Les vidéos en classe inversée

A l’origine de la classe inversée on retrouve souvent cette idée “on fait le cours à la maison et les exercices en classe”. La logique est souvent simple : on cherche à trouver plus de temps en classe pour faire des activités, travailler les compétences au lieu de se “contenter” de transmettre et de construire des connaissances. On externalise donc une partie de son cours à la maison.

Une réflexion collective proposée par Manon Guerente, Jordi Colomer, Patricia Devaux, Mickael Bertrand, Sylvain Hausard et Matthieu Bourdin.

Pourquoi externaliser une partie du cours sous forme de vidéo et non se contenter de photocopies ?

Manon : La réponse est simple : en classe on captive l’attention de nos élèves par notre posture, par le discours et par les documents que nous utilisons. Si on se contente de leur donner de (longs) cours à lire à la maison, il est très probable qu’ils ne liront pas ou pas tout leur cours. En tout cas, on peut supposer qu’un cours en vidéo est moins rébarbatif qu’un cours papier, et surtout plus vivant.

Jordi : Oui, je suis d’accord sur la plus grande efficacité de la vidéo que le texte seul. L’avantage réside aussi dans le fait de pouvoir faire des pauses dans les vidéos et d’y avoir accès n’importe quand. Pour ma part, je fournis systématiquement le script de mes vidéos aux élèves afin qu’ils disposent des deux supports. Lors des révisions, les élèves révisent à la fois avec le script et la vidéo.

Patricia : Les élèves peuvent s’entraîner à la prise de note avec une vidéo, à leur rythme. Dans ce cas on ne donne pas de script mais on relève les prises de note déposées sur Moodle, on les complète et on le donne au reste de la classe.

Matthieu : L’objectif est également de différencier les formats : vidéo, trace écrite classique, carte mentale… Des parents d’élèves “dys” m’ont dit que leur enfant avait plus de facilités à apprendre à partir de la vidéo et d’une carte mentale plutôt qu’à partir de bilans écrits. L’avantage de la vidéo est également de pouvoir associer des images à des notions, ce qui facilitera la mémorisation.

Quels usages pour les capsules vidéos ?

Manon : On peut évidemment faire des parties de cours magistral sous forme de vidéo, mais ce n’est qu’une des nombreuses possibilités offertes à l’enseignant. Des points méthodes en vidéo sont très efficaces. Ils permettent à l’élève à la maison de revoir rapidement une technique qui lui pose problème… mais aussi en classe. Ainsi, quand les élèves sont en autonomie, l’enseignant peut se démultiplier et répondre simultanément à plusieurs questions si ces points de méthode sont accessibles en tout temps et en tout lieu au format numérique (si les élèves sont équipés, évidemment...). Enfin, il est aussi intéressant de faire des corrections filmées, en particulier des corrections d’exercices modélisants qui permettent à l’élève de revivre ce moment important du cours s’il en ressent le besoin dans ses révisions et quand il doit réactiver une compétence.

Jordi : J’utilise souvent des “tutoriels” pour consolider les méthodes. Je donne ces vidéos après une phase d’explication en classe. Dans le système des balises de remédiations, les vidéos sont également les supports privilégiés pour décrire les erreurs ciblées sur la copie (lien vers l’article)

Patricia . : Je fais des capsules de « cours » mais aussi des corrections de dossiers avec explication de la méthode, des points sur du vocabulaire ou de la méthode.

Sylvain : Avec mes deux complices ( Delphine et Nicolas), nous faisons des vidéos aux objectifs très variés. Certaines, avec une peu de gamification, jouent le rôle de « mise en bouche ». Elles vont permettre d’aborder et de définir la notion principale (espace productif ou espaces de faibles densités, par exemple) et de "teaser" la tâche complexe qui suit en classe. Ainsi, les élèves qui arrivent en classe savent au moins dans quelle matière ils sont (nous avons déjà tous entendu « je croyais que c’était histoire » ) et certains peuvent avoir leur curiosité déjà éveillée pour l’activité qui va débuter.

D’autres vidéos nous servent à gagner du temps. Elles permettent de situer dans le temps et/ou dans l’espace le sujet du prochain chapitre. En général, il s’agit d’une carte ou d’une frise enrichie (où se situe l’Orient ancien? Le monde des cités grecques ?) et que les élèves complètent chez eux. De même une vidéo de 3 minutes permet de définir de manière efficace une métropole ou un littoral.

Enfin, la majorité de nos vidéos sont réalisées en parallèle de la tâche complexe qui sera faite en classe. Il s’agit donc d’une leçon qui aborde des notions, du vocabulaire, des personnages... que l’élève peut comprendre en autonomie...et dont il va avoir besoin pour pouvoir réaliser le sujet qui sera proposé. Ainsi les informations données dans la vidéo, puis mises en valeur à travers un questionnaire, vont être réutilisées par l’élève en classe. Il commence à se les approprier et à les transformer doucement en connaissances…

Mickael : Et sans oublier les vidéos réalisées par les élèves ! Tous les atouts du format vidéo mentionnés précédemment permettent aussi de développer des capacités intéressantes pour nos élèves qui sont invités à synthétiser, argumenter, organiser leurs idées, etc. Ils sont non seulement fiers de pouvoir produire un outil susceptible d’être visionné et utilisé par d’autres pour réviser, mais ils développent également un regard critique sur ces ressources numériques qui participe à leur formation de lecteur / auditeur / spectateur avisé.

C’est quoi une bonne capsule vidéo ?

Une vidéo courte.

Manon : Si on observe les statistiques, peu de personnes vont au-delà de 3 minutes de visionnage d’une vidéo. C’est le cas pour tout le monde en naviguant sur les principaux hébergeurs : au-delà de 3 minutes, on n’a plus envie de faire l’effort de se concentrer, voire même de démarrer une vidéo. Et si c’est le cas pour nous, c’est aussi le cas pour nos élèves. Dans les faits, mes vidéos sont souvent bien plus longues et c’est un vrai problème que je tente de résoudre en échangeant avec mes élèves (scinder le cours et la vidéo en plusieurs parties, ne pas externaliser tout le cours, …). Pour pallier à ces vidéos un peu longues, j’insère de plus en plus des synthèses rapides avec les idées principales à retenir pour les différents points de cours.

Jordi : Mes vidéos étaient trop longues au départ et j’ai tenté de les réduire en réfléchissant sur l’articulation entre les contenus de la vidéos et les approfondissements en classe. Pas besoin de tout dire dans la vidéo car elle ne se suffira pas en elle-même. Elle doit être pensée comme un élément “hors la classe” mais tout à fait en lien avec ce qui se fait en classe. Par exemple, je travaille parfois les “Jalons” en Spécialité (HGGSP) en donnant le contour de cette étude sous forme de vidéo avant le cours. Celle-ci ne dure pas plus de deux minutes ! Elle me sert de “mise en bouche” pour que les élèves disposent déjà de quelques connaissances avant l'étude plus précise.

Patricia : J’essaie de faire des vidéos de 5 à 6 minutes (en réalité plutôt 8 à 9 minutes), sachant qu’elles portent souvent sur une partie du cours. Le bon timing est vraiment ce qui est le plus dur. Tenter le Pecha-Kucha? 20 diapos, 20 secondes et 6 minutes 30?

Sylvain : Nous réduisons de plus en plus le temps de nos vidéos (2 minutes pour les sixièmes, 4 minutes grand maximum pour les quatrièmes et troisièmes) et nous essayons de passer à 3 minutes. Cela passe par la rédaction d’un scénario rigoureux. Si il y a une trop grande densité de notions et d’informations à découvrir en quelques minutes...cela devient inaccessible à nos élèves.

Matthieu : Je fais le même constat que vous. Avec Youtube studio il est possible de voir ” le pourcentage moyen de vidéo regardé”, et même si mes vidéos (pour le collège) font en moyenne 4 minutes, le pourcentage moyen de vidéo regardé pour l’ensemble de mes vidéos est seulement de 56 %.

Mickael: Outre le temps de la vidéo, les élèves semblent sensibles à d’autres facteurs pour lesquels nous manquons cependant encore d’études précises :

  1. Dans un contexte pédagogique, les élèves apprécient davantage des vidéos qui ont été créées spécifiquement pour eux ; c’est-à-dire des vidéos qui sont adaptées aux programmes, articulées à la situation pédagogique proposée en classe, voire dans laquelle ils pourront reconnaître la signature, voire directement la voix de leur professeur.

  2. La construction et la tonalité de la vidéo sont également des caractéristiques non négligeables. Le regard des élèves est conditionné par des formats auxquels ils sont habitués et qui allient subtilement sérieux et humour, message principal et anecdotes, etc.

Une vidéo dynamique.

Manon : Capter l’attention des élèves sans être au tableau est un défi. Il faut travailler sa voix pour être clair(e) et jouer sur les visuels pour surprendre les élèves, les amuser, et les questionner. Insérer des documents analysés est évidemment impératif, en particulier des cartes et des croquis en géographie.

Jordi : Souvent construites comme un diaporama commenté, mes vidéos comportent des éléments visant à pointer les éléments saillants, les points sur une carte, les mots-clés apparaissant en rouge, etc. Ceci afin de guider l’œil de l’élève dans l’image et attirer son attention.

Une vidéo précise.

Manon : Une capsule vidéo, c’est souvent un condensé de cours. Un cours d’une heure peut tenir en cinq minutes. Le contenu doit donc être précis, incisif, clair, net et efficace. La rigueur scientifique doit autant être de mise qu’en classe.

Jordi : Un gros défi au départ, c’est effectivement de faire court, simple et précis ! d’où l’importance de faire un script très précis et choisir minutieusement les documents. Car contrairement à l’explication en classe, l’élève ne pourra pas poser de question s’il n’a pas compris. Il est donc très important que les connaissances contenues dans la vidéos soient à la portée de l'élève et exprimées de manière brève et concise.

Patricia : Pour moi je construis ma capsule autour de documents, de définitions. J’essaie de faire passer une proximité, de ne pas être trop magistrale et je garde quelques « euh ». Il est probable que je referai mes capsules au fur et à mesure l’année prochaine en fonction de ce qui aura fonctionné ou pas. Je crois que si on recherche la perfection on se bloque car on n’est pas des professionnels de la vidéo, par contre les outils actuels comme adobe spark vidéo permettent d’obtenir un résultat honorable avec un bon ratio temps/qualité. On trouve maintenant partout des vidéos qui reprennent le programme officiel, doit-on refaire ce qui existe déjà ou trouver son ton? J’essaie de mettre dans mes vidéos ce qui me paraît être la réponse aux interrogations des élèves, expliquer tous les mots qui peuvent poser problème.

Quand placer la vidéo?

Manon : C’est variable. En histoire, les vidéos arrivent le plus souvent en amont des séances d’activités pour permettre aux élèves de s’approprier le contexte. En géographie, c’est un peu différent. J’aime partir d’une étude de cas qui permet aux élèves de dégager les principales notions et axes du chapitre avant de leur donner l’accès aux vidéos de cours, qui viennent élargir la focale. Mais rien n’est fixé dans le marbre et la vidéo intervient avant ou après, en fonction de la complexité de l’activité et de l’objectif pédagogique du jour.

Jordi : L'idée selon laquelle la vidéo arrive avant le cours n’est pas du tout évidente en terme d’efficacité dans l’apprentissage des élèves. Selon moi, tout dépend de l’intention pédagogique dans cette modalité de la classe inversée. Par exemple, pour traiter de l’analyse de document en histoire, il semble intéressant de déporter le contexte historique facilement compréhensible avant pour traiter le document en longueur en classe. Mais pour des notions plus complexes, il me paraît plus pertinent de donner un temps de “défrichage” en classe et fournir une vidéo de synthèse après. Ainsi, les élèves ne découvrent rien de trop complexe par eux-même mais consolident le travail fait en classe.

Patricia : C’est très intéressant car commençant la classe inversée j’aurai tendance à vouloir respecter une supposée règle m’imposant de leur faire regarder tout avant. En fait dans la réalité je laisse chacun faire un peu à son rythme. J’ai passé des extraits de mes vidéos pour leur montrer comment prendre des notes, j’ai utilisé aussi des vidéos de correction, de méthode en partie ou en entier en les commentant.

Quel(s) support(s) pour rendre la vidéo accessible au plus grand nombre ?

Manon : Personnellement, je dépose mes vidéos sur Youtube où j’ai ma propre chaîne (Hg-Guerente). Mes vidéos sont ainsi accessibles à mes élèves, mais aussi à n’importe quel internaute désireux d’en apprendre plus sur un point de cours précis. Plus concrètement, mes élèves disposent d’une feuille de route sur laquelle se trouvent des QR codes et les URL directs des vidéos leur permettant avec un simple smartphone d’accéder à la vidéo de cours. Si la feuille de route est perdue, ils vont sur mon site internet et disposent d’un accès direct à toutes les vidéos de cours.

Jordi : Mes vidéos sont disponibles sur l’ENT de l’établissement (Moodle) avec l’ensemble des documents de travail.

Patricia : j’ai une chaîne YouTube ( les vidéos ne st pas toutes publiques) et un site. Je met les vidéos sur le site.

Matthieu : J’ai également une chaîne Youtube, comme cela mes élèves peuvent y accéder facilement, mais elle est également accessible aux collègues et à leurs élèves.

Comment s’assurer de l’efficience d’un cours en vidéo ?

Manon : Est-ce que le travail a été fait ? Est-ce que le cours a été compris ? Voilà deux questions essentielles que l’on se pose comme enseignant. Une même solution à deux problèmes. Pour cela, j’utilise un questionnaire en ligne (accessible par la feuille de route et mon site internet). Celui-ci me permet de voir qui a fait le travail, à quelle heure, et donc d’établir une fiche de suivi individuelle. Ce questionnaire m’offre aussi un bilan statistique par classe, me permettant de voir si la vidéo a été comprise et quels sont les points à reprendre plus précisément en classe. Je prends aussi systématiquement le temps de faire une reprise rapide en début d’heure avec mes élèves pour insister sur les points essentiels à retenir avant de se mettre en activité.

Jordi : c’est effectivement un point qui questionne énormément ! Jusqu’à cette année, j’ai fonctionné avec des tests sur Moodle à faire après les vidéos. Mais avec le module H5p récemment intégré à Moodle, je rends désormais toutes mes vidéos interactives. Les élèves avancent dans la vidéos qui se met régulièrement en pause (toutes les deux minutes environ) et des questions apparaissent. Ils doivent y répondre avant de pouvoir avancer. A la fin de la vidéo, ils valident leurs réponses qui sont consignés dans leur espace “note” de Moodle. J’y vois plusieurs avantages : la vidéo est rendue très dynamique car coupée régulièrement ; l’attention des élèves est maintenue par le fait de devoir répondre sur le contenu (l’élève a une action sur la vidéo) ; le travail des élèves est suivi avec une validation sur l’ENT. Enfin, comme M.G. je commence très souvent le cours par un test portant sur les éléments de la vidéos vue en amont. Les questions sont construites de manière faire le lien entre ces contenus “déportés” et l’activité faite en classe, articulant ainsi le travail préparatoire en autonomie et le travail d'approfondissement accompagné.

Patricia : l’utilisation de h5p sur Moodle a l’air super! Par contre quand on débute comme moi c’est un temps en plus de travail...pour l’instant je leur demande de prendre des notes et de me les déposer sur Moodle. Je pose des questions en cours, relie l’activité à la capsule, fais des tests Moodle, des listes Quizlet et des Kahoot. Lors des classes virtuelles les sondages à la volée étaient très utiles. Je remplace par Wooclap.

Matthieu : Il ne faut pas croire que parce que les élèves auront regardé une fois la vidéo en amont du cours ils auront mémorisé toutes les notions du cours. Je pense que le but d’une vidéo de notions en amont du cours est la découverte. Ces notions seront ensuite travaillées en classe puis il faudra encore fournir des efforts à un rythme expansé pour les mémoriser sur le moyen/long terme.

Je pense que l’efficience de la vidéo passe également par un questionnaire bien pensé pour que les élèves soient actifs. Il ne faut pas que les questions soient trop simples, mais il ne faut pas qu’elles soient trop compliquées, il faut donc trouver le bon équilibre. Il faudra également apporter un feedback/corrigé rapide après le questionnaire pour éviter l’ancrage d’erreurs dans la mémoire, ce qui serait alors contreproductif.

Mickael : Après avoir testé plusieurs dispositifs, mes élèves semblent aujourd’hui satisfaits par l’association systématique de ces vidéos avec des questionnaires semi-autocorrigés. A la fin de chaque questionnaire, ils reçoivent en effet une synthèse qui leur indique quels sont les réponses justes et les réponses fausses, sans pour autant leur indiquer la bonne réponse.

Les élèves relèvent un triple intérêt dans ce dispositif :

  1. Le questionnaire les aide à repérer les informations principales à retenir. Beaucoup ont en effet encore besoin de cet accompagnement pour sélectionner l’essentiel.

  2. La majorité des élèves ne se contente pas du premier essai. Ils recommencent l’activité lorsqu’ils n’ont pas atteint 100% de réussite et sont ainsi invités à réfléchir à la nature de leur erreur pour la corriger et atteindre la note maximale.

  3. A l’issue de l’activité, ils ont à leur disposition une synthèse qu’ils peuvent imprimer et qui constitue une première fiche de révision associée à leur cours.

Mon objectif dans les prochains mois : réaliser un Historicoflix (sur le modèle de Netflix) qui rassemble toutes vos vidéos classées par chapitres et thématiques, associées à chaque fois à un questionnaire à réaliser en autonomie. On offrirait ainsi une immense plateforme de révision gratuite à nos élèves.