Les classes inversées :

Un principe de diversité

Les classes inversées (dans lesquels j'inclue les classes dites "renversées") se caractérisent aujourd’hui par une grande diversité des approches, répondant aux caractéristiques des disciplines et aux finalités pédagogiques choisies par les enseignants. Le point commun à toutes ces approches est la volonté de centrer le temps précieux de la classe autour du travail des élèves d’une part, de changer les postures d’autre part (« du face-à-face au côte-à-côte »).

Ces différentes pratiques permettent également de redonner de la liberté aux professeurs pour inventer, créer, différencier et développer les interactions au sein de la classe. C’est ce qui contribue certainement à l’intérêt croissant des enseignants pour les classes inversées.

Je propose ici de présenter différents scénarios pédagogiques et de les comparer grâce à certains critères décrits rapidement ci-dessous :

- Autonomie : donner à l'élève la possibilité de choisir parmi des activités, ou de choisir le chemin pour atteindre un objectif.

- Différenciation : la possibilité de varier les contenus des exercices selon les besoins des élèves. Il s'agit aussi de donner du temps à l’élève pour trouver les solutions par lui-même plutôt que d’attendre la réponse de l’enseignant.

- Coopération/interaction : la possibilité de proposer des travaux de groupe, des corrections croisées, une production mutualisée.

- Zone de confort de l’élève : prise en compte du guidage des activités, du niveau de déstabilisation des élèves par rapport à un enseignement simultané.

- Le travail à la maison : la charge de travail en dehors de la classe.

Cette approche comparative repose sur des observations de terrain étalées sur plusieurs années, de la Seconde à la Terminale.

Je précise qu'elle n'a aucune prétention scientifique ni prescriptive. La typologie proposée est tout à fait discutable et personnelle. L'ambition est simplement de donner à penser sur la diversité des approches...

Dans l’approche « classique » de la classe inversée, un contenu théorique est donné en amont du cours (sous forme de vidéo ou autre) avec un test en ligne pour vérifier l’acquisition du contenu. Un autre test est réalisé dès l’entrée en classe pour remobiliser les notions du cours et orienter les élèves vers une activité précise. Le principal avantage de cette modalité est le temps dégagé pour approfondir, travailler en profondeur et de manière individualisée les méthodes spécifiques de la discipline, manipuler et mettre en perspective les notions.

Une autre approche consiste à faire découvrir le thème étudié par les élèves au moyen de documents, puis de leur proposer une vidéo de synthèse, reprenant les éléments vus en classe. Cette modalité de classe inversée (ou « post-inversée") présente l’avantage d’être très ritualisée pour les élèves. La vidéo n’apporte que peu d’éléments nouveaux (l’élève « sait » déjà ce qu’il y a dedans). Les tâches sont guidées et la progression de la séquence est linéaire.

Une troisième approche, dites classe inversée « intégrale » est centrée sur un plan de travail proposé aux élèves. Au début de la séquence, les élèves peuvent choisir leur méthode pour apprendre (carte mentale, réalisation de test, etc.). Ils ont aussi des exercices ciblés sur certaines « micro compétences » indispensables pour le baccalauréat. Ceux qui maitrisent déjà ces compétences peuvent approfondir le cours avec des ressources complémentaires. Le contenu théorique du cours est disponible sous la forme de capsules vidéo consultables à tout moment. Les élèves sont très autonomes dans leur travail, peuvent être amenés à produire eux-mêmes des ressources qu’ils partagent sur un mur collaboratif. Cette modalité permet d’imaginer de multiples activités permettant les interactions et la confrontation des points de vue, comme par exemples des « duels » d’étude de document ou de composition en Histoire ou en Géographie, ou encore la rédaction collaborative de documents.

Une autre approche correspond à la classe dite « renversée ». Celle-ci a donné lieu à deux expérimentations distinctes (pour plus de détail, voir l'article dédié aux classes renversées au lycée).

Le scénario "experts" :

Le cours débute par une mise en contexte par le professeur et une étude de cas (en géographie) permettant de dégager les grands axes du sujet, la problématisation générale et le vocabulaire que les élèves devront réemployer. La construction du cours par les élèves (sur 3 à 4 heures) porte donc sur la phase dite de "mise en perspective" qui est souvent assez abordable en terme de connaissances si l'étude de cas a été bien menée. Le cours à construire est proposé sous la forme d'un plan détaillé (9 parties) dans un document collaboratif. Chaque sous-partie est attribuée à un groupe d'élèves qui dispose de documents sélectionnés par le professeur, et d'éventuelles indications pour son traitement. Chaque groupe a pour objectif de compléter sa partie en classe. A la maison, le travail des élèves consiste à lire le travail réalisé au fur et à mesure des séances. Les groupes doivent également réaliser un test de connaissance (sur Kahoot!) de 6 à 8 questions sur leur partie et sur au moins une autre partie. Une fois le cours rédigé et validé par le professeur, les élèves sont invités à faire en classe les tests réalisés par les différents groupes. Cette précaution est indispensable pour ne pas que les élèves restent des "experts" de leur propre partie.

Le scénario "classe renversée intégrale"

Le cours débute par une phase de contextualisation (une étude de cas en géographie). Après cette première phase, les élèves sont répartis en deux groupes. Chaque groupe doit rédiger la partie « mise en perspective » du cours avec la méthode des « tableaux tournants ». Puis les deux groupes se retrouvent pour comparer leurs productions et rédiger un document commun. Une partie de la classe va être assignée à l’élaboration d’un devoir à partir de deux documents ainsi qu’une grille de correction individuelle (critères de réussite du devoir). Le professeur propose un travail dans lequel les élèves doivent repérer des erreurs et des oublis dans d’analyse et la méthodologie, voir l'article sur l'évaluation renversée). Enfin, les élèves corrigent cette copie à l’aide de tous les outils qu’ils jugent nécessaires. Cette méthode est assez contraignante en termes d’organisation et d’espaces de travail mais permet de développer des capacités de travail en commun, la confrontation des idées et un travail en profondeur sur la méthode de l’étude de document.

Ces scénarios se complètent, permettent de diversifier les situations pédagogiques et nécessitent d’être articulés entre eux. En effet, l’habitude de la consultation des capsules vidéos de cours ne peut se construire que progressivement avec une classe. Il faut donc commencer avec une « dose d’inversion », s’adapter au profil de la classe puis augmenter l’inversion à mesure que les élèves adhèrent au principe et maîtrisent les outils. La classe renversée permet de remobiliser les compétences déjà travaillées lors des séquences précédentes (construction d’un document collaboratif, construction d’une grille de correction, correction d’une copie) et ne peut, au lycée, être raisonnablement mise en place sans un travail préparatoire. Une progression annuelle suivant l’ordre proposé dans cet article semble donc la plus raisonnable pour optimiser les chances de réussite.

Je propose ci-dessous un tableau résumant l'intérêt de chacune de ces approches en fonction des critères choisis avec mes classes, en rappelant qu'il n'a de valeur que pour ma pratique. Il pourra peut-être servir de boussole pour construire vos propres séances.


Après plusieurs années de travail en classe inversée en lycée, la nécessité de diversifier les approches est pour moi une évidence. Aucune méthode ne peut être, à elle seule, totalement satisfaisante. Les classes inversées offrent l’opportunité de retrouver une liberté pédagogique, de renouveler nos pratiques. Elles imposent aussi une réflexion et une adaptation permanente pour être au plus près des élèves et de leurs besoins. Elles constituent un levier pour un travail à l’échelle de l’établissement, dans les échanges de pratiques et la réflexion sur les espaces de travail.

Jordi COLOMER

Cet article reprend en grande partie un article publié dans les Actes du CLIC en 2019, mis à jour lors du CLIC 2021

Retrouvez ci-dessous le diaporama interactif avec les plans de travail présentés lors du CLIC 2021