04 La femme Bara

"N’apela manara-baly" p13 (2) "L’épouse suit le conjoint"

"La calamité majeure : ne pas avoir de descendants qui puisent l'assurer : de là (disait-il) la liberté des jeunes filles" p5 (7)

Les Bara appartiennent à une société typiquement patriarcale et patrilinéaire. Les publications spécifiques sur les femmes Bara ou apela (1) sont rarissimes. Toute étude de la situation féminine bara mérite alors qu'on y porte une attention particulière et moult encouragements aux chercheurs. (2)

La continuité du culte des ancêtres est commune à toutes les ethnies malgaches. Ne pas appartenir à une lignée ou un clan est une véritable mort sociale chez les Bara. Malgré cela, les femes bara restent au second plan car "il est bien connu que l'arrivée d'une fille dans une famille malgache est saluée avec moins d'allégresse que celle d'un garçon - Le garçon est destiné à prendre la place de ses aînés, des ray aman-dreny - la jeune fille au conraire doit être préparée à son rôle de femme mariée et mère". p5 (7)

"Une femme (qui) n'a jamais été mariée et qu'elle est morte sans descendance directe, une sorte de malédiction pour une femme bara - on n'enterre jamais de telles femmes avec les autres membres du lignage. Tout comme la forêt est en dehors du monde des hommes au sens social, les femmes bara de lignée royale mortes sans avoir procréée sont enterrées en forêt. En quelque sorte elles n'ont pas été intégrées au monde sociale, celui contrôlé par les hommes". (page 51-52) (3)

Virilocaux (p 629) (8), les nouveaux couples éliront domicile dans le village du mari comme le rappelle la maxime n’apela manara-baly. « L’épouse suit le conjoint » (p 13) (2) Les Bara respectent la filiation patrilinéaire, privilégiant ainsi l’ascendance paternelle.

Ils pratiquent la polygynie, sous réserve du consentement de la première épouse ou valy be. Si l’époux a les moyens, il peut prétendre à une seconde épouse ou valy ivo, généralement, un Bara se contentera d’une troisième épouse ou valy masay. Et ces épouses légitimes seront en droit de réclamer chacune un zébu ou takim-bavy (p 504) (8). De même, la concubine ou valy fisa n’ayant pas fait l’objet de rite traditionnel pourra plus tard se faire officialiser sa situation, toujours par un don de zébu. Il arrive que l’homme bara aura encore une maîtresse ou valy amato malgré toutes ces éventualités. Mais ces aventures risquent de lui coûter cher, car son épouse légitime peut lui exiger un « zébu offert » ou aomby tangy pour réparation. (p 54) (8)

Jadis, un personnage important pouvait disposer de plusieurs dizaines de concubines. Impoinimerina avait quatre-vingt épouses et Rehandry, seulement douze (p 76) (9) Inapaka en avait soixante, tandis que Ramieba n’en avait que cinquante.

Tout cela montre l’objectification de la femme. Il en est de même en ce qui concerne le phénomène de la prostitution ou tsenan’apela, signifiant littéralement « marché aux femmes », c’est ici que les riches propriétaires de zébus monnaient les faveurs des filles bara.

Une autre pratique bara mérite d’être citée ici. Il s’agit des « fiançailles précoces ». Une fillette non nubile ou valy body est mise en pension dans la famille du futur marié en attendant le mariage définitif, et tout rapport sexuel restera interdit (faly).

Une autre originalité de cette société réside dans le contrat vala valy. C’est une entente explicite entre deux clans. La décision est irréfutable, dès lors qu’un « homme, vala valy avec un autre homme, peut prendre sa femme, et le mari ne peut qu’accepter le fait accompli ». (p 630) (8) Il arrive aussi que la femme fasse le choix de rejoindre l’homme vala valy. (Vala signifie « accord entre clans » mais aussi « enclos à zébus »). C’est le cas par exemple quand elle se lasse de son époux. Dans les deux situations, il n’est pas question d'adultère. Tout en sachant que la répudiation ou fanetoa reste une option réservée au mari pour rompre le lien conjugal. Mais une épouse qui abandonne le domicile conjugal, en dehors de ces cas est une valy kara. (p 23) (2)

Chez les Bara, il arrive que la veuve se remarie (valy lova) à la même fratrie. Il s’agit bien pour eux d’un faux lévirat, car un zébu est de nouveau offert (tandra valy) pour l’occasion. Enfin, un mariage peut se faire sans le consentement de la belle-famille, il s’agit alors d’une épouse valy sitaky (sitaky : éloignement, séparation).

Il peut arriver qu’un couple doive vivre en commun d’une manière officieuse pour s’assurer qu’il sera fécond. Une fois que ce couple décide de s’engager, une cérémonie de tandra valy ratifiera solennellement cette union. Par ailleurs, on appelle zébu-compensation (taha) le dédommagement offert à la famille maternelle du fils à venir puisque ce

futur enfant appartiendra à la lignée paternelle ! (p 22) (2)

Au cours d’un mariage coutumier, les longs palabres ou kabaro très animés ne sont pas des marchandages sur la valeur vénale de la future épouse. Ils présentent aussi une occasion pour vanter le potentiel d’enfantement de cette femme ainsi que ses qualités et on n’hésitera pas à faire appel à d’authentiques orateurs spécialisés. C’est pour cela que chez les malgaches « considérer le mariage coutumier sur le même plan que le concubinage est une assimilation injurieuse. Cela contribue à la dévalorisation du mariage coutumier alors même qu’il comporte en lui-même un engagement de stabilité entre les deux personnes et deux familles » comme le souligne l’évèque Jean-Guy Rakotondravahatra. (p 182) (10)

Les unions peuvent être exogames (a-karahamba) comme endogames dites a-pilongoa ou a-pirazana. (p 629) (8) Profiter des liens déjà existants permet de renforcer la stabilité de la société tout en réduisant les conflits. Quant aux richesses, ils resteront au sein du groupe pour la préservation du patrimoine.

Ils avaient toutefois leur conception de l’inceste suivant des règles bien établies : l’union des enfants issues de la même mère est interdite car ils sont de même coeur ou tampo raiky ou bien du même utérus ou troky raiky et il en est de même pour les enfants de deux soeurs. L’union d’enfants d'un même père mais de mères différentes est tolérée puisqu’ils ne sont que «presque frères et soeurs » anaka piolotsy. Le mariage idéal se fera entre les enfants d’un frère et d’une soeur et la plupart du temps, il y aura union entre neveu et nièce. Jadis, les souverains bara pouvaient avoir « des relations avec leurs filles, leurs belle-filles, leurs soeurs ; seule leur mère était faly ». (p 173) (11) Cependant, il arrivait que ces actes soient condamnés et pouvant même conduire à leurs destitutions. Un compromis par le sacrifice de zébu s’imposera, afin d’absoudre le caractère incestueux d’une union. C’est le rituel du tandra valy (p 512) (8) pendant lequel le couple est enduit du sang du zébu immolé afin de les purifier.

Une fois le foyer constitué, les hommes n'éprouvent pas tellement de considération au quotidien en leurs égards. "Si une femme est présente, le seul devoir domestique de l'homme est d'aller chercher du bois à brûler. Il en est de même chez les Bezanozano et chez les Bara". (p 156) (5)

Paradoxalement, "chez les Bara, où l'accouchement est surveillé et dirigé par les membres mâles de la famille, la réclusion de l'accouchée ne dure que quatre jours". p220 (6)

Enfin, les femmes bara qui ont eu accès à l'école n'hésitent pas à partager leur savoir dès que la première opportunité se présente. Ce fut le cas des convertis au christianisme. "Rasoajanahary, noble femme bara amenée à Tananarive sous Ranavalona Ière, rentre à Ambohimandroso et y fonde , avec une compagne, Renista, la première congrégation, qui comprend quatorze chrétiens de longue date". (page 410) (4)

Sources :

  • ELLI, Luigi. Les Bara de Madagascar : Une civilisation du bœuf - Difficultés et perspectives d' une évangélisation (1993) Ambozontany - Fianarantsoa (1)

  • ELLI, Luigi. Dictionnaire ethnologique Bara-Français (2010) Antananarivo: Communauté Lazariste de Turin et de Madagascar (8)

  • TANDRENAY, Vololonirina Emma. Les droits de la femme Bara : Dans les districts de Beroroha, d’Ankazoabo et de Sakaraha. Madagasikara (21.06.2008) Université de Toliara - Faculté de droit Mémoire de maîtrise : Carrière judiciaire et sciences criminelles. (2)

  • LEBIGRE, Jean-Michel. Milieux et societés dans le Sud-Ouest de Madagascar (1997) Presses Univ de Bordeaux (3)

  • RAISON-JOURDE, Françoise. Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle: invention d'une identité chrétienne et construction de l'Etat, 1780-1880 (1991) KARTHALA Editions (4)

  • GENNEP, A.V. Tabou et Totémisme à Madagascar (1904) Рипол Классик (5)

  • LITTLE, H.W. Madagascar, its History and People (1884) London (6) (p220)

  • RAHARIJAONA, Henri. La femme, la société et le droit malgache (7) (pdf)

  • LE BARBIER, M. C. Contribution à l’étude des Bara-Imamono (1921) Paris : MAsson "L'Anthropologie, t. 31" (9)

  • NYOKUNDA, Omeonga Josephine. Indissolubilite catholique et coutumes africaines : discussion sur le mariage traditionnel africain (2008). Peter Lang (Publications universitaires Europeennes - Vol. 860 - Serie 23) (10)

  • GRANDIDIER, M.G. A Madagascar, anciennes croyances et coutumes (1932) Journal de la Société des Africanistes (tome 2 fascicule 2) : 173 (11)

Pour aller plus loin :

  • DESCHAMPS, Hubert. Les fondements religieux du droit quotidien malgache (1965) in Etudes de droit africain et de droit malgache éd. Jean Poirier, Paris (Cujas), (p 3-25)

  • COWAN, D The Bara (1897) Ant. Ann., n° XXI (p69)

  • La violence contre les femmes à Madagascar (Rapport)