La Bande Dessinée en classe

Pour de nombreux professeurs, il est flagrant que les élèves ont de plus en plus de mal à lire les textes patrimoniaux de nos programmes, ou même de plus courts articles. Et pourtant, j’ai pu observer lors du quart d’heure lecture organisé dans mes classes que nombre d’entre eux sortent alors un manga de leur sac ou se précipitent sur les bandes dessinées de la bibliothèque de classe. Preuve que la lecture est encore possible pour eux, comme en témoignent les données d’une étude du Syndicat National de l’Edition de juin 2019 : 40% des BD Jeunesse achetées sont lues par des 10-14 ans et 27% par des enfants de moins de 10 ans ; tandis que 36% des Mangas vendus en France sont achetés par des 15-29.


Pourquoi ? Les plus grognons répondront que c’est la brièveté des textes proposés par la bande dessinée, mais le feuilletage d’un album de Tintin ou bien d’un roman graphique suffira à les détromper. C’est surtout que la bande dessinée donne à voir. Elle supplée à l’imagination parfois endormie des élèves en animant le récit, elle illustre clairement des informations complexes et elle suscite des émotions par des images fortes.


Pour les faire lire, proposons-leur donc des bandes dessinées. Mais il est vrai que toutes les disciplines scolaires ne sont pas logées à la même enseigne dans l’offre offerte. S’il devient de plus en plus possible de trouver des adaptations de classiques de la littérature en bande dessinée, de l’Iliade à Maupassant en passant par Voltaire, il est plus difficile aux professeurs de sciences de proposer de la lecture. Mais les enseignants d’histoire – géographie et éducation civique sont privilégiés. Il suffit de se rendre dans une librairie et de parcourir les rayonnages des éditeurs de bandes dessinées pour s’en apercevoir : vies des hommes et femmes illustres (reines, généraux, explorateurs, artistes), récits des grandes batailles ou découvertes scientifiques, uchronies… Une vie d’élève ne suffirait pas à tout lire !


Des élèves motivés, une offre abondante ; Il ne reste plus au professeur d’histoire – géographie qu’a sauter le pas et à proposer des bandes dessinées dans la classe.


Pourquoi le faire en histoire -géographie plus spécifiquement ?


D’abord parce que l’image est un objet d’histoire et que l’humanité a beaucoup dessiné pour se raconter : les peintures rupestres, la colonne de Trajan, la tapisserie de Bayeux ou les images d’Épinal sont autant d’objets d’études proposés naturellement dans le cadre du cours.


Ensuite parce que la bande dessinée historique, en plus de raconter des histoires (ce que les élèves aiment toujours), montrent l’Histoire en touches plus ou moins appuyées tout en répondant à une fascination pour le lointain ou l’exotique. Bien que fiction, ces bandes dessinées font comprendre le passé comme lorsque Tardi fait connaitre à ses personnages l’enfer des tranchées, permettant aux élèves de mettre des images fortes derrières les mots trop souvent neutres des lettres de poilus.


D’autre part, la bande dessinée sait se faire aussi témoignage. Faire comprendre la Shoah aux élèves en étudiant Maus d’Art Spiegelman est possible, tout comme les faire se frotter aux problèmes géopolitiques ou sociaux contemporains avec les récits de migrants, le travail en usine ou la vie d’agriculteur. En géographie, les reportages dessinées d’un Chappatte dans les bidonvilles de Nairobi sont très parlants pour les élèves. Les enquêtes dessinées ont les mêmes objectifs que le grand reportage ou le journalisme d’investigation : montrer, prouver et faire comprendre. Il existe même une revue d’actualité dessinée pour les élèves, exploitable en classe.


Beaucoup de bande dessinées jeunesse permettent aussi le travail en éducation civique sur des thèmes parfois difficiles comme le harcèlement, la discrimination ou le genre. Il serait dommage de se passer de ces ressources dans lesquelles les élèves entrent plus spontanément, avec moins de méfiance.


Enfin, la bande dessinée peut devenir objet d’étude en elle-même puisqu’elle a accompagné les évolutions sociales, culturelles, mais aussi politique. Laisser parler Bécassine pour montrer le bourrage de crâne ou l’évolution de la place des femmes durant la Première Guerre mondiale est assez efficace. De même, convoquer Captain America pour expliquer la guerre froide est assez simple.


On pourra objecter à tout cela que la bande dessinée, ce n’est pas sérieux. Que des cases et des bulles ne valent pas l’enquête historique. C’est méconnaitre que nombre d’auteurs de bande dessinée se livrent à un véritable travail d’enquête avant d’essayer de ressusciter le passé sous nos yeux, en se confrontant aux documents, en interrogeant les témoins et en problématisant leur propos.


De l’école au lycée, voire à l’université, l’étude des bandes dessinées est possible en histoire. Des projets ambitieux ou plus modestes mettant des bandes dessinées entre les mains de leurs élèves peuvent voir le jour. La bande dessinée facilite l’enseignement en emportant souvent l’adhésion des élèves. Elle permet aussi des collaborations faciles avec les lettres et les arts plastiques, ce qui est toujours bon à prendre. Rappelons enfin les bandes dessinées ne sont qu’un moyen parmi d’autres, et donc non exclusif, pour amener les élèves à lire et à appréhender ainsi le monde qui les entoure.


Un article proposé par Pierrick Auger

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