Guy Baillon : Deux jeunes dans la tourmente. 2

La surveillance se resserre

Le travail me plait toujours, bien que la surveillance se resserre, suite à des actions de sabotage. Maintenant, nous devons sortir rapidement de l’usine, ce qui ne nous laisse pas le temps de prendre une douche. Hier midi, j’ai réussi à en prendre une, en vitesse avec René, nous étions tous les deux dans une toute petite pièce et comme nous n’avions pas la place de bouger, nous nous frottions les fesses l’un, l’autre, c’était vraiment amusant !

Nous avons tout le temps faim

Avec les heures de travail que nous faisons et si peu de nourriture, nous avons tout le temps faim ! Le soir, au coup de sonnette qui indique la fin du travail, nous courons à toute vitesse pour être dans les premiers à la cantine de l’usine pour avoir notre ration de soupe et tout en la mangeant, nous refaisons la queue dans l’espoir d’avoir un peu de rabe !

Notre alimentation avant tout afin de conserver nos forces pour ne pas tomber malade.

Les rendements ont été augmentés

Maintenant, ici, c’est fini les vacances, le travail avant tout, les rendements ont été augmentés et les biens portants comme les malades doivent «se tuer à la tâche ». J’ai passé toute la matinée à nettoyer mes deux machines, tu parles d’un boulot ! C’est sale et dégoutant.

Les horaires sont passés à 10h30 par jour, nous devons avoir quitté l’usine pour 18h15, nous n’avons plus le temps de prendre de douche, donc nous nous couchons tous sales et le matin, nous devons nous lever plus tôt pour nous laver. C’est la nouvelle mode ici, « se laver avant de se salir » !

A l’usine, je pratique trois métiers à la fois : traceur, rectifieur et perceur, mais je ne vais pas plus vite pour cela. Le chef vient me houspiller sans arrêt avec des hurlements et des grands gestes, il veut me faire augmenter la cadence, moi, Je lui fais comprendre que je suis au maximum.

Pour moi la compétition est finie

Le samedi 18 septembre, les allemands ont arrangé le stade, ils ont placé des micros avec des amplificateurs, ils ont tondu le gazon et ont tracé les limites de la piste, naturellement ils ont positionné des drapeaux nazis aux quatre coins du stade. Cette compétition sera clôturée par des chants et des danses russes.

Malheureusement pour moi la compétition est finie, à force de courir les pieds nus sur la piste. Je me suis écorché le dessous du pied, des cloques sont apparues et la peau s’est ouverte mais cela ne m’empêche pas trop de marcher.

Je suis allé en ville pour acheter des galoches afin d’économiser mes chaussures, je les ai payées sept marks.

Nous finissons à l’instant de préparer notre barda pour partir demain matin de très bonne heure, nous allons à 15 km du camp, visiter un très joli site. Nous allons abréger notre partie de belote pour nous coucher plus tôt.

PREMIER HIVER EN ALLEMAGNE - 1943/1944

Aucun Français n’est revenu de permission

Le train des permissionnaires est rentré dimanche, aucun français n’est revenu, ils sont tous partis dans la nature. Il y avait seulement un étranger qui avait dû se disputer avec sa femme pour revenir dans cet enfer !

IL fait un froid de canard

Quel pays, il fait un froid de canard en cette fin septembre, il pleut et maintenant il fait nuit à 19h30. Aujourd’hui, les allemands nous ont apporté des poêles dans les baraquements, ils doivent bientôt les allumer. S’ils se donnent la peine de mettre des poêles dans les baraques, c’est qu’ils comptent nous garder ici pour cet hiver.

Pourtant, d’après nos informations, les évènements sont en train de tourner en notre faveur et nous voyons le retour se dessiner à grands pas avec son lot de bonheur, et nous l’auront bien gagné après tant de mois de souffrances.

Il arrive au camp beaucoup de travailleurs étrangers, car leur usine a été bombardée, ils viennent des alentours de Berlin, il parait que là-bas, ils en prennent plein la tête. (…)

C’est de la récupération

Nous profitons du premier dimanche d’octobre qui nous offre un temps clair et une température plus agréable pour quitter le camp à 7h00 afin de faire une virée dans la campagne. Nous avons avalé des kilomètres sans nous en apercevoir tellement le paysage était merveilleux. La route serpentait à travers des petites collines couvertes de sapins, des pommiers bordaient çà et là notre chemin.

A l’aller, nous avions repéré un joli pommier, bien garni, implanté à proximité d’une maison. Nous y avons fait une halte ! Pendant que René secouait l’arbre, nous étions, les trois autres compères allongés dans l’herbe en train de chercher les fruits. Nous avons réussi à remplir nos musettes malgré les aboiements du chien du propriétaire. Personne n’est sorti, nous avons pensé que le mari était soldat et que sa femme se trouvait seule dans la maison et qu’elle avait peur ! Toutes ces pommes vont bien améliorer notre ordinaire, notre virée s’est terminée à minuit.

Nous partons du principe que puisque les allemands pillent la France, ce que nous prenons chez eux, ce n’est pas du vol, c’est de la récupération. Mais nous risquions gros, en cas d’arrestation nous pouvions être condamnés au camp d’internement ou même la peine de mort. Le 1° octobre 1942, le ministre de la Justice Thierack écrit aux juges « A une époque où les meilleurs de notre peuple mettent en jeu leur vie sur le front, il n’y a plus aucune place pour les criminels. Il va de soi que le pilleur qui s’attaque aux biens de nos concitoyens ne mérite que la mort ».

(…)

Le rêve que j’ai souvent

Voici le rêve que j’ai souvent : « J’arrive en train gare de l’Est, Madeleine m’attend sur le quai frémissant d’impatience. Elle est magnifique dans un nouveau costume que je ne connaissais pas et avec le tricot qu’elle est en train de faire. Je n’osais pas la prendre dans mes bras de crainte de la froisser ! J’étais tellement sale !

Fou de joie, nous sommes partis à Stains en chantant, nous sommes montés dans l’appartement de ses parents ou les deux familles étaient réunies autour d’une table bien garnie et ….. Je me suis réveillé ».

Une brebis galeuse

Nous rencontrons un problème avec Georges, jusqu’à présent, nous partagions nos colis en quatre, ainsi que nos cartes d’alimentation mais nous nous sommes aperçus que lui gardait ses colis et ses cartes sans partager.

Par exemple, il vient de partir dans une pâtisserie pour utiliser ses tickets de pain, quel crevard ! Il nous prend pour des pigeons, c’est un salop, nous ne lui parlons presque plus. Maintenant, nous partageons nos colis en trois et le dimanche, lorsque nous pique-niquons, s’il vient avec nous, il sera obligé de nous donner sa part. Le midi, à la cantine de l’usine nous avons pris une table de trois places, nous mangeons sans cette brebis galeuse.

Ces numéros d’amateurs étaient dérisoires

Dimanche 17 octobre au soir, les allemands ont organisé une représentation qui a duré trois heures. Un orchestre français a ouvert la soirée, il était composé d’un violon, d’une guitare et d’un piano puis c’était le tour d’un orchestre hollandais avec un violon et deux banjos, deux clowns ont pris la suite et pour terminer, nous avons eu droit à un imitateur de Maurice Chevalier mais avec la voix de Michel Simon ! C’était long…. Tous les artistes revenaient cinq fois sur scène, jusqu’à épuisement de leur répertoire, c’est long, trop long !!!

A la fin, la moitié de la salle était partie et les camarades de l’autre moitié dormaient. Tous ces numéros d’amateurs étaient dérisoires, l’on ne nous reprendra plus à aller dans ce théâtre.

(…)

Nous ne pouvons pas visiter d’autres villes

Nous ne pouvons pas visiter d’autres villes, plusieurs camarades ont voulu aller à Iéna ou à Leipzig, ils se sont fait arrêter et sont en prison. Du reste, certaines fois, il nous arrive de nous faire contrôler six fois de suite dans Weimar. Les policiers vérifient que nous travaillons bien dans le secteur, ce n’est pas le moment de jouer au brave !

Nous avons réglé nos différents avec Georges

Nous avons réglé notre différent avec Georges, l’homme est plus prompt au pardon dans l’adversité ! Nous avons tous juré et donné notre parole d’honneur d’être régulier, nous revoilà tous les quatre, plus soudés que jamais ! Georges a compris la leçon, il est serviable, c’est incroyable comme il a changé, ce matin, pour nous prouver sa bonne foi, il nous a lus la liste des aliments qu’il va recevoir dans son prochain colis.

Plus facile d’entrer dans ce pays que d’en sortir

J’avais envisagé de me marier tout de suite avec Madeleine dans l’espoir d’avoir une permission mais l’interprète allemand m’a expliqué qu’il ne pouvait se faire que par procuration. Les Boches ne donnent pas de permissions exceptionnelles, par exemple, les camarades qui ont perdu un de leurs parents, n’ont pas pu se rendre aux obsèques !

Lors d’un rassemblement, nous avons appris que, comme les permissionnaires n’étaient pas rentrés, les permissions accordées aux hommes mariés étaient supprimées.

Pour entrer dans ce pays c’est facile mais pour en sortir, c’est autre chose !

Je n’arrive pas à m’y faire

A l’usine, j’en suis à ma sixième machine, c’est une petite rectifieuse. Avec, je finis des petites pièces comme des engrenages, des pignons etc.

Je fais équipe avec un autre camarade, le travail n’est pas trop fatiguant mais une fois en France, je reprendrai mon métier de dessinateur car rien ne vaut les bureaux et je préfère avoir les mains propres.

La vie que nous menons ici : manger, dormir, travailler sans avoir de chez soi ressemble à celle d’une bête ! Je n’arrive pas à m’y faire, ceux qui ne sont pas sentimentaux se font à tout, être là ou ailleurs, il n’y a pas de différence pour eux mais pour moi, petit garçon gâté qui n’a jamais quitté le cocon familial, loin de la femme que j’aime, c’est autre chose, cette situation m’est très pénible.

(…)

Ce croquis a eu beaucoup de succès

Samedi dernier, après le travail, nous avons fait nos commissions puis nous avons joué à la belotte toute la journée et une bonne partie de la nuit.

Nous nous sommes couchés à 4 heures du matin. Après avoir dormi quelques heures, nous nous sommes levés frais et dispo quand soudain une envie de dessiner m’a pris et j’ai reproduit ma chambrée à toute vitesse. Ce croquis a eu beaucoup de succès et maintenant tous les copains en veulent un exemplaire, j’ai eu du travail car il a fallu que je le reproduise en treize exemplaires !

Le travail de nuit

Parfois, je fais ma correspondance la nuit à mon travail. Je m’installe comme un directeur, assis sur une chaise devant ma machine avec une caisse de chaque côté qui me servent d’accoudoir. Sur l’une, je pose mon casse-croûte, une bouteille de bière et mes cigarettes. J’ai les pieds qui reposent sur le bord de la machine. Quel tableau ! Le policier allemand qui fait des rondes rit de me voir dans cette position, je lui offre une cigarette pour qu’il me laisse tranquille et le chef de nuit, qui pointe notre présence sur notre lieu de travail, ferme les yeux.

Etre travailleur de nuit, c’est la planque, c’est mieux que le travail de jour.

Lorsque j’arrive au boulot, le chef m’indique sur quelle machine je dois travailler, le nombre de pièces à faire puis il s’en va et je reste seul à m’organiser comme je veux. Ce soir j’ai été affecté sur une taraudeuse (c’est la septième machine que j’ai appris à utiliser). J’installe une pièce dessus, je règle la machine et elle travaille toute seule pendant 10 minutes. Lorsqu’elle s’arrête, je change la pièce et c’est reparti, lorsqu’elle se dérègle, je change de machine.

Georges qui bosse pas très loin de moi vient me voir souvent, nous fumons une cigarette ensemble, nous sommes les rois de la nuit et le temps passe vite. Je n’ai pas sommeil, j’espère pouvoir continuer longtemps à travailler dans ces conditions, c’est pénard !

Je fais beaucoup de dessins

Je fais beaucoup de dessins qui servent à orner mon lit. Ce sont des caricatures sur lesquelles j’ai écrit des épitaphes comme « Vive la quille », « A quand la fuite », « Au revoir les amis » ou « Courage, je t’attends et je reviens bientôt », et d’autres que je ne peux pas citer !

Il y en a partout, j’espère que le chef de camp ne va pas passer sinon je serai bon pour le trou.

(…)

Pour nous préserver du froid

Dès que nous rentrons de l’usine et après avoir avalé notre traditionnelle soupe, nous sommes obligés de nous coucher à 20h00 pour nous préserver du froid. Il est impossible d’avoir une quelconque activité manuelle. Je dors avec sur le dos : ma chemise, mon pull-over, quatre couvertures et mon manteau. Mon blouson sur ma tête et malgré cela, je n’ai guère chaud pour passer ces nombreuses heures au lit.

Aussi, nous avons décidé d’organiser une razzia sur le bois qui traine dans l’usine mais le feu à peine rallumé, c’est une nouvelle panne d’électricité ce qui nous a obligé à nous coucher tôt.

Les gardiens nous surveillent davantage et c’est de plus en plus difficile de sortir du bois de l’usine.

Comme tous les jours, le sol de notre chambre est lavé par des femmes russes, nous avons l’impression d’être dans une glacière avec cette humidité et ce froid qui empêche le sol de sécher.

Nous sommes obligés de nous coucher de très bonne heure car nous avons les mains et les pieds qui commencent à geler !

Expédition anthracite

Nous avons cherché une solution à nos ennuis, pour récupérer du charbon ; un samedi midi, en sortant de l’usine, nous avons fauché aux Allemands plusieurs portes que nous avons débitées.

Nous avons fait une bonne flambée qui nous a remis d’aplomb et à la tombée de la nuit, tous les quatre, accompagnés d’un auvergnat, nous avons monté une expédition avec comme objectif le tas d’anthracite du camp.

Nous sommes partis avec nos musettes dans lesquelles nous avons mis comme contenants supplémentaires, nos oreillers vidés de leur paille.

Nous avons longé la voie ferrée qui mène aux réserves, le sol était recouvert d’un épais blanc manteau. Il nous a fallu monter un talus, j’étais en tête mais dans une glissade mémorable, je me suis retrouvé en bas de la pente, couvert de neige, les copains étaient pliés en deux.

Arrivés tous les cinq en haut du talus, il nous a fallu ramper dans la neige pour ne pas se faire repérer par les gardiens des miradors. Nous avons cherché un passage sous des fils barbelés, nous réussîmes à passer cet obstacle, en nous élançant l’un après l’autre.

Enfin nous atteignîmes le tas de charbon, nous piochâmes dans cette montagne en essayant de retenir nos rires.

Une fois nos oreillers bien remplis, nous refranchîmes les barbelés en moins de deux, nous rampâmes sur le talus en guettant le faisceau du mirador, et, juste après son passage, nous nous précipitâmes dans la descente pour rejoindre notre baraquement.

Pendant notre escapade, nous avons aperçu quelques sentinelles qui, emmitouflées dans leur pardessus, cherchaient à se préserver du froid. Nous sommes rentrés dans notre cantonnement en véritables héros, heureux de leur exploit.

(…)

L’ambiance du camp s’est dégradée

L’ambiance du camp s’est dégradée ces dernières semaines, nous sommes maintenant traités comme les Russes qui sont considérés ici « comme des moins que rien ».

Histoire de nous embêter, les Allemands s’amusent à nous faire lever à cinq heures du matin, pour rien. Dorénavant, le midi, nous n’avons plus droit qu’à 45 minutes pour ingurgiter notre malheureuse soupe de la cantine de l’usine. Mais nous sommes rentrés en résistance, nous prenons notre temps et nous reprenons presque tous les jours, le travail en retard.

La compagnie des punaises

Tous les soirs, René fait la chasse aux punaises, il en trouve une dizaine à chaque fois, moi, je ne les cherche plus, j’ai fait deux trous dans le bois et elles tombent dans ce piège. J’en récupère trois par jour en moyenne, ce n’est pas beaucoup. Le plus amusant, c’est d’entendre la nuit les copains se gratter en poussant des jurons ! Les punaises sont de plus en plus nombreuses, elles ne me dérangent pas mais pour René, ce n’est pas la même chose, la nuit dernière, il a été obligé de dormir sur la table car ses couvertures étaient remplies de ces bestioles ! Pour les nuits prochaines, il va dormir à côté de moi, mon lit touche la paroi extérieure de la baraque qui est glaciale et comme les punaises n’aiment pas le froid, elles préfèrent coloniser des lits moins exposés comme celui de René.

(…)

Une Lily Marlène modifiée

Après la soupe, nous avons assisté à une soirée organisée au camp, ce sont toujours les mêmes camarades artistes qui se produisent et comme leur répertoire ne varie pas, c’est un peu lassant !

Les musiciens jouent souvent Lily Marlène, nous chantons tous en cœur, naturellement, les paroles ont été modifiées, elles décrivent notre misérable vie ici, heureusement que les allemands ne les comprennent pas !

Le repas de Noêl

Nous avons commencé le diner à 22h30 et nous avons fini à 5h00 du matin. Entre chaque plat, nous marquions une pose pour fumer une cigarette et chanter une chanson.

Naturellement tous les paysans auvergnats étaient couchés car ils devaient se lever tôt pour aller à la messe de six heures qui remplaçait celle de minuit.

Vers 23h00, un camarade d’une autre baraque, le meilleur chanteur du camp nous a donné un récital. Il venait de se produire à une soirée allemande en ville. Pour le remercier, nous lui avons offert une assiette de haricots et des cigarettes.

Pour cette réjouissance, nous avons déplacé nos lits afin d’avoir plus de place. Le repas était si copieux que nous avons calé aux desserts, à la fin du festin, nous avons dégusté un cigare en savourant notre Saint Emilion. Nous avons mis une bouteille de côté en prévision du jour de l’an. Nous étions gais mais moins que les camarades des autres baraques, partout, ce n’était que de la viande saoule. Dans tous les coins, des types étaient allongés par terre, d’autres déliraient, d’autres se battaient. Les couloirs étaient maculés de mares de vomi, les babas Russes ont eu beaucoup de travail pour nettoyer tout cela. Ce n’était pas beau à voir et peu flatteur pour les français.

Guy Baillon avait acheté un sapin pour Noël mais il a été volé. Lui et ses camarades sont alé en couper un dans le parc de Weimar et ont réussi à le ramener dans leur baraque, de nuit et après maints détours pour ne pas se faire prendre.

Le nouvel an

Le soir, nous avons réveillonné tous les quatre avec deux autres potes d’un autre baraquement.

Pour ne pas changer, les auvergnats se sont couchés à 20h00. Les copains ont chanté à tour de rôle jusqu’à 23h00, puis nous avons commencé à manger; une bonne plâtrée de haricots arrosés de notre fameux Saint Emilion.

A minuit, nous avons réveillé les auvergnats en chantant en cœur : « Elle est morte, elle est finie ». Nous avons échangé nos vœux avec de bonnes poignées de main ou des baisers tout en trinquant avec une bouteille d’eau de vie que le chef de chambrée a reçue dans un colis, c’était du costaud !

la carte de voeux envoyée à Madeleine

L’ANNEE DE TOUS LES ESPOIRS

Guy est admis à l’infirmerie un temps, suite à un problème à une jambe. Il va passer cinquante jours sans travailler, ce qu’il apprécie. Ainsi que la qualité du lit. A l’infirmerie le médecin allemand passe mais n’ausculte pas les malades.

Il s’est passé quelque chose d’abominable

Hier, il s’est passé quelque chose d’abominable dans le camp, je ne peux le raconter dans le détail, les Allemands ont pendu en public trois prisonniers Russes parce qu’ils avaient chapardés du pain au réfectoire, ils ne sont plus des hommes mais des monstres.

Une Ukrainienne espiègle

Les dix éclopés, malades et blessés des deux chambres de l’infirmerie sont en train de chahuter avec une jeune femme russe de 22 ans nommée Marousca. Elle est espiègle et adore faire des bêtises. Ce matin, elle m’a réveillé en me jetant de l’eau sur la figure, tout le monde y passe, elle chatouille la plante des pieds ou elle retire brusquement les couvertures. Il s’en suit des cavalcades autour de la table et dans le couloir. En fait Marousca n’est pas Russe mais Ukrainienne, elle a été raflée par les armées allemandes comme tous les jeunes de son village.

J’essaie de parler Russe avec elle mais elle a du mal pour me comprendre, pour décrire un mot ou une action, je fais des grands gestes et je dessine mais le plus souvent, elle ne me comprend pas.

Elle regarde fréquemment ta photo qui se trouve à côté de moi, elle trouve ma promise très belle et pense qu’elle doit être très riche pour être habillée comme cela ! Je lui ai expliqué qu’en France les gens ont plusieurs tenues ce n’est pas le cas pour elle, paysanne de Crimée, elle ne possède qu’une robe dans le style des ukrainiennes. Je suis sûr qu’après la guerre et, si les circonstances le permettent, elle voudra rejoindre notre beau pays !

Des conditions de vie qui deviennent plus dures

Petit à petit, l’atmosphère du camp change, jusqu’à présent notre « assignation à résidence » se passait sans trop de difficulté grâce à la compréhension de notre chef de camp. Mais avec la pression des événements et les mauvaises nouvelles qui s’accumulent sur le front de l’Est, les Russes sont en Roumanie, les conditions de notre « semi-liberté » se durcissent. Outre la restriction du courrier, les cadences de travail à l’usine se sont accélérées et la plage des heures de travail a été allongée. Je ne parle pas de la baisse de la qualité des repas à la cantine, sans les colis nous aurions dû mal à manger à notre faim.

Les femmes sont au même régime que les hommes

J’ai reçu une lettre de Madeleine dans laquelle elle m’annonce qu’elle souhaite me rejoindre en Allemagne. Surtout, il ne faut pas qu’elle fasse cela car la vie ici n’est pas faite pour les femmes. Des hommes mariés ont fait venir leurs épouses, toutes regrettent amèrement ce choix ! Ils vivent dans des baraques où ils n’ont qu’une pièce. Les femmes sont au même régime que les hommes, le matin, après le réveil en fanfare elles doivent courir au travail, par un froid terrible, dans 30 cm de neige. Si elles arrivent en retard comme pour nous, elles auront droit à une amende.

A l’usine, elles travaillent sur des machines et sont couvertes de graisse, elles peuvent être amenées à soulever des pièces très lourdes. Le midi, comme nous elles doivent encore courir jusqu’au camp pour faire la queue dehors par n’importe quel temps afin de toucher une malheureuse soupe aux rutabagas. Puis, elles doivent retourner au travail jusqu’au soir et dès leur retour dans leur baraque. La journée continue par le lavage, le repassage, le raccommodage et de temps en temps, elles devront préparer un supplément de cuisine, les soirs où il y a de la lumière. Ce n’est pas la place d’une femme comme Madeleine ici, de toutes façons il est maintenant interdit aux françaises de rejoindre leur mari.

Le premier gros bombardement de nuit

Nous avons essuyé notre premier gros bombardement de nuit, ce soir-là, René et Georges travaillaient de nuit, ils se sont réfugiés dans l’abri de l’usine. Comme ces abris ne sont pas assez nombreux et de mauvaises constructions, avec Robert, nous avons ramassé toutes nos affaires puis nous sommes partis nous mettre à couvert sous des arbres dans un champ. Weimar a eu son baptême du feu, espérons que les alliés nous laissent un peu tranquilles. Une partie de l’usine a été touchée, cela va perturber son fonctionnement et désorganiser sa production.

(…) Toutes les nuits nous entendons des avions passer au-dessus de notre camp, ce n’est pas pour nous, ils vont s’occuper des autres villes allemandes.

Les Allemands ont vite fait de voir du sabotage partout

Je continue posément mon travail, je cherche à rester le plus longtemps possible au traçage car le travail sur machine me fait peur maintenant. Il faut se concentrer sur les manivelles pour ne pas rater une pièce. Les Allemands ont vite fait de voir du sabotage partout et nous risquons le transfert dans un camp de rééducation au travail et là, ce n’est pas la même histoire.

Guy a abandonné ses cours d’allemand, trop difficiles, et s’est mis au russe – une lubie dit – il. Il fait des croquis pour ses camardes ou des affiches pour les représentations théâtrales du camp. Avec ses copains il continue à faire des sorties dans la campagne allemande et s’entraîne pour une compétition de course à pied inter baraques.

La visite de Philipe Henriot

L’événement de la semaine, c’est la visite, vendredi après-midi de Philippe Henriot, ministre de l’information de Pétain et de la propagande de Vichy. Il a fait un discours samedi au camp et un autre dimanche à l’usine, il nous a annoncé des nouvelles de France qui ne sont guère bonnes pour son gouvernement. Il a été accueilli par des sifflets, sa visite sera sûrement relatée dans les journaux mais certainement pas avec l’accueil que nous lui avons réservé.

La nouvelle du Débarquement

Nous avons appris par les journaux le débarquement en Normandie, les alliés se heurtent à une forte résistance allemande, espérons que cela se débloque et que les anglo-américains vont vite arriver chez nous.

Colis et courriers sont arrêtés

Nous venons d’apprendre que le courrier et l’acheminement des colis vont être arrêtés. La coupure de ce cordon seul lien avec nos familles et nos proches est un drame pour nous.

Comment vivre sans nouvelles de nos êtres chers ?

LA PERIODE LA PLUS NOIRE

Commandos de déblaiement

Comme notre usine avait été fortement endommagée, nous fûmes versés aux commandos de déblaiement. Trois jours sur sept, on nous transportait dans le centre de Weimar. Nous étions serrés dans les camions, entre les « babas », les bonnes femmes russes toujours jacassantes, couvertes de leur édredon à manches qui sont bien plus chaud que nos chandails.

Tous les matins avant le départ nous avions droit au « Plünderer werden abgeschosse » que René nous traduisit par « Les pilleurs seront abattus sur place ».

Notre travail consiste à piocher les décombres de la nuit dans lesquels dorment des cadavres. Ce boulot est dangereux car nous pouvons tomber sur une bombe qui n’a pas explosé et qu’un coup de pioche peut activer. Et puis, il y a les bombes anglaises à retardement qui sont réglées pour exploser jusqu’à 24h00 plus tard !

Mais c’est dans ces ruines que nous pouvons tomber sur quelques nourritures ; du pain ; du lard ; des patates ; des boites de conserve. Mais il faut faire attention de ne pas se faire remarquer car cela peut nous conduire tout droit à la prison où les pilleurs sont décapités à la hache.

La meilleure technique consiste à pousser avec la pelle, la chose qui se mange, de côté. On le recouvre discrètement de quelques gravats, on balise et on repère bien l’endroit.

Parfois, nous sommes pris dans un bombardement, on se retrouve par terre soufflés comme des bougies. Des gravats sautent en l’air et nous tombent sur le dos. Nous courons nous réfugier dans une cave-abri.

Enfin la fin de l’alerte, on sort, et l’on repart au camp, il n’a pas l’air trop touché, les baraques de bois trois fois jetées par terre et trois fois remises en état sont comme nous les avons laissées ce matin. Les babas russes sont rentrées également et maintenant elles chantent, que c’est beau !

Je me souviendrai toujours de cette vision

Je me souviendrai toujours de cette vision un matin que nous rentrions dans Weimar pour un nouveau chantier de tristesse, de voir attachés sur quatre bouts de chevrons trois filles russes et un type, leurs têtes pendantes sur leurs poitrines, exécutés d’une balle dans la nuque.

Les Allemands avaient accroché au cou du russe une pancarte qui lui barrait la poitrine avec cette phrase : Les pillards seront abattus (Plünderer werden abgeschossen !).

Quatre pauvres êtres qui avaient dû, affamés, se jeter sur un quignon de pain ! Un chant monta des prisonniers qui étaient là :

Un triste Noêl 1944

Noël 1944 ne ressemble pas à celui de 43, fini les colis, le vin, la charcuterie, les gâteaux. La cantine du camp nous a servi exceptionnellement une soupe avec de la viande accompagnée de patates. Heureusement que nous avons récupéré deux boites de singe, une boite de petit pois et un peu de pain, voilà notre menu de réveillon ! La Croix-Rouge nous a fourni quelques gâteaux qui auraient dû être secs mais qui sont humides et qui sentent une odeur d’essence. Les Allemands jeûnent, nous sommes réduits à une soupe d’eau chaude par jour !

Le 9 Février 1945, un bombardement américain détruisit presque complètement l’usine Gustloff qui tournait au ralenti faute de matières premières.

Malheureusement, le bombardement tourna à la catastrophe, à la suite tragique d’erreurs de cibles. Les baraques furent détruites, environ 800 détenus furent tués, et de nombreux autres blessés et parmi eux, de nombreux Français. Les rescapés furent alors occupés à des travaux de déblaiement.

Notre libération approche

En février 1945, un bruit court que les Russes campent sur l’Oder. Depuis plusieurs mois, les communiqués allemands se ressemblent et disent :

En certains points du front, les invincibles armées du Reich se replient triomphalement sur des positions situées très légèrement en arrière par rapport à celles qu’elles occupaient hier. Notre foudroyante manœuvre de décrochage a déconcerté l’ennemi, lequel fonce tête baissée dans le piège diabolique et vient s’enferrer exactement à bonne portée de la contre-attaque préparée par les stratèges de la Wehrmacht, suivant les directives personnelles du Führer ».

Nous avons appris que Pétain et sa clique se sont sauvés en Allemagne à Sigmaringen ! Notre libération approche !

Malgré les bombardements notre camp est toujours là

L’hiver 44/45 a été très rude, le thermomètre reste bloqué à moins vingt. La ration de charbon a été réduite à trois briquettes de tourbe par baraque et par jour. Nous complétons en allant faucher la nuit, du bois dans le tas de décombres de l’usine et de plusieurs baraques du camp. On cache le bois volé sous nos paillasses.

Malgré les bombardements notre camp est toujours là. Un camp c’est élastique, Une bombe qui tombe sur un immeuble fait voler en éclat les murs de briques mais le souffle qui passe sur une baraque la couche. Il suffit de la redresser !

Ces petites bêtes sont vecteur du typhus

Nous sommes envahis par les punaises, si l’on trouve des poux de corps, nous devons le signaler immédiatement car ces petites bêtes sont le vecteur du typhus. Leur apparition entraine une rapide désinfection de la baraque.

La punaise renaît de ses cendres, la nuit elles nous courent dessus, elles nous sucent à blanc ! On est tellement crevés qu’on finit par dormir quand même. Si tu les écrases à coups de gifle, l’odeur te révulse, il vaut mieux les oublier !

Une fausse magnanimité

Les prisonniers de guerre étaient protégés par les conventions internationales interdisant de les employer à des tâches de guerre comme de travailler dans des usines d’armement.

Vers la fin de 1943, les journaux annoncèrent en triomphe : L’Allemagne magnanime libère tous les prisonniers de guerre français, belges, hollandais et luxembourgeois. Ils n’étaient plus considérés comme prisonniers mais comme civils, des civils qui rentraient dans les critères d’âge du STO. Et hop, deux millions de STO en plus !

Enterrement et deuil chez les Allemands

Un, matin dans un quartier à moitié détruit de Weimar, un enterrement passe, derrière le corbillard à bouquets de plumes noires, la famille traverse les gravats en se tordant les pieds. Les hommes sont en redingote noire, le chapeau haut de forme sur la tête. Tous les Allemands, même les plus pauvres, conservent dans la naphtaline la redingote noire et le zylinder, le chapeau haut de forme qui ne sert qu’aux enterrements.

Lorsqu’un soldat allemand meurt au front, la famille n’a droit qu’a trois jours de deuil, elle peut se mettre en noir mais passé ce délai, c’est interdit sinon toute l’Allemagne serait en noir ! Cela ne serait pas bon pour leur moral !

L’idée des silos

Nous avons constamment faim, Georges a eu l’idée des silos, on les a repéré près des maisons dans la campagne. Certains contiennent des betteraves ou des patates. On attend la nuit noire, trois copains grattent la terre avec des petites pelles de notre fabrication pendant que le quatrième fait le guet.

On écarte la paille et si ce sont des pommes de terre, nous remplissons nos musettes, on referme le silo et on se sauve en direction du camp. Nous prenons soin de changer de silo le plus souvent possible afin de ne pas nous faire remarquer.

Le prisonnier de guerre français

Un jour que nous nous sommes enfoncés plus loin dans la campagne, nous tombons sur une ferme, les vaches sont au pré, un gars nous regarde arriver, il porte sur la tête le bonnet à deux cornes de l’armée française.

Pour le reste, il est habillé comme les paysans de Thuringe. C’est un prisonnier de guerre qui vit avec la propriétaire. Il nous apprend qu’elle est veuve, son mari est décédé là-bas, à Stalingrad. Cela fait quatre ans qu’il travaille dans cette ferme, il s’occupe de 600 hectares de terre à patates et de 25 vaches. Il souhaite rester là avec elle, vivre ensemble et continuer à travailler comme maintenant. Il nous donna toutes les patates que nous pûmes emporter.

Les prisonniers de guerre russes se mettent en grève

Le 15 février 1945, les prisonniers de guerre soviétiques protestent contre les conditions qui leur sont faites et se mettent en grève… Pendant plusieurs jours, ils seront privés de leur ration de pain. L’organisation de solidarité française leur fournit un sac de pain par jour durant cette période.

Le 6 avril, quarante-six détenus politiques soupçonnés d’être des dirigeants de la Résistance sont appelés par les S.S. pour être exécutés mais le Comité international les prend en charge et les cache. Parmi eux, l’avionneur français Dassault.

LA LIBERATION DES CAMPS DE BUCHENWALD et de WEIMAR

L’évacuation du camp de concentration proche

Nous assistâmes à l’évacuation du camp des déportés : Himmler avait donné l'ordre d'évacuer les KZ avant l'arrivée des armées alliées. Du fait de sa situation géographique, celui de Buchenwald reçoit donc des convois de détenus en provenance de la plupart des camps, notamment d'Auschwitz et de Gross-Rosen, avant d'être lui-même évacué, le KZ de Buchenwald compte alors plus de 80 000 détenus. Au cours de véritables marches de la mort, les déportés sont donc évacués.

L’Allemagne s’effondre et es Américains arrivent dans la région de Weimar.

Les Américains nous étonnent par leur décontraction

Les américains nous étonnent par leur décontraction, en voiture, dans leurs petites autos bizarres avec un capot plat, on dirait des boites d’allumettes montées sur des roues.

Ils circulent les pieds sur le capot en mastiquant du chewing-gum. Ils donnent l’impression de faire la guerre négligemment, par inadvertance.

La libération : un dû qui tarde à venir

Nous sommes un peu amers car depuis l’été de 1944, nous attendons la libération comme un dû qui tarde à venir, nous mettons ce délai au manque d’empressement des alliés à venir à nous. Mais on ne peut nier l’attraction que les ricains exercent sur nous, l’abondance américaine tranche avec nos années de restriction. Cigarettes, chocolat, sucre, café, lait concentré, margarine, corned-beef nous sont distribués en grande quantité.

Orgie alimentaire et pillages

Nous organisons des bals, des fêtes dans le camp, on assiste à une véritable orgie alimentaire qui met à mal nos organismes. La célébration de la victoire suscite de véritables libations. Des camarades ont déniché des bouteilles dans la cave du Lagerfürer et dans les habitations voisines.

Les bâtiments administratifs du camp sont pillés, les machines de l’usine sont dépouillées. Nous descendons en ville pour nous servir en chaussures et vêtements divers. Je récupère un poignard SS sur le corps d’un officier abattu.

Reddition de l’Allemagne

Nous apprenons qu’Hitler s’est suicidé le 30 avril et que les Russes ont pris Berlin !

Les troupes américaines et soviétiques se rejoignent à Torgau sur l’Elbe, le 25 Avril 1945 à midi, le 7 mai l’Allemagne capitule et la reddition inconditionnelle intervient le 8 Mai 1945.

A la désinfection

Nous sommes pris en charge par les américains mais nous ne pouvons plus sortir du camp pour éviter les incidents avec la population allemande. La première chose que font les ricains, c’est de nous faire passer à la désinfection. Nous sommes torse nu, en slip ou short, ils nous envoient une poudre blanche sur tout le corps, tu dois entrebâiller le slip, devant et derrière. Une bonne giclée dans les cheveux et la vermine est morte, ils appellent cela du D.D.T.

Ils nous mettent un coup de tampon sur le dos de la main, preuve de ton passage au farinage. Ensuite nous faisons la queue pour nous faire enregistrer dans un bureau, ils nous donnent une étiquette, genre de carte d’identité, que nous accrochons à un bouton de notre veste.

Nous quittons enfin cet enfer

Le rapatriement des prisonniers des camps de Weimar commença le 18 avril, la priorité fût donnée aux détenus du camp de concentration. Deux milles Français, partirent par camions américains ou appartenant à la Croix-Rouge.

Une fois le trafic ferroviaire rétablit, les retours se firent en train par Mayence vers Paris.

Plus tardivement, les malades soignés plus longuement furent rapatriés par chemin de fer avec des détachements de la Mission vaticane, vers Metz par Francfort.

Nous attendons notre tour pour prendre le train de Paris, plus d’un mois passa depuis la libération du camp avant que le 13 mai 1945, nous quittions enfin cet enfer ! Les STO du midi de la France sont les premiers à être partis.

Retour à Paris

Enfin, c’est à nous, nous montons dans des wagons à bestiaux, le train se traine, il s’arrête partout.

Dans chaque gare, nous avons droit à un bol de Viandox ou à un café au lait.

Nous mettrons douze heures de train pour d’arriver gare de l’Est à Paris. A la descente du train des jeunes femmes de la Croix Rouge, nous donnent une soupe et des biscuits secs.

Conduits au Grand Rex

Nous sommes ensuite conduits en bus au cinéma le Grand Rex dans lequel nous avons droit à un discours d’Henri Fresnay, responsable du Commissariat aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés (PDR), puis on nous projette des actualités cinématographiques qui nous décrivent le débarquement en Normandie, la bataille de Caen, la libération de Paris, l’avance des alliés jusqu’au la capitulation allemande. Vient plusieurs documentaires sur la France de 1945, sur la résistance, sur le nouveau gouvernement et sur les acquis du CNR (Comité National de la Résistance). Des téléphones sont mis à notre disposition pour prévenir nos familles.

Que de méfiance !

Nous reprenons des bus pour nous rendre au centre de rapatriement de la gare d’Orsay, Je passe une bonne partie de la nuit en formalités diverses, que de méfiance ! Nous sommes obligés de passer dans un bureau les uns après les autres. Un militaire me demande mes papiers, je lui tends ma carte de travail et la carte de STO.

Il me pose un tas de questions : pourquoi je suis parti travailler en Allemagne, est ce que je ne suis pas un volontaire ? Il finit par me donner une carte de rapatrié qui doit me permettre d’obtenir des tickets d’alimentation, une paire de chaussures, un colis de nourriture, des cigarettes et 1000 francs.

Un premier contact source de déception

Dès que j’ai su la date de mon départ d’Allemagne j’ai écrit à Madeleine pour lui donner approximativement le jour de mon retour. J’espérais la trouver à la sortie de la gare mais avec mon retard et le nombre de requis et prisonniers, c’est impossible de retrouver quelqu’un.

Je retrouve Paris comme je l’ai quitté tout fonctionne normalement, il y a des militaires américains partout, ils sont tous à moitié saouls.

Mon premier contact avec la France retrouvée est, malgré tout, source de déception, Que de temps perdu avec les opérations administratives nécessaires à la démobilisation et que dire de l’attitude hautaine de l’officier qui m’a interrogé ; il me reprocha d’être parti en Allemagne, la crainte de représailles contre la famille n’était pas pour lui une excuse suffisante !

Lorsque j’étais dans le camp de Weimar, J’imaginais que notre retour à Paris serait fêté par la population à la place de cela, je trouve la majorité des gens indifférents. Ils ne célèbrent que les héros de la Résistance et leur participation dans la lutte et la victoire sur l'Allemagne nazie.

Madeleine est superbe

Je descends prendre le métro, enfin je me sens bien, j’attends le bus et me voici à Stains dans mon avenue Solon. J’embrasse mes parents, je dépose mes affaires et je file au troisième étage du 19, chez Madeleine. Tous m’entourent, me serrent, m’embrassent, que de bonheur ! Madeleine est superbe, je la prends par la main et descend avec elle pour nous retrouver seuls !

J’ai le sentiment de m’être fait voler deux ans de ma jeunesse, mes vingt ans, mon insouciance… ma vie! Quel gâchis !