05 Chapitre

LE CHOIX DE L’OFFICIANT :

Comme le sacrifice est un instant privilégié avec Dieu. C’est à l’officiant qu’incombe la lourde responsabilité de transmettre la protection divine, et, la bénédiction ancestrale à toute la famille. C’est encore sur ses épaules que reposera toute l’organisation sociale, entre autre, le règlement des litiges familiaux. Enfin, il se porte aussi garant de la sécurité familiale, en cas d’agression de l’ennemi ou d’un vol.

C’est pour cela que cette tâche sera réservée uniquement à chaque chef de lignée.

La succession de l’officiant est régie par le droit d’aînesse. Son frère le remplacera à sa disparition. S’il est fils unique alors c’est son propre fils qui sera désigné d’office. Étant donné que les Bara sont polygames, il s’agira du fils de l’épouse principale. Néanmoins, le fils de la seconde épouse pourra y prétendre, si celui de la première femme n’est pas digne de confiance. Dans tous les cas, ce statut reviendra aux aînés, sauf en cas d’absence d’autre alternative.

INVESTITURE DE L’OFFICIANT :

La veille du « havoria » fête commémorative de l’officiant qui vient de disparaître (on abat des zébus et on danse) la population se réunit pour l’investiture de son remplaçant. Femmes et enfants chantent sur la place ; tandis que les hommes vaillants ramènent l’élu, de l’extérieur du village, tout en chantant.

L’individu est paré sur ses cheveux fraîchement tressés (chez les Bara, les hommes portent des nattes) d’une longue coiffe en étoffe pourpre qui pend jusqu’aux fesses et de bijoux en argent aux poignets. Il sera drapé de « arindrano » (étoffe spécifique betsileo) ou de « tokan-tsisina » (lamba* dont le milieu est blanc avec des rayures sur les bords).

Lamba : Pièce indispensable du costume traditionnel malgache. Grand rectangle de coton ou de soie, simplement jeté sur l'épaule des hommes, ou enroulé autour des épaules afin de souligner la dignité de la femme. (Siky : appellation du lamba chez les Bara).

Accompagné de toute l’assemblée villageoise, il court autour de la demeure de l’ancien officiant, tout en acclamant et en tirant jusqu’à trente ou quarante coups de feu en l’air, enfumant ainsi la cour. Ensuite, l’officiant entre dans la maison, puis, s’installe sur une natte propre étalée dans le coin oriental de la case, qui lui est réservé.

Une fois les gens dans la maison et que le silence règne, un représentant prend la parole pour rappeler la sagesse du défunt. Servant de modèle au nouvel officiant qui ne sera plus un enfant irresponsable à compter de ce jour, ces caractères sont :

La force :

« Souviens-toi que ton père était vaillant et qu’aucune armée, ni aucun voleur n’a osé dérober nos zébus. Nul n’a osé lui enlever progéniture et qu’en adviendra-t-il avec toi ? »

L’affabilité :

« Personne ne s’est plaint de lui dans la famille. Tous louaient ses mœurs pacifiques. En vrai gouverneur, il réglait dans la journée même les querelles infantiles. Et toi, ferais-tu preuve d’autant de douceurs ? »

La renommée :

« La réputation de ton père était tellement grande qu’on lui devait du respect. Elle ne s’est pas faite par la force mais grâce à son discernement. On t’énumère ces caractères, en feras-tu bon usage ? »

La foi aux ancêtres :

« Toutes les œuvres de ton père font parties dorénavant du patrimoine des ancêtres et suscitent la protection divine. »

« Aujourd’hui, on te confie cette responsabilité et si tu la vis dans le bon sens, tout ira bien. Le cas échéant, le mal n’engendrera que le mal. Prends ce sabre (signe d’autorité) et à son image : par sa garde, tu bénéficieras de la pièce de zébu réservé à l’officiant (gîte à la noix), par sa pointe tu trancheras. Si tu es raisonnable alors ton père nous a quitté en laissant un homme, qui sera à la fois fierté et mémorial : Conduis-toi en homme, pour remplacer ton père et pour représenter la communauté entière. »

Fusil en main, le nouvel officiant répond : « Soyez rassurés aujourd’hui car je poursuivrai scrupuleusement la voie de mon père. Je terminerai ses œuvres, je réaliserai ses projets. Tant que je ne suis pas mort, enseveli ou réduit en pièces, aucun ennemi ne nous assaillira. Personne ne volera ni nos zébus ni nos femmes et enfants ». Pour sacraliser son engagement, il tire jusqu’à dix coups de feu à tel point que la foudre semble être tombée dans la pièce.

Ainsi s’achève la cérémonie, pour faire place aux festivités. Depuis l’interdiction de détention d’armes, le protocole s’est limité aux conseils prodigués par les hauts dignitaires.

LE CHOIX DE L’OFFRANDE :

Le zébu est l’offrande par excellence. Cependant, tous ceux qui sollicitent la protection divine n’ont pas les mêmes chances. Les uns disposent de grand cheptel, d’autres possèdent un troupeau de moyenne importance et certains n’ont même pas une seule tête de bétail. Pour y remédier, il est alors possible de faire des libations. Dépendant des récoltes de canne à sucre, ce deuxième type d’offrande peut être remplacé par du riz, en cas de sécheresse. Aliment de base, ce dernier peut être aussi sujet aux pénuries et se faire remplacé par d’autres offrandes sans pour autant offusquer Dieu.

Chez les Bara, Il est strictement interdit de sacrifier mouton, chèvre et porc. Ce sera une marque de mépris et d’insulte envers Dieu et les ancêtres ! Rien que leur abattage, lors des cérémonies mortuaires, inspirerait la honte dans la communauté et attirerait la malédiction. Aussi, vis à vis du défunt, ce sera tout simplement une faute irrémédiable.

LES MOTIFS DE L’OFFRANDE :

Multiples sont les occasions incitant les Bara à faire des dons pour remercier la protection divine : éviter un malheur - guérir d’une maladie grave - survivre à une guerre - retrouver ses biens - échapper à la foudre ou à un crocodile - etc...

Les « Sareke » sont des promesses d’offrande que l’on honorera sans faute, pour répondre aux vœux réalisés : « Dieu CREATEUR, je te promet un zébu si je deviendrais … »

Quand les désirs de certains sont comblés et qu’ils omettent de remercier Dieu et les ancêtres, ceux-ci ne manqueront pas de réclamer leur dû comme suit : la maladie frappera l’épouse ou l’enfant des contrevenants. Une bonne partie de leur bétail sera décimée. Ces événements leur rappelleront la suprématie divine.

DEROULEMENT DES SACRIFICES :

On a vu précédemment que les offrandes peuvent êtres très variées (zébu, alcool, riz) ainsi que les modes opérationnelles. Les offrandes d’alcool et de riz sont assez similaires tandis que les sacrifices de zébus sont bien plus particuliers :

Le choix du zébu :

On l’attachera au « Hazomanga » installé à l’Est du village. Il s’agit d’un pieu de 1,50m de haut et aussi gros qu’une cuisse d’homme. Son sommet sera taillé en pointe et écorcé. Dés fois, l’écorce sera ôtée entièrement, jusqu’à sa base enterrée.

Accompagné de la famille, l’officiant sort de sa demeure avec une calebasse d’eau dans sa main. Auparavant, il s’est purifié en se lavant les mains et s’est vêtu convenablement de « lambamena » dés fois, ou même de « arindrano tokantsisina »

Bontona :

Tamarinier sacré chez les Bara, où l'on peut accrocher les ody, bucranes et diverses offrandes, rappelant les ex-voto.

Orientée vers l’Est et dans un grand silence, toute l’assistance s’assied aux abords de la place de sacrifice, en signe de respect et de recueillement à la prière. Seuls, l’officiant et le jeune homme qui l’aide, restent debout. Après avoir formulé trois lentes incantations : « (1) Ô…(2) Ô… (3) Ô… » l’aide officiant trempe la queue du zébu dans la calebasse toujours dans la main de l’officiant. Ensuite, avec la queue de zébu imbibée d’eau, l’officiant asperge la bosse du zébu, et, en récupérant l’eau il formule :

" Je Vous invoque, Ndriananahary, Ndrianaboabo, Ndrianabolisy, Ndrianakatsikatsy, pour vous implorer. Voici notre plus beau zébu, meilleur mâle châtré à la bosse bien grasse. Régalez-vous, acceptez-le car il vient du fond du cœur, ne provenant pas de vol mais fruit de notre labeur. Protégez-nous, bénissez-nous afin que l’on prospère : beaucoup de zébus et de richesses, sans désastre ni ennemis (qu’ils aillent s’installer, loin sur la côte) et que nos récoltes soient protégées de la grêle".

« Après vous avoir servi le CREATEURS des quatre membres et source de vie, laissez-moi invoquer les « fahasivin-drazana » ou défunts devenus ancêtres protecteurs. Ils nous ont porté dix mois en leur sein et transmis la vie. Qu’ils participent à cette cérémonie. »

« Vous, Mr… et Mme… (en citant les noms des principaux ancêtres) ensevelis à… (énoncer les lieux de sépulture), êtes priés de nous assister pour cette demande de bénédiction. Soyez tous présents avec femmes et enfants, même ceux qu’on n’a pas pu énuméré, sinon on n’aura pas fini jusqu’à la tombée de la nuit. Voici le zébu, bénissez-nous et protégez-nous des maladies. Que tout le monde ait une descendance. Que chaque parent puisse transmettre le bien-être à leurs enfants. Que le zébu ne soit pas source de discorde mais d’union. Sa vie reviendra au CREATEUR qui nous insuffle la vie. Son souffle pour les « fahasivy». Son sang nourrira la terre qui nous accueille. Le gîte à la noix, pour l’officiant. Son cœur, pour l’aide-officiant. La bosse, pour le « Hazomanga ».

Après ces incantations, l’officiant impose cinq minutes de silence pour la répartition des offrandes entre Dieu et les ancêtres. Ensuite, il invite chaque protecteur à retourner dans sa demeure par la formule suivante : « Le CREATEUR ne traîne pas pour déguster, ni les ancêtres pour partager, alors rentrez chez vous. Vous, CREATEUR, remontez au ciel par la même corde d’or utilisée pour nous rejoindre. Quant à vous, les ancêtres bienfaiteurs, prenez le chemin de l’orient pour rejoindre Dieu. Et les ancêtres non protecteurs, suivez le soleil couchant de l’Ouest, jusqu’aux méandres profonds sous la roche ».

Ensuite il verse de l’eau dans sa main droite pour asperger l’assistance. Comme cette ablution est salvatrice, alors on réserve un échantillon d’eau pour les absents.

Ainsi s’achève l’offrande, puis on immole le zébu. Comme prévu, le gîte à la noix reviendra à l’officiant, le cœur à son aide, tandis qu’une partie de la bosse sera embrochée sur le « hazomanga ». La communauté se quitte en se partageant le restant de viande.

Le choix du riz :

On pile le riz pour bien le décortiquer, avant de le faire cuire. Ensuite, on étale une natte neuve au coin Est le long du mur de la pièce, sur laquelle l’on dispose le « Tsandetsy ». Panier et couvercle sont en vannerie recouverts d’un van réservé à cette cérémonie. Une feuille de bananier recouvrira le tout. Une autre feuille est glissée sous la natte et une troisième accrochée au faîte de la maison. Du riz cru sera servi sur la feuille en hauteur car le CREATEUR n’apprécie pas le riz cuit. Reparti dans le « tsandetsy », le riz cuit sera pour les ancêtres, tandis qu’une autre part déposée sur la feuille sous la natte, sera pour les esclaves des ancêtres.

Après avoir lavé ses mains, l’officiant prend une calebasse d’eau et y dépose un échantillon du riz cuit, puis il verse délicatement le mélange le long du mur vers le Nord et ensuite vers le Sud. Dans un silence respectueux, l’assemblée reste immobile et même les enfants, par habitude, n’osent pleurer. Une fois que l’aide officiant ait sifflé à trois reprises, l’officiant reprend les mêmes incantations que lors du sacrifice de zébu. Pour matérialiser la fin des cinq minutes de répartition des offrandes entre Dieu et les ancêtres, l’officiant donne un coup sur le mur. Il agite ensuite la nourriture pour le cas où, distraits par les offrandes, certains esprits invoqués ne s’aperçoivent pas du départ de leurs semblables.

L’officiant finit toujours la cérémonie par la litanie de départ des esprits, suivi de l’ablution de l’assemblée, et enfin, par le partage du restant de riz dans la marmite à la communauté. Le protocole est le même pour les offrandes d’alcool.

Le sacrifice “Ren-janahary” :

Exceptionnel, ce sacrifice n’est pratiqué que lors de grandes occasions. Le souverain en personne assure l’office, qui se passe, non sur la place habituelle du village, mais dans les montagnes sacrées. La sécheresse - ayant contribué au malheur de ses vassaux - a conduit le souverain à convoquer le devin-guérisseur (afin d’intercepter les raisons de la colère divine). L’ombiasa annoncera que « Certains tabous ont été transgressés par quelqu’un sur votre fief. C’est pour cela que Dieu retient la pluie, avec tout ce qui s’en suit comme malheurs et désastres. Si le souverain ne pratique pas le sacrifice « Ren-janahary » alors la pluie ne reviendra jamais. La terre deviendra inhospitalière et le déclin du royaume sera inéluctable. Alors vous devez le faire pour le bien de la terre et de tous ».

Choqué, le souverain convoque tous les chefs de villages, pour conduire le plus impressionnant des zébus châtrés dans la montagne sacrée. Une fois sur place, ils immolent par le feu la moitié de la bête, ainsi que la totalité de sa graisse. Une épaisse fumée monte au sommet de la montagne, la rendant de plus en plus menaçante. Au cours de la journée entière, le souverain implore Dieu de lui envoyer la pluie.

Le petit royaume de Manaharaka au Nord d’Ivohibe pratique ce sacrifice dans la montagne Iroka. Pour ce faire, chaque souverain dispose de sa montagne sacrée par royaume.

Le soir, ils quittent les lieux avec l’espoir qu’il pleuve. Surprenant est le comportement de Dieu vis à vis de ce peuple barbare. (note du traducteur : je dirais plutôt " primitif ")

Dès fois, avant même d’entamer leur descente, un vent violent se lève regroupant les nuages zébrés par la foudre et des précipitations les accompagnent jusqu’au village. Mais la plupart du temps, la pluie ne tombe qu’après une semaine ou un mois.