(Vaines) recommandations concernant l'emploi de dépister

  Le verbe dépister a de nombreux liens avec la chasse, puisque, si son premier sens est « découvrir un gibier en suivant ses traces » (dépister un lièvre, un cerf), il signifie aussi « détourner la piste, lancer sur une fausse piste ». On peut dire ainsi que « le renard a réussi à dépister les chiens ». La langue de la médecine s’est emparée du premier sens et l’a étendu pour lui donner celui de « découvrir une affection latente par une recherche systématique » ; on dit ainsi dépister une maladie contagieuse. On évitera d’ajouter, par métonymie, au verbe « dépister », un nom complément d’objet direct qui ne serait plus celui de la maladie mais celui du malade. En savoir plus : Académie française.


[...] Il ne vous aura pas échappé qu'il ne s'agit pas là de nouvelles acceptions médicales, mais bien des acceptions usuelles du verbe dépister appliquées au domaine particulier de la médecine : si l'on s'attachait déjà surtout à dépister une maladie (c'est-à-dire « découvrir la piste d'une affection latente, déceler ses symptômes »), il était également possible de dépister un malade, à savoir (selon le contexte) « le mettre sur une fausse piste, l'induire en erreur » (citation de Ginestet ; la plus ancienne, quoique la plus anecdotique), « épier ses démarches pour découvrir ce qu'on veut savoir ; lui faire tomber le masque » (citation de Landouzy, sur le modèle de dépister un intrigant, un simulateur) ou, plus fréquemment, « découvrir sa trace, sa retraite » (citation de Burlureaux et suivantes, sur le modèle de dépister un débiteur, un voleur). Autrement dit, le contributeur anonyme au site agauche.org avait vu juste : à cette époque antécovidienne, on recherchait activement les malades dès l'apparition des premiers symptômes (de la tuberculose, notamment), dans une sorte de jeu de piste sanitaire (6).

La position actuelle des académiciens est d'autant plus incompréhensible qu'un des exemples proposés par Littré à l'article dépister de son propre Dictionnaire aurait dû leur mettre la puce (celle du chien de chasse) à l'oreille. Comparez : « Il se dit [des personnes et] des choses, dans le même sens. Dépister une intrigue » (Littré, 1863) et « Dépister cet intrigant » (Académie, 1798), « Dépister une intrigue. Dépister un intrigant » (Jean-Charles Laveaux, 1828). Partant, est-il besoin d'avoir fait médecine pour comprendre que dépister un malade est tout aussi correct, sur le plan de la langue, que dépister une maladie ? Le TLFi, lui, ne s'y est pas trompé (7) : « Dépister. Spécialement. Découvrir une maladie, une personne malade, grâce à des méthodes scientifiques. » Il n'en reste pas moins vrai que dépister quelqu'un tend à prendre, dans l'usage courant moderne, le sens − que d'aucuns trouveront abusif − de « le soumettre à un test de dépistage », par une confusion entre le moyen et la fin : « On dépiste une maladie ou encore une personne malade [...], mais c'est une erreur de déclarer que 400 personnes ont été dépistées en une journée. En vérité, ces personnes ont été testées ou examinées », fait observer Martine Lauzon dans Propos de pandémie (2020). Allez, on n'en fera pas une maladie...

En savoir plus : Parler français.


Les gouvernements cherchent à dépister tous les cas de covid-19 (on va finir par l’écrire tout en minuscule). La clé du déconfinement passe par le dépistage. À propos, avez-vous été dépisté?

La dernière phrase accroche, même si on l’entend dans les médias. Au même titre, d’ailleurs, que « Toutes les personnes n’ont pas encore été rencontrées. »

Selon le Robert, dépister signifie « Rechercher systématiquement et découvrir (ce qui est peu apparent, ce qu’on dissimule). Dépister une maladie. Dépister la maltraitance. »

Le dépistage, c’est la recherche d’une maladie. Le dépistage du sida, de la tuberculose.

Pour éviter l’erreur, il suffit de substituer le verbe trouver à dépister. On trouve un objet perdu. On trouve une maladie à quelqu’un. Mais une personne peut-elle être trouvée? Pourrait-on dire : « J’ai été trouvée pour la covid-19 » ? On voit tout de suite que cette phrase est très bancale.

Seuls le manque de rigueur et une méconnaissance du français peuvent expliquer ce genre de construction. Alors, que dire ? Pour paraphraser Lénine…

Bien des personnes n’ont pas été testées, et non dépistées. Le dépistage des personnes asymptomatiques reste à faire; toutes n’ont pas été testées.

En savoir plus : André Racicot. Au cœur du français.


Pourquoi pas « dépister » des gens?

On sait que les grammairiens et puristes québécois et canadiens-français n’aiment pas les innovations linguistiques qui ne soient pas d’abord avalisées par les dictionnaires français. Évidemment, la suspicion se porte toujours vers l’anglais parce que néologisme rime avec anglicisme. Et si ce n’est pas un anglicisme, la nouveauté est probablement un barbarisme ou une faute.

Un exemple de tout ça est le billet du 18 mai 2020 sur le verbe dépister dans la chronique Au cœur du français – chronique que j’aime bien et que je recommande même si son auteur m’a déjà montré la porte sans ménagement. Mais ça, c’est une autre histoire.

Un des sens reconnus du verbe dépister est de découvrir. On peut dépister une maladie, un virus ou un problème. On utilise les tests de dépistage. On pourrait donc dire : 10 cas de COVID-19 ont été dépistés aujourd’hui.

Jusque là, rien à redire. Mais est-ce qu’on peut dépister des personnes ? comme dans : 500 personnes ont été dépistées ce matin. Les gens veulent se faire dépister. Est-ce qu’on doit dépister tout le monde ?

Or, c’est ce deuxième usage qui pose un problème à notre chroniqueur. Pandémie oblige, cet usage plutôt récent est très répandu dans la presse française même s’il n’est pas dans les dictionnaires. [...] On voit bien que dépister est désormais presque synonyme de tester. Je pense d’ailleurs que c’est cette proximité avec tester qui explique le glissement dans l’usage de dépister.

La seule raison de condamner cet nouvel usage est, semble-t-il, le fait qu’il ne soit pas dans les dictionnaires contemporains. En revanche, le sens est très clair, tout est bien formé sur le plan grammatical.

Et alors pourquoi est-ce que la faute est si répandue et en plus chez des locuteurs ou des sources de grand renom ? La réponse du chroniqueur est claire : « Seuls le manque de rigueur et une méconnaissance du français peuvent expliquer ce genre de construction ».

Or, nous constatons que cet usage est généralisé dans des médias très prestigieux – Le monde, Le figaro et L’obs ne sont pas des feuilles de chou. On peut difficilement leur reprocher de méconnaître le français ou de manquer de rigueur.

En fait, ces journaux représentent le bon usage contemporain. Même si cet usage particulier n’est pas (encore) dans le dictionnaire, il est évident que pour les journalistes, les rédacteurs, les correcteurs et les éditeurs de ces médias, il est tout à fait correct. À mon avis, cet usage de dépister ne tardera pas à entrer dans les dictionnaires et autres ouvrages de référence.

Ici on peut contraster deux points de vue. D’abord celui du grammairien nous dit qu’un mot ou un usage est inacceptable parce qu’il n’est pas dans le dictionnaire. Et d’inventer a posteriori toutes sortes d’explications spécieuses en termes de logique ou d’ignorance pour expliquer cette absence.

En revanche le lexicographe observe un nouvel usage se répandre dans de prestigieux médias de communication qui définissent la fine pointe du bon usage c’est-à-dire, ce qui est accepté et acceptable. Point à la ligne. Au-delà d’un certain seuil d’occurrences, il faudrait donc le faire entrer dans le dictionnaire. C’est comme ça que fonctionnent les dictionnaires.

Cet exemple plutôt banal de l’évolution de l’usage d’un mot met en évidence encore une fois la créativité non pas de la langue mais des utilisateurs. Quelque part et à un moment donné que nous ignorons, quelqu’un a utilisé dépister d’une manière innovatrice et d’autres usagers ont suivi l’exemple.

Ce qu’en pensent grincheux grammairiens et puristes québécois et canadiens-français n’a aucune importance. Comme toujours, ils sont en retard d’un train.

En savoir plus : États de langue.