Des badges de compétences en collège
Introduction
L’évaluation est une de nos missions d’enseignant.e, pensée dans notre ingénierie pédagogique. Quand elle est formative en classe, elle revêt parfois une forme discursive et non instrumentée. Il apparaît de plus en plus nécessaire de la formaliser pour qu’ait lieu la secondarisation des savoirs attendue. L'objectif est aussi de développer le sentiment de compétence des élèves afin de préserver leur confiance en eux et elles, indispensable à leur réussite. Ainsi, les badges de compétences sont un support pour organiser l'évaluation formative en classe : une évaluation pour les apprentissages et non pas une évaluation des apprentissages. Travailler ses badges est une tâche proposée dans quasiment chaque plan de travail ce qui donne la possibilité à l’élève de “repasser” le même badge au cours d’une séquence.
Les badges pour médiatiser l’évaluation
Le dispositif
Durant toute l’année scolaire, les élèves se voient proposer 4 badges disciplinaires pour acquérir ou développer les compétences relevant des pratiques langagières et de l’analyse de document (BO-2015) :
badge “Cartographe” : réaliser de productions graphiques et cartographiques,
badge “Écrivain.e” : écrire pour construire sa pensée et son savoir, connaître les caractéristiques des récits historiques et de descriptions employées en histoire et en géographie, en réaliser, s’approprier et utiliser un lexique spécifique en contexte,
badge “Podcasteur·trice” : s’exprimer à l’oral pour penser, communiquer, échanger,
badge “Analyste” : analyser et comprendre un document.
Dans la démarche proposée, les badges fonctionnent comme des ceintures de compétences ; ils se déclinent en 4 niveaux de maîtrise correspondant aux attendus de fin de cycle : novice, apprenti·e, maître, expert·e.
Ils s’adossent à des passeports de compétences inspirés du travail de notre collègue Guillaume Veyret.
Dans chaque plan de travail, parmi l’ensemble des tâches à faire, les élèves peuvent choisir de passer un badge. Ils et elles ont alors accès à une tâche très didactisée. Ce travail est guidé par le modèle pédagogique dit des “petits pas” partagé par Marie Soulié (enseignante de français) : clarifier, fragmenter, modéliser.
Les tâches sont conçues avec un fort niveau de guidance : vidéo interactives de méthode ou de notion, exerciseurs pour s'entraîner à appliquer la méthode en évaluant par exemple des productions de camarades ou en se testant sur des documents, grille d’auto-évalaution.
L'évaluation
Les badges sont une façon de médiatiser une évaluation plus formative pour soutenir le travail réflexif des élèves (métacognition) en mettant à disposition des critères explicites.
L’enjeu des badges tels que décrits repose sur le feedback que les élèves reçoivent en retour. La recherche, notamment en sciences cognitives, a démontré que donner un feed-back est l'une des plus puissantes et efficaces manières pour les enseignant·es de favoriser les apprentissages. La méta-analyse de John Hattie (Visible Learnings, 2009) positionne le feedback en première place de ce qui aide à l’apprentissage et favorise la réussite scolaire. Le retour sur l’erreur fait partie des 4 piliers de l’apprentissage de Stanislas Dehaene.
Dans le cas de l'évaluation par badge, le feedback est un enregistrement vocal de mon appréciation. Les élèves l’écoutent et reportent ce qu’ils en ont retenu dans leur passeport de compétences.
L'évaluation se fait entre pairs de façon à avoir aussi une dimension sociale et participative (référence à un article de Mickaël Bertrand, enseignant d’histoire-géographie). Cette approche renforce l’appropriation des critères liés aux habiletés propres à l’oral. La possibilité d’enregistrer un podcast est une tâche possible dans chaque plan de travail. Il n’y aucune obligation à travailler ce badge contrairement aux autres. L'objectif est de consolider les apprentissages : les élèves proposent un résumé du chapitre ou d’une partie de celui-ci, l'explication d’une notion, d’une méthode qui est mis à disposition des camarades pour réviser autrement.
Concrètement, après un enregistrement, l’élève s’auto-évaluent grâce à l’araignée disponible dans son passeport de podcasteur·trice ; il ou elle demande à un autre ou une autre camarade de leur choix de faire une contre-expertise ; après concertation entre les deux élèves, l’élève ayant enregistré le podcast s’auto-positionne sur un badge que je lui attribue après écoute.
L'apport du numérique
Beaucoup des parcours associés aux badges ont été réalisés avec le classeur pédagogique de l’ENT ; ainsi, ils sont interactifs et très didactisés pour accompagner l’appropriation du contenu pas à pas : intégration de vidéos interactives (adobe spark et edpuzzle), exerciseurs de l’ENT favorisant le testing des élèves avec retour immédiat.
Les QR-code associés à un drive par élève est aussi indispensable pour mettre à disposition le feedback oral par élèves et en conserver une trace. J’utilise le drive de google mais il est possible de le mettre en place avec une solution respectueuse du RGPD comme Nextcloud.
Le suivi de badge a été automatisé à l’aide de tableurs préalablement programmés (modèle diffusé par Sébastien Franc, enseignant d’anglais) .
L’extraction du feuillet individuel par élèves est rapide ce qui permet de remettre à chaque élève sa collection de badges par trimestre.
Le point de vue des élèves
Pendant le confinement, les élèves se sont vus proposer des Semaines de compétences, inspirées d’une idée de Caroline Meyer, enseignante d'histoire-géographie, afin de varier les situations d’apprentissage en sortant d’une logique de séquence et de chapitre. À cette occasion, les élèves ont contribué à un questionnaire anonyme d'évaluation du dispositif de badges de compétences.
31 élèves sur 44 élèves ayant participé aux Semaines par compétences ont répondu au formulaire pour faire un bilan de leur vécu.
À la question “Que penses-tu des badges à obtenir ?”, la distribution des réponses est la suivante : 17, très motivant, 13, motivant, 1, peu utile. Ils et elles ont pu ajouter des commentaires qui laissent espérer qu’effectivement, nous pouvons agir, avec ce choix de médiatisation, sur le sentiment de compétences des élèves : “ Je sais que je pourrai être fier de mon travaille en ayant le meilleur badge (sic).” “Ça nous aide à mieux comprendre nos difficultés” : cette autre réflexion d’élève montre qu’il ou elle associe les badges à l'entièreté du dispositif (passeport de compétences et feedback oral) qui permet de donner à l’erreur un statut plus positif ce qui est l’enjeu même de l'évaluation formative. Enfin, un élève exprime sa satisfaction de cette façon : “ça nous donne un peu d’aventure”.
Une autre question était liée au parcours d’apprentissage (sur l'ENT) associé au badge. À la question “Dans les parcours, qu'est-ce qui t'a aidé à rendre la production attendue ? Plusieurs réponses possibles. ", 3 aides ont été particulièrement appréciées pour soutenir l'acquisition ou la consolidation des compétences :
les vidéos interactives de notion ou méthode (26 votant·es),
le rappel de la consigne à l'oral à écouter en début de parcours (13 votant·es),
les exerciseurs qui permettent d’appliquer la méthode et la grille d' autoévaluation (12 votant·es pour chacune des propositions).
Ainsi, les badges de compétences s'inscrivent dans un dispositif plus large d’aide personnalisée (AP en collège) qui semble bien identifié par les élèves.
Conclusion
Dans leur livre Parcours d'Éducation Positive et Scientifique, Ilona Boniwell et Laure Reynaud évoquent les 4C de la motivation : Connexion, Choix, Compétence et Compréhension. Le dispositif décrit me semble répondre partiellement à ces enjeux : le besoin de confiance est nourri par la reconnaissance des compétences, ce qui aide les élèves à en percevoir le sens (Compréhension), la motivation est aussi suscitée en réponse au besoin d'autonomie (Choix) puisque les élèves choisissent de passer ou non un badge, de le repasser ; enfin, dans le cas de l'évaluation par les pairs associée au badge podcasteur·trice, les interactions entre élèves sont sollicitées (Connexion).
Marie-Camille Fourcade, enseignante d'histoire-géographie, EMC, Collège Camille Claudel, Launaguet (31)