La classe de Juliette

Retour d'expériences au lycée

Pourquoi mettre en place des tâches complexes, en groupe, au lycée ?

Alors que le confinement m’oblige à revoir les intérêts des questions, consignes ou exercices simples, les enjeux et atouts des tâches complexes en lycée restent selon moi importants. Partant de l’idée que le monde est complexe et que l’on a besoin pour s’y épanouir d’adaptation et de coopération, je mets en application ce principe dans de nombreux exercices en classe.

Ils ont l’intérêt de développer la réflexion en autonomie et en collaboration, acquis inestimables selon moi. De plus, ils obligent les élèves à s’approprier les notions, concepts et outils de nos disciplines.

Comment ça marche ?

En fait, ça ne "marche" pas toujours. Parfois la tâche est justement trop complexe ou mal réfléchie en amont. Je vous présente plusieurs essais ici, couronnés de succès ou au contraire auréolés d’échec.

Les succès de la tâche complexe

Voici deux exemples d’activités en groupe, en coopération, plus ou moins complexes, ludiques, qui fonctionnent bien. Je pense que les atouts sont d’une part, pour le premier, ma connaissance des enjeux de la leçon et des élèves, et pour l’autre une activité qui paraît plus simple aux élèves, qui sont également plus autonomes ou mieux guidés car l’exercice demandé est finalement « classique ».

Le jeu de rôles en géographie

Pour le Clic 2019, je suis revenue sur une activité menée avec mes Premières ES l’année dernière. Ce sont les anciens programmes, je les maîtrisais donc bien mieux que les nouveaux, évidemment.

De manière générale, j’aime mettre mes élèves en activité et/ou sur le terrain, notamment ici lors du chapitre sur les territoires de proximité en géographie, que je fais en général vers janvier/ février. C’est également un chapitre où l’on pratique l’oral. Et souvent pour cela j’organise des jeux de rôles.

Ainsi, cette année, les élèves étaient en autonomie pour répondre à un « vrai » appel à projet. Le Forum du Grand Paris a lancé en janvier 2019 une consultation internationale sur les routes du Futur Grand Paris. Toute personne, association, société ou groupe de recherche pouvait postuler et proposer quatre pages de présentation de son projet à partir de quatre questions (mobilités, pollutions, financement, intégration dans le territoire urbain). J’ai donc proposé ce jeu de rôles à mes élèves, le « cahier d’acteurs » devant se transformer en présentation de six à huit diapositives, répondant à trois questions (j’avais retiré le financement). Ils étaient divisés en 5 groupes de 6 élèves : quatre sociétés/associations de leur choix et le groupe des maires imitant le jury évaluateur des projets. Les six maires choisissaient une ville du Grand Paris. Pendant deux heures, les groupes réfléchissaient à leur proposition à partir du choix de société fait. Nous avions ainsi une société de BTP, une autre de construction de routes, une association de protection de l’environnement, un groupe politique issu de la majorité. Les maires avaient choisi différentes villes de différentes tailles et situées sur tout le territoire francilien (Paris, Rambouillet, Melun, Pontault-Combault, Montmorency et Coulommiers).

Chaque groupe réfléchissait aux solutions en fonction des enjeux de l’aménagement du territoire vus dans le premier chapitre, en construisant son diaporama pour la présentation finale. Pendant ce temps, les maires allaient de projet en projet pour faire valoir leurs désirs pour leur propre territoire, après avoir fait des recherches sur les problématiques de leur municipalité. Ils étaient les éléments perturbateurs des réflexions des groupes afin que tous voient les tensions existantes entre acteurs dans l’aménagement du territoire.

Finalement les passages à l’oral ont été évalués pour tous grâce à Plickers qui permet de faire des sondages après que les élèves ont proposé les indicateurs à observer pour la notation. J’ai construit le questionnaire selon leurs propositions : articulation, dynamisme de la présentation, tenue, langage non-verbal, niveau de langue, fluidité… Il était clair lorsqu’ils ont établi les critères de l’évaluation qu’ils connaissaient les codes de l’oralité.

Chaque groupe a donc proposé ses solutions à l’aménagement des routes du Grand Paris. Les idées proposées étaient très surprenantes et les élèves ont su se saisir des possibilités données par les innovations récentes sur les transports et les mobilités ainsi que des enjeux sociaux, économiques et environnementaux des déplacements en Ile De France. Dans ce type d’activité où les élèves endossent un rôle, ils sont beaucoup plus engagés. Selon moi, cette expérience a permis aux élèves de concrétiser les concepts très théoriques vus dans les leçons.

Le cadre proposé au début de l’activité, assez formel, permettait une grande liberté d’exécution pour les élèves une fois admises les « règles du jeu ». C’est ce que j’essaie de faire à chaque nouvelle activité imaginée et proposée en classe : poser un fil rouge clair sur ce qui est attendu en termes d’engagement de la part des élèves et de résultats. A partir de là, les élèves sont autonomes et donc très acteurs de leurs apprentissages, ce qui je crois fonctionne.

Cette première activité proposée ici s'inscrit dans les anciens programmes. Je les connaissais et les maîtrisais. De même, en janvier ou février, je connais bien mes élèves de Premières ES. Ce rappel n'est pas anecdotique, vous verrez un peu plus loin.

La cartographie ou l’étude d’une iconographie en « relais »

Cet exercice est une innovation de cette année, la seule totalement couronnée de succès pour l’instant !

Il s’agit d’un travail qui tient en deux temps, sur une ou deux heures. Les élèves travaillent en groupe, selon le chapitre, à la construction d’une cartographie ou l’analyse d’un document iconographique (le dispositif marche très mal avec un texte, vous allez voir pourquoi). En premier temps, ils font le travail (en classe ou à la maison) de manière « classique » : mobilisation des connaissances, prélèvement des informations, organisation de l’argumentation, réalisation de la carte ou structure de la démonstration. Par contre la restitution à l’oral est plus … aléatoire ! Ils ne savent pas quand ils passent à l’oral, ni combien de temps, et ils doivent compléter ce que disent les autres groupes !

J’explique plus en détails.

  • Chaque groupe passe, à la fin du travail préparatoire, sur le même support et la même réponse : s’il s’agit d’une carte, ils doivent la construire au tableau (avec quatre couleurs de feutres Veleda, donc, puisque nous n’avons pas les outils SIG en classe) en pensant bien à la légende. Je projette seulement le fond de carte.

  • S’il s’agit d’une analyse de document, elle peut être linéaire, donc la plus complète possible, ou bien elle est organisée, et donc la problématique et le plan doivent être suivis par tous les groupes. Le document est projeté au tableau (c’est la raison pour laquelle un texte se prête mal à l’exercice).

  • Le premier groupe à passer est évidemment avantagé, mais les élèves ne découvrent l’ordre de passage (tiré au sort par jet de dés) qu’au moment de la restitution.

  • Seul(s) un ou deux élève(s) volontaire(s) dans le groupe intervien(nen)t. Petit à petit, au fur et mesure des exercices oraux (exposés, « relais »…), ils finissent par tous avoir essayé l’oral. Je trouve ça important en vue du fameux « Grand Oral ».

  • Donc, les groupes se relaient, chaque groupe a un temps de passage différent, souvent entre 2 et 4 minutes. Ils doivent parler jusqu’à ce que je leur dise stop ! J’adapte parfois, plus ou moins, selon la qualité de l’exposé. Ce qui est amusant est de les voir combler en attendant que leur temps soit écoulé. Il est également très drôle de voir les autres groupes cocher sur leur brouillon ce qui a été dit ou non, ou briefer l’intervenant pour une correction ou un ajout...

  • Le groupe qui passe ensuite doit compléter ou corriger ce qui a été dit (sauf le plan de la légende ou de l’analyse) et continuer la démonstration. C’est donc un travail d’écoute et d’adaptation très riche. Cela les oblige à réellement approfondir la réflexion sur le sujet, sur la méthode, à bien s’écouter, à s’adapter et à raisonner rapidement.

  • Je garde quelques minutes à la fin pour compléter ou corriger quelques points et faire un bilan des passages. Je corrige les plus grosses erreurs entre chaque groupe afin qu’ils ne travaillent pas avec. Mais je dois en laisser puisque le but des passages successifs est justement de corriger les propositions précédentes.

Je comptais utiliser cette technique en Terminales, pour les révisions, à partir du troisième trimestre. Mais le confinement m’en a empêché ! Les Premières ont souvent connaissance des documents avant la séance où ils passent à l’oral, afin qu’ils se préparent. Par contre, mon idée était que les Terminales le fassent en complète improvisation, après une dizaine de minutes de préparation. Et au fur et à mesure du trimestre, je comptais arrêter de leur dire sur quel chapitre portait le document…

A voir l’année prochaine !

Les ratés de la tâche complexe

Pour innover sur la mise en œuvre des programmes, j’ai besoin de bien les maîtriser. J’ai également besoin de bien connaître les élèves. Je l'ai expliqué plus haut. Voilà pourquoi ma première tentative de l’année a été un échec, à mes yeux.

Projet 1 : trop tôt !

Il s’agissait d’un travail en enseignement de spécialité HGGSP. J’ai modifié l’ordre du programme pour faire en premier le thème 5 « Analyser les relations entre États et religions ». Ce choix était dicté par trois arguments : je pensais que le travail sur les religions allait accrocher les élèves plus rapidement que celui sur la démocratie, qui vient normalement en premier dans le programme officiel. Ensuite, il s’agissait du chapitre que j’avais préparé durant l’été, dans le cadre de la mutualisation de la préparation des programmes avec la TeamHG, c’était donc celui que je maîtrisais le mieux. Et ce, d’autant plus que les religions sont mon sujet de prédilection !

Je commence donc l’axe 1 du thème (« Pouvoirs et religions, des liens historiques traditionnels ») avec une étude sur la naissance des monothéismes. La classe est divisée en quatre (monothéisme en Égypte, naissance de judaïsme, naissance du christianisme, naissance de l’islam). La problématique est toujours la même : « en quoi la naissance d’un monothéisme dans la société concernée modifie-t-elle les relations de pouvoirs pré-existantes ? ». Les réponses doivent être construites à partir d'un ensemble documentaire (plus ou moins difficile, le niveau est annoncé) et de la leçon, travaillée en amont, en autonomie, à la maison et reprise en classe. Des questions-problèmes plus précises guident chaque étude.

Les attendus sont les mêmes pour tous les groupes :

  • Prendre connaissances des documents mis à disposition et répondre à la consigne, à l'oral, de manière organisée et argumentée, en quelques minutes. Il s'agit d'une forme de classe renversée également puisque les élèves complètent cette partie de la leçon grâce aux travaux de leurs camarades.

  • Ils ont accès à la leçon du cours qui leur permet de s'approprier les enjeux et les contextes.

  • La restitution se fait donc sous forme d’ "atelier" ou "tableaux tournants" : chaque groupe présente une frise chronologique et une réponse argumentée aux autres.

  • Ils utilisent pour la réflexion en commun puis la restitution les tableaux blancs de la classe (tableau mural et Magic Whiteboard).

  • Les "ateliers" permettent aux groupes de se croiser et de faire des présentations simultanées. Par exemple, le groupe A (Égypte) présente sa réponse au groupe B (judaïsme) pendant que le C (christianisme) présente au D (islam) puis ils tournent.

  • J’ai des séances par bloc de 4h. Ils commencent à préparer à la fin d’une séance, finissent au début de la suivante (soit 3 ou 4h en tout, avec un travail personnel entre les deux de recherches et structure) et présentation aux groupes sur la fin de la séance suivante (5 min d’oral/ ils font leur présentation donc 3 fois (sur 1 ou 2h).

  • L’évaluation finale est une conclusion individuelle de la problématique générale en reprenant les arguments et dates de chaque période.

Pourquoi ça n’a pas fonctionné ?

Il se trouve que j’ai des élèves de spécialité qui n’aiment pas particulièrement l’histoire ou la géopolitique et qui ont beaucoup de mal à fournir des efforts ! De plus, ils ont du mal avec les différentes méthodes (prendre des notes sur une leçon, comprendre des documents, structurer sa pensée et argumenter, écouter un exposé). J’ai fait ce travail trop tôt dans l’année (en octobre) : je n’ai pas pu adapter mes exigences et mon guidage à ces lacunes.

Je mettrai de nouveau cette tâche complexe en place, mais en ayant auparavant une meilleure idée des qualités et lacunes des élèves afin de pouvoir m’y adapter. En particulier, un accompagnement plus strict, par répartition des rôles dans le groupe, ou avec un retro-planning par exemple, permettrait de mieux faire face aux difficultés scolaires des élèves.

Essai 2 : mauvais calcul !

Pendant le confinement, nous sommes un peu obligés de trouver des stratégies pour faire travailler les élèves en les motivant. Après la lecture d’un article de Jean Charles Caillez (http://blog.educpros.fr/jean-charles-cailliez/2020/03/28/quand-le-coronavirus-invente-le-devoir-renverse-confine-en-equipes/), je décide de me lancer également dans un devoir type bac ou type E3C, en équipe, à distance.

Voici le projet :

  • Les élèves volontaires (rien n’est obligatoire en confinement) de toutes mes classes constitueront des groupes de 1 à 5 (ou de 1 à 3 en spécialité) afin de faire un devoir type bac ou type E3C.

  • Ils auront 50h exactement pour le réaliser (avec compte à rebours!). Ils découvrent leur sujet le lundi matin à la sortie des vacances à 10h et doivent rendre leur travail final le mercredi à 12h.

  • Ils ont accès durant cette période à toutes les ressources de leur choix pour faire un travail parfait !

  • Ils sont ainsi notés : ils partent avec 40 points, mais sont notés sur 20. Ils perdent un point pour chaque erreur (orthographe/ syntaxe/ mise en forme/ méthode/ contenu – réponse au sujet). Ils ont donc vingt chances d’avoir 20/20 et 30 chances d’avoir la moyenne.

  • Beaucoup d’élèves (84 sur mes presque 150, répartis en 31 groupes) se sont portés volontaires : la note ne compte que si elle fait remonter la moyenne.

  • Chaque groupe a eu un sujet d’étude de documents personnalisé (en fonction du niveau des élèves et de leur nombre). Un travail titanesque pour moi, j’espérais profiter de leurs travaux parfaits pour avoir des corrigés tout faits…

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Hé bien, c’est de ma faute ! J’ai oublié combien ils pouvaient avoir une mauvaise orthographe et la tête dure quand ils s’agit de mettre des alinéas !

Je vous entends, m’accuser de tous les snobismes du monde ! Je suis exigeante avec mes élèves et ce sont les mêmes consignes de mise en forme depuis le début de l’année : alinéa au début de chaque paragraphe, titres soulignés, guillemets et numéros des lignes pour chaque citation… Six mois après le début de l’année (18 mois pour certains), ce n’est toujours pas enregistré !

Je pensais qu’ils seraient particulièrement vigilants pour cet exercice puisque je leur avais maintes fois rappelé mes exigences, dans les mails ou lors des séances de questions en visio, pour préparer ce travail.

Le résultat est assez injuste : les terminales ou les spécialités, rendant évidemment des travaux plus longs, ont perdu bien plus de points que les premières ! Par contre, les élèves de niveau « moyen » ont mieux réussi car ils ont fait plus attention à leurs faiblesses, qu’ils connaissent. Les « bons » élèves n’ont pas dû se relire et ont perdu très vite beaucoup de points (pour un groupe composé des meilleurs élèves de cette classe, j’ai arrêté ma lecture et la correction à la moitié de leur travail de trois pages car ils étaient déjà à 42 erreurs !)

Finalement, sur les 31 groupes, 6 groupes de premières ont obtenu plus de 15/20 (sur 13) ; aucun groupe de spécialité n’a obtenu une note supérieure à 0/20 ; 6 groupes de terminales (S et ES, ils pouvaient faire des groupes mixtes) ont eu plus de 18/20, sur 12. Deux élèves de terminales et un groupe de premières n’ont finalement pas rendu leur production.

Si les travaux avaient été corrigés « normalement », beaucoup de tous ces groupes auraient eu de bien meilleures notes, car leurs analyses étaient intelligentes et méthodiques, pour la plupart.

Par contre, je referai cet exercice, mais plus tôt dans l’année : cela montre l’importance de la mise en forme, de l’orthographe et de la relecture. Et soit je garderai le principe de la note bonus, ou bien je ferai une double correction (par décompte des points et avec barème « classique »). Je n’ai pas eu de retour sur leur appréciation de ce travail de groupe : c’est compliqué à distance.

En conclusion, la tâche complexe est pour moi un moyen de faire réfléchir les élèves à la fois sur des savoirs disciplinaires, des méthodes académiques, mais également sur le savoir-être : travailler en groupe, gagner en autonomie, anticiper... De plus, comme j'ai pu le dire, l'engagement de chaque élève dans les activités plus ou moins ludiques, originales ou novatrices est finalement le premier levier de l'apprentissage, si l'on considère que l'émotion (ici, la surprise ou la joie) et la motivation intrinsèque sont les premiers vecteurs de la mémorisation. C'est également, soyons honnête, un moyen pour moi de ne pas m'ennuyer en classe !

Juliette BENELLI