Jacques Vico, grand Résistant, vice-Président des C.V.R. s est éteint à Caen le 6 août dernier.
Jean- François Couriol et Jean- Pierre Dubreuil ont accompagné à sa dernière demeure celui qui fut longtemps et souvent à leurs côtés pour beaucoup de leurs projets et de ceux du Cern.
C’est donc à un ami et à un exceptionnel Passeur de mémoire que nous voudrions rendre hommage afin de contribuer à tracer la route qui fut la sienne : une route mettant en lumière les valeurs de la Résistance.
Voici le texte que Jean-François Couriol a lu lors des obsèques de Jacques Vico.
Bien cher Jacques,
……..Dans la suite de nos correspondances, voici bien un courrier que n’aurais jamais voulu t écrire car ton départ me cause ainsi qu’à l’ensemble de tes proches et amis une très grande douleur, une si forte peine.
Il y a plus de 22 ans maintenant que je pris contact avec le Mémorial pour la paix de Caen afin d’être mis en relation avec un ancien membre de la Résistance dans le but d’organiser une rencontre avec mes élèves d’alors issus de la banlieue parisienne. Tout de suite avec Jean-Pierre Dubreuil, un autre professeur d’Histoire, nous nous sommes parfaitement accordés et une solide amitié est née. Nous avions la même conception de l’approche que l’on devait avoir des faits relatifs à la Résistance et à la Déportation. Tu nous as séduits, Jacques, par l’élégance de tes propos, la finesse de tes analyses, ta mémoire phénoménale, ton gout du détail et ton incroyable capacité à communiquer avec les jeunes. Même les plus rebelles comprenaient qu’il fallait se taire lorsque tu intervenais.
Pour ma part, j’ai participé avec toi à de multiples projets éducatifs. Je t’ai écouté des dizaines de fois narrer ton entrée dans ce qu’on n’appelait pas encore la Résistance, ta vie d’homme traqué, la venue des Allemands à Ardenne, l’arrestation de tes parents mais aussi la mise en œuvre des opérations du maquis pour permettre aux Alliés de triompher, la progression difficile de ceux-ci dans le bocage normand, la découverte des soldats canadiens martyrisés à Ardenne… Tant et tant de faits d’histoire où ta destinée se confondait avec la grande Histoire. A chaque fois, tu nous étonnais par de nouvelles précisions apportées qui permettaient à nos jeunes de mieux saisir l’importance des sacrifices effectuées il y a plus de 70 ans à présent pour que, eux, soient libres.
Tu étais à l’écoute de tous et avais un regard bienveillant sur chaque membre de nos groupes, décelant la fragilité et les souffrances de certains. Au contact de tous ces jeunes, tu reprenais une énergie incroyable que nous avons pu parfois t’envier. Incroyable passeur de mémoire, ta voix s’élevait lorsque tu évoquais le souvenir d’un camarade mort au combat. Bien souvent, ce soldat, tu ne l’avais pas connu mais, comme tu ne laissais rien au hasard, tu t’étais documenté, tu avais été voir d’autres acteurs de L’Histoire afin d’en savoir plus et tu t’étais finalement imprégné de toutes ces destinées prises dans le tourment du conflit mondial.
Tu avais, Jacques, un sens profond de l’organisation. Tout dans ton esprit était bien rangé. Ainsi, travailler avec toi pour préparer un stage de mémoire, comme il nous a été donné de le faire dans le Vercors, au maquis de Saint-Marcel en Bretagne ou encore au maquis de saint-Clair, fut un réel plaisir. Lucie Aubrac me confia un jour alors que je préparais avec toi un grand forum de la Résistance et de la déportation avec une vingtaine de grands témoins : « Jacques Vico ? S’il avait été un peu plus âgé pendant la guerre, il aurait été un grand responsable de la Résistance. »
Je ne saurai jamais, Jacques, assez te remercier de m’avoir avec quelques collègues professeurs associé à tes projets et mis en relation avec beaucoup de tes camarades. Leurs rangs se sont hélas éclaircis au fil du temps mais leurs propos raisonnent encore dans mon esprit tout comme dans celui de nos anciens élèves devenus aujourd’hui des adultes responsables.
Lorsqu’il m’arrive de les croiser, nous parlons de leurs années de collège mais vite la conversation tourne autour des stages auxquels ils avaient pu participer et ton nom, « Monsieur Vico » prononcé avec un immense respect, revient spontanément dans leurs propos. Oui, Jacques, là où tu es maintenant, sois fier de toi. Tu as tracé un large et profond sillon et même si parfois la tache t’est apparue rude, la moisson est belle.
Tu as enseigné à des milliers de jeunes quelles ont été les véritables valeurs et les enjeux de la Résistance. Et chaque année, au début juillet, à Saint-Clair, près du monument édifié avec les ruines de la ferme des Grosclaude, tu me manquais jamais, jusqu’à cette année, de le faire. Combien de colloques, de forums as-tu animé de ta présence ? Tu as donné sans compter.
Dès 17 ans, tu es entré dans la Résistance. Tu nous avais fait part de ton profond chagrin de voir alors notre armée effondrée, en déroute et la signature de l’armistice. Pour toi comme pour certains de tes amis, face à cette situation inacceptable, il fallait faire quelque chose.
Résister, ce fut d’abord pour toi refuser la séduction pour l’ordre, la discipline, la puissance que représentait l’armée des vainqueurs, ce fut encore refuser Vichy et la collaboration, et enfin refuser d’abandonner le combat. Dans ce contexte, l’appel du général de Gaulle a été pour toi, Jacques, la vérité, un soulagement et une certitude.
Résumer ton parcours de résistant, c’est parcourir de nombreux chapitres que tu nous as fait l’honneur de connaitre et que je voudrais évoquer en quelques mots:
Dès les débuts de l’Occupation, tes premières actions consistent à distribuer des journaux clandestins de résistance et des tracs anti-Allemands, au sein du groupe Robert, qui devient par la suite le réseau Hector. En 1942, tu t’engages dans un régiment de cavalerie, dans la zone sud encore non-occupée mais tu es démobilisé en novembre avec l’occupation de toute la France par les Allemands. Revenu à Caen, tu entres alors dans l’Organisation civile et militaire (OCM) et le responsable caennais, le colonel Kaskoreff, te demande d’organiser un important dépôt d’armes à l’abbaye d’Ardenne, située près de Caen à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, dans la ferme où résident tes parents. Grâce à ta formation militaire, tu devins aussi l’instructeur de presque tous les responsables de l’OCM du Calvados, avec Robert Castel qui sera tué à la libération de Caen. C’est toute la famille Vico qui est dans la Résistance mais chacun garde le secret indispensable. Ton père, qui est alors maire de Saint-Germain-la-Blanche-Herbe est arrêté le 16 décembre 1943 pour avoir fourni de fausses cartes d’identité à des réfractaires du STO. Il sera déporté à Mauthausen. Jacques, aidé de ton frère Jean-Marie et de leurs camarades, tu réussis à évacuer les armes entreposées à l’abbaye que les Allemands allaient fouiller. Ta mère, Francine Vico, est arrêtée par la gestapo et incarcérée plusieurs mois à la prison de Caen. Sous le pseudonyme de Joseph Vitran, Jacques, tu as continué dans la Résistance dans la Sarthe et l’Eure-et-Loire. À partir de juin 1944, tu participes aux combats pour la libération de la France dans la compagnie FFI Fred Scamaroni à Caen, puis tu t’engages dans la 2e DB de Leclerc à Avranches, puis le 1er régiment de marche de spahis marocains, de la division Leclerc qui participera le 19 août à la fermeture de la poche de Falaise. Le 25 août, tu entres à Paris par la porte de Saint Cloud. Puis, tu participas encore activement aux campagnes d’Alsace et d’Allemagne.
Rappelé lors du conflit algérien, tu n’as eu de cesse de préserver l’honneur de l’armée de ton pays en dénonçant les pratiques ignobles de la torture. Pour toi, la France ne pouvait se compromettre dans de pareilles actions qui étaient à l’opposé des valeurs de la Résistance pour lesquelles tu avais combattu.
Après tes activités professionnelles, tu t’es profondément engagé dans le monde associatif et tu es notamment devenu Président de l’Union des Combattants Volontaires de la Résistance du Calvados, membre du jury national du Concours de la Résistance et de la Déportation. Tu étais heureux de voir chaque année le nombre des candidats augmenter régulièrement. Tu disais :
« J’accomplis tout ce qui peut être utile afin de porter témoignage et de dire ce qu’a été la Résistance. Faire découvrir aux jeunes générations le message de ce combat, les exigences qui nous ont soutenues dans notre action est une exigence de tous les jours.
Le travail de mémoire a commencé avec les interventions faites, chaque année, dans les collèges et les lycées, pour la préparation du Concours national sur la Résistance et la Déportation. Ce travail s’est amplifié, à partir de 1988, avec l’ouverture du Mémorial de Caen qui s’est efforcé de raconter le débarquement, la bataille de Normandie, la lutte d’hommes libres à l’intérieur et à l’extérieur de la France, la victoire sur un système. Il s’est poursuivi par la nécessité de témoigner afin de faire comprendre aux jeunes les exigences qui nous ont portées. Il est indispensable de leur dire qu’une société ne se construit pas dans la haine et le mensonge. Il faut se dresser contre l’inacceptable. C’est un combat civique. Ce que nous avons vécu peut renaître n’importe où, n’importe quand. Nous nous souvenons de cette tragédie passée pour protéger l’Avenir. Le monde de demain appartient à la jeunesse d’aujourd’hui. Cette jeunesse rassemblée dans sa diversité et sa générosité, construira un monde de Justice et de Paix, dans un esprit de tolérance et de respect du droit des hommes. »
Bien cher Jacques, à l’heure du dernier au revoir, je voudrais te dire du fond du cœur combien tu as compté pour moi et pour tous ceux qui t’ont accompagné tout au long de ces années. Mieux que personne, tu as incarné le message de la Résistance : courage, liberté, générosité ; respect des hommes de toute origine, valeurs qui te faisaient dire, à juste titre que La Résistance a une dimension éternelle et universelle. A nous de continuer, désormais sans toi, à porter et transmettre ce message auprès des jeunes générations. Mais je suis sûr, Jacques, que ton souvenir et ta présence continueront longtemps de guider notre réflexion et nos pas.
A l’heure de te quitter, nous t’embrassons une dernière fois avec toute la tendresse et l’affection sincères de deux amis.