BD & géographie

La bande dessinée, un objet de recherche géographique.

La bande dessinée est un genre mixte caractérisé par une interdépendance entre l’image et le texte. Elle devient un objet de recherche en géographie dans les années 1970 à l’occasion du tournant culturel et humaniste impulsé par Armand Frémond (1974). Les publications font, dans un premier temps, l’analyse du cadre de vie d’un personnage ou s’intéressent à la manière de représenter un espace (Champigny, 2010). Les chercheurs en littérature étudient les liens entre le réel et l’imaginaire et se concentrent sur les discours géographiques émergeant dans les œuvres littéraires. Les géographes étudient également l’espace urbain et les représentations de la ville diffusées par les bandes dessinées (Chevalley, 1992 ; Molina, 2007 ; Glassey, 2009 ; Amiaud, 2012 ; Fournier, 2009 ; Gargov, 2013). La géographie culturelle s’empare également du médium à l’occasion du colloque Les géographies de Tintin et en profite pour montrer que les albums de Tintin renforcent les stéréotypes culturels tout en cherchant à donner une vision réaliste du monde.

La bande dessinée dans un contexte scolaire : usages et didactique

La bande dessinée est peu utilisée en classe et il faut attendre le tournant culturel de 1968 pour qu’elle fasse son entrée dans les classes et les programmes. En parallèle, deux colloques sur le thème « bande dessinée et éducation » sont organisés dans les années 1970. Dans les années 1980, des publications et discours cherchent à accompagner son usage scolaire (Cahiers Pédagogiques ; Textes et documents pour la classe, 1982; 1983). Dans les années 1990, la bande dessinée fait son apparition dans les catalogues des CDI et dans les plans de lecture de 1989, 1993 et 1997 mais elle est peu présente dans les programmes (Aquatias, 2018) et n’est pas intégrée au même titre que les autres formes artistiques.

Le médium est présenté comme facilitant les apprentissages des élèves (Rouvière, 2013) mais les enseignants occultent souvent la difficulté engendrée par la complémentarité texte-image (Blanchard & Raux, 2019) qui peut provoquer des incompréhensions chez les élèves (Bautier et al., 2012). Les enseignants utilisent souvent la bande dessinée comme prétexte pour étudier autre chose, y recourent comme support mais ne l’étudient pas pour elle-même (Mack dit Mack, 2012) et peinent à mettre en œuvre des transpositions didactiques pertinentes.

Il est primordial de traiter ensemble et en même temps texte et image.

Trois raisons président à sa faible utilisation par les enseignants : un défaut de formation, (Blanchard et Raux, 2019), un manque de théorisation didactique et sa marginalité dans la recherche universitaire.

Les chercheurs en didactique étudient cet objet avec des angles divers :

  • évolution des rapports entre pédagogie et bande dessinée (Harry Morgan)

  • légitimation dans la culture scolaire (Steyaert, Tilleuil, 2016)

  • pratiques enseignantes (Dardaillon, 2009 ; Tabuce, 2012). Peu d’études concernent les pratiques enseignantes. Parmi elles, l’essentiel des travaux concerne une utilisation pédagogique de bandes dessinées déjà existantes. Très peu de travaux portent sur des expérimentations en classe de productions de BD par les élèves eux-mêmes (Martel & Boutin).

Certains chercheurs estiment qu’une utilisation en classe stimulerait les élèves. En 2019, une communication paraît sur la manière dont les élèves peuvent s’emparer de la bande dessinée pour restituer un discours scientifique et montre les enjeux de la bande dessinée comme support didactique (Hosson, Bordenave, Daures, Décamp, Hache, Horoks, Kermen, 2019). En géographie, une recherche portant sur la construction de bande dessinée en classe et le raisonnement géographique a été soutenue récemment (Maurice, 2020). Elle prouve que la bande dessinée est un support pertinent pour que les élèves mettent en place des raisonnements géographiques. Une thèse destinée à créer une démarche de création de bande dessinée géographique et à diffuser son usage dans un contexte scolaire est actuellement en cours de préparation.


Utiliser la bande dessinée en classe de géographie, pour quoi faire ?

Si les élèves peuvent être des consommateurs de BD, ils connaissent mal ses codes, son vocabulaire et son fonctionnement. Utiliser ce médium en classe impose au préalable de sensibiliser et former les élèves à son usage. Ils doivent être en mesure de décrypter ses codes, de connaître le vocabulaire. Il est primordial de bien leur faire comprendre que le discours est porté simultanément par le texte et l’image, qui ne peuvent être dissociés. Un travail en interdisciplinarité avec un enseignant d’Arts Plastiques ou le professeur documentaliste peut-être à cet égard tout à fait pertinent.

Que permet l’analyse de bande dessinée en classe ?

Il existe plusieurs types de bandes dessinées géographiques. Des bandes dessinées qui donnent à voir des paysages et qui peuvent être utilisées en classe pour l’étude de paysages, urbains notamment, de l’organisation de territoires ou encore pour faire de la géographie culturelle (l’alimentation dans les albums de Tintin par exemple). Ces bandes dessinées peuvent être mobilisées pour réaliser un exercice de cartographie à partir du médium.

D’autres bandes dessinées telles que :

  • Algues vertes. L’histoire interdite d’Inès Léraud et Pierre Van Hove

  • D’alland, Bonneau, Guillard, Cent Mille Ans.(2020) Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires. La Revue Dessinée. Seuil

  • Ramadier, Bonneau. (2017). Et il foula la terre avec légèreté. Futuropolis.


mettent en œuvre un raisonnement géographique, c’est-à-dire un raisonnement ancré dans un territoire, multiscalaire, inscrit dans une temporalité et mettant en scène des acteurs proposant un discours sur le territoire. Le raisonnement géographique impose des liens de causalité solides (Colin, Heitz, Gaujal, Giry, Leininger-Frézal, 2019). Ces bandes dessinées peuvent être utilisées en classe pour faire raisonner les élèves et leur faire identifier le raisonnement géographique à l’œuvre. Elles permettent d’étudier les intentions des acteurs, mettent en scène des conflits d’usage ou d’aménagement.


Que permet la construction de bande dessinée en classe ?


Construire une bande dessinée géographique implique la mobilisation de compétences telle que l’iconotexte, c’est-à-dire la capacité à utiliser simultanément le texte et l’image pour produire un discours. La démarche permet aussi aux élèves de mettre en œuvre un raisonnement géographique.


Julie Maurice.

Collège Maurice Genevoix, académie de Versailles.

Bibliographie

Aquatias, S. (2018). La bande dessinée à l’école hier et aujourd’hui. Education et bande dessinée. http://www.etatsgenerauxbd.org/wp-content/uploads/sites/9/2018/05/2017_rencontres_nationales_bd_02_v00c2.pdf

Baudry, J. (2019, Avril). Tendances de recherche (5/6) : bande dessinée et pédagogie. Comicalités. https://graphique.hypotheses.org/1432

Blanchard, M., & Raux, H. (2019). Usages didactiques de la bande dessinée. Tréma, 51. https://doi.org/10.4000/trema.4803

Blanchard, M. et Raux, H. (2019). La bande dessinée, un objet didactique mal identifié. Tréma, 51. https://doi.org/10.4000/trema.4818

Champigny, J. (2010). L’espace dans la géographie [Thèse de doctorat, Université Paris Diderot].

Colin, P., Heitz, C., Gaujal, S., Giry, S. et Leininger-Frézal, C. (2019). Raisonner, raisonnements en géographie scolaire. Geocarrefour. 94/4. https://journals.openedition.org/geocarrefour/12524

Groensteen. (2007). La bande dessinée mode d’emploi. Les impressions nouvelles.

Hertig, P. (2012). Didactique de la géographie et formation initiale des enseignants spécialistes. [Thèse de doctorat. Université de Lausanne, institut de géographie].