Classes renversées

La ou les classes "renversées". Contours d'une pratique à partir d'expériences de terrain.

Nous vous proposons d'esquisser le contour de cette pratique par les retours d'expériences au lycée de Manon GUERENTE et Mickael BERTRAND. Vous retrouverez les mises en œuvre concrètes dans l'article consacré aux classes renversées au collèges et au lycée.

Manon GUERENTE enseigne au lycée Henri Laurens (26) dans l'Académie de Grenoble. Voici sa démarche pour renverser sa classe :

La classe renversée, c’est quoi ?

Le principe de la classe renversée est assez simple. Normalement, quand on fait un cours, l’enseignant prépare le contenu et les activités, puis les élèves réalisent les exercices proposés et apprennent le cours en vue de l’évaluation. L’idée ici est de tout renverser. Ce n’est plus l’enseignant qui fait le cours, mais les élèves !

Pourquoi j’ai décidé de me lancer en classe renversée ?

Certains chapitres semblent assez simples et on a parfois l’impression de se répéter d’une année sur l’autre. Comme tout le monde, dans ces cas-là, je change mes activités, j’essaye de trouver de nouveaux documents et de nouvelles approches, mais ça ne suffit pas toujours à me satisfaire. D’autant plus que lors de ces séquences classiques et incontournables (l’inégal développement dans le monde, par exemple), les élèves aussi semblent s’ennuyer. Il fallait donc réveiller tout le monde.

La classe renversée permet ainsi une nouvelle approche, qui suscite intérêt et parfois un peu d’anxiété aussi chez les élèves. Est-il seulement possible de faire un cours quand on est en phase d’apprentissage ?

Comment s’assurer de la réussite d’une séquence renversée ?

Premier point essentiel, la préparation de la séquence. Evidemment, si l’enseignant ne fait pas le cours, ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas préparé. Bien au contraire. Il faut avoir pris connaissance des documents potentiels, avoir réfléchi au raisonnement général, préparé son argumentation si l’on veut être capable de guider de manière pertinente les élèves dans leur travail. Surtout, si jamais un groupe faillit à sa mission, il faut être prêt à reprendre la partie manquante.

Deuxième point, la constitution des groupes. Si on travaille plusieurs semaines d’affilée, il est impératif que les groupes fonctionnent et de s’assurer que tous les groupes pourront être en réussite sur le travail qui leur est demandé. Il convient donc de préparer des groupes plutôt hétérogènes, en s’assurant de leur bonne entente et de bien réfléchir aux parties du cours qu’ils auront à traiter.

Troisième point, la question du temps. Comme toujours, l’enseignant donne le tempo de la progression de la classe dans l’optique de boucler le programme. Néanmoins, en classe renversée, ce sont les élèves qui font avancer le cours, cela demande donc un peu plus de souplesse. S’il est nécessaire de leur indiquer un objectif temporel, il faut aussi intégrer qu’une à deux séances supplémentaires sont presque toujours nécessaires pour avoir un travail abouti et de qualité.

Quatrième point, vérifier les contenus. Si les élèves écrivent le cours, l’enseignant reste toujours le garant du contenu et des connaissances transmises, il reste l’expert. Il doit donc s’assurer de la qualité du contenu, en passant auprès des groupes, en faisant un point régulier avec eux, tout en s’assurant que les élèves ne plagient pas les ressources à leur disposition mais réussissent bel et bien à s’approprier questionnements et contenus.

Quelle plus-value la classe renversée apporte-t-elle aux élèves ?

Passée la phase d’inquiétude initiale, les élèves se prennent au jeu et découvrent la face cachée de l’enseignement. Ils apprennent à sélectionner des documents pertinents, à les questionner, à en synthétiser les idées essentielles. Ils comprennent la nécessité d’avoir une expression claire pour communiquer efficacement. Ils s’approprient aussi mieux les questionnements historiques et géographiques car le cours n’est pas prémâché. C’est à eux de trouver les problématiques et de construire leur raisonnement. Nombreux sont ainsi les élèves qui découvrent qu’un cours est monté comme une question problématisée/une composition, avec des documents et activités en plus.

Le fait d’apporter également pour chaque groupe sa pièce à l’édifice est source de motivation et de pression. Leur travail doit être au niveau attendu sans quoi ils pénalisent l’ensemble de la classe.

Enfin, la séance la plus intéressante pour moi est la préparation de l’évaluation. Les élèves comprennent (enfin !) les attendus de l’enseignant et les critères qui conduisent à la création d’une bonne évaluation. Ils comprennent ainsi mieux comment réviser pour être en réussite lors des évaluations.

Manon GUERENTE

Mickael BERTRAND enseigne au lycée Anna Judic de Semur-en-Auxois dans l'Académie de Dijon. Il nous livre sa démarche de classe renversée dans le contexte de la crise sanitaire et de l'enseignement à distance.

Après plusieurs semaines de préparation, d’échanges, de lectures, de doutes, j’étais enfin prêt à proposer ma première séquence de “classe renversée” à mes élèves de lycée. Et puis l’épidémie de COVID-19 est arrivée avec son confinement et ses classes virtuelles... Récit d’une classe renversée confinée !

Quand les élèves font cours...

L’idée d’inverser les places des élèves et de l’enseignant est assez ancienne dans ma pratique pédagogique. Dès mon arrivée en lycée à la rentrée 2012, je proposais déjà à mes élèves d’organiser des sessions intitulées “Quand les élèves font cours...”. L’objectif était alors de renouveler la pratique peu satisfaisante de l’exposé au cours duquel les élèves présentent généralement la synthèse orale (et trop souvent lue) d’un article trouvé sur une célèbre encyclopédie collaborative. En modifiant le nom et les modalités de cet exercice, mon objectif était d’amener les élèves à réfléchir à la forme de la transmission des connaissances en supposant que cette dynamique entraînerait une consolidation de l’apprentissage des exposants ET des auditeurs.

“Tu me dis, j’oublie.

Tu m’enseignes, je me souviens.

Tu m’impliques, j’apprends”.

Benjamin FRANKLIN

Ces expériences ont donné lieu à de très beaux moments de partage. Organisées sur le principe du volontariat, ces sessions ont permis à certains élèves de prendre en charge des parties de cours pour lesquelles ils avaient un intérêt particulier. D’autres étaient plutôt séduits par la possibilité de prendre ma place pendant quelques minutes avec tout ce que cela implique : s’installer sur ma chaise de bar (oui, je fais cours sur une chaise de bar...), venir habillé.e avec une veste et une cravate, apporter son mug de café...

Bien que sympathiques, ces sessions sont restées relativement limitées. D’une part, il me semblait difficile de les rendre obligatoires pour tous les élèves de la classe ; d’autre part, les élèves avaient parfois des difficultés à comprendre que l’exercice ne relevait pas d’un exposé à la suite duquel l’enseignant pouvait proposer une correction, mais que leur production devait s’inscrire dans le déroulé d’un cours. Cela nécessitait donc théoriquement d’anticiper cette session et d’entrer dans une forme de co-construction entre les élèves et l’enseignant. En pratique, malgré de multiples rappels, les élèves m'envoyaient souvent leur production la veille de leur prestation et il n’était alors plus possible de mettre en place une véritable démarche collaborative et des remédiations anticipées.

C’est dans ce contexte que j’ai découvert les travaux de Jean-Charles CAILLIEZ sur les “classes renversées”, d’abord par l’intermédiaire de son blog, puis lors de ses conférences TEDx et enfin en approfondissant la réflexion avec son ouvrage de synthèse sur la question :

Ces différentes ressources ont été d’une grande utilité pour nourrir la réflexion théorique. Néanmoins, toute tentative d’adaptation dans l’enseignement secondaire se terminait irrémédiablement par la même interrogation : est-il vraiment possible de mettre en oeuvre une “classe renversée” en collège ou en lycée avec des élèves qui n’ont pas le même degré d’autonomie et dans un système scolaire qui ne présente pas les mêmes caractéristiques organisationnelles ni les mêmes enjeux ?

Soyons concrets :

  • Le travail personnel attendu d’un étudiant ne peut pas être celui d’un collégien ou d’un lycéen ;

  • Les enjeux entre une scolarité obligatoire et des études supérieures que l’on a le plus souvent choisies ne sont pas les mêmes ;

  • Enfin, le point de départ initial n’est pas non plus comparable. Tandis que Jean-Charles CAILLIEZ évoque un “enseignement académique, à l’image du cours magistral” parfois entrecoupé “des séquences consacrées aux questions ou aux exercices, mais souvent limitées dans le temps, voire reléguées en fin de cours”, les enseignants du secondaire pratiquent majoritairement une pédagogie de l’activité qui conduit à alterner deux à trois situations d’enseignement différentes par séance de 55 minutes.

La “classe renversée” a donc besoin d’être adaptée pour correspondre au contexte de l’enseignement en lycée, tout comme l’expérimentation décrite ci-dessous aurait probablement besoin d’être repensée par les collègues en collège.

Pourquoi “renverser” sa classe ?

Avant de décrire le dispositif mis en œuvre, il convient d’abord de répondre à la question qui devrait précéder toute expérimentation d’une nouvelle situation d’enseignement : pourquoi est-il nécessaire de renverser, voire remplacer, d’autres situations utilisées jusqu’à présent ?

La première raison est tout simplement une volonté de diversifier les situations d’apprentissage proposées aux élèves afin d’éviter une forme de routine et proposer de nouvelles activités susceptibles de mobiliser des élèves peu impliqués.

Ensuite, l’objectif est également de développer des capacités qui figurent dans les ressources d’accompagnement des programmes d’histoire-géographie. Les dispositifs de “classes renversées” permettent en effet de travailler les capacités suivantes :

  • S’approprier un questionnement historique ou géographique ;

  • Construire et vérifier des hypothèses sur une situation historique ou géographique ;

  • Justifier des choix, une interprétation une production ;

  • Utiliser une approche historique ou géographique pour mener une analyse ou construire une argumentation ;

  • Utiliser le numérique ;

  • Identifier et évaluer les ressources pertinentes en histoire-géographie ;

De manière plus générale, les “classes renversées” permettent également de favoriser :

  • Le travail en équipes / la coopération ;

  • L’oral.

Par ailleurs, il n’est pas anodin non plus de signaler que la démarche proposée s’inscrit dans une pédagogie du chef-d’oeuvre qui était en vigueur dès l’époque médiévale avant d’être reprise et actualisée par divers pédagogues tels que Freinet au cours du XXe siècle, et même de devenir une production obligatoire dans la formation des élèves et apprentis de CAP et baccalauréat professionnel depuis 2019.

Enfin, cette situation n’est pas sans interroger la nature de la relation entre les élèves et l’enseignant, mais aussi entre les élèves et les savoirs. En effet, si l’enseignant demeure le garant de la validité scientifique du cours, les élèves sont placés en situation de co-construction d’un savoir qu’ils sont dès lors amenés à partager dans le cadre du groupe classe.

Mickael BERTRAND