze jours à Fresnes un colis en échange de son linge sale: moyen de se transmettre de courts messages bien cachés.
Un mois après l'arrestation, Robert est convoqué à Fresnes pour une confrontation avec son père. Revenu bouleversé, il n'a jamais dit ce qui s'était passé. Lors d'une dernière visite le 6 février 1944, le directeur de la prison lui apprend que son père est parti pour une destination inconnue. Entre-temps Robert avait repris sa collecte de renseignements que, par prudence, il allait porter directement à Paris par le train.
Plusieurs mois après, pris dans l'étau des forces alliées, les Allemands fuyaient comme ils le pouvaient; à Pontoise, le 29 août, pour s'échapper au plus vite, ils cherchèrent d'autres véhicules. Ils allèrent au garage Le Moine s'emparer des voitures entreposées dans les boxes malgré l'opposition de Robert qu'ils menacèrent de leur revolver. Cela n’empêcha pas malgré tout la suspicion de certains voisins qui prenaient Robert Le Moine pour un collaborateur...Cependant, membre des FFL, Robert fut amené à participer à la caserne Bossut à la garde des Pontoisiens arrêtés comme collaborateurs.
Pour les Le Moine, sans nouvelles de leur mari, père et grand-père, la joie de la défaite des nazis et de la victoire ne pouvait être complète, surtout après avoir appris au printemps 1945 la triste nouvelle de la disparition d'Adrien. Cela accrut l'état dépressif de Robert, déçu de ne pas avoir été reconnu par les résistants locaux; peut-être en raison de confusions ou d'interférences avec son père qui, outre son magnifique sacrifice familial, fut reconnu comme étant, lui, le vrai membre du Réseau Alliance.
Pourtant Robert fut décoré de la Légion d'Honneur, et Marie-Madeleine Fourcade, dans sa dédicace du Mémorial de l'Alliance a écrit : "Pour Christiane Le Moine en souvenir des camarades de son courageux père, remarquable agent de la région de Pontoise, avec toute son affection" ; et plus tard Marie-Madeleine Fourcade dédicacera l'Arche de Noé à "Françoise Le Moine, en souvenir du combat de son glorieux père".
Cérémonie en l’honneur d’Adrien Le Moine et
inauguration d’une plaque face au garage de Robert Le Moine.
Document établi suite à plusieurs entretiens avec Madame Not et Madame Aloisi, petites-filles d’Adrien, filles de Robert, réalisés par Mme Annie Delpech et M. Jean-Pierre Dubreuil.