"Gny to tsy mba zainy" (1)
Le cheminement à partir d’une étude sur les Bara révèle qu’une similitude existe bien entre les peuples, et que chaque spécificité culturelle fait la richesse de l’humanité. Ce qui invite à la réflexion :
A l’heure de la mondialisation, est-ce que la Banque Mondiale, le FMI et les autres organismes se contenteront-ils uniquement des normes ISO 9002 et autres ?
Tiendront-ils quand même compte de la particularité de chaque peuple ?
Au nom de la « bonne gouvernance » est-il réellement possible d’imposer des solutions européennes ou américaines aux problèmes du tiers (et du quart) monde ?
Répondre sincèrement à ces questions ne nous impose-t-il pas de raisonner comme eux ?
Quelles sont leurs priorités ?
Comment un malgache conçoit-il le bonheur ?
Je recommande vivement à mes compatriotes la (re)lecture de Filozofia malagasy, l’excellent ouvrage de Paul Rahajarizafy librement traduit ci-dessous.
article du 25.03.2012
Si Daniel Rops qualifie notre terre d’Un monde sans âme, Senghor dans « Le monde noir » limite cet état au monde [européen, américain] détenant plus de savoir, tout en ne manquant pas de mentionner la grandeur d’âme des peuples africains, asiatiques et océaniens.
D’après le dictionnaire malgache-français d’ABINAL & MALZAC, le terme FANAHY* désigne à la fois esprit et âme. Au sens figuré, il signifie aussi bonne nature, bonté, droiture, conduite. Ici apparaissent déjà l’ambiguïté et l’incompréhension pour les individus cultivant la rationalité. Effectivement, si pour certain :
l’âme intervient dans l’intelligence et le choix ; chez les malgaches, le FANAHY est l’entité immortelle en eux, responsable de la réflexion et de l’action.
l’intelligence intervient dans la recherche et le savoir ; chez les malgaches, le FANAHY est l’entité immortelle en eux, responsable du constat et de la conduite.
la conscience intervient dans le jugement et la conduite ; chez les malgaches, le FANAHY est l’entité immortelle en eux, responsable de l’équilibre.
la raison intervient dans l’explication ; chez les malgaches, le FANAHY est l’entité immortelle en eux, modérateur de comportement.
* la racine AHY signifie “alarme”, “chagrin”, “souci”, “tourment”…
Certes, on frôle le pléonasme, mais paradoxalement, ces similitudes confirment bien cette différence culturelle, source de tout décalage.
Est-ce que le FANAHY n’a pas toute sa place dans la noosphère,
cette “sphère de l’intelligence collective” selon la cosmogénèse de Teilhard de Chardin en 1922 ?
νοῦς : du grec noüs “l‘esprit” exprime l’intelligence
Est-ce que le FANAHY a un rapport avec le fanâ’ de l'arabe (فَناء)
terme soufi signifiant "anéantissement" ou "évanouissement"
et qui sous entend une certaine transcendance (élévation de l'esprit par la contemplation),
c'est à dire l'effacement de l'humain pour accéder au divin ?
Aujourd’hui, cette touche d’immortalité et d’éternité est encore vécue au quotidien à travers :
Le culte des ancêtres.
L’absence de toute contrainte dans le temps (seul le calendrier agricole rythme leur vie).
Si la Pensée traditionnelle est toujours présente en milieu rural (plus de 75% des malgaches) il serait erroné de ne pas tenir compte d’une mutation des mentalités, flagrante chez les citadins ou chez tout individu ayant accès au vidéo-club, à l’antenne parabolique, le téléphone portable, l’Internet… Véritables miroirs aux alouettes, quand l’éducation laisse à désirer.
« Une immense espérance a traversé la terre, malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! » Alfred de Musset
Ayant la même réflexion, les malgaches conçoivent la vie sous trois aspects :
1- Corporel et substantiel :
Vivre humblement ne les empêchent pas d’apprécier la douceur de vivre. Ainsi, chez les paysans, l’envie reste modérée et raisonnable : ils sont encore préservés de l’argument de vente « créer des besoins »… se fiant au destin, avec le contentement du quotidien.
2- Sentimental et relationnel :
Cette alliance (voir Diagramme récapitulatif) qu’est le Fihavanana (FILONGOA) reste fondamentale. N’est-elle pas mère du respect et d’entraide, dans la joie comme dans la douleur ? Responsable de la cohésion sociale, elle seule garantit son évolution.
3- Spirituel et authentique :
Leur conduite gravite autour de la vérité, de la raison et de l’équité, plutôt que de privilégier droit et juridiction.
Voici quelques impairs à éviter dans vos relations avec un malgache :
Les violences verbales.
Ne jamais influencer quelqu’un dans son choix.
Ne pas se précipiter dans une décision.
car :
« Mamy ny aina » « La douceur de vivre » « La vie n’a pas de prix »
« Manaraka ny onjany » « Suivre la vague » « Selon le destin »
« Moramora » « Tout doucement » « Dans l’intemporalité »
En plus de cet éloge de la lenteur, rien n’est tout à fait ni blanc ni noir, ainsi :
« Fisaka ny marina ka saro-tadiavina » « La vérité est sans relief, ainsi sa quête est laborieuse »
« Ny marina tsy mba maty » « La vérité est immuable »
« Ny rariny tsy fola-mandefitra » « L’équité ne se perd pas dans la tolérance »
" Le Malgache ne dit jamais non ! à vous d'interpréter :
! si c'est oui, OUI
! si c'est oui, PEUT-ÊTRE (sous-entendu, on doit en parler)
! si c'est non, NON (en général, le Malgache ne vous donne pas signe de vie… et vous pendant ce temps, vous vous dites il n'est pas sérieux) "
Madagascar - L'Île dans les Mers - Guide culturel du monde - Didier MAURO - éd. Pages du Monde 2009 - p201
Selon le dictionnaire de Malzac :
Mitompoteny fantatra : “s'obstiner dans l’opinion”
Tompon-ditra : “qui s'obstine, seul contre plusieurs”
Miahoaho : “manifester son individualisme”
"Ces expressions visent l'homme qui se fait remarquer par son non-conformisme"
"Bible et pouvoir à Madagascar au XIX° siècle" Françoise Raison-Jourde - éd. Karthala - 1991 - p102
"Le premier souci des ancêtres, dans une discussion, est de ne pas contrarier leurs amis. C'est pour cela qu'ils disent toujours : c'est vrai lorsqu'ils répondent, même s'ils ne souscrivent pas au point de vue exprimé. Ils ne cherchent pas en cela à mentir, mais ils s'efforcent plutôt de faire valoir, dans un premier temps, ce qui est juste dans le point de vue de leur interlocuteur.
Dans un deuxième temps, tout doucement, ils exposent les raisons de leurs désaccords ainsi que leur point de vue, ceci afin de ne pas choquer. Même si l'interlocuteur a manifestement tort et continue d'insister, ils ne le contrarient jamais ni ne le combattent, mais ils se contentent de répondre."
"Ny mpanolo-tsaina" Andriamifidy - Janvier 1909 - p52-p53
« Izay tsy ampy fanahy hanindry ny fitsiriritany no minia te-hangidy vava isan’andro. »
Celui qui manque de bon sens et ne surmonte pas ses envies, goûtera l’amertume au quotidien.
« Ny manantena tsy misy no sarotra, fa ny mamy mora foana. »
S’il est difficile de désirer l’impossible, vivre avec douceur est aisée.
« Lalina ny hady, azo toharana ; lalina ny rano, azo lakanina ; fa ny ratsy ataon-kavana no tsy azon-kevitra. »
La fosse profonde reste franchissable, l’eau profonde demeure navigable ; mais le mal fait par un proche (famille ou ami) reste toujours inimaginable.
« Le courant profond de cette culture malgache ancestrale continue à nous mener plus inconsciemment que consciemment »
Père Rémy RALIBERA, jésuite - ancien président de l’ordre des journalistes
Et ce n'est le fruit du hasard si c'est dans le journal Lakroa (août 2015), celui du Père Ralibera, que cette phrase du Frère Romain a été tiré :
"Les jeunes n’ont plus de repères, et il n’est pas étonnant que la situation se dégrade. Alors, faites que les jeunes retrouvent l’âme malgache qui est une valeur inaliénable".
article du 30.04.2012
Pour aller plus loin :
Emile Thomas Razafindremaka est le président de l’association GTZ éponyme de l'expression Bara signifiant "Ny marina tsy mba maty" ou "la vérité ne meurt jamais" (1)
Madagate Code de la Communication : appel de 56 organisations de la société civile (12.08.2016)