Les plans de travail

Les plans de travail. Éléments théoriques, retours de pratique et perceptions des élèves.

Nous vous proposons une synthèse de revue de littérature sur le sujet des plans de travail et une réflexion sur ces enjeux. Vous retrouverez les mises en œuvre concrètes dans les sous-rubriques.

Marie-Camille Fourcade, enseignante au collège Camille Claudel de Launaguet, Académie de Toulouse

Pourquoi planifier ?

L’intérêt pour les plans de travail est né de problèmes de métier largement partagés : la grande hétérogénéité des élèves et le manque d’autonomie au sens de Meirieu (2016), c’est-à-dire la capacité d’un·e apprenant à mobiliser des stratégies d’apprentissage (se fixer des objectifs, définir des moyens et une organisation pour y arriver, évaluer le résultat). En effet, le plan de travail a été introduit par une femme pédagogue du début du XXe siècle, Helen Parkhurst aux États-Unis pour répondre à la massification de l’enseignement et à l'hétérogénéité grandissante des classes. Son introduction dans nos enseignements est aussi né de problèmes de métier spécifiques à l’approche dite inversée : le besoin de médiatiser à l’intention des élèves la réorganisation de l'articulation entre les temps et les espaces d’apprentissage, induite par la démarche d’inversion.

Enfin, le plan de travail a été relayé en France par la pédagogie Freinet (1966) et en porte les buts : permettre le développement maximal des possibilités de l’enfant en lui offrant au-delà de la compréhension d’un corpus commun, l’opportunité de se connaître et de s’émanciper. Il repose sur des invariants pédagogiques désormais largement étayés par les sciences cognitives : “l’enfant n’aime pas le travail en troupeau [...], il aime le travail individuel et d’équipe” (invariant n°21), “chacun aime choisir son travail, même si ce choix n’est pas avantageux” (invariant n°7). Ces buts et ces fondements entrent en résonance immédiate avec les valeurs et principes qui animent notre action d’enseignant·e.

Comment planifier ?

Typologie

On peut distinguer (Connac, 2017), trois types de documents :

  • la feuille de route qui est un document identique à tous les élèves et proposant les mêmes activités ; l’élève dispose d’une vision sur le chemin parcouru et le chemin qu’il reste encore à faire ; un peu d’autodétermination peut être envisagé : l'ordre d’exécution des tâches peut être au choix. Dans ce cas, seule l’autonomie fonctionnelle (Foray, 2016) est travaillée c’est-à-dire une autonomie restreinte où l’élève est dans l’exécution d’un programme fixé par l’enseignant·e.

  • le contrat de travail est une version négociée de la feuille de route ; en accord, l’élève et l’enseignant.e choisissent et adaptent une partie des activités et la progression en fonction du profil de l’élève.

  • le plan de travail est un support propre à chaque élève qui choisit ses activités parmi un panel de tâches connues depuis le début d’année, les inscrit sur son plan de travail et les exécutent selon l’ordre qu’il souhaite.

Dans la pratique, on tend davantage à l’hybridation de ces trois formes pour chercher à développer une autonomie morale et intellectuelle de l’élève (Foray, 2016) en répondant à son besoin d’autodétermination (choix des buts et de l'ordre) et à son besoin de compétences avec des tâches qui doivent le pousser dans sa zone proximale de développement.

Nature des tâches

Une attention particulière doit être portée à la nature des tâches qui seront accessibles par le plan de travail ; elles doivent mobiliser différentes formes d’engagement (Chi et Wylie, 2014) :

  • engagement réceptif : prendre connaissance de documents, de vidéos,

  • engagement actif : les élèves manipulent les informations ce qui réclament une attention plus soutenue,

  • engagement constructif : l'élève produit du contenu,

  • engagement interactif : c’est le niveau précédent qui se réalise dans la coopération.

Les deux derniers niveaux d'engagement permettent les apprentissages les plus profonds ; ainsi, il faut être vigilant sur la mise en oeuvre du plan de travail en déjouant l’isolement qu’il peut produire ; il est important de penser un environnement coopératif autour de son utilisation ou du moins des temps de pratiques socio-constructivistes.

Se lancer

Nous conseillons d’envisager son introduction de manière progressive car son utilisation est un apprentissage en soi ; il est possible de débuter par une forme dirigée qui offre un choix restreint comme l’ordre de réalisation, facilite l'entraînement, la systématisation, le transfert de notions déjà apprises ; puis, d’évoluer vers une forme ouverte offrant une grande liberté de choix pour les élèves à tous les niveaux : type de tâches, contenu, organisation….

Au final, on peut trouver une forme de consensus dans la littérature sur le contenu des plans de travail :

  • des tâches communes,

  • des tâches spécifiques selon les élèves,

  • des projets personnels au long cours, plutôt créatives,

  • des tâches d'évaluation par compétences,

  • des dispositifs d’auto-évaluation.

Les conditions de réussite et les limites

Les conditions de réussite (Connac, 2012, Theis, 1998) du plan de travail :

  • la possibilité de choix (sur l'activité, sa forme de rendu, de réalisation sociale, de l'ordre d'exécution)

  • une intention pédagogique claire visant l'autonomisation (choix des objets d'étude, choix de l'ordre de réalisation, évaluation du degré de réalisation) et la responsabilisation (présence de parties d'autoévaluation, de symbolisation du sérieux et du soin dans le travail).

Les limites :

  • ne correspond pas à tous les enseignant·es car le plan de travail répond à un changement conceptuel du métier d’enseignant·e,

  • ne correspond pas tous les enfants ? Si on part du postulat que pour utiliser le plan de travail, l’élève a besoin d’être autonome, il est évident que les élèves peu autonomes vont être ceux et celles qui profitent le moins du dispositif ; or, l’acquisition de l’autonomie n’est pas un préalable mais un des objectifs de l'introduction du plan de travail dans sa pratique. Dans ce cas, l’autonomie est un objet d'apprentissage ; les élèves requièrent tout notre accompagnement pour la développer par l’appropriation du plan de travail. Pour les élèves peu autonomes, le plan de travail dirigé peut être souhaité dans un premier temps afin d’éviter de les placer en situation d'insécurité.

Marie-Camille Fourcade

Martial Gavaland, enseignant de Physique- Chimie au Lycée Honoré d'Estienne d'Orves de Carquefou, Académie de Nantes.

Une planification qui tient compte des objectifs d’une acquisition de savoirs disciplinaires.

Les plans de travail, destinés à l’élève, masquent une autre réalité, celle de l’objectif de l’acquisition de savoirs disciplinaires. En effet, derrière ces parcours, il se dessine une stratégie didactique, prévue par l’enseignant.e, pour l’amener à s’approprier le problème (dévolution), à engager la résolution des diverses phases (cadre didactique) qui évolue au gré de l’élève en interaction avec ses savoirs (milieu). Cette organisation est alliée à une volonté farouche d’être socio-constructiviste par le déploiement d’un travail collaboratif, et qui met l’accent sur un double canal pédagogique “élève-élève” et “élève-professeur”. D’ailleurs, les inverseurs parlent souvent de travail côte à côte et non de face à face. Mais nous ne pouvons occulter que l’élève apprend “seul avec les autres” (Ph. Carré). Ce n’est qu’en reconstruisant son parcours cognitif que l’élève, autonome, reformule et conscientise le savoir construit. Cette planification, au delà de son aspect méthodique (imposée, incitée, régulée par l’expert.e) doit permettre à l’élève de s’engager en toute sécurité. Car, avouons le, qui oserait faire naviguer les élèves dans cette mer d’incertitudes (par trop de choix) sans un réel cap clairement défini (par une succession de tâches à réussir) et un objectif à atteindre (l’identification des savoirs acquis). Il faut tout faire pour que l’élève accepte de se confronter seul à la situation. Il faut opérer un transfert de responsabilité, c’est le processus de dévolution de la situation adidactique qu’a largement développé Brousseau (la théorie des situations didactiques). L’élève doit être responsable du résultat qu’il doit chercher. D’où la nécessité d’une planification claire, régulière, qui permet à l’élève d’identifier ce qu’il peut atteindre, de lui permettre par des modalités motivantes (et rassurantes) plurielles de produire seuls ou à plusieurs (voir les parties 1 et 2 précédentes). La planification doit permettre la mobilisation de connaissances externes (connaissance antérieure) pour valider, par l’élève lui-même, une situation de nouvelles connaissances. Ainsi, l’enseignante.e doit prévoir la possibilité que l’élève se teste par des essais répétés, des feed back en disposant de conditions multiples (les parcours divers possibles que définissent le milieu) d’apprentissage.

Comment les élèves apprennent-ils en autonomie ?

Du côté des élèves, le plan de travail est un moyen, se former, pour atteindre un but : se préparer à la phase de validation des savoirs. Ils distinguent nettement de ce qui est de l’ordre de l’aspect formatif (voire sommatif) de son aspect certificatif final. Par conséquent, les élèves identifient les deux objectifs fondamentaux aux plans (ce classement est issu de l’étude, qui mériterait d’être approfondie d’un professeur depuis 4 ans avec deux classes de seconde) :

  • se confronter aux apprentissages disciplinaires en s’entrainant et se formant par des QCM qui génèrent notes et feedback immédiatement. ces modalités sont plébiscitées en priorité. Le suivi des vidéos de cours, des exercices cités du livre ou papier corrigés fournis et des grilles de savoirs et compétences à acquérir viennent ensuite . Notons que le choix des QCM est aussi mis en exergue dans le classement de Hattie comme l’un des processus fondamentaux susceptibles d’améliorer les apprentissages. Les élèves justifient ce choix par les arguments suivants maintes fois répétées : “je m’entraine pour savoir ce que je sais faire, et voir ce que je dois revoir en cas d’échec”, “Je constate ainsi si j’ai compris en réussissant les tests”. Revoir son cours ne vient qu’après avoir été positionné par le résultat d’une évaluation. Il y a un (trop) fort impact du processus essais-erreurs. Les élèves font remarquer qu’il doute parfois de ce qu’ils ont acquis ou pensent avoir acquis. Ils distinguent nettement les fonctions d’apprentissage, d’entraînement par les plans, des éléments de savoirs qui en découlent. Les élèves soulignent qu’ils aimeraient que le professeur valide plus régulièrement ce qu’ils ont appris, ce qui indique bien la nécessité d’institutionnaliser clairement par des phases bilan les savoirs travaillés. Les élèves ont la capacité à identifier que réussir un test ne signifie pas forcément que le processus d’acquisition des savoirs est correct. Il est nécessaire de valider, expliciter auprès de chacun.e si leur processus d’apprentissage, leurs phases explicatives sont structurées, cohérentes et complètes. Les plans de travail doivent intégrer des phases où l’expert (le professeur) institutionnalise et régularise le savoir acquis.


  • la possibilité de s’auto-déterminer : les élèves mettent en exergue le point d’autonomie, de pouvoir choisir leurs parcours ou modalités d’apprentissage, la pluralité des productions proposées. Ce choix “soumis” engage à son insu l’élève à se responsabiliser. Néanmoins, certains soulignent que cette stratégie puisse faire “peur” puisqu’on n’est plus autant guidé qu’auparavant (ce sont d’ailleurs les élèves “méthodiques”, soucieux de respecter les “codes disciplinaires”). Il rejoint un point fondamental : que dois je retenir ? Il faut mettre en garde contre l’idée reçue d’une autonomie qui finalement “isole” l’élève, qui pourrait créer à son tour un mal-entendu pédagogique et didactique synonyme d’une acquisition erronée des savoirs par l’élève. Il faut toujours garantir une autonomie accompagnée. Les élèves sont clairs sur ce point : ils veulent savoir si ce qu’ils font est correct ou pas sans tomber dans un comportement tâche-récompense . Ils attendent autre chose que le score d’une machine. C’est un large point à développer par des pratiques d’auto-évaluation, mais surtout de co-évaluation qui renforcent le sentiment d’efficacité personnel, l’estime de soi et donc la capacité à argumenter des phases explicatives pour soi, par soi-même et pour les autres.

Martial Gavaland

Conclusion

Nous devons prendre garde à ne pas opposer le plan d’apprentissage conçu par l’enseignant.e pour faire acquérir les éléments d’un programme disciplinaire et un plan plus centré sur l’élève pour rendre l’apprenant.e autonome dans ces modalités d’apprentissages. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux objectifs. Cela étant, il s'agit bien de mettre à disposition des élèves un plan d'apprentissage et non sa planification didactique. Par expérience, les premiers plans de travail se confondent avec notre planification didactique. Nous devons tendre progressivement à distinguer les deux.

L'École se donne cette double ambition : contraindre l’apprenant à conscientiser son acte d’apprendre pour peu à peu qu’il jouisse de sa propre autonomie. Il pourra acquérir, par diverses modalités d’apprentissages, un savoir partagé collégialement qu’il pourra à son tour transmettre de génération en génération. Il est bien nécessaire d’accompagner à la fois cette dialectique qui s’engage chez l’apprenant désireux d’acquérir et de s’épanouir sur le chemin de savoirs partagés. Apprentissage de l’autonomie et apprentissage des savoirs sont constitutifs. L’un ne va pas sans l’autre. C’est la dynamique de l’Éducation : amener un élève à s’engager consciemment dans un processus “expérientiel” d’autonomisation lui permettant simultanément d’acquérir des savoirs universels (propres à une discipline, exogène) et à développer et améliorer ses propres compétences (endogènes) d’analyse, de résolution, d’explications, d’argumentations pour être, à son tour, un passeur de savoirs “socialisés”.

Martial Gavaland et Marie-Camille Fourcade


Bibliographie

Connac, S. (2012). Analyse de contenus de plans de travail : vers la responsabilisation des élèves. Revue des sciences de l’éducation du Canada, 38-2. Repéré à https://www.erudit.org/revue/rse/2012/v38/n2/1019609ar.pdf

Connac, S. (2017). Connac, S.(2017). Enseigner sans exclure–La pédagogie du colibri. Paris: ESF Editeur–Collection Références.

Chi, M. T., & Wylie, R. (2014). The ICAP framework: Linking cognitive engagement to active learning outcomes. Educational psychologist, 49(4), 219-243.

Freinet, C. & Berteloot, M. (1966). Travail individualisé et programmation. Cannes : Bibliothèque de l’école moderne. Repéré à http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/18360

Foray, P. (2016). Devenir autonome: apprendre à se diriger soi-même. ESF Sciences Humaines.

Meirieu, P. [1985] (2016). L’école, mode d’emploi, des méthodes actives à la pédagogie différenciée. Issy-les-Moulineaux : ESF

Meirieu, P. (consulté le 04/12/2016). Formation à l’autonomie. Repéré à https://www.meirieu.com/CLASSEAUQUOTIDIEN/formationautonomie.htm

Theis, L. (1998). L’autonomie dans l’enseignement avec plan de travail, un encadrement sur deux niveaux. Mémoire de maîtrise en sciences de l’éducation. Université de Sherbrooke, Québec, Canada. Repéré à http://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/464

Brousseau, G. (1990). Le contrat didactique : le milieu. Recherches en Didactique des Mathématiques, 9(3), 309‑336. http://guy-brousseau.com/2325/le-contrat-didactique-et-le-concept-de-milieu-devolution-1990/

Brousseau, G. (1997). La théorie des situations didactiques. Montréal. http://guy-brousseau.com/wp-content/uploads/2011/06/MONTREAL-archives-GB1.pdf

Brousseau, G. (1998a). Le centre d’observation de l’IREM de Bordeaux. In Théorie des situations didactiques (p. 359‑366). Grenoble : La pensée sauvage.